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BÎNDÎNG LISÎÀUG 15 1923 



LES DRAGONNADES 



HISTOIRE 

DES GAMISARDS 



DU MEM12 AUTEUR : 



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Histoire des Paysans. 2 a édit. , in-18 7 -> 

La France sous Louis XIV. 2« édit. , in-8 10 » 

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F. Aurean. — Imprimerie de Largny- 



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LES DRAGONNADES 



HISTOIRE 



CAMISARDS 



EUGÈNE BONNEMÈRE 



AUTEUR D E 



L'HISTOIRE DES PAYSANS — LA FRANCE SODS LOUIS XIV 
LA VENDÉE EN 1793 

TROISIÈME ÉDITION, CORRIGÉE ET AUGMENTEE 



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PARIS 

E. DENTU, ÉDITEUR 



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LIBRAIRE DE LA. SOCIETE DES GENS DE LETTRES 
TALUS-ROYAL, 15-17-19, GALERIE D'ORLÉANS 



1877 

Tous droits réservés. 



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1811 



HISTOIRE 

DES GAMISARDS 



PREMIERE PARTIE 



CHAPITRE I 



L'Édit de Nantes (1598). — Le clergé pousse Louis XIV à le révo- 
quer (1650-1685). — Les Parlements, les Intendants conspirent 
avec le clergé. — Les illégalités précèdent les violences. — La 
persécution commence dès 1662. — Destruction des temples pro- 
testants (1679). 



Henri IV était venu étouffer en Bretagne les derniers 
tressaillements de la Ligue. Il appela auprès de lui, à 
Nantes, des membres du conseil d'État, des députés du 
parti calviniste, Gaspard de Schomberg, l'historien de 
Thou, le président Jeannin, et quelques autres, et ré- 
digea avec eux l'édit célèbre qui confirmait les franchises 
que les protestants armés avaient arrachées aux rois ses 
prédécesseurs, et que, vainqueur et affermi sur le trône, 
il leur laissait dans la plénitude de sa volonté. 

Les édits de Charles IX et de Henri III étaient « provi- 

î 



2 HISTOIRE DES CAMISARDS 

soires»; celui que Henri IV signa le 15 avril Io'J8 devait 
être « perpétuel et irrévocable » . 

« Maintenant, dit-il dans le préambule, qu'il plaît à 
Dieu de commencer à nous faire jouir de quelque 
meilleur repos, nous avons estimé ne le pouvoir mieux 
employer qu'à pourvoir a ce que son saint nom puisse 
être adoré et prié par tous nos sujets; et s'il ne lui a pas 
plu de permettre que ce soit en une môme forme de 
religion, que ce soit au moins d'une même intention, 
et avec telle règle qu'il n'y ait point pour cela de trouble 
ou de tumulte entre eux. » 

Aux termes de cet édit célèbre, les calvinistes purent 
circuler librement, habiter par tout le royaume sans 
être contraints à aucun acte que réprouvât leur con- 
science; l'exercice de leur culte fut rétabli ou maintenu 
partout où il leur était accordé par les édits antérieurs, et 
en outre dans une ville ou dans un bourg, pour chaque 
sénéchaussée ou bailliage; il leur fut permis d'être reçus 
dans tous hôpitaux, écoles, collèges, d'en foncier de 
nouveaux, et de publier les livres de leur religion dans 
les villes où leur culte était autorisé; ils sévirent ad- 
missibles à toutes charges et à tous emplois, sans être 
astreints à aucune forme de serment condamné par 
leur croyance; on leur abondonna un lieu de sépulture 
dans toute ville, bourg ou village ; on ne put plus leur 
enlever leurs enfants pour les contraindre à changer de 
religion, et les parents conquirent le droit de pouvoir, 
par testament, disposer de leur éducation ; il n'y eut 
plus d'exhérédation pour cause de religion; ils se virent 
affranchis de payer les dîmes aux ministres d'un culte 
qui n'était pas le leur, à la condition de respecter ses 
jours fériés, ainsi que les prohibitions qu'il établissait 
pour les mariages entre parents ; leurs pasteurs furent 



HISTOIRE DES CAMÎSARDS 3 

affranchis d'acquitter les servitudes et redevances féo- 
dales; des garanties leur furent accordées en justice, 
pour juger les affaires dans lesquelles des protestants 
étaient intéressés; ils s'interdirent toutes pratiques, né- 
gociations et intelligences avec les ennemis, au dedans 
ou au dehors du royaume ; leurs conseils provinciaux 
furent dissous ; le roi permit la levée de deniers néces- 
saires pour l'entretien des synodes et des ministres du 
culte réformé. 

Il ne faut pas s'exagérer la portée de ce grand acte de 
justice tardive, et encore bien incomplète. En fait, on 
leur accordait la liberté de conscience, bien plus que 
celle du culte, qui restait entravé parbiendes réticences. 
Il n'était permis que dans certaines villes, et chez les 
seigneurs hauts justiciers, pour eux, leurs familles et 
tous autres qu'il leur plaisait de recevoir; chez les 
simples possesseurs de fiefs, pour eux, leurs familles et 
amis, jusqu'au nombre de trente seulement. On ne leur 
laissait que pour huit années leurs petites places d'asiles, 
et on les rejetait en dehors du droit commun, puisqu'on 
établissait des chambres à part pour les juger. 

Telles étaient les faibles garanties que Louis XIV ré- 
solut de leur enlever. Son immense orgueil se révoltait 
à la pensée que quelque chose ou quelqu'un existât en 
dehors de lui ou lui fit obstacle, et il voulut qu'il n'y eût 
plus de protestants en France, comme plus tard il devait 
(lire qu'il n'y avait plus de Pyrénées en Europe. 

Il venait de soutenir contre le pape une longue lutte dans 
laquelle la victoire lui étaitrestéc, et qui avait abouti àla 
fameuse Déclaration du clefgé de France sur 1 la puissance 
ecclésiastique (1C82). Sa santé, jusque-là, avait été ro- 
buste. Mais vers la même époque il fut atteint d'un mal 
qui n'avait rien de majestueux, mal presque ridicule, et 



■4 HISTOIRE DES CAMISARDS 

dont la cour, qui en était si vivementpréoccupée, ne par- 
lait cependant que le sourire aux lèvres. Tout a son im- 
portance dans un gouvernement personnel et despotique . 
Il s'agissait, puisqu'il faut le dire, et que cela pesa d'un si 
grand poids sur les destinées de la France et de l'Europe, 
d'une fistule à l'anus. Était-ce un avertissement du Dieu 
vengeur dont la droite s'appesantissait sur celui qui 
avait osé s'opposer à certaines prétentions de son vi- 
caire? Dans tous les cas, on ne manquait pas de le dire, 
et d'exploiter cela contre lui. Il se décida donc à faire 
quelque chose pour Dieu. En attendant, il lutta contre 
le mal, mais il fut vaincu. Ce ne fut cependant que 
longtemps après, en 1686, qu'il se résigna à la grande 
opération, devenue indispensable et qui, d'ailleurs, réus- 
sit complètement. 

Mais enfin le puissant monarque avait eu de longues 
insomnies pendant les trois ou quatre années que dura 
cette indisposition. La crainte de la mort, la peur de 
l'enfer s'étaient assises à son chevet; se trouvant assez 
vieux pour se faire ermite, il se décida à faire pénitence, 
et surtout à la faire faire pour lui à tous ses sujets. Et 
alors adieu les plaisirs et les fêtes galantes, et les jeunes 
amours et les belles maîtresses! Voici venir le règne de 
la veuve Scarron, qui amène à sa suite les confesseurs, 
les dragonnades et la puissance scandaleuse des bâtards, 
ses élèves favoris. 

Madame de Maintenon l'avait débarrassé de la Mon- 
tespan. La mort le délivra de la reine et de Colbert. 
Libre enfin, il jugea le moment venu de mener à bien ce 
qu'il estimait être la plus glorieuse entreprise, l'œuvre 
providentielle de son règne. 

Cet homme se croyait, dans la naïveté de son âme, le 
représentant de Dieu dans ce monde. Si l'un était le roi 



HISTOIRE DES CAMISARDS O 

des cieux, l'autre était le Dieu de la terre. On le lui répé- 
tait chaque jour, dans la chaire comme dans les prolo- 
gues d'opéra. Fléchier ne confondait-il pas Louis et 
Jéhovah, ne faisait-il pas de l'un le collaborateur et le 
complément de l'autre, lorsqu'il s'écriait dans l'oraison 
funèbre de Letellier : 

o Quelle main était plus propre à achever l'œuvre 
de prince, ou plutôt l'œuvre de Dieu, en scellant la ré- 
vocation de ce fameux édit (1) ? » 

C'était une quatrième personne dans la Trinité, voilà 
tout. 

Il entreprit donc de se faire le champion de sa cause 
et le vengeur de ses injures, sur les juifs d'abord, qui 
l'avaient crucifié dans le temps, puis ensuite sur les 
calvinistes, qui niaient l'infaillibilité de son Eglise. 

Repoussés de toutes les positions, de toutes les fonc- 
tions, les juifs s'étaient lancés dans le commerce et la 
finance, qui étaient presque tout entiers dans leurs 
mains; les protestants dans l'industrie, où ils avaient 
conquis une habileté et une prépondérance sans égales. 
Riche comme un protestant était un proverbe d'alors. Une 
très-notable partie de la fortune sociale, de l'avenir du 
royaume, se trouvait donc entre leurs mains, et depuis 
longtemps Golbert disputait au roi ces utiles auxiliaires 
de sa politique intérieure, ceux qui avaient le mieux 
compris, le mieux secondé ses vingt-deuxannées d'efforts 
pour créer en France le commerce et l'industrie. 



(1) Les évoques étaient unanimes sur ce point. De Chambonnas, 
évêque de Lodève, écrit au duc de Noailles, le 29 juillet 1684 : 

« Il n'y a qu'à laisser faire au roi, qui est conduit par l'esprit de 
Dieu, et avec un peu de temps nous aurons la consolation de ne 
voir qu'un autel dans l'État. » Bulletin du Protestantisme français, 
1853, p. 167. 



G HISTOIRE DES CAMISARDS 

Cependant, il fallait faire la part du feu en accordant 
quelque chose au bigotisme étroit du roi- soleil et de 
ses funestes conseillers. Le grand ministre sacrifia 
d'abord les juifs, mais il espéra le faire lentement, peu 
à peu, en s'opposant tout d'abord à l'entrée en France 
de nouvelles familles juives, ce qui était déjà une faute 
capitale : puis, en chassant de temps en temps huit ou 
dix familles anciennement établies, sous prétexte de pro- 
fanation de sacrements, « ou pour d'autres raisons », 
Il pensait qu'en dix ou douze années de temps, la 
France serait purgée de leur présence, que le com- 
merce se transporterait peu à peu « sur les Français », 
et qu'ainsi les capitaux ne sortiraient pas du royaume(l). 

Tout porte à croire que, s'il n'eût pu sauver les pro- 
testants en retenant Louis XIV sur la pente fatalo où il 
allait lancer le royaume, Golbert eût du moins employé 
contre eux de pareils moyens, qui eussent encore été 
un bienfait immense, si l'on songea ce qui allaitarriver. 
Mais il mourut sans être regretté du peuple ni du roi, 
laissant ce dernier libre de céder h toutes les funestos 
suggestions qui l'entouraient. 

Pour rendre justice à qui de droit, il faut dire que 
depuis longtemps les parlements, et le clergé surtout, 
poussaient aux persécutions religieuses. Bossuet traitait 
d'impies ceux qui ne voulaient pas que le prince usât 
de rigueurs en matière de religion (2), et dès 1630, le 
clergé adressait à un roi de treize ans les conseils qui 
suivent : 

« Nous ne demandons pas, Sire, a Votre Majesté 



(1) Depping, Correspondance administrative, t. III, p. 876. — CoN 
bert à de Riz, janvier 1083. 

(2) Bossuet, Politique tirée de l'Écriture sainte, Ijv, VII, 



1IIST01RE DES CAMISARDS 7 

qu'elle bannisse à présent de son royaume cette mal- 
heureuse liberté de conscience, qui détruit la véritable 
liberté des enfants de Dieu, parce que nous ne jugeons 
pas que l'exécution en soit facile ; mais nous souhaitons 
au moins que... si votre autorité ne peut étouffer tout 
d'un coup ce mal, elle le rende languissant et le fasse 
périr peu à peu. » 

Tous les cinq ans, le clergé do France se réunissait 
en assemblée générale. Il daignait accorder au roi quel- 
ques légers subsides, en échange des immenses do- 
maines de mainmorte immobilisés entre ses mains, et, 
comme récompense sans doute, il réclamait, tous les 
cinq ans, de 1650 à 1683, que l'on supprimât les hu- 
guenots en renversant « leurs chaires de pestilence et 
leurs synagogues de satan » (1). 

Dans cette dernière année, 1685, il devient plus pres- 
sant, plus explicite : « Que défenses soient faites à ceux 
de la Religion Prétendue Réformée de faire exercice de 
leur religion dans les terres et domaines du roi. » Et 
comme, à bien dire, en France, tout est terre et do- 
maine du roi, il demande implicitement parla la révo- 
cation de l'édit de Nantes. 

L'évèque de Valence, Cosnac, que nous retrouverons 
bientôt archevêque d'Aix, présidait cette année-là l'as- 
semblée. Il faut l'entendre se féliciter des résultats de 
son éloquence ; «Je fis une harangue au roi, où je crois 
que je n'oubliai rien, et peut-être môme que je contri- 
buai un peu à faire avancer le dessein de faire révo- 
quer l'édit de Nantes et de ne souffrir que des catho- 
liques (2). » 



(1) Assemblée de 1GG0, discours de l'évoque de Lavaur au roi, 

(2) Cosnac, Mémoires, t. II, p. nr>. 



8 HISTOIRE DES CAMISARDS 

L'acte révocatoire fut donc un fait de religion, non 
de politique, et les sentiments du clergé sur ce point de- 
meurèrent invariables. « On ne peut s'empêcher d'ob- 
server que la plupart des ecclésiastiques n'agissent dans 
cette affaire que par faux zèle et par passion, » disait 
Pontchartrain, dans un mémoire présenté au roi en 
1698 (1). Sous la pression patiente et implacable de 
madame de Maintenon et des jésuites, Louis ne connut 
plus que la passion de la conversion, contagieuse 
comme toutes celles du maître, et qui gagna les inten- 
dants, les chefs militaires, les magistrats. Chacun se fit 
apôtre et missionnaire et se servit, pour convertir, des 
moyens qui étaient en sa puissance. 

On n'eut que trop égard aux pressantes exigences du 
clergé. Déjà, en 1662, on sonde le terrain, on s'informe, 
auprès des intendants, des dispositions du peuple, de 
celles du parlement. Celui de Metz répond en ordonnant 
que les réformés ne pourront enterrer les personnes qui 
leur sont chères que clandestinement, avant le lever ou 
après le coucher du soleil (2) ; mais en même temps 
l'intendant Bourlié avertit le ministre qu'il sera difficile 
d'amener le peuple au catholicisme (3). Au commence- 
ment de 1663, unédit légalise la déloyauté, décharge les 
nouveaux convertis du payement de leurs dettes envers 
les religionnaires; ils obtiennent l'exemption de deux 
années de tailles et leur part retombe à la surcharge 
de ces derniers. Un arrêt du 12 mai 1665 prescrit aux 
prêtres de pénétrer, accompagnés par des magistrats, 
auprès des religionnaires malades, pour leur demander 



(1) Rulhière, Éclaircissements historiques sur les causes de la révo- 
cation de l'Édit de Nantes, t. I, p. 136. 

(?) Emmanuel Michel, Histoire du Parlement de Metz, p. 198. 
(3) Depping, t. IV, p. 305. 



HISTOIRE DMS CAMISARDS 9 

s'ils n'ont pas le désir de mourir catholiques. La popu- 
lace, ameutée par les curés, hurlait dans la rue, péné- 
trait dans la chambre, violait l'asile où agonisait un 
homme, insultait à la douleur de toute une famille, tan- 
dis qu'assisté d'huissiers, de sergents et de recors, le 
prêtre disputait au ministre le moribond effaré. Une dé- 
claration du 24 octobre 1665 autorise les garçons de 
quatorze ans et les filles de douze à quitter leurs parents 
pour changer de religion, en exigeant d'eux des pensions 
proportionnelles aux besoins des uns, aux facultés des 
autres. C'est la révolte et la démoralisation soufflées au 
sein de la famille. On attirait par tous les moyens ces 
pauvres enfants dans des couvents, et une fois dans ces 
asiles, ils ne pouvaient plus être forcés de voir leurs 
parents jusqu'à leur abjuration. Les protestants se mon- 
traient en tous lieux plus instruits que les catholiques : 
un arrêt du conseil du 9 novembre 1670 défend aux 
maîtres d'écoles d'enseigner aux jeunes huguenots autre 
chose que la lecture, l'écriture et l'arithmétique, et de 
se trouver plus de douze réunis aux cérémonies de noces 
et de baptêmes. Après un arrêt qui interdit d'appeler 
des sages-femmes protestantes auprès des femmes en 
couches, il en vient un autre du parlement de Rouen, 
du 22 avril 1681, qui permet aux sages-femmes d'on- 
doyer les enfants des religionnaires, formalité qui suf- 
fisait pour qu'un enfant fût ravi à ses parents. Ils 
purent se convertir à sept ans, — chose où l'odieux le 
dispute au ridicule, — et il fut interdit de les élever ou 
faire élever à l'étranger... 

Les parlements, les intendants lancent à l'envi des 
arrêts vexatoires ; Louis s'en empare, les rend d'une 
application générale par tout le royaume, en fait des 
lois. Un édit d'août 1669 interdit, sous peine de confis- 

î. 



10 HISTOIRE DES CAMISARDS 

cation de corps et de biens, c'est-à-dire sous peine de 
galères perpétuelles et de ruine absolue, d'aller s'établir 
en pays étranger par mariage, acquisition d'immeubles, 
transfert de famille et de biens. Un autre du G novem- 
bre 1674 défend aux ministres d'habiter ou de prêcher 
hors de leur résidence. Plus tard, c'est tout le contraire, 
— e sempre 'bene; — pour leur enlever toute autorité 
morale, il leur est sévèrement interdit d'exercer leur 
ministère pendant plus de trois ans dans le même lieu. 
On supprime dans les temples toute distinction de siège 
ou de place, afin d'en écarter les gentilshommes et les 
nobles dames qui, lorsqu'il ne s'y trouve plus que des 
bancs, reculent devant la honte d'être confondus avec 
les manants. Le 2 décembre 1680, les greffiers, notai- 
res, procureurs, huissiers, sergents, ne pourront plus 
exercer leurs charges et sont contraints de les vendre à 
des catholiques, on devine à quel prix ! Là où il n'y a 
pas de juge, les syndics, les marguilliers doivent aller 
demander aux malades s'ils n'auraient pas pour agréable 
de mourir dans la religion de Rome. Les mariages 
mixtes sont proscrits, sans nul effet. Par une impu- 
dence sans égale, Louis déclare légitimes ses bâtards, 
fruits d'un double adultère, et bâtards les enfants légi- 
times des protestants mariés avec des catholiques. Le 
moindre défaut d'une pareille mesure était d'être d'une 
maladresse insigne, d'aller contre le but où l'on tendait. 
Car lorsqu'une personne appartenant à la religion la 
plus nombreuse et qui groupait autour d'elle toutes les 
sympathies en épousait une autre de la minorité, les 
enfants, entre ces deux influences égales, devaient al- 
ler tout naturellement du côté d'où venaient les faveurs. 
Les biens légués aux pauvres de la Religion Prétendue 
Réformée seront réunis aux hôpitaux ; que nul ne s'ingère 



HISTOIRE DES CAMISARDS 11 

de recevoirchez soi les pauvres malades de la R. P. II. 
(27 janv. 1683, 4 sept 1684) ; on voulait les tenir sous sa 
main, à l'hôpital, pour livrer leurs derniers moments à 
l'obsession des prêtres, des bourreaux deleurs coreligion- 
naires. Un protestant ne peut être nommé tuteur, exercer 
les fonctions d'expert (21 août 1684); il est défendu aux 
pasteurs d'exercer leur culte dans les lieux où les temples 
sont démolis (30 avril 1685). La peine demortprononcée 
contre ceux qui émigrent à l'étranger est commuée en 
celle des galères perpétuelles (31 mai 1685). Les galères 
chômaient, elles manquaient de sujets, et quand nous 
aurons dit quelles tortures y attendaient les réformés, on 
comprendra quelle terrible aggravation de peine il y 
avait là. Tout temple où un mariage mixte aura été 
célébré sera démoli (Q juillet 1685). Défense aux li- 
braires et imprimeurs de laR. P. R. d'exercer, aux juges, 
notaires et avocats d'avoir des clercs de la R. P. II., aux 
protestants d'avoir des domestiques catholiques (9-10 
juillet 1685). L'exercice du culte réformé est proscrit dans 
les villes épiscopales, et dans les faubourgs, à une lieue 
à la ronde ; les ministres ne pourront résider dans le rayon 
de six lieues autour d'un temple démoli, ou interdit. De 
sorte qu'il suffisait d*en abattre un de douze en douze 
lieues pour que le pasteur n'eût plus ni feu ni lieu, et 
tombal sous le coup dos galères perpétuelles. 

11 ne serait plus reçu de médecins huguenots ; interdic- 
tion aux médecins, chirurgiens, avocats, notaires, pro- 
cureurs, sergents huguenots d'exercer; la moitié des 
biens des émigrés sera donnée à leurs dénonciateurs; 
ceux qui favorisent l'évasion des émigrés seront con- 
damnés aux galères perpétuelles (1)... 

(1) Isambcrt, Anciennes Lois françaises, t. XVIII, XIX, XX, pattfm» 



12 HISTOIRE DES CAMISARDS 

C'est la loi insensée, en démence, passant à l'état de 
folie furieuse. 

Que l'on veuille bien graver profondément dans sa mé- 
moire que celte législation sauvage continua de peser sur 
les prostestants jusqu'à la fin de la monarchie et qu'en 
1786, le baron [de Breteuil, en présentant à Louis XVI 
un Mémoire ou Rapport général sur la situation des cal- 
vinistes en France, sur les causes de cette situation, et sur 
les moyens d'y remédier, s'exprimait ainsi, en faisant allu- 
sion à l'omission qui avait été faite d'une « loi générale 
et universelle » pour régulariser cette même situation. 

« J'ose demander aujourd'hui si cette infortune de 
plusieurs millions de Français, qui dure depuis tant 
d'années, et qui menace encore des générations sans 
nombre, si les imprudentes lois dont cette fatale réti- 
cence a été la cause, la persécution qu'elles ont produite, 
l'émigration qu'elles ont renouvelée, émigration qui 
n'est à présent suspendue que par une tolérance tacite 
et insuffisante; si plus de cinq cent mille mariages dé- 
savoués par l'Église, méconnus par les tribunaux et faits 
au désert, lesquels en produiront une infinité d'autres; 
si la confusion toujours prête à se porter dans les héri- 
tages et qui n'est maintenant arrêtée que par un autre 
renversement de l'ordre civil, seront encore regardés 
comme de légers inconvénients, qui ne méritent ni 
d'être réparés, ni d'être prévenus (1). » 

Dès l'année 1679, vingt-deux temples sont abattus. 
Ils commencent à s'agiter sur leurs fondements, comme 
secoués par un tremblement de terre, et de jour en jour 
leurs ruines jonchent le sol. Tout prétexte était bon 
pour qu'un temple dût être détruit, il suffisait que l'en- 

(I) Rulhière, t. II, p. 87. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 13 

fant d'un nouveau converti, ou un bâtard, — ils étaient 
tous réputés catholiques, — y eût pénétré. 

Intendants et évoques rasent à l'envi les édifices du 
culte proscrit. Cosnac triomphe sur ce terrain : « De 
sorte, dit-il, qu'avant la révocation de l'édit de Nantes, 
je me glorifiais d'avoir détruit l'exercice des temples de 
mon diocèse (1). » 

Qu'eussiez-vous dit, prélats de la religion des plus forts, 
si, dans l'an de grâce 1789, la révolution victorieuse eût 
voulu, faibles représailles de quinze siècles d'oppression, 
se glorifier de jeter à bas vos églises ! 

Il y avait longtemps que Cosnac poursuivait cette 
œuvre odieuse, dénonçant ses frères égarés, appelant 
sur eux les colères royales, sollicitant la destruction des 
temples avec l'insistance qu'un autre mettrait à l'ac- 
complissement d'une bonne action. C'est ainsi que le 
30 octobre 1683, il s'adressait en ces termes au duc de 
Noailles, gouverneur militaire de la province : 

« Monsieur, — je vous demande la démolition du tem- 
ple de Bastie-de-Crussol, de la part de Dieu, pour le 
bien du service du roi, pour l'intérêt de la justice... Le 
peuple de la Bastie a été le premier rebelle aux édits du 
roi, et mon diocèse ayant été sans doute le plus criminel 
se trouve le moins puni, n'ayant vu que la destruction 
de deux temples dans l'espace de douze lieues, au lieu 
que celui de Viviers en a vu tomber sept en trois lieues 
de pays. Serait-il possible, monsieur, que ces raisons 
ne vous paraissent pas bonnes, et que vous puissiez me 
refuser ce dixième temple qui dépend uniquement de 
votre volonté? (2) » 



(1) Daniel de Cosnac, Mémoires, t. II, p. 115. 

(2) Bulletin du Protestantisme français, 1853, p. 168. 



14 HISTOIRE DES CAMISAKDS 

Tous les évoques ne déployaient peut-être pas la 
môme fougue dévastatrice, mais tous approuvaient et 
applaudissaient de toutes leurs mains. Ainsi faisait de 
Chambonnas, évêque deLodève, dans sa lettre au même, 
en date du 29 juillet 1684 : « ... Je conviens avec vous 
que la condamnation des ministres, leur interdiction et 
la démolition des temples est le plus sûr moyen d'hu- 
milier leur religion et de la finir en France... Cependant, 
il ne faut pas négliger de punir les fautes de ceux qui 
sont des consistoires. J'en ai eu encore deux familles 
complètes depuis peu de jours, sur un procès au sujet 
d'un enfant rebaptisé au temple, la sage-femme catho- 
lique l'ayant baptisé dans sa naissance, le croyant prêt 
à mourir. Je n'ai pu prouver encore que le ministre eût 
su ce premier baptême (Id.) ...» 

Persuasion, corruption, violence, tous les moyens 
étaient bons à Louis. Il tenait boutique de religion 
comme de noblesse ; il marchandait les apostasies, il 
achetait les baptêmes, comme il vendait aux maltôtiers 
enrichis les titres héraldiques. Un renégat du protes- 
tantisme, « qui eut le bonheur, dit Voltaire, d'être 
éclairé et de changer de religion dans un temps où ce 
changement pouvait le mener aux dignités et à la for- 
tune,» Pélisson, manipulait les fonds de la caisse de 
conversion, alimentée surtout par les produits de la Ré- 
gale, que l'on venait d'enlever à Rome, et correspon- 
dait avec les évoques. Les consciences n'étaient pas 
chères alors: six livres étaient le prix moyen d'une con- 
version. Bossuct en fit moins que Pélisson, mais Pélisson 
beaucoup moins que les dragons. Seulement le ca- 
tholicisme ne faisait ses recrues que dans l'écume et 
la lie du protestantisme, et encore ne conservait-il pas 
ces tristes conquêtes d'un jour, car une fois les six 



HISTOIRE DES CAMISARDS 15 

livres reçues, les nouveaux baptisés s'empressaient de 
revenir au protestantisme, et cet abus de confiance 
amena la déclaration du 13 mars 1679 contre les relaps. 
Louis avoue naïvement tout cela dans le préambule de 
cette ordonnance : 

« Nous avons été informé que, dans plusieurs pro- 
vinces de notre royaume, il y en a beaucoup qui, après 
avoir abjuré la Religion Prétendue Réformée dans l'espé- 
rance de participer aux sommes que nous faisons dis- 
tribuer aux nouveaux convertis, y retournent bientôt 
après... » 

Ainsi, ils avaient cru pouvoir échapper à la persé- 
cution par une formalité payée à vil prix et qu'ils 
croyaient sans conséquence. La législation terrible que 
l'on fit peser sur les relaps les exposa aux peines les 
plus rigoureuses. 

Le grand roi s'attriste, mais ne se décourage pas, et 
en son nom Louvois pousse les intendants à faire lar- 
gement les choses, à offrir quelques bons sacs d'écus 
aux gentilshommes obérés, aux ministres surchargés 
de famille et peu favorisés de la fortune. 

« Sa Majesté, écrit-il à Baville (5 mars 1G85), ne se 
plaindrait point des sommes assez considérables, si elle 
pouvait espérer que, étant distribuées secrètement à 
ceux de la province en qui la noblesse de cette religion 
a plus de créance, la distribution qui en serait faite par 
vous pût être suivie d'un nombre considérable de con- 
versions. Sa Majesté connaît bien que, si l'on pouvait 
savoir que les gentilshommes ou ministres qui seraient 
convenus de se convertir auraient reçu des gratifica- 
tions en argent de Sa Majesté, bien loin que ces con- 
versions eussent les suites que Sa Majesté en attend, les 
autres demeureraient plus opiniâtres dans leur erreur, 



16 HISTOIRE DES CAMISARDS 

les uns pour avoir part aux mômes gratifications, et les 
autres, qui seraient plus sincères, par la connaissance 
qu'ils auraient du motif qui aurait porté ceux qui sont 
présentement accrédités parmi eux à quitter leur reli- 
gion. Aussi Sa Majesté croit-elle que cet argent ne pour- 
rait être utilement employé qu'autant qu'il serait 
distribué avec secret, et de manière que personne ne pût 
avoir connaissance que ceux qui auraient été portés 
à se convertir eussent reçu aucune gratification de Sa 
Majesté. » 

Certes, l'homme qui donnait de telles instructions à 
ses agents connaissait bien la nature humaine. Mais 
quel est le rôle d'un ministre, ou de tenter de la relever 
de sa déchéance, ou de spéculer sur ses plus vils 
instincts? 

On n'avait pas même l'excuse de pouvoir s'abuser 
sur l'indigne comédie que jouaient convertis et conver- 
tisseurs, et un jour le comte de Tessé en écrivait très- 
plaisamment àLouvois (13 novembre 1685) ^(Non-seule- 
ment, dans une même journée toute la ville d'Orange 
s'est convertie, mais l'État a pris la même délibération, 
et MM. du parlement, qui ont voulu se distinguer par 
un peu plus d'obstination, ont pris le même dessein 
vingt-quatre heures après. Tout cela s'est fait douce- 
ment, sans violence, sans désordre (1). II n'y a que le 
ministre Chambrun, patriarche du pays, qui continue de 
de ne point vouloir entendre raison ; car M. le président 
qui aspirait àl'honneur du martyre, fût devenu mahomé- 
tan, si je l'eusse souhaité. En tout cas, il faut que Sa 
Majesté regarde ce qu'on fait avec ces gens-ci comme 
quand d'une mauvaise paye l'on tire ce qu'on peut. » 

(1) Le pasteur Chambrun réfutera bientôt cet impudent mensonge. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 17 

Les évêques eux-mêmes, satisfaits du petit rôlet 
qu'ils acceptent pour laisser le grand rôle aux dragons, 
plaisantent agréablement de tout cela. Gosnac, rentré 
dans son diocèse après l'assemblée du clergé de 1685, 
travaille, à la suite des garnisaires, aux conversions, 
« soit par des instructions, soit par des grâces et de 
l'argent... J'avoue que la crainte des dragons et les loge- 
ments dans les maisons des hérétiques y pouvaient con- 
tribuer beaucoup plus que moi (1). » 

Faut-il faire peser sur la mémoire de Louvois la res- 
ponsabilité de l'attentat du 22 octobre 1685 ? Nous ne 
le croyons pas. Le fils de Letellier n'était même pas 
dévot. On l'avait vu se ranger du parti de la Montespan, 
qui poussait son royal amant vers le faste et les grandes 
choses, contre la veuve Scarron, qui ne triompha de 
sa rivale qu'en excitant les scrupules religieux de Louis. 
On sait avec quelle énergie l'impétueux ministre com- 
battit un mariage qui, pensait-il, couvrait son maître 
de ridicule aux yeux de l'Europe. Seulement, après que 
madame de Maintenon et les jésuites eurent triomphé, 
il sut, lui aussi, opérer sa conversion et se ranger du 
parti des forts. Il fit beaucoup de zèle, sentant qu'il 
avait beaucoup à se faire pardonner. 

Tout était disposé d'ailleurs pour remettre entre ses 
mains la direction des événements. Déjà il avait fait 
rendre, en 1681, une ordonnance ayant pour effet de 
faire passer au département de la guerre les choses de 



(l) Cosnac, t. II, p. 115. 

« Je me réjouis par avance de tout le bien que vous venez faire au 
milieu de nous, et m'oiïVe à vous pour un de vos missionnaires, quoi- 
que je reconnaisse que ceux qui frappent fassent bien plus d'effet 
que ceux qui parlent. » Pierre delà Broue, évêque de Mi repoix, au 
duc de Noailles, 22 août 1685. Bulletin du Protestantisme, 1853, p. 168. 



18 HISTOIRE DES CAMISARDS 

la R. P. R., et, dans une lettre spéciale et confidentielle 
(18 mars 1681), il donnait à Marillac, intendant du 
Poitou, do secrètes instructions qui contenaient en 
germe les dragonnades et les missions bottées : 

« J'ai eu l'honneur de lire au Roi les lettres que vous 
avez pris la peine de m'écrire les 5 et 12 de ce mois, 
par lesquelles Sa Majesté a appris avec beaucoup de 
joie le grand nombre de gens qui continuent à se con- 
vertir dans votre département. Sa Majesté vous sait 
beaucoup de gré de l'application que vous donnez à en 
multiplier le nombre, et Elle désire que vous conti- 
nuyiez à y donner vos soins, vous servant des mêmes 
moyens qui vous ont réussi jusqu'à présent. Elle a 
chargé M. Colbert d'examiner ce qu'on pourrait faire 
pour, en soulageant dans l'imposition des tailles ceux 
qui se convertiraient, essayer de diminuer le nombre 
des religionnaires. Elle m'a commandé de faire 
marcher, au commencement du mois de novembre 
prochain, un régiment de cavalerie en Poitou, lequel 
sera logé dans les lieux que vous aurez soin de proposer 
entre ci et ce temps-là, dont Elle trouvera bon que le 
plus grand nombre des cavaliers et officiers soient logés 
chez les protestants ; mais Elle n'estime pas qu'il les 
y faille loger tous ; c'est-à-dire que de vingt-six maîtres 
dont une compagnie est composée, si, suivant une 
répartition juste, les religionnaires en devaient porter 
dix, vous pouvez leur en faire donner vingt 

« Sa Majesté a trouvé bon encore de faire expédier 
l'ordonnance que je vous adresse, par laquelle Elle or- 
donne que ceux qui se seront convertis seront, pendant 
deux années, exempts de logements de gens de guerre. 
Cette ordonnance pourrait causer beaucoup de conver- 
sions dans les lieux d'étapes, si vous teniez la main à 



HISTOIRE DES CAMISARDS i ( J 

ce qu'elle soit bien exécutée, et que dans les réparti- 
ments qui se feront des troupes qui y passeront, il y 
en ait toujours la plus grande partie logée chez les plus 
riches de ladite religion ; mais, ainsi que je vous l'ai 
expliqué ci-dessus, Sa Majesté désire que vos ordres 
sur ce sujet soient, par vous ou par vos subdélégués, 
donnés de bouche aux maires et échevins des lieux, sans, 
leur faire connaître que Sa Majesté désire par là violenter 
les huguenots à se convertir ; et leur expliquant seu- 
lement que vous donnez ces ordres sur les avis que 
vous avez eus que, parle crédit qu'ont les gens riches 
de la religion dans ces lieux-là, ils se sont exemptés au 
préjudice des pauvres. » 

Ainsi, injustice au fond, hypocrisie dans la forme. 
Rien d'écrit, tout de vive voix, tout traité sous le man- 
teau de la cheminée, afin qu'il ne reste nulle trace de 
tant d'iniquités. 



20 IIIST01RE DES CAMISARDS 



CHAPITRE II 



Riche, adonné à l'industrie, le protestantisme, sans chefs, était 
inoffensif. — Ignorance du clergé catholique. — Supériorité des 
pasteurs protestants. — Louvois, madame de Maiutenon, les Jé- 
suites. — Commencement de l'émigration (1680). — Internement 
des pasteurs réduits au silence. — Premières dragonnades (1683). 
— Lamoignon de Bàville, intendant du Languedoc, Noailles 
maréchal de France, gouverneur de la province, rivalisent de 
cruauté. 



L'intendant du Roussillon, Foucauld, le duc de Noail- 
les, qui commandait dans le Languedoc, en racontant, 
dans leurs Mémoires comment ils aggravaient les ri- 
gueurs de la cour par leur mépris de la légalité, par leur 
intolérance poussée jusqu'à la férocité, parla déloyauté 
insolente de leur conduite à l'égard des protestants, 
montrent assez quel était l'esprit du temps. Ils con- 
fessent, du reste, le peu de nécessité de la révocation, 
avouant que le calvinisme se montrait « alors peu re- 
muant et tenu en bride, non-seulement par la puissance 
du roi, mais par l'intérêt de ses propres sectateurs (1) . » 
En effet, depuis la prise de la Rochelle, les protestants 
n'avaient pas même essayé de jouer un rôle politique ; ils 

(1) Mémoires du duc de Noailles, par l'ahbé Millot, p. 9. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 21 

avaient refusé de prendre part aux mouvements de la 
Fronde : « Le petit troupeau broute de mauvaise herbe, 
disait Mazarin, mais il ne s'écarte pas. » 

Le protestantisme, d'ailleurs, était sans chefs. Bien 
différent du christianisme, qui s'était recruté à l'origine 
dans les derniers rangs de la plus infime populace (1), 
parmi les pécheurs, les esclaves, les mendiants et tous les 
deshérités de ce monde, la Réforme s'était adressée sur- 
tout aux gentilshommes et aux lettrés de la bourgeoisie, 
qui trouvaient en elle un puissant auxiliaire pour résister 
aux envahissements de la monarchie grandissant sans 
cesse au préjudice des licences féodales et des franchises 
municipales. Quand au peuple, qui avait reçu tous les 
coups entre ce marteau et cette enclume, il était resté en 
tous lieux assez indifférent à des luttes dont le sens lui 
échappait. Peu à peu les gentilshommes, devenus courti- 
sans, étaient allés vers le parti d'où venaient les faveurs, 
et avaient abjuré à leur tour une religion qui était un ob- 
stacle à leur ambition. Il n'y restait donc plus guère que 
le monde pacifique des savants et des riches industriels 
de la bourgeoisie, qui n'avaient nulle action sur le 
peuple des campagnes, toujours arriéré d'un siècle et 
décidé à se cramponner le dernier à des croyances 
qu'il avait adoptées quand déjà elles étaient répudiées 
par ses maîtres. 

Louis, d'ailleurs, avait pris soin de condamner lui- 
même par avance son attentat et d'amnistier ses vic- 
times, lorsqu'il écrivait ces lignes (2) : 

« Nos sujets de la II. P. R. nous ont donné des preu- 



(1) Ecclesia Christi non de Academia et Lycœo, sed de vili plebe- 
cula congregata est. — Saint Jérôme, in Epist. ad Gai., cap. V. 

(2) Déclaration de mai 1652. 



22 HISTOIRE DES CAMtSARDS 

vcs certaines de leur affeclion et fidélité (notamment 
dans les occasions présentes) , dont nous demeurons 
très-satisfait. Nous voulons donc qu'ils soient main- 
tenus et gardés en la pleine et entière jouissance de 
l'édit de Nantes, édits, déclarations, arrêts, règlements, 
articles et brevets expédiés en leur faveur, registres es 
parlements, notamment en l'exercice public de la dite 
religion, en tous les lieux où il a été accordé par iceux, 
nonobstant toutes lettres et arrêts, tant de notre bon 
conseil que des cours souveraines, et autres jugements 
au contraire ; voulant que les contrevenants à nos édits 
soient punis et châtiés comme perturbateurs du repos 
public. » 

Et cependant Louis signa la révocation de l'édit de 
Nantes, qui, à une époque où la France était déjà dé- 
peuplée et misérable par suite de ses fautes sans nom- 
bre, chassa du royaume un million et demi de ses su- 
jets, les plus riches et les plus industrieux. 

Il faut reconnaître que l'on avait songé tout d'abord 
aux moyens de persuasion, aux discussions théologi- 
ques, aux colloques, mais on s'aperçut bientôt que, 
sur ce terrain, on serait toujours honteusement battu 
par les protestants, dont les ministres se montraient 
aussi instruits que les membres du clergé catholique 
étaient grossièrement ignorants... « Abêtissez-vous pour 
croire ! » avait dit Pascal avec une désolante convic- 
tion, quand sa haute intelligence se révoltait contre 
certains dogmes que repoussait sa raison. Le clergé 
l'avait pris au sérieux; mais pendant qu'il s'abêtissait 
jusqu'à l'idiotisme, le libre clergé protestant s'éclairait 
des vives lueurs de la science, et toute lutte devenait 
désormais trop inégale entre les ministres des deux 
Églises rivales. C'est ce que reconnaissent l'intendant 



HISTOIRE DES CAMISARDS 23 

du Languedoc, d'Aguesseau, et le duc de Noailles, qui 
commandait dans cette province dont nous nous occu- 
perons tout particulièrement, puisqu'elle servit de 
théâtre aux événements que nous allons raconter. 

« Une des choses, dit le premier, qui retient le plus 
les huguenots, est la quantité d'instruction qu'ils re- 
çoivent dans leur religion, et le peu qu'ils en voient 
dans la nôtre (1) . » 

« Le zèle des catholiques en général n'étant soutenu 
dans la province ni par la science, ni par les mœurs du 
clergé, ressemblait moins au vrai zèle qu'à l'esprit de 
haine et de vengeance. Noailles se plaignait amèrement 
de la conduite des évoques et des prêtres qui négligeaient 
entièrement les moyens de conversion. Dans les Gé- 
vennes surtout, ce rempart de l'hérésie, les vices du 
clergé méritaient les plus grands reproches. Une cathé- 
drale, des collégiales, des cures, plusieurs commu- 
nautés, fournissaient à peine aux catholiques un ser- 
mon par mois, tandis que les calvinistes du même lieu 
en avaient un par jour, sans avoir plus de deux ou 
trois ministres... Et comment vaincre l'entêtement de 
sectaires mieux instruits de leur religion, plus attachés 
à leur Croyance et à leurs devoirs que le9 catholiques 
dont ils étaient environnés, méprisant les superstitions 
que ceux-ci préféraient souvent au culte divin, mépri- 
sant les subtilités triviales qui faisaient presque leur 
unique théologie? 

« Le roi envoya enfin l'abbé Hervé avec douze mis- 
sionnaires, suppléer, en Languedoc, à la disette d'ec- 
clésiastiques zélés et suffisamment instruits. Des grati- 
fications en argent, destinées aux nouveaux convertis, 

(1) Pierre Clément, le Gouvernement de Louis XIV, p. 93. 



24 HISTOIRE DES CAMISARDS 

ajoutaient du poids aux discours des prédicateurs : les 
sommes se réglaient sur le nombre de ceux qui compo- 
saient les familles (1). » 

Noailles alors pressa l'intendant d'Aguesseau d'ou- 
vrir des conférences à Nîmes. Mais le résultat fut tel, 
qu'il fut bientôt forcé de lui écrire que, « puisqu'on ne 
trouvait point de docteurs catholiques assez savants 
pour soutenir la cause de Dieu dans ces conférences, 
il fallait profiter de ce refus que les religionnaires fai- 
saient d'y entrer, et les rompre avec honneur, plutôt 
que de les tenir avec déshonneur pour la religion (Id.). » 

Ainsi, dans la lutte terrible déjà engagée, le protes- 
tantisme représente la lumière et le progrès, tandis que 
la sombre milice de Rome personnifie les ténèbres et la 
barbarie. Pourquoi faut-il que ce rôle ait été si sou- 
vent le sien ! 

Il fallut donc en revenir aux termes des instructions 
du 18mars 1681, aux logements militaires. L'intendant 
.Foucauld semble revendiquer le triste honneur de s'être 
lancé le premier dans la voie ouverte par le terrible 
ministre. Le Béarn, qu'il administrait, comptait vingt 
temples protestants : il les fit raser jusqu'au dernier : 
« Le 23 juillet (1681), écrit-il dans son journal, j'ai pro- 
posé à M. Louvois de faire venir du Roussillon deux 
compagnies de cavalerie dans le haut Rouergue et dans 
le haut Quercy... J'ai reçu, pendant cette année et les 
suivantes, des arrêts pour exclure les religionnaires des 
charges publiques et des emplois dans les villes. » 

Il était impossible de mépriser plus complètement 
toutes les lois et toutes les garanties les plus sacrées, 
car ce ne fut que quatre années plus tard que l'édit de 

(1) L'abbé Millot, Mémoires de Noailles, p. il. 



HISTOIRE DUS CAMISARDS 25 

Nantes fut révoqué, et jusque-là les réformés avaient 
bien le droit, — en admettant que l'attentat de Louis XIV 
le leur ait fait perdre, — de prier Dieu à leur manière 
et de vivre de leurs positions acquises. 

Le zèle convertisseur de Foucauld fut parfois jugé 
sévèrement par quelques-uns de ses comtemporains, 
notamment par d'Aguesseau, qui écrit dans la Vie de 
son père : « Je ne nommerai point ici l'intendant qui, 
par une distinction peu honorable pour lui, fut chargé 
de faire le premier essai d'une méthode si nuisible pour 
la conversion des hérétiques. Il était des amis de mon 
père et des miens : homme d'un esprit doux, aimable 
dans la société, orné de plusieurs connaissances, et 
ayant du goût pour les lettres comme pour ceux qui les 
cultivent. Mais soit par un dévouement trop ordinaire 
aux intendants pour les ordres de la cour, soit parce 
qu'il croyait, comme bien d'autres, qu'il ne restait plus 
dans le parti protestant qu'une opiniâtreté qu'il fallait 
vaincre, ou plutôt écraser par le poids de l'autorité, 
il eut le malheur de donner au reste du royaume un 
exemple qui ne fut que trop suivi, et dont le succès sur- 
passa d'abord les espérances mêmes de ceux qui le fai- 
saient agir. Il n'eut besoin que de montrer les troupes, 
en déclarant que le roi ne voulait plus souffrir qu'une 
seule religion dans ses États, et l'hérésie parut tomber 
à ses pieds. Les abjurations ne se faisaient plus une à 
une; des corps et des communautés entières se conver- 
tissaient par délibération, et par des résultats de leurs 
assemblées; tant la crainte avait fait d'impression sur 
les esprits, ou plutôt, comme l'événement l'a bien fait 
voir, tant ils comptaient peu tenir ce qu'ils promettaient 
avec tant de facilité. » 

« Quand Louvois vit que l'affaire était entamée, il 



26 HISTOIRE DES CAMISARDS 

la poussa à l'extrémité et aux cruautés qui furent exer- 
cées, prétendant convertir en six mois seize cent mille 
personnes par des traitements indignes de la religion 
et de l'humanité (1). » C'est au nom du Dieu d'amour 
et de charité que l'amour et la charité sont proscrits, 
que Colbert écrit à la Reynie (23 mars 1682) de s'op- 
poser aux associations organisées par quelques dames 
riches de la religion persécutée, en vue de secourir les 
pauvres de leur communion. Ces réunions continuent 
cependant, se cachant comme pour faire le mal ; mais 
d'habiles espions, soudoyés par le père La Chaise, 
livrent le secret de leur existence, et on les poursuit 
avec plus de rigueur que par le passé (2). 

Vers le môme temps, le parlement de Toulouse rendit 
le 16 octobre 1682, « conformément aux ordres de la 
cour, » un arrêt qui interdisait l'exercice de la R. P. R. 
dans Montpellier, qui ne comptait pas moins de huit 
mille protestants, et ordonna que le temple de cette ville 
fût démoli. Les pasteurs tentèrent d'opposer les voies 
légales à l'arbitraire de la cour. Ils annoncèrent que si 
on les empochait de se réunir dans les temples, ils prê- 
cheraient sur les places publiques ; que si on les chassait 
de la ville ils iraient clans la campagne. .. Pour toute ré- 
ponse, Noailles les fit conduire à la citadelle, et le temple 
fut rasé jusqu'aux fondements. 

Montauban et la plupart des villes avaient manifesté* 
comme Montpellier, quelques velléités de résistance. Le 
parlement de Toulouse commença des procédures 
contre Ces malintentionnés, mais Louvois lui-même 
hésitait encore à entrer dans la voie où bientôt il allait 



(1) Le Fare, Mémoires, p. 285. 

(2) Depping, t. IV, p. 338, 343. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 27 

se lancer à outrance, et il donna ordre de surseoir à 
l'exécution, « pour ne pas mettre trop de bois au feu à 
la fois, » écrivait-il à Noailles (7 décemb. 1G82). 

La petite-fille indigne d'Agrippa d'Aubigné, la veuve 
Scarron, pouvait craindre déporter la peine de sa souil- 
lure originelle, aussi croyait-elle sans doute nécessaire 
de déployer plus de zèle contre ses anciens coreligion- 
naires pour se faire pardonner. Elle s'empressa de faire 
éclater son contentement lorsqu'elle vit le grand roi 
prêt à céder aux funestes inspirations de son entourage. 
« Le roi commence à penser sérieusement à son salut 
et à celui de ses sujets, écrit-elle le 24 août 1682, jour 
anniversaire de la Saint-Barthélémy. Si Dieu nous le 
conserve, il n'y aura plus qu'une religion dans son 
royaume. C'est le sentiment de M. de Louvois, et je 
le crois plus volontiers là-dessus que M. de Colbert, qui 
ne pense qu'à ses finances et presque jamais à la reli- 
gion. » 

Et quand le résultat trompa les espérances de ces 
insensés qui l'assuraient qu'il n'en coûterait pas une 
seule goutte de sang (1), quand il coula à flots sur les 
champs de bataille, et que la potence, la roue, le bû- 
cher et les galères reçurent leurs victimes, elle crut 
assez faire de tromper le roi sur les conséquences de 
son crime. « Il est inutile, se contenta-t-clle de dire, 
que le roi s'occupe des circonstances de cette guerre : 
cela ne guérirait pas le mal, et lui en ferait beau- 
coup (2). » 



(1) «Le roi est fort content d'avoir mis la dernière main au grand 
ouvrage de la réunion des hérétiques à l'Église. Le Père de La Chaiso 
a promis qu'il n'en coûterait pas une goutte de sang, et M. de Lou- 
vois dit la même chose. » Lettres de madame de Maintenait, p. 112. 

(2) Rulhièrc, t. II, p. 282. 



28 HISTOIRK DES CAMISARDS 

Qu'un million et demi de Français périssent dans les 
supplices ou fuient vers la terre d'exil, pourvu que le 
sommeil du monarque ne soit pas troublé pour si peu ! 

Il y avait là, pour cette femme à l'esprit implacable, 
au cœur froid, à la volonté patiente, non-seulement 
une affaire de scrupule religieux, mais encore une ex- 
cellente spéculation financière. Elle voyait l'opération 
sous tous ses aspects, et, non contente d'avoir fait 
donner à son frère un pot-de-vin de 800,000 livres sur 
une réadjudication des fermes, elle écrivait à celui-ci, le 
2 septembre 1681 : « Je vous prie, employez utilement 
l'argent que vous allez avoir. Les terres en Poitou se 
donnent pour rien; la désolation des huguenots en fera 
encore vendre... Vous pouvez aisément vous établir 
grandement en Poitou. » Et encore le 22 octobre de la 
même année : « Vous ne ne sauriez mieux faire que 
d'acheter une terre en Poitou ou aux environs. Elles 
vont s'y donner, par la fuite des hugeunots. » 

L'émigration avait donc déjà commencé bien long- 
temps avant la révocation de l'édit de Nantes. On pou- 
vait prévoir quel en serait l'effet, et l'on chercha à l'atté- 
nuer par la déclaration du 18 mai 1682, condamnant 
aux galères perpétuelles les chefs de famille qui vou- 
laient quitter la France, et à une amende arbitraire de 
3,000 livres au minimum ceux qui leur auraient servi 
de complices. Plus tard, une ordonnance du 20 août 
1685 accorda aux dénonciateurs la moitié des biens des 
religionnaires sortant du royaume (1). 

Toutes les âmes ne sont pas trempées pour le martyre. 
Par séduction ou par crainte, on obtenait du plus 
grand nombre un acte extérieur de catholicité, que 

(1) Isambert, t. XIX, p. 38*, 524. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 29 

beaucoup accomplissaient sans y attacher une sé- 
rieuse importance, espérant à ce prix acheter le droit de 
prier Dieu à leur manière. Mais la loi contre les relaps 
vint les retenir pour toujours dans cette religion qu'ils 
croyaient n'avoir acceptée que passagèrement, sous bé- 
néfice d'inventaire, et pour se ménager de fuir vers 
l'étranger qui leur tendait les bras. En môme temps la 
loi contre l'émigration les clouait en France parmi leurs 
persécuteurs. Partez, et vous êtes rebelles. Restez, et 
vous voilà convertis, et vous tombez sous le coup de 
l'implacable législation qui frappe les relaps. 

Bientôt, en effet, tous les calvinistes furent réputés tels, 
de parle bon plaisir du roi : « Le séjour, dit-il, que ceux 
qui ont été de la R. P. R., ou qui sont nés de parents 
religionnaires, ont fait dans notre royaume depuis que 
nous y avons aboli tout exercice de ladite religion, est 
une preuve plus que suffisante qu'ils ont embrassé 
la religion catholique, apostolique et romaine, sans 
quoi ils n'y auraient été soufferts ni tolérés (1). » 

Certes, c'était pousser loin l'impudence et le men- 
songe, car si, à l'origine, on avait laissé sortir librement 
les calvinistes, du moins aucun édit de bannissement 
n'avait jamais été rendu conLre eux, et bien au con- 
traire la sortie du royaume leur avait été interdite sous 
les peines les plus terribles. 

Grâce à ces lois contradictoires, folles et coupables 
à la fois, les protestants se voyaient condamnés, on le 
savait, à commettre chaque jour des sacrilèges. Mais 
du moins les enfants, élevés sur les genoux de l'Église, 
seraient sauvés, et madame de Maintenon n'était que le 



(1) Rulliière, t. II, p. 269. 



30 HISTOIRE DES CAMISARDS 

{idole interprète de La Chaise et des jésuites lorsqu'elle 
écrivait les lignes suivantes : 

« Je crois bien que toutes ces conversions ne sont 
pas sincères ; mais Dieu se sert de toutes voies pour 
ramener à lui les hérétiques. Leurs enfants seront au 
moins catholiques, si les pères sont hypocrites. Leur 
réunion extérieure les approche du moins de la vérité. 
Ils ont les signes communs avec les fidèles. Priez Dieu 
qu'il les éclaire tous. Le roi n'a rien tant à cœur. » 

Les mémoires du temps nous ont conservé l'opinion 
de Godet-Desmarets, profond théologien, évoque de 
Chartres, et directeur de madame de Maintenon : « Si 
l'on n'a pas fait difficulté, disait-il, de recevoir l'abjura- 
tion d'un grand nombre de calvinistes, dont on pouvait 
craindre que la conversion ne fût pas sincère, pourquoi 
se ferait-on aujourd'hui de la difficulté de les contraindre 
par les mêmes voies à recevoir* les sacrements ? On 
craint de se rendre complice de leurs sacrilèges ! 
Pourquoi ne craignait-on pas de se rendre complice du 
mensonge qu'ils faisaient au Saint-Esprit? On s'est 
élevé avec beaucoup de sagesse au-dessus de cette 
crainte, parce qu'en leur demandant des choses justes, 
on ne s'est pas cru responsable de la manière impie 
dont ils le faisaient. N'a-t-on pas les mômes raisons 
d'éloigner aujourd'hui tous les scrupules, en les obli- 
geant à fréquenter les sacrements ? » 

Des arrêts du conseil qui ordonnaient aux pasteurs 
de s'éloigner des lieux où l'exercice de leur culte était 
interdit, augmentèrent la fermentation, à Nîmes surtout 
où le peuple, toujours en armes, jouissait, dans les 
marais, au bord des étangs et sur les montagnes, d'un 
privilège de chasse qui souvent lui permettait seul de 
vivre, et où abondaient les montagnards cévenols, qui 



HISTOIRE DES CAMISARDS 31 

¥Y voyaient attirés par les besoins de leur subsistance. 
(Partout les ministres^ acceptant la persécution et exal- 
pant le martyre, préparaient une résistance à laquelle 
febacun était disposé. Une ligue formidable unissait le 
[Poitou, la Saintonge, la Guienne, le Languedoc, les 
!|Cévennes, le Vivarais et le Dauphiné. Le clergé romain, 
llpar la violence de ses paroles, irritait ces consciences 
déjà troublées, et soufflait le feu à pleine poitrine : « Les 
catholiques, dit Noailles (1), ne se conduisaient pas de 
['manière à calmer ces cœurs inquiets et ulcérés. Des 
ecclésiastiques se montrèrent si emportés dans le Viva- 
rais, qu'on fut obligé d'écrire aux principaux gentils- 
hommes du pays pour qu'ils réprimassent leur faux 
izèle, et cherchassent en secret les moyens de servir la 
religion et le roi. » 

Louvois, en aggravant les mesures rigoureuses or- 
données contre les protestants, n'avait pris aucune 
mesure pour comprimer la rébellion que vingt années 
de persécution atroce devaient inévitablement enfanter 
à la fin. C'est que Louis, habitué à n'être entouré que 
de courtisans à genoux, croyait pouvoir commander 
aux consciences, briser au gré de son caprice les cro- 
yances et les convictions. Il daignait octroyer une reli- 
gion à ses sujets égarés, et il exigeait qu'ils l'accep- 
tassent sur sa garantie dès qu'il affirmait que c'était la 
meilleure. Louvois et le P. La Chaise lui avaient affirmé 
que cela soulèverait à peine quelques murmures passa- 
gers, et qu'après avoir étouffé l'impuissante opposition 
des parlements, des états provinciaux et des munici- 
palités, quelques pauvres ministres n'oseraient pas 
parler quand il commandait le silence, protester quand 
il ordonnait d'obéir. 

(1) Mémoires, p. 12. 



32 H1ST0IUK DES CAM1SARDS 

Le résultat trompa leur prévision. Du Languedoc, où 
l'on comptait, disait-on, 200,000 huguenots (1), la résis- 
tance gagna jusque dans le Dauphiné, et le 29 juillet 
1683, les consistoires des deux provinces envoyèrent à 
Chalençon leurs députés, qui, réunis en grand nombre, 
prirent la résolution de ne pas tenir compte des entraves 
apportées à l'exercice de leur culte, tout en protestant 
bien haut de leur dévouement au roi, en dehors de ce 
qui concernait la liberté de conscience. Ils se sentaient 
appuyés par quelques gentilshommes, prêts à se mettre 
à la tête du mouvement. Des attroupements nombreux 
d'hommes armés se montraient sur plusieurs points. 
On fît marcher contre eux deux régiments de dragons et 
trois d'infanterie, en tout 3,500 hommes environ, sous 
la conduite du maréchal de camp marquis de Saint-Ruth, 
le Simon de Montfort de cette seconde croisade contre 
la langue d'oc, celui dont les évêques récompensèrent le 
fougueux apostolat en le baptisant du titre de treizième 
apôtre. 

Le 29 août, il tomba à l'improviste sur une nom- 
breuse assemblée convoquée au village de Bordeaux. 
La résistance fut énergique, mais en présence des forces 
supérieures qu'on leur opposait, les calvinistes se dissi- 
pèrent et cessèrent de se réunir. La paix parut se ré- 
tablir, et l'on accorda des lettres d'amnistie, mais bien 
incomplète, puisqu'on en exceptait les ministres cou- 
pables d'avoir prêché où il était interdit de le faire, et 
une cinquantaine d'autres personnes encore, dont les 
maisons furent démolies. 

Parmi ceux que se réservait la vengeance royale se 
trouvait l'arrière-petit-fils de l'un des rédacteurs de 

(l) Berwick, Mémoires , p. 369. 



HISTOIRE DES CAM1SARDS 33 

l'édit de Nantes, Charnier, pasteur à Montélimar. C'était 
un jeune homme de vingt ans à peine. Comme les autres, 
il était coupable de s'être défendu contre l'attaque des 
dragons. Les jésuites lui offrirent la vie, s'il voulait ab- 
jurer. Il refusa. Par un singulier raffinement de cruauté, 
il fut ramené à Montélimar pour être supplicié devant la 
maison qu'habitait son père, qui y exerçait les fonctions 
d'avocat. « Il reçut cinquante coups de barre de fer, avant 
qu'on lui donnât le coup mortel, ou coup de grâce, de 
sorte, que ses horribles souffrances durèrent trois longues 
journées, au bout desquelles on se décida enfin à l'a- 
chever (1)... » 

Les lettres d'amnistie ordonnaient en outre la démo- 
lition de tous les temples de Chalençon, de Saint-For- 
tunat et du Ponsin, avec défense, sous peine de la vie, 
de faire en ces lieux aucun acte de la religion proscrite. 

De pareilles grâces, qu'entouraient d'aussi sanglantes 
réserves, ne pouvaient que rallumer l'incendie prêt à 
s'éteindre. Bientôt le Vivarais fut* en feu. Noailles 
marcha le 24 septembre contre les mécontents, les 
attaqua au dessus de Pierregourde, en tua un grand 
nombre. On fit douze prisonniers qui furent pendus, 
séance tenante, par un treizième. Il y eut encore, dans 
d'autres lieux, quelques victimes et quelques pendai- 
sons. « Ces misérables allaient au gibet avec une ferme 
assurance de mourir martyrs, et ne demandaient 
d'autre grâce, sinon qu'on les fit mourir promptement. 
Ils demandaient pardon aux soldats ; mais il n'y en eut 
pas un seul qui voulût demander pardon au roi (2). » 



(1) Daniel Charnier, par Ch. Read, p. 408-410. —Mémoires de la 
famille Portai, p. 403-405.— Voltaire, Siècle de Louis XIV, ch. XXXVI. 

(2) Noailles, p. 14. 



34 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Do son côté, Saint-Ruth devait aller le rejoindre 
après avoir traversé le Dauphiné. Mais, comprenant 
qu'il importait surtout de ne pas pousser à bout des 
peuples qui ne songeaient nullement à la révolte pourvu 
qu'on les laissât prier Dieu comme ils l'entendaient, 
d'Aguesseau crut pouvoir prendre sur lui d'arrêter la 
marche des troupes. Louvois, dont la fureur grandissait 
à mesure que la résistance s'accentuait davantage, 
s'empressa, dans une lettre du 1 er octobre 1083, d'expri- 
mer son vif mécontentement à Noailles: 

« Il est difficile do comprendre comment il a pu tom- 
ber dans l'esprit à M. d'Aguesseau d'imposer à M. de 
Saint-Ruth la patience qu'il a eue de soutenir les insul- 
tes de ces canailles, dès que, ayant eu connaissance de 
l'amnistie, l'on a vu qu'ils ne voulaient pas poser les 
armes. Je vous supplie de leur lire cette lettreà tous deux, 
qui leur fera connaître combien ils se sont trompés, et 
particulièrement à M. d'Aguesseau; combien la con- 
duite qu'il a exigée de M. de Saint-Ruth, qu'il tient contre 
son inclination, a été contraire aux intentions de Sa 
Majesté, et capable d'attirer de grands inconvénients. 
L'intention du roi n'est pas que l'amnistie ait lieu pour 
les peuples du Vivarais qui ont eu l'insolence de conti- 
nuer leur rébellion après qu'ils ont eu connaissance de 
la bonté que Sa Majesté avait pour eux ; et elle désire 
que vous ordonniez à M. de Saint-Ruth d'établir des 
troupes dans tous les lieux que vous jugerez à propos, 
de les faire subsister aux dépens du pays, de se saisir 
des coupables et de les remettre h M. d'Aguesseau pour 
leur faire leur procès, de raser les maisons de ceux qui 
on tété tués les armes à la main, et de ceux qui ne revien- 
dront pas chez eux, après qu'il çn aura fait publier une 
ordonnance ; que vous lui donniez ordre de faire raser 



HISTOIRE DES CAMISARDS 35 

les huit ou dix principaux temples du Vivarais, et, en 
un mot, de causer une telle désolation dans ledit pays 
que l'exemple qui s'y fera contienne les autres religion- 
naires et leur apprenne combien il est dangereux de se 
soulever contre le roi. 

« Sa Majesté trouve bon que l'amnistie ait lieu à 
l'égard des religionnaires qui habitent les Cévennes, 
pourvu qu'ils ne prennent plus les armes et exécutent 
les édits du roi avec la soumission qu'ils doivent. Son 
intention est que vous défendiez dans tout ce pays-là, 
aux catholiques comme aux religionnaires, le port d'ar- 
mes, et fassiez sévèrement exécuter votre ordonnance. 
Quand je dis le port d'armes, ce n'est pas seulement de 
ne point marcher dans les grands chemins avec des 
armes, l'intention de Sa Majesté étant que vous leur 
défendiez d'en conserver chez eux. » 

Saint-Ruth n'avait besoin que de n'être pas retenu, 
et dans la suite il exécuta religieusemeut les ordres 
prescrits. Il tomba une fois sur une assemblée de près 
de quatre mille protestants, dont quelques-uns étaient 
armés pour la défense commune. Après les avoir taillés 
en pièces, il en fit brûler deux cents qui s'étaient réfu- 
giés dans une grange. « Ceux qui avaient été pris, dit 
Cosnac, furent condamnés à mourir par la main du 
bourreau. Toutes les prisons de mon diocèse étaient 
remplies de ces malheureux, et M. l'intendant en faisait 
exécuter plusieurs à mesure que leur procès était 
insiruit. C'était un terrible spectacle (1). » 

Une autre fois il en surprit trois ou quatre cents dans 
le bourg de Bordeaux, entre Crest et Dieu-le-Fit. Une 
vingtaine se réfugièrent encore dans la grange à laquelle 

(1) Cosnac, t. II, p. lis. 



36 histoire des camisards 

il lit mettre le feu. Tous périrent dans les flammes. 
Cinq seulement avaient été faits prisonniers : l'un d'eux 
obtint sa grâce à la condition de pendre les quatre 
autres. On voit que ce procédé était ordinaire. Le nom 
de bourreau se perpétua dans la famille de celui-là. 
(Id., p. 190.) 

Ces barbares exécutions ne découragèrent pas les 
calvinistes, et à son retour à Nîmes, Noailles fut « étran- 
gement surpris » de recevoir une députation des Cé- 
vennes, demandant le rétablissement de l'exercice de 
leur religion à Saint-Hippolyte, où ils étaient quatre 
mille, et enfin l'exécution complète de l'édit de Nantes, 
avec révocation de tous les édits, déclarations et arrêts 
du conseil lancés au préjudice de leurs libertés et privi- 
lèges depuis le commencement du règne du grand roi. 

Pour toute réponse, Noailles, « surpris de l'extrava- 
gance de ces pauvres misérables, » les fit jeter tous en 
prison (2 octobre 1683). Puis il marche sur Saint-Hip- 
polyte, y fait raser quelques maisons et démolir six 
temples du Vivarais (Noailles, p. 16). 

Les persécutions contre les ministres devinrent plus 
pressantes ; l'un d'eux, Audoyer, fut pendu seulement, 
un autre Isaac Homel, « fort estimé dans son parti », 
fut roué vif après avoir subi la question, et « son ca. 
davre exposé aux quatre endroits du Vivarais où il 
avait été plus de trente ans ministre (Gosnac, tome II, 
p. 117). » 

« Cependant on continuait de suivre envers la secte 
proscrite le même plan de sévérité et de destruction. 
Tandis que l'abbé Hervé et ses missionnaires se livraient 
aux travaux apostoliques avec un succès médiocre, les 
troupes inspiraient toujours la crainte : on poursuivait 
des ministres, on démolissait des temples, on défen- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 37 

dait les assemblées religieuses, on multipliait les en- 
traves (1) ... » 

« L'expérience montrait combien les conversions ra- 
pides, fruits de la terreur ou de l'avarice, étaient vaines, • 
pour ne pas dire contraires à la fin qu'on se proposait. 
Les nouveaux convertis du Vivarais ne se montraient 
plus protestants et se montraient encore moins catho- 
liques : ils n'allaient ni à la messe ni au prêche ; ils 
n'avaient aucune religion, après avoir quitté la leur. 
La négligence de l'évêque, l'ignorance grossière de 
la plupart des curés, leur mauvaise conduite (les 
cures ne rapportant qu'une cinquantaine d'écus , 
pouvait-on y placer d'honnêtes gens et des gens ha- 
biles?), tout augmentait le mal et éloignait le remède 
(p. 19).'» 

L'intendant du Languedoc, d'Aguesseau, gémissait 
des conversions qu'opérait le duc de Noailles. « La ma- 
nière dont ce miracle s'opérait, dit son fils et son bio- 
graphe, les faits singuliers qu'on venait tous les jours 
nous raconter, auraient suffi pour percer un cœur 
moins religieux que celui de mon père.. » Nous l'avons 
vu hésiter à seconder les desseins deLouvois en arrêtant 
Saint-Ruth sur la route du Vivarais. Ce ne fut pas la 
seule fois qu'il tenta de réparer les fautes du gouver- 
nement du roi-soleil. La prospérité de Nîmes dépendait 
des manufactures de soie, qui produisaient pour deux 
millions de livres par an. « On le devait à l'industrie 
des religionnaircs, plus riches, plus intelligents, plus 
accrédités au dehors que les marchands catholiques. 
Ceux-ci, jaloux de leurs succès, projetèrent de leur en- 
lever cet avantage, comme si l'hérésie devait exclure de 

(l) Noailles. p. 18. 



38 HISTOIRE DES CAMISARDS 

la possession même du travail et du talent (Noailles:. 
p. 12). » Déjà de sourdes tracasseries les avaient avertis 
du sort qui les attendait. On avait introduit, au mépris 
des privilèges locaux, les règlements de la maîtrise de 
Lyon, qui excluaient les protestants des manufactures et 
du commerce de la soie. D'Aguesseau détourna pour 
un moment ce coup, qui allait ruiner la contrée. « La 
prudence, fit- il observer, demande qu'au moins on en. 
tolère la continuation entre les mains des religion- 
naires, qui seuls ont l'argent, le crédit, les habitudes, 
les correspondances et la conduite nécessaire pour les 
soutenir (Id.) . » 

Il se bornait d'ailleurs à demander, non d'abroger 
les règlements, mais d'en ordonner la surséance. Lou- 
vois passa outre. Ainsi, exclus déjà de toutes les profes- 
sions libérales, il ne restait plus aux huguenots que le 
choix entre mourir de faim, ou résister par la force à 
une tyrannie devenue intolérable. 

Ne voulant pas assumer plus longtemps sur ses épaules 
la responsabilité des attentats qu'il Voyait commettre 
chaque jour, d'Aguesseau, découragé et épuisé de fati- 
gues, demanda sa retraite de la province. Il l'obtint et 
fut remplacé par Lamoignon de Bàville, de sinistre mé- 
moire, Bàville, « le roi du Languedoc, » ainsi que l'ap- 
pellent les mémoires du temps. 

Se sentant alors secondé suivant ses vœux, Noailles 
donna tous ses soins à exécuter rigoureusement -les 
ordres de la cour. « On ne voulait plus rien ménager; 
on voulait forcer les huguenots à devenir catholiques; 
on voulait que la terreur décidât ou multipliât les con- 
versions. Enfin on avait résolu d'envoyer des troupes, 
au lieu de missionnaires, partout où il restait des par- 
tisans de l'hérésie, et de loger chez eux les soldats, jus- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 39 

qu'à ce que de tels hôtes les fissent obéir aux volontés du 
roi (1) . » 

L'abbé Millot cherche à innocenter Noailles pour tout 
rejeter sur Louvois : « Pouvait-il ne pas se conformer 
au langage de ce ministre ? » dit-il. 

Oui, certes, il le pouvait, et il le devait. Son devoir 
était de lui faire connaître la vérité vraie, au lieu de le 
tromper en lui parlant des rapides et faciles abjura- 
tions qu'il prétendait opérer en tous lieux. 

Le 15 octobre 1685, il lui écrivait de Florac que déjà 
plus du tiers du Gévaudan était converti, qu'il marchait 
accompagné des dragons de Barbezières « pour faire ses 
missions » ; il suppliait le roi d'accorder aux convertis 
quelques remises sur les tailles : « car quoiqu'on les ait 
fort ménagés, à cause de leur prompte obéissance aux 
ordres du roi, il ne se peut qu'ils n'aient souffert. » 
C'était bien impossible, en effet, puisqu'il avait doublé 
les logements dans toute la province. Puis il annonce 
qu'il va lui envoyer « quelques hommes d'esprit pour 
lui rendre compte de tout en détail et répondre à tout 
ce qu'il désire savoir, et qu'il ne saurait écrire. (Id., 
p. 22.) » 

On sentait donc instinctivement que l'on faisait là 
quelque chose d'infâme, dont on rendrait compte à la 
postérité, et l'on ne voulait pas qu'il restât de traces 
écrites de tout cela, tant sans doute ces détails étaient 
hideux. Nous ne savons donc pas tout, nous n'avons 
pas toutes les pièces du procès, mais si incomplètes 
qu'elles soient, celles qui restent, avec les faits que l'on 
a cru pouvoir confier au papier, suffisent pour faire 
maudire la mémoire de Louis et de ses complices. 

(1) Noailles, page 20. 



40 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Noailles avait juré « sur sa tète » que tout serait fait 
et parfait avant le 25 novembre. « Les conversions qui 
ont suivi depuis le 15 octobre ont été si générales, et 
avec une si grande vitesse, que l'on ne saurait assez re- 
mercier Dieu, ni songer trop sérieusement aux moyens 
d'achever entièrement cet ouvrage, en donnant à ces 
peuples toutes les instructions dont ils ont besoin, et 
qu'ils demandent avec instance. Il est certain que vous 
pouvez ajouter bien près d'un tiers de moins à l'état 
qui vous fut donné des gens de la religion, du nombre 
de 182.000 hommes ; et quand je vous ai demandé jus- 
qu'au 25 du mois prochain pour leur entière conversion, 
j'ai pris un terme trop long; car je crois qu'à la fin du 
mois, cela sera expédié. » 

« Les plus considérables de Nîmes firent abjuration 
dans l'église le lendemain de mon arrivée. 11 y eut en- 
suite du refroidissement ; mais les choses se remirent 
dans un bon train, par quelques logements que je fis 
faire chez les plus opiniâtres. » 

Or savez-vous ce qu'étaient ces quelques logements qui 
firent merveille? Une autre dépèche nous apprend que 
deux de ceux-là furent de cent hommes chacun. (Ici., 
p. 21) ! 

Il faut lire, dans le journal de Jean Migault, le récit des 
excès que, dès l'année 1681, les dragons se permettaient 
chez leurs hôtes: «En général, la troupe n'abandonnait 
jamais une paroisse tant qn'il restait à une famille 
protestante quelques meubles, quelque effet, la moindre 
chose dont on pût faire de l'argent ; on exigeait 15 francs 
pour les officiers supérieurs, 9 francs pour un lieutenant 
3 francs pour un soldat, et 38 sols pour le moindre in- 
dividu attaché au régiment. Cette monstrueuse exaction 
cessait-elle d'être payée ponctuellement, on était dans 



HISTOIRE DES CAMISARDS 41 

l'usage invariable de vendre le mobilier et les bestiaux, 
et, quand on avait disposé de ces objets, jusqu'aux bar- 
des des malheureux hôtes. 

« Que plusieurs papistes aient profité d'une si bonne 
occasion pour remplir leurs écuries de chevaux, leurs- 
fermes de bétail, et leurs maisons de meubles, sans 
doute c'est ce qui étonnera peu, car l'officier comman- 
dant faisait rarement attention à la véritable valeur de 
ce qu'il mettait en vente, et concluait le marché au prix 
qui lui était offert de prime abord. 

« Ainsi ces fidèles serviteurs du Christ, après avoir 
nourri leurs oppresseurs, les uns dix jours, les autres 
vingt, et, quelquefois plus longtemps, se voyant dé- 
pouillés de tout ce qui avait quelque valeur, prenaient le 
parti, pour se soustraire à la fureur de leurs ennemis, 
de s'évader de nuit avec leurs femmes et leurs enfants, 
et d'errer dans les bois, sans nourriture, et souvent sans 
vêtements (1). » 

C'était ce que faisaient en tous lieux ceux qui 
avaient quelques ressources et quelque énergie. Mais 
Bâville publia une ordonnance contre ces fugitifs,. 
« comme ayant abandonné leurs maisons et détourné 
leurs meubles, pour éviter, par cette désertion affectée, 
déloger des troupes, » Ils payèrent mille livres d'amen- 
des, trente livres par jour jusqu'à ce qu'ils fussent ren- 
trés et qu'ils eussent mis leurs maisons en état de les 
loger; il fut enjoint aux consuls de faire exécuter l'or- 
donnance « nonobstant opposition et appellation quel- 
conque. » 

Tout allait au mieux dans le Languedoc. Désireux de 
voir la France tout entière marcher du môme pas, 

(1) Jean Migault, Journal, p. 1G. 



42 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Louvois écrivit au marquis deBoufflers, qui commandait 
l'armée d'observation rassemblée en Béarn (31 juillet 
1685) : 

« Vous aurez vu par mes précédentes, qu'il n'y avait 
point d'apparence que le roi vous ordonnât cette année 
de faire aucune irruption en Espagne. Je ne puis présente- 
ment que vous confirmer la môme cbose, le conseil de 
Madrid consentant, sur les instances qui lui sont faites 
de la part du roi, à tout ce que Sa Majesté peut désirer ; 
ce qui lui a faitjuger à propos de se servir des troupes 
qui y sont à vos ordres, pour, peudant le reste de cette 
année, diminuer le plus que faire se pourra dans les 
généralités de Bordeaux et de Montauban, le grand 
nombre de religionnaires qui y sont, et essayer d'y 
procurer, s'il est possible, un aussi grand nombre de 
conversions qu'il s'en est fait en Béarn. 

« Pour y parvenir, Sa Majesté désire que vous confé- 
riez avec MM. de Bis et de la Bercbère (intendants de 
ces deux généralités), et vous informiez d'eux des en- 
droits de leur département où il y a le plus de religion- 
naires ; qu'en exécution des ordres de Sa Majesté, dont je 
vous envoie un grand nombre en blanc, et que vous 
remplirez pour cet effet, vous fassiez marcher dans cha- 
que communauté le nombre de cavalerie, d'infanterie ou 
de dragons que vous concerterez avec eux ; que vous les 
fassiez loger entièrement chez les religionnaires, et les 
délogiez de chez chaque particulier, à mesure qn'il se 
convertira; que vous retiriez les troupes de la commu- 
nauté, pour les envoyer dans une autre, lorsque tous les 
religionnaires seront convertis, même lorsque la plus 
grande partie aura pris le bon parti, différant jusqu'à un 
autre temps de faire convertir le reste, suivant qu'il vous 
sera expliqué ci-après... 



HISTOIRE DES CAMISARDS 43 

« Que si ce qui s'exécutera à l'égard des religion- 
naires en portait quelques-uns à tenir quelques discours 
séditieux, vous les fassiez diligemment arrêter et re- 
mettre entre les mains du parlement du ressort duquel 
il sera, pour lui être fait son procès. 

« Que si quelque communauté prenait les armes ou que 
les religionnaires fissent quelque assemblée, Sa Majesté 
vous ordonne de lui en rendre compte en même temps par 
un courrier exprès; cependant d'assembler destroupes, 
sans attendre de nouveaux ordres, et d'y marcher si fort 
que vous puissiez les dissiper, et par des exemples sé- 
vères que vous feriez faire sur-le-champ de tous ceux qui se 
trouveraient les armes à la main, ôter aux autres l'envie 
de suivre un si mauvais exemple... » 

A en croire les intendants, les populations reconnais- 
santes volaient au-devant des dragons qui leur appor- 
taient les lumières de la foi. C'était une véritable furie 
de conversion qui prenait ceux-ci presque au dépourvu et 
les embarrassait par sa prodigieuse rapidité. Louvois 
acceptait tout cela et s'en faisait l'écho à la cour : 

« La nouvelle que j'ai reçue hier soir (7 septembre 
1685) est trop considérable pour ne vous en pas faire 
part, s'empresse-t-il d'écrire au contrôleur général. 
Elle porte que depuis le 15 août jusqu'au 4 de ce mois, 
il s'est fait soixante mille conversions dans la généralité 
de Bordeaux, et vingt mille dans celle deMontauban; et 
l'on assure qu'auparavant que ce mois soit passé, il ne 
restera pas dix mille religionnaires dans la généralité 
de Bordeaux, où il y en avait cent cinquante mille. Les 
ecclésiastiques ne peuvent pas suffire à recevoir les ab- 
jurations, les villes et les bourgades envoient dos déli- 
bérations de se convertir, de dix et douze lieues, et si 
• quelqu'une attend l'arrivée des troupes, elle se convertit 



\\ HISTOIRE DES CAMISARDS 

auparavant qu'elles soient entrées... L'on demande 
partout que le roi fasse bâtir des églises qui soient ca- 
pables de contenir le nombre de nouveaux convertis, et 
surtout qu'il envoie des prêtres de bonnes mœurs, y 
ayant eu des communautés entières qui n'ont point 
voulu abjurer entre les mains de leurs curés, par l'hor- 
reur qu'elles avaient du désordre de leur vie. » 

« La Trousse, dit Dangeau, fut nommé pour aller 
commander les troupes en Daupbiné, et tâcher de faire 
aussi bien dans ce pays-là que Boufflers a fait en Béarn, 
en Guyenne et en Saintonge (1). » 

Et peu de jours après, le 7 octobre, Louvois annon- 
çait à son frère, archevêque de Reims, le complet succès, 
de ce nouveau missionnaire : « Par les lettres que j'ai 
reçues de M. de La Trousse du 2 de ce mois, il paraît que 
les trois quarts des habitants de la R. P. R. du Daupbiné 
se sont convertis, et par celles de Languedoc, que 
Castres, Montpellier, Lunel, Aiguës-Mortes, Sommière,, 
Bagnoles, et pour le moins trente autres petites villes 
dû nom desquelles je ne me souviens pas, se sont con- 
verties en quatre jours de temps, que Nîmes avait aussi 
résolu de se convertir, et que cela se devait exécuter le 
lendemain. Les dernières lettres de Saintonge et d'An- 
goumois portent que tout est catholique. » 



(l) Dangeau, Journal, t. I, p. 181. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 45- 



CHAPITRE III 



Révocation de l'édit de Nantes (16S5). — Tyrannie effroyable de 
Louis XIV. — Prescriptions sanguinaires de Louvois. — On en- 
lève les enfants pour les baptiser catholiques. — Fuite des pas- 
teurs. — Les missionnaires bulles. — Extermination des derniers 
Vaudois. 



On le voit, l'édit de Nantes était déchiré bien avant 
l'acte révocatoire qu'enregistrèrent tous les parlements 
le 22 octobre 1685, et, aux yeux abusés de Louis, les onze 
articles qu'il contenait ne faisaient que donner force de 
loi à ce qui existait déjà par tout le royaume. Voici du 
reste la teneur de ces onze articles : 

1° Révocation de tout édit et concession faite en fa- 
veur des prétendus réformés : en conséquence, tous les 
temples seront incessamment démolis. 

2° Défense à eux de s'assembler pour l'exercice de leur 
religion en aucun lieu ou maison particulière, sous 
quelque prétexte que ce puisse être. 

3° Défense à tous seigneurs de faire cet exercice dans 
leurs maisons et fiefs, « le tout à peine de confiscation 
de corps et de biens. » 

4° Ordre à tous les ministres qni ne voudront pas em- 

3. 



46 HISTOIRE DES CAMISADDS 

brasser la religion catholique de sortir du royaume 
quinze jours après la publication de l'édit. 

5° Les ministres convertis jouiront d'une pension 
d'un tiers plus forte que leurs anciens appointements, et 
après leur mort les femmes en jouiront de même tant 
qu'elles seront en viduité. 

6° En cas que ces ministres veuillent se faire avocats, 
ou prendre les degrés de docteur en droit, ils seront dis- 
pensés, des trois années d'études prescrites par les décla- 
rations. 

7° Toutes écoles particulières pour les enfants de 
cette religion sont défendues, et toutes les choses géné- 
lement qui peuveut marquer une concession quel- 
conque en sa faveur. 

8° Les enfants seront désormais baptisés par les curés 
des paroisses : ordre aux pères et mères de les envoyer à 
l'église à cet effet, sous peine de cinq cents livres d'a- 
mende au moins. 

9° Le roi, « pour user de sa clémence » envers ceux 
des religionnaires qui ont abandonné le royaume, leur 
permet de rentrer en possession de leurs biens, s'ils re- 
viennent dans quatre mois : sinon les biens demeurent 
confisqués en conséquence de la déclaration du 20 août. 

10° Défenses itératives à tous de sortir, eux, leurs 
femmes et enfants, hors du royaume, sous peine des 
galères pour les hommes, et de confiscation de corps et 
biens pour les femmes. 

11° Les déclarations contre les relaps seront exécutées. 
« Pourront au surplus lesdits de la R. P. R. en atten- 
dant qu'il plaise à Dieu les éclairer comme les autres, 
demeurer dans les villes et lieux de notre obéissance, et 
y contiuer leur commerce et jouir de leurs biens, sans 
pouvoir être troublés ni empêchés sous prétexte de ladite 



HISTOIRE DES CAMISARDS 47 

R. P. R., à condition de ne point faire d'exercice, ni de 
s'assembler sous prétexte de prière ou de culte, de quel- 
que nature qn'il soit, sous les peines ci-dessus de corps 
et de biens (Noailles, p. 22) » 

Tout cela paraissait seulement empreint d'arbitraire 
et de violence : c'était surtout inepte et inexécutable. 
Les enfants devaient être baptisés catholiques : mais on 
n'osait pas dire encore qu'on allait les arracher bientôt 
des bras de leurs mères et du sein de leurs nourrices, et 
jusque-là, en dépit de leur baptême, ils suçaient le lait 
des doctrines perverses de Luther et de Calvin. Le ré- 
formé ne pouvant plus être troublé ni empêché sous pré- 
texte de sa religion, chaque maison était un temple où, 
la Bible à la main, il devenait ministre au milieu de sa fa- 
mille agenouillée à ses pieds. Les conversions militaires, 
si semblables à celles des Saxons du temps de Charle- 
magne, se voyaient arrêtées au moment où elles s'ac- 
complissaient avec un tel entrain. Or, Noailles l'avoue : 
« Les dragons avaient tout fait; cet épouvantail une fois 
•éloigné, tout était perdu (1). » 

Aussi s'empressa-t-il d'adresser au ministre ses obser- 
vations à cet égard : « Il est certain que la dernière 
clause de l'édit, qui défend d'inquiéter les gens de la 
R. P. R., va faire un grand désordre en arrêtant les con- 
versions, ou en obligeant le roi de manquer à la parole 
qu'il vient de donner par ledit le plus solennel qu'il pût 
faire (2). » 

Gela n'embarrassa pas Louvois. Le grand roi, qui 
chaque jour changeait la valeur de l'or et de l'argent, 
et vendaiUcbaque année aux maltôtiers et manants en- 



(1) Noailles, Mémoires, p. 23. 

(2) Rulhièrc, t. I, page 341. 



48 HISTOIRE DES CAMISARDS 

ricbis des titres de noblesse qu'il annulait l'année sui- 
vante afin de les revendis encore (1), le grand roi, di- 
sons-nous, n'avait vécu que de manquements de pa- 
roles. Il la violera une fois de plus, et tout sera dit, et 
le 6 novembre le grand ministre fait à Noailles cette- 
fière réponse: 

« Je ne doute point que quelques logements un peu 
forts cbez le peu qui reste de noblesse et du tiers-état 
des religionnaires ne les détrompent de l'erreur où ils 
sont sur l'édit que M. de Châteauneuf nous a donné, 
et Sa Majesté désire que vous vous expliquiez fort dure- 
ment contre ceux qui voudront être les derniers à pro- 
fesser une religion qui lui déplaît, et dont elle a défendu 
l'exercice par tout son royaume (kl.). » 

L explication fut des plus simples, on fit parler le 
sabre des dragons, et la loi se trouva dès l'origine violée 
dans ce qu'elle contenait de moins rigoureux. Dans le 
seul Languedoc, soixante-sept ministres prirent des 
passe-ports pour quitter le royaume maudit. Le trou- 
peau suivit le pasteur, et il fallut multiplier les édité 
pour retenir, par la crainte des peines les plus terri- 
bles, les fugitifs et ceux qui leur facilitaient les moyens 
de passer à l'étranger. 

Louis avait semé la corruption. Elle germait et pullu- 
lait «ui point que Noailles épouvanté reculait devant 
les exécutions sans fin, provoquées parle zèle impie des 
dénonciateurs. Écoutez ce qu'il écrit à Seignelay : «Je 
ne puis être plus en garde que je le suis contre tous les 
avis qu'on me donne, par l'expérience que j'ai que la 
plupart des gens de ce pays, et surtout les prônes, agis- 



(l) Voir La France sous Louis XIV, par E. Bormomère, passim. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 4& 

sent par passion, et pour satisfaire des ressentiments 
particuliers (p. 23). » 

« Qn ne cessait de publier des ordres foudroyants de 
la cour... Le calcul des conversions, au 23 novembre,, 
montait à plus de trois cent cinquante gentilshommes, 
dont quelques-uns s'efforçaient de gagner leurs femmes, 
et les trouvaient inflexibles ; à cinquante-quatre minis- 
tres, qu'on avait soin de récompenser, et à près de= 
250,000 personnes (P., p. 24), » 

Nous venons de faire observer que l'édit ne statuait 
rien pour l'éducation des enfants. On combla cette la- 
cune. «La cour, trop accoutumée aux partis violents, 
en prit un très-propre à révolter toute âme sensible. 
Un nouvel édit, « afin de suppléer au défaut des parents 
« qui se trouvent encore malheureusement engagés 
a dans l'hérésie, qui ne pourraient faire qu'un mauvais 
« usage de l'autorité que la nature leur donne pour l'é- 
« ducation de leurs enfants, » (ce sont les termes du 
préambule), ordonne que tous ces enfants, depuis l'âge 
de cinq ans jusqu'à celui de seize accomplis, soient mis 
entre les mains de leurs parents catholiques, s'ils en 
ont qui veuillent bien s'en charger :.en cas qu'ils n'en 
aient point, ou que les pères et mères aient des raisons 
légitimes pour empêcher que l'éducation ne leur soit 
confiée, ils seront mis entre les mains de catholiques 
nommés par les juges, qui régleront aussi leur pension. 
Que si les pères et mères sont hors d'état de payer les 
pensions nécessaires, les enfants seront mis dans les hô- 
pitaux les plus proches de leur demeure. Tout ce qui 
sera ordonné par les juges royaux et par ceux des sei- 
gneurs hauts-justiciers, pour l'exécution de cet édit, 
sera exécuté huit jours après (Id., p. 25). » 

Pour bien comprendre ce qu'il y avait de monstrueu- 



50 HISTOIRE DES CAMISARDS 

sèment odieux dans une pareille mesure, il faudrait 
savoir ce qu'étaient les hôpitaux d'alors, dilapidés sans 
vergogne par des administrateurs infidèles, où l'on en- 
tassait sur chaque lit cinq ou six corps humains, morts, 
morihonds et malades, et où les enfants surtout n'en- 
traient que pour mourir. 

A ce coup suprême, les mères prirent leurs enfants 
dans leurs bras, en poussant le cri de la Médée de Cor- 
neille : 

Qu'ils me rendent le sang que je leur ai donné! 

Elles entraînèrent leurs maris, et tous, comme en 
péril de feu, prirent la fuite, les riches vers la fron- 
tière, les pauvres vers les montagnes des Cévennes, où 
Noailles éperdu se mit à les poursuivre pour les rappeler 
vers leurs demeures : « On ne sait quel parti prendre, 
écrit-il à Louvois, pour ramener ces misérables, et pour 
accorder les sentiments de la bonté et de la clémence du 
roi pour ses sujets, avec ce qu'il doit à son autorité. » 

Pour arrêter cette émigration persistante et pour 
faire produire ses effets à l'acte révocatoire « qu'on vou- 
lait en quelque sorte cimenter de sang » (Noailles, 26), 
on rendit, le 1 er juillet 1688, un édit portant : 1° Peine 
de mort contre tout ministre français ou étranger, qui 
serait rentré dans le royaume au préjudice de l'édit 
du 22 octobre; 2° défense de leur donner retraite ni 
assistance, sous peine, contre les hommes, de galères à 
perpétuité, contre les femmes, d'être rasées et renfer- 
mées pour le reste de leurs jours, et de confiscation de 
biens pourles\ins et pour les autres ; 3° récompense de 
5,500 livres, payées comptant, pour quiconque donnera 
lieu, par ses avis, à la capture d'un ministre ; 4° peine 
de mort contre tout sujet du roi qui sera surpris faisant 



HISTOIRE DES CAMISARDS 51 

des assemblées, ou quelque exercice de religion autre 
que la catholique ; dans la supposition que la plupart 
des réfugiés, désireux de revenir et de quitter leurs 
erreurs, n'en étaient empêchés que par la crainte d'être 
punis de leur évasion, et de ne plus retrouver leurs 
biens, on promet de ne point disposer de ces biens 
avant le 1 er mars 1687 ; les réfugiés y rentreront et ne 
pourront être inquiétés, pourvu qu'ils fassent abjuration 
dans la huitaine après leur retour. 

u Pour exécuter cette déclaration, Bâville fit plusieurs 
actes de rigueur. Une vingtaine de religionnaires furent 
mis à mort en peu de temps, et la secte se crut glorifiée 
par des martyres. On poursuivit surtout les fugitifs qui 
excitaient à s'assembler dans les montagnes ; on promit 
aux communautés un soulagement considérable dès 
qu'elles en auraient remis douze; on promit trois ou 
quatre pistoles aux soldats par chaque personne qu'ils 
saisissaient ; on fit des battues avec les communautés 
et les troupes comme pour une chasse de bêtes féroces 
(Noailles, p. 26). » 

Qui croirait que ce fut au milieu des applaudissements, 
des cris de joie, d'enthousiasme et d'admiration que les 
parlements enregistrèrent la fatale ordonnance qui don- 
nait le signal de cette chasse à courre et à tir contre un 
million et demi de Français? Les femmes elles-mêmes 
n'eurent que de l'approbation pour ce crime de lèse- 
bumanité auprès duquel tous les autres pâlisent, car 
Louis venait de donner le signal d'une série de forfaits 
que rien n'égala et dont rien n'approchera jamais dans 
aucun pays ni dans aucun temps (1). 



(l) « Vous avez vu, sans doute, l'édit par lequel le roi révoque 
celui de Nantes. Rien n'est si beau que tout ce qu'il contient, etja- 



52 HISTOIRE DES CAMÏSARDS 

Lorsque les empereurs romains persécutaient les 
chrétiens signalés à leur colère par la haine et le mépris 
puhlics (-1), ils protégeaient la société païenne tout en- 
tière contre une secte qui recrutait ses premiers adeptes 
dans les has-fonds et parmi le rebut de la plus vile mul- 
titude. Ainsi qne l'a très-justement fait remarquer 
M. Guizot, u le christianisme, pour s'établir en fait, avait 
à vaincre toutes sortes d'ennemis, les gouvernements, 
les peuples, les prêtres et les laïques païens, le pouvoir 
civil comme le pouvoir religieux, les lois comme les 
mœurs (2). » Certes, contre des gens dont les doctrines ten- 
dent à renverser les lois, les mœurs, les gouvernements, 
la religion, toutes les bases sociales, tout fut permis en 
tous les temps, et la loi leur retire son appui et sa ga- 
rantie. Les empereurs païens accomplissaient donc, en 
les faisant mettre à mort, le devoir que leur imposait 
leur qualité d'empereurs païens , et il n'y a pas au- 
jourd'hui un souverain qui, sans être pour cela un Néron 
ou un Dioclétien, ne fit fusiller un saint Martin ou un 
saint Maurice, qui, en présence de l'ennemi, refuserait 
de marcher, sous prétexte qu'il partage les opinions po- 
litiques ou religieuses de cet ennemi. 

Les huguenots, au contraire, chrétiens au même titre 
que les catholiques, ne retournaient ni à Jupiter ni à Teu- 
tatès. Ils lisaient comme nous la Bible, ils prétendaient 



mais aucun roi n'a fait ni fera rien de plus mémorable (Madame 
de Sévigné, t. VIII, p. 378). » 

(1) « Bientôt les bruits effrayants, les imputations infâmes que 
soulevait partout le nom de chrétien commencèrent à circuler. On 
ne parla plus que d'incestes, de meurtres d'enfants, de festins de 
chair humaine; on citait des faits, on indiquait les témoins, on 
rapportait les indiscrétions des esclaves. » A. Thierry, Hist. de la 
Gaule, t. II, p. 187. 

(2) Guizot, Histoire de la civilisation en France, 29 e leçon. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 53' 

suivre mieux que nous l'Evangile; ils adoraient Jéhovah 
et Jésus-Christ; leur morale était la morale chrétienne; 
ils n'avaient, comme les autres Français, d'autres lois 
qne le droit écrit ou le droit coutumier, suivant qu'ils 
étaient du Midi ou du Nord. Ils rendaient à César ce qui 
appartenait à César. Ils n'étaient une menace ni un 
danger pour quoi ni pour qui que ce fût en France.. 
Mais quoi! ils priaient Dieu en français, dans une langue 
que l'on comprend, au lieu de le prier en latin, dans 
une que l'on ne comprend pas. C'était là un des plus 
graves parmi les points de dissidence qui les séparaient, 
si bien qu'après une défaite des calvinistes, une reine 
de France s'était écriée au siècle précédent : « Eh bien ! 
nous prierons Dieu en français! » 

Les apologistes de Louis XIV ont cru l'amnistier en 
avançant qu'il avait été trompé, que la vérité lui avait 
toujours été cachée, qu'il n'avait jamais connu les persé- 
cutions effroyables subies par un si grand nombre de ses 
sujets, les plus inoffensifs et les meilleurs. L'histoire doit 
faire justice de pareilles excuses, et la postérité est en 
droit de porter à l'actif d'un despote tout le mal qui s'est 
fait sous son nom. Louis appliqua tous ses efforts à 
étouffer toutes les voix, à briser toutes les plumes. Il 
anéantit l'une après l'autre toutes les libertés, chaque fois 
qu'il les trouva, anciennes ou modernes, sous ses pas; il 
substitua sa volonté à la volonté de tous, son intelligence 
à l'intelligence de tous; ce soleil prétendit pouvoir se 
passer de toutes les lumières qui eussent resplendi sur le 
monde, et dont il retarda l'avènement d'un grand siècle. 
Il oublia et fit oublier les états généraux, il persécuta, 
avilit, faussa, corrompit les états provinciaux, dont 
quelques-uns disparurent encore ; il réduisit les parle- 
ments au silence, il détruisit toutes les libertés commu- 



54 HISTOIRE DES CAMISARDS 

nales, il cessa de réunir les assemblées de notables, et 
sous son règne, une ordonnance interdit aux gens de 
cour de parler d'affaires d'État (1) . Il annihila le clergé 
comme il avait fait de tout le reste, fit peser sur lui sa 
volonté despotique. A toutes ses réunions, le clergé récla- 
mait le rétablissement des conciles provinciaux : cet 
article n'obtint jamais de réponse de sa part ; n'osant 
avouer que toute réunion l'effrayait, même de prêtres, 
il faisait la sourde oreille, n'entendait pas ou ne répon- 
dait pas (2). Il entrait, le fouet à la main, dans toutes 
les discussions. Le clergé de Sens voulait élire l'abbé de 
la Mivoye à son assemblée générale ; on craignait sa 
libre parole ; Louis défend de le nommer, ordonne d'en 
choisir un autre : « Si n'y faites fautes, car tel est notre 
plaisir (3) . » Cela devint une habitude et passa en sys- 
tème (4). Il courba tout ce qui restait debout, fit dispa- 
raître tout ce qui eût été grand auprès de lui . Il n'y eut 
plus de premier ministre. Il n'y eut plus d'amiral : il 
rétablit plus tard cette charge pour ses bâtards. La con- 
nétablie disparue sous Richelieu ne reparut plus. Les 
deux colonels-généraux de l'infanterie et de la cavalerie 
s'éclipsèrent à leur tour. Tyran jusque dans sa famillle, 
il imposait à tous les siens des confesseurs jésuites à 
son choix. Son fils eut toujours le même confesseur que 
lui-même (5) ; par là il était assuré de connaître jusqu'à 
la pensée de celui qui devait être son successeur ; pré- 
caution bien inutile, car le grand dauphin ne pensait 
pas. Les conseils des villes étaient dans l'habitude d'en- 



(t) Isambert, t. XVII, p. 10J. 

(2) Dangeau, Journal, t. IX, p. 414. 

(3) 15 mai 1671. — Depping, t. IV, p. 116. 

(4) Saint-Simon, Mémoires, t. III, p. 379, 3sl. 

(5) Dangeau, t. IX, p. 289. — Note de Saint-Simon. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 55 

voyer des députations au roi : on fit passer cette mau- 
vaise coutume. Le prétexte fut l'abus que faisaient de 
leurs fonctions ces députés grevant parfois leurs com- 
mettants de dépenses inutiles ; le motif fut d'empêcher 
que les doléances du peuple ne parvinssent par cette fis- 
sure jusqu'aux pieds du monarque. Il était bien plus 
maître de suivre toutes ses volontés, ne connaissant 
rien des circonstances qui les rendaient inexécutables. 
Lorsque 1 l'on créa l'Académie des Sciences, on sup- 
prima la section de théologie : « Il fut en même temps 
résolu qu'on ne disputerait point sur des matières de 
controverse ni de politique, à cause du péril qu'il y a à 
remuer ces sujets sans mission et sans nécessité (1). » 
En 1682, l'enseignement de la philosophie cartésienne 
fut interdit à Paris ; Seignelay apprend que trois années 
plus tard, dans cette même fatale année 1685, à laquelle 
nous sommes arrivés, un professeur d'Orléans « renou- 
velle la philosophie de Descartes, que le roi avait dé- 
fendu être enseignée. » Il ordonne à l'intendant de la 
province de s'informer « en vertu de quoi cet homme 
enseigne la philosophie (2). » En 1679, un édit avait dé- 
fendu de faire des leçons publiques de droit civil et ca- 
nonique, àtous autres qu'aux professeurs en titre, de la 
parfaite orthodoxie desquels on était bien assuré, sous 
peine de 3,000 livres d'amende, de privation de tous les 
degrés qu'ils avaient obtenus, etc. Cette prescription 
fut étendue, trois années plus tard, à toutes les fonc- 
tions, et appliquée à tous docteurs agrégés et autres. Il 
fut interdit d'enseigner publiquement ni d'assembler 
des élèves chez soi. On voulait être bien sûr de ceux qui 



(1) Ch. Perrault, Mémoires, t. I, p. 51. 

(2) Depping, t. IV, p. 608. — 9 nov. 1685. 



56 HISTOIRE DES CAMISARDS 

enseignaient, et de ce qu'ils enseignaient, et en res- 
treignant ainsi l'enseignement au profit du monopole 
des professeurs titulaires, Louis fit disparaître jusqu'aux 
dernières traces des vieilles libertés scolastiques du 
moyen âge. 

<( Les ennemis de la France, disait Vauban, ont publié 
et publient tous les jours une infinité de libelles contre 
elle et contre la sacrée personne du roi et de ses minis- 
tres... La France foisonne de bonnes plumes... 11 n'y a 
qu'à en eboisir une certaine quantité des plus vives et 
à les employer ; le roi le peut faire aisément sans qu'il 
lui en coûte rien, et pour récompenser ceux qui réussi- 
ront, leur donner des bénéfices de deux, trois, quatre, 
cinq à six mille livres de rente, ériger ces écrivains , les 
uns en antilardonniers, les autres en antigazettiers (1).» 
Le génie éminemment pratique de Yauban lui faisait 
découvrir cette vérité féconde, que la liberté de la presse 
est le meilleui remède aux excès de la liberté. Peut-être 
aussi protestait-il par avance contre ce système d'étouf- 
fement intellectuel, pressentant déjà qu'un jour vien- 
drait où il serait persécuté pour avoir osé écrire la 
Dîme royale, un des livres les meilleurs et les plus utiles 
de son siècle. Mais Louis, « qui se nourrissait volontiers, 
comme dit Saint-Simon, des prologues d'opéras et des 
peintures de sa galerie de Versailles, » Louis, qui vou- 
lait que l'on ne pensât que comme lui, que l'on ne 
parlât ou n'écrivît que pour lui, Louis poursuivit impi- 
toyablement le journalisme qui tendait à naître. La ga- 
zette de Renaudot lui semblait fort suffisante à satisfaire 
cette curiosité, qui déjà croissait en France dans l'esprit 

(1) Vauban, Oisivetés. — Cité par Monteil, Histoire des Français 
des divers étals, t. VIII, p. 442. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 57 

de chacun, de connaître les affaires de la France aux- 
quelles on voulait leur persuader qu'ils n'entendaient 
rien et qu'ils ne devaient s'intéresser en rien. Aussi 
beaucoup de villes avaient-elles des nouvellistes qui 
publiaient des nouvelles à la main, quelques-unes clan- 
destinement imprimées, mais le plus souvent manus- 
crites. On vit, en 1683, deux individus, Bourdon et 
Dubois, attachés à la chaîne des forçats comme distri- 
buteurs de libelles. Mieux valait alors être assassin que 
journaliste. La liberté d'écrire n'existait que pour les 
flagorneurs du roi-soleil. On comprend combien de 
bons livres ont dû être étouffés, combien de généreuses 
inspirations refoulées, lorsque l'on voit Louis, dans sa 
terreur de l'imprimé, aller jusqu'à s'opposer à la réim- 
pression de Y Histoire de Louis XIII, par le père Le- 
vassor (1). 

C'est l'excuse de Louis XIV, de s'être accepté lui-même 
pour une incarnation de Dieu sur cette terre. On n'est 
pardonnable, en effet, de se résigner au rôle impossible 
de souverain absolu, qu'à la condition de se reconnaître 
les principaux attributs de la divinité : l'infaillibilité et 
la science absolue de toutes choses. A lui seul donc 
incombe la responsabilité de tout ce qui s'est fait de 
mal sous son nom : ses ministres ne sont que ses com- 
mis, ses généraux que ses lieutenants, son entourage 
que ses courtisans ; il est tout, et ils ne sont rien. C'est 
donc à Louis, et à Louis avant tous les autres, que l'his- 
toire demande compte des souffrances inouies de la 
France sous son trop long règne, de la ruine de ses cam- 
pagnes, de la dépopulation de ses cités, de ses finances 
aux abois, de son armée, de sa marine anéanties, des 

(1) Depping, t. IV, p. G21. 



58 HISTOIRE DES CAMISARDS 

persécutions des protestants, de toutes ces tortures, de 
ces bûchers, de ces massacres, de ces exils et de ces 
émigrations qui enrichirent nos ennemis de nos dé- 
pouilles et de notre industrie, Il est le grand coupable, 
les autres ne sont que ses complices. 

Si, aux premiers jours de la persécution, Louvois se 
trouva pris au dépourvu, il n'est pas exact non plus de 
dire que les moyens implacables auxquels il va désor- 
mais avoir recours furent motivés seulement par la ré- 
sistance persistante autant qu'imprévue des calvinistes. 
Les mémoires du duc de Noailles constatent au con- 
traire, à chaque page, que l'impitoyable ministre savait 
qu'il y avait du sang dans la route où il se lançait, et 
qu'il était dès le premier pas, résolu d'aller jusqu'au 
bout. 

Sans hésitation ni remords, il ordonne à des soldats 
français de massacrer des enfants, des femmes, lâche- 
ment, de sang-froid : « Il eut été à désirer, mande-t-il 
au marquis de Boufflers, que M. Du Saussay eût fait tirer 
par les dragons sur les femmes de la R. P. R. de Clérac 
qui se sont jetées dans le temple lorsqu'on a commencé 
la démolition, et Sa Majesté a été surprise qu'il y ait 
encore une si grande quantité de huguenots dans cette 
ville. » (2-4 novembre 1685.) 

Le 26 juillet 1686, il écrit à La Trousse : « Le roi ayant 
jugé à propos de faire expédier une déclaration, le 15 de 
ce mois, par laquelle Sa Majesté ordonne que tous ceux 
qui se trouveront dorénavant à de pareilles assemblées 
seront punis de mort, M. de Bâville ne recevra point 
l'arrêt que je vous ai mandé contre les femmes, devenant 
inutile au moyen de cette déclaration. » 

Il renouvelle ses injonctions au même, le 25 août 
1688: « Sa Majesté désire que vous donniez ordre aux 



HISTOIRE DES CAMISARDS 59 

troupes qui pourront tomber sur de pareilles assemblées 
de ne faire que fort peu de prisonniers, mais d'en met- 
tre beaucoup sur le carreau, n'épargnant pas plus les 
femmes que les hommes ; et cet exemple fera certaine- 
ment beaucoup plus d'effet que celui que pourrait ordon- 
ner la justice ordinaire. » 

Si du Midi nous nous transportons dans le Nord, le 
même spectacle viendra attrister nos regards. « La ville 
de Caen, suivant les registres du corps municipal, comp- 
tait alors parmi ses habitants environ un tiers de protes- 
tants qui depuis plus d'un siècle vivaient en paix avec 
les catholiques. Cette heureuse harmonie était d'autant 
plus nécessaire que les premiers étaient presque tous 
commerçants. Des rapports d'intérêt et de parenté les 
unissaient donc aux autres habitants. Les réformés 
avaient à leur tête des ministres dont l'Europe savante 
révérait les lumières, et la ville s'honorait des noms des 
Bochart, des du Bosc, comme elle se glorifiait de ceux 
des Huet, des Grentemesnil et des Ségrais (1). » C'est 
un prêtre catholique, l'abbé de la Rue, qui rend en ces 
termes justice au parti protestant. 

A Rouen, douze compagnies de cuirassiers servirent 
d'appoint aux missionnaires et activèrent les conver- 
sions. Le pays de Caux eut vingt-quatre compagnies 
du régiment royal et de Royal-Étranger ; Montivilliers, 
Harfleur, eurent des dragons. Ceux-là, c'étaient les meil- 
leurs, la fleur des pois de la férocité sauvage, et ils ont 
mérité le triste honneur de baptiser de leur nom ces 
hideuses boucheries. A Dieppe, L'archevêque de Rouen 
en personne, après quinze jours d'éloquence non inler- 



(1) L'abbé de la Rue, Essais historiques sur la ville de Caen. t. II, 
p. 347. 



■60 HISTOIRE DES CAMISARDS 

rompue, n'avait réussi à convertir qu'un seul enfant de 
douze ans ; on appelle la troupe, on établit un habile 
système de délation grassement payée, et le vénérable 
prélat subit l'affront de voir, en deux jours, la majorité 
de la population convertie. 

L'intendant Marillac écrit aux échevins de Rouen 
pour leur annoncer un renfort de huit compagnies 
tirées de Royal-Étranger : « Mettez, leur recommande- 
t-il , la cavalerie chez les meilleurs bourgeois, les 
mieux en état de les loger et les plus endurcis , car c'est 
entrer dans les intentions du maître... Vous devez faire 
une recherche très-active et nouvelle des religionnaires. 
Qu'on aille de maison en maison, comme j'ai fait faire à 
Dieppe... Promettez de donner, comme on a fait dans 
cette ville, jusqu'à trente sols à qui vous découvrira un 
huguenot caché ; il y a bien des petites gens qui en dé- 
couvriront. » 

Louvois attise le feu, stimule le zèle de ses agents, 
donne une fois de plus le révoltant spectacle d'un mi- 
nistre écrivant des instructions secrètes qui prescrivent 
de violer les ordonnances, et, joignant le mensonge le 
plus impudent à la violence la plus sauvage, se flatte de 
détacher les huguenots normands de leur croyance en 
leur affirmant qu'eux seuls, dans tout le royaume, ne 
s'empressent pas d'abjurer une religion qui a le tort 
impardonnable de déplaire au roi : 

« Le roi a été informé de l'opiniâtreté des gens de la 
R. P. R. de la ville de Dieppe, pour la soumission des- 
quels il n'y a pas de plus sûr moyen que d'y faire venir 
beaucoup de cavalerie, et de la faire vivre chez eux fort 
licencieusement. Gomme ces gens-là sont les seuls dans 
tout le royaume qui se sont distingués à ne pas vouloir 
se soumettre à ce que le roi désire d'eux, vous ne devez 



niSTOIRE DES CAMISARDS 61 

garder à leur égard aucune des mesures qui vous ont été 
prescrites, et vous ne sauriez rendre trop rude et trop 
onéreuse la subsistance des troupes chez eux ; c'est-à- 
dire que vous devez augmenter le logement autant que 
vous croirez le pouvoir faire sans décharger de loge- 
ment les religionnaires de Rouen, et qu'au lieu de vingt 
sous par place et de la nourriture, vous pouvez en laisser 
tirer dix fois autant, et permettre aux cavaliers le dé- 
sordre nécessaire pour tirer ces gens-là de l'état où ils 
sont, et en faire un exemple dans la province qui puisse 
être autant utile à la conversion des autres religion- 
naires qu'il y serait préjudiciable si leur opiniâtreté 
demeurait impunie (1). » 

On espérait que tout se passerait plus doucement dans 
la catholique province qui avoisinait la Normandie. 
« M. de Chaulnes est reparti pour la Bretagne, dit Dan- 
geau (2). Il espère pouvoir convertir les huguenots, qui 
sont en fort petit nombre, sans qu'il soit besoin d'y en- 
voyer de troupes. » 

Il en fallut cependant, et madame de Sévigné rendait 
ainsi hommage à leur éloquence à coups de sabre : 
« Les dragons ont été 'de très-bons missionnaires jus- 
qu'ici; les prédicateurs qu'on envoie présentement ren- 
dront l'ouvrage parfait (3). » 

Des extrémités passons au centre, suivons dans le 
Poitou l'intendant Foucauld qui, avant la fin de juillet, 
avait déjà converti, s'il faut l'en croire, 21,000 religion- 
naires sur 22,000 que comptait la contrée (4). Il provo- 



(1) Louvois à Beaupré, nov. 1685. 

(2) Dangeau, Journal, t. I, p. 193. 

(3) Madame de Sévigné, t. VIII, p. 378. 

(4) Mémoires de Foucauld, publics par Adh. Bemier, à la suite de 
ceux du marquis de Sourches, p. 287 



62 HISTOIRE DES CAMISARDS 

que les mesures de rigueur, écrit à l'archevêque de 
Paris qu'il est urgent de pensionner les ministres con- 
vertis, et d'empêcher ceux qui ne le sont pas de sortir 
du royaume (1). Là, les dragons font merveille comme 
partout (2). Les premières instructions de Louvois à 
Foucauld sont cependant de nature assez conciliantes ; 
Foucauld, d'ailleurs, nous le savons, avait, depuis 
quatre ans, amirablement travaillé la province. Mais le 
ministre avait hâte d'en finir, il ne tarde pas à changer 
de ton : 

« Il faut, dit-il, d'abord faire représenter les titres aux 
gentilshommes dont la noblesse est douteuse, et faire 
informer coutre les véritables gentilshommes qui ont 
commis des vexations, et qu'enfin on leur fasse à tous 
entendre qu'ils n'auront ni paix, ni douceur chez eux, 
jusqu'à ce qu'ils aient donné des marques d'une sincère 
conversion. » Les ordres de Louvois sont suivis, Fou- 
cauld réunit chez lui les gentilshommes du pays, et leur 
dit que « c'est une illusion qui ne peut venir que d'une 
préoccupation aveugle, de vouloir distinguer les obliga- 
tions de la conscience d'avec l'obéissance qui est due au 
roi. » 

Éloquence perdue! « Il y eut peu de conversions, » 
avoue-t-il ; et même les gentilshommes adressèrent au 
ministre leurs plaintes contre Foucauld, qui les imposait 
aux tailles et envoyait des compagnies de dragons tout 
entières chez eux. « Nonobstant ces plaintes, M. de Lou- 
vois manda à M. de Vérac d'envoyer la moitié d'une 



(1) P. IV, 291, 298. 

(2) « J'appris que Hasfelt, brigadier des dragons, était allé en 
Poitou commander les troupes qui y sont, et dont les intendants 
ont quelquefois tiré des secours pour de bons effets. » Dangeau, 
t. I, p. 205. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 63 

compagnie dans une seule maison, et il a fallu vendre 
leurs meubles lorsque les vivres et le fourrage ont été 
consommés (1).,. » 

Le marquis de Vérac était un ancien calviniste qui avait 
déserté ses croyances, et Louis ne savait rien refuser à 
ceux-là. Il avait acheté pour 80,000 livres la charge de 
lieutenant général de Poitou, qui lui permettait de 
persécuter ses anciens coreligionnaires, mais il ne pos- 
sédait que la moitié de cette somme. Il s'adressa au roi, 
qui la lui fit donner (2). « Vérac, dit Saint-Simon, était 
lieutenant général, et Marillac intendant du Poitou, lors 
de la révocation de l'édit de Nantes et des barbaries qui 
furent exercées contre les huguenots ; tous deux crurent 
y trouver leur fortune, tous deux donnèrent le ton aux 
autres provinces, tous deux obtinrent ce qu'ils s'en 
étaient proposé. Vérac fut fait chevalier de l'Ordre en 
1686, et Marillac conseiller d'État, avec une grande pré- 
férence sur les anciens (3). » 

C'est que c'était surtout sur les corruptions, c'était 
sur sa caissse de conversions que Louis comptait pour 
assurer le succès de son œuvre. Il promit de nouveau 
aux ministres, pour payer leur apostasie, une pension 
viagère double de celle qu'ils touchaient comme pas- 
teurs, et la moitié de cette pension réversible sur la tète 
de leurs veuves, l'exemption des tailles et des logements 
des gens de guerre (Foucauld, p. 318).., c'est-à-dire des 
privilèges. Mais à ce hideux marché des consciences, où 
des évêques jouent le rôle d'entremetteurs (4), on se dé- 
fi) Mémoires, p. 305, 307, 308... 

(2) Reboulet, Histoire du règne de Louis XIV, t. V, p. 331. 

(3) Saint-Simon, Mémoires, t. III, p. 82. 

(4) Lettre de Ch. de Pradel, évêque de Montpellier, au duc de 
Noailles, 22 mai 1685 : 

« Vous eûtes la bonté, monsieur, de vous employer auprès du 



64 HISTOIRE DES CAMISARDS 

mande s'il n'y a pas encore plus de honte pour l'ache- 
teur que pour le vendeur, surtout cpiand le premier fait 
son commerce, l'escopette à l'épaule et le sabre à la 
main. 

En même temps que le grand roi payait aussi grasse- 
ment les défections, son tout-puissant ministre s'em- 
pressait de réprimer les scrupules de ses agents, lorsqu'il 
leur arrivait d'en avoir : « M. de Louvois m'a mandé par 
sa lettre du 17 novembre, continue Foucauld, que l'in- 
tention du roi est que les dragons demeurent chez les 
gentilshommes de la R. P. R. du Bas-Poitou jusques à 
ce qu'ils soient convertis, et qu'on leur fasse faire le 
plus de désordre qu'il se pourra (t. II, p. 309). » 

« Le 27 décembre, M. de Louvois m'a mandé de faire 
mettre en prison les religionnaires chez lesquels il n'y 
aura plus de quoi nourrir les dragons, et de faire raser 
les maisons de ceux qui s'absenteront (Id., p. 311). » 

<( Les dragons faisaient alors plus de conversions en 
huit jours que les missionnaires n'en faisaient en un an, 
parce qu'on n'en mettait point chez les catholiques et 
qu'aussitôt qu'un huguenot s'était converti, on ôtait les 
dragons de chez lui et on les remettait, par augmen- 
tation, chez les huguenots qui étaient encore dans le 
lieu. Cette manière de convertir était un peu nouvelle, 
mais elle ne laissait pas de faire de bons effets, et si les 
conversions n'étaient pas tout à fait sincères de la part des 



roi pour faire obtenir une pension de 600 livres à mademoiselle de 
Nancrest, qui se fit catholique cet hiver passé. Maintenant son 
aînée est en état, à l'exemple de sa sœur, de faire son abjuration; 
mais elle souhaiterait une pareille pension de Sa Majesté, j'ai cru 
que vous m'approuveriez que je m'adressasse à vous une seconde 
fois pour obtenir cette grâce.» Bulletin du Protestantisme français^ 
1853, p. 167. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 65 

pères, on était sûr au moins de gagner leurs enfants (1).» 
Les rigueurs furent moins pressantes à Paris et dans 
un certain rayon de la capitale : on ne voulait pas que 
Louis entendît de trop près les cris de désespoir et de 
fureur de ses sujets infortunés. Cependant il est difficile 
de douter qu'il soit intervenu de sa volonté personnelle 
dans les détails de l'affaire, lorsqu'on le voit envoyer 
d'Artagnan, major de son régiment des gardes, — le 
cousin du vieux d'Artagnan, — avec deux cents soldats, 
dans le village de Yilliers-le-Bel (Seine-et-Oise), pour 
convertir les huguenots, qui s'y rencontraient en grand 
nombre. Mais il trouva le village presque désert, tous 
avaient fui à la seule annonce de son approche (Mém, de 
Sourches, p, 346). Ses ordres ne se bornaient pas à cette 
seule localité, puisqu'il écrivit au célèbre traitant 
Samuel Bernard, de son château de Chenevière-sur- 
Marne, la curieuse lettre que voici (2) : 

« Je suis bien fâché, monsieur, destre obligé desta- 
blir garnison dans vostre maison de Chenevière. Je 
vous supplie den arrester la suite en vous faisant catho- 
lique, apostolique et romain, sans quoy j'ai ordre de 
faire vivre à discrétion, et quant il ni aura plus rien, la 
maison court grand risque. Je suis au désespoir, mon- 
sieur, destre commis pour pareille chose, et surtout 
quant il faut que cela tombe sur une personne comme 
vous. Permettez-moi donc que je vous supplie de vous 
solliciter au remède, car il n'y en a pas d'autre que de 
m'envoyer votre abjuration et celle de toute vostre fa- 
mille. En attendant, je vais donner ordre qu'on ne fasse 
nul désordre dans la maison, et mesme je ferai sub- 



(1) Mémoires du marquis de Sourches, p. 275. 

(2) Ap. Th. Muret, A travers champs, t. II, p. 304. 



66 HISTOIRE DES CAMISARDS 

sister les soldats fort médiocrement : mais contés que 
ces modérations la n'iront que jusque àdemain deux 
heures après-midi, car je les pren sur moy, ayant ordre 
du contre. Encore une l'ois, monsieur, ottés-moi le cha- 
grin destre obligé de vous en faire, et me croies, mon- 
sieur, vostre très-humble et très-obéissant serviteur. 

« Artagnan. » 

« De Chenevière, le 4 janvier, à trois heures 
après-midy. » 

On fuyait donc de toutes parts, vers Paris, dans les 
forêts, à l'étranger, et ni les rigueurs du roi, ni la 
crainte des délations, vraies ou fausses, ni les effets du 
zèle intéressé de ceux qui les arrêtaient dans leur fuite, 
rien ne put décourager les émigrants. Toutes les me- 
sures étaient parfois déjouées par l'imagina lion des fu- 
gitifs. Tessé racontait à Louvois (lettre du 6 juin 1686) , 
qu'une femme ayant acheté la complicité d'un mar- 
chand de fer savoyard, s'était fait empaqueter dans 
un épais faisceau de verges de fer, dont les bouts dé- 
passaient aux deux extrémités. Elle fut portée à la 
douane, pesée avec le fer, et ne fut dépaquetée qu'à 
plus de six lieues de la frontière. 

On comprend que, si riche que soit le sujet en détails 
effroyables, nous n'avons pu nous arrêter à en raconter 
tous les épisodes. En voici encore un, cependant, que 
nous empruntons aux Mémoires de la famille de Portai : 

« Les habitants de Saint-Fortunat avaient caché dans 
un précipice, derrière les rochers de Martenac, les 
femmes, les enfants et les vieillards ; quand ils vinrent 
les chercher après le départ des dragons, ils trouvèrent 
toutes les femmes dépouillées et la plupart dans un état 



HISTOIRE DES CAMISARDS 67 

horrible. Un père vit le cadavre de sa fille que les dra- 
gons avaient percé de six balles... Un fils retrouva son 
vieux père sans bras, les dragons les lui avaient coupés 
à coups de sabre ; un mari, demandant ses enfants et 
sa femme, qu'il avait laissée dans les douleurs de l'en- 
fantement, ne revit qu'un cadavre défiguré, auprès du- 
quel pleuraient deux pauvres petits innocents mutilés : 
à l'un, le sabre avait emporté la moitié du visage, à 
l'autre la main, » 

Louis de Portai, sa femme et ses enfants furent mas- 
sacrés dans leur demeure. Quatre autres enfants furent 
sauvés ; à l'arrivée des dragons, ils s'étaient réfugiés 
dans un four banal, situé en dehors de l'habitation. 
Après avoir laissé le plus jeune d'entre eux sur la route, 
les trois aînés arrivèrent enfin à Bordeaux, où ils furent 
reçus à bord d'un navire marchand, et cachés dans des 
tonneaux vides, rangés parmi des tonneaux pleins, où 
ils n'avaient que la bonde pour respirer. 

Ce mode de sauvetage s'étant renouvelé souvent, les 
bourreaux de Louis en eurent connaissance, et l'on fai- 
sait enfumer les vaisseaux en partance dans les ports de 
mer. « On se servait d'une composition qui, lorsqu'on y 
mettait le feu, développait une odeur mortelle dans 
tous les recoins du navire, de sorte que, en la respi- 
rant, ceux qui s'étaient cachés trouvaient une mort 
certaine (1). » 

Un de nos plus grands hommes de guerre, Schoni- 
berg, se retira en Portugal, et la France perdit ses ser- 



(i) Mémoires de la famille de Portai, p. 406-411. — Voir aussi 
Mary Lafon, Histoire du midi de la France, t. IV, p. "240; Diion, 
Histoire chronol. de l'église protestante en France, t. Il, p. 206 ; Be- 
noît, Histoire de Védit de Nantes, t. V, p. 660; Reyer, Histoire de la 
colonie française en Prusse, p. 153... 



G8 HISTOIRE DES CAMISARDS 

vices dans un moment où ses plus illustres capitaines 
étaient morts déjà, ou vieillis, et n'allaient bientôt plus 
avoir que des successeurs indignes. Bien d'autres offi- 
ciers supérieurs, de l'armée de mer comme de l'armée 
de terre, imitèrent cet exemple. Varenne, lieutenant- 
colonel du régiment du Maine, entrainait à sa suite plu- 
sieurs officiers de la garnison, des magistrats de la cour, 
des habitants de Metz, des femmes, tout une colonie. Ils 
furent attaqués de nuit par La Bretêche, gouverneur de 
Hombourg, qui parvint à en ramener une partie, parmi 
lesquels un riche conseiller au parlement. Le roi con- 
fisqua tous les biens de celui-ci et les donna à La Bre- 
têche (1). 

Comment de tels encouragements n'eussent-ils pas 
porté leurs fruits, aune époque de démoralisation pro- 
fonde où l'on voyait les plus titrés parmi les gentils- 
hommes tendre honteusement la main, mendier des 
confiscations qu'ils provoquaient par leurs délations, 
enrichir leurs familles de la ruine de celles dont ils 
avaient trahi, vendu, massacré quelquefois le chef et le 
soutien (2)? 

Bien ne mettait à l'abri des derniers outrages, ni l'âge, 
ni les dignités, ni le souvenir d'une longue carrière dans 



(1) Dangeau, Journal, t. I, p, 264, 

(2) « Le duc de Guiche avait demandé une confiscation du bien 
que des Hollandais ont en Poitou; cette confiscation est considé- 
rable. Le roi fera régir le bien de ces gens-là par l'intendant de 
Poitiers, et donnera au duc de Guiche, pendant la guerre, 20,000 li- 
vres de pension qui seront payées au trésor royal. Le duc de 
Guiche a promis le quart de ce qui lui reviendrait à ceux qui lui 
ont donné l'avis : ainsi il n'aura que 15,000 livres pour lui. » Dan- 
geau, Journal, t. IX, p. 50. 

« M. de Roquelaure avait demandé au roi les lots et ventes de 
quelques terres de M. de Lauzun, et le roi lui refusa, disant qu'il 



HISTOIRE DES CAMISARDS 69 

la magistrature. La vengeance du grand roi poursuivait 
I ses victimes jusque dans le tombeau, et lorsque les âmes 
lui échappaient, il s'acharnait sur les cadavres. Le parle- 
ment de Metz en vit un terrible exemple. Affaibli par 
les années, le doyen de la cour, Paul de Chenevoix, en 
fonction depuis la création, depuis 1633, avait feint de 
se convertir, espérant vivre en paix les derniers jours de 
sa vie. Il meurt sans avoir réclamé les secours de 
l'Église : il est déclaré relaps par arrêt de la cour, son 
cadavre est livré au bourreau et. traîné'sur la claie par 
les rues de Metz (1). 

Souvent on forçait les familles à suivre le hideux cor- 
tège. La foule hurlante servait de bourreau, déchirait le 
cadavre, en semait les membres par les campagnes. 

Mais ce n'était pas assez pour le roi-soleil de poursuivre 
jusque dans la mort et de persécuter dans ses États les 
calvinistes français ; il prétendait entraîner toute l'Eu- 
rope à sa suite, et il poussa le duc de Savoie, Victor- 
Amédée II, alors son allié, à contraindre ses sujets à se 
convertir. Beaucoup de calvinistes du Dauphiné s'étaient 
réfugiés dans le Piémont. Le 1 er février 1686, Victor- 
Amédée lança un édit qui interdisait l'exercice de la 
religion proscrite, et ordonnait, sous peine de la vie, la 
fermeture des écoles. 

Les protestants se révoltèrent, et Louis envoya 6.000 
Français égorger, dans les vallées voisines de Pignerol, 
les Barbets, derniers vestiges des Vaudois, ces ancêtres 



ne fallait pas vouloir profiter de la disgrâce des malheureux. » 
Id., 9 mars 1(387. 

« Le roi a fait don à madame la princesse d'Harcourt d'un homme 
qui s'est tué lui-même, dont elle espère tirer beaucoup. Ou dit qu'il 
a 20,000 livres de rente, nid., t. II, p. 212. 

(1) Emm. Michel, Histoire du Parlement de Metz, p. 200-203. 



70 HISTOIRE DES CAMISARDS 

des protestants (1). Les troupes de Louis étaient com- 
mandées par Catinat, qui bientôt expia ce tort involon- 
taire. Il était, avec Vauban, le plus pur des hommes de 
guerre du grand siècle, le seul qu'animât l'amour de la 
patrie, le seul qui méritât de partager avec Vauban le 
titre de patriote, si heureusement créé par Saint-Simon, 
pour Fauteur de la Dîme royale. Tous les deux termi- 
nèrent leurs jours à l'écart. Si Vauban était coupable 
de patriotisme, Catinat l'était de jansénisme, on le soup- 
çonnait, du moins, et ces choses-là ne se pardonnaient 
pas. Il était assez indifférent au grand roi que l'on ne 
crût à rien, que l'on fût athée; mais dès que l'on 
croyait, il ne devenait plus permis de rien admettre en 
deçà ni au delà de ce qu'il croyait lui-même (2). Toutefois 
le plus sûr était de simuler la dévotion ; c'est à cette 
condition que l'on obtenait les bonnes grâces de ma- 
dame de Maintenon, qui, désormais, disposait des vo- 
lontés de Louis, et elle a pris soin de consigner, dans ses 
lettres, la part qu'elle eut dans sa disgrâce : « Il ne ser- 
vira plus, dit-elle ; le roi n'aime pas à confier le soin de 
ses affaires à ceux qui n'aiment pas Dieu. » 

L'implacable Louvois écrivait au marquis de Feu- 
quières, qui commandait un détachement en Savoie : 
« Monsieur, Sa Majesté a vu avec plaisir, par la lettre que 
vous avez pris la peine de m'écrire le 6 de ce mois, ce 
qui s'est passé dans la vallée de Lucerne, dans laquelle 
il eût été seulement à désirer que vous eussiez fait 

s , 

(1) Mémoires de Sourches, t. II, p. 12. — Mémoires de Choisy, 
p. 600. 

(2) Le roi reprochait au jeune duc d'Orléans ses relations avec 
un de ses amis, dont la mère était janséniste : « Lui ne l'est pas, 
répondit le duc; il ne croit pas en Dieu. — Si cela est, dit le roi 
tout radouci, il n'y a point de mal, il peut vous suivre en Espagne. » 
Saint-Simon, t. IV, p. 96. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 71 

brûler tous les villages où vous avez été (1). » Si Louis, 
ainsi que les évêques et les prédicateurs n'avaient pas 
trop de peine à le lui persuader, était le représentant 
et l'image de Dieu ici-bas, Louvois, l'homme du Pala- 
tinat, était bien l'incarnation de Satan, promenant par 
l'Europe la torche allumée aux feux inextinguibles du 
royaume infernal. 

Certes, Louvois se plaignait à tort. Rien ne justifiait 
ses regrets, et l'on se demande avec épouvante quels 
hommes étaient donc ces généraux du dix-septième 
siècle, lorsque l'on voit Gatinat rendre compte dans les 
termes suivants de son expédition néfaste (9 mai) : 

« Ce pays est parfaitement désolé ; il n'y a plus du 
tout ni peuple ni bestiaux. Les troupes ont eu de la 
peine, parl'àpreté du pays; mais le soldat en a été bien 
récompensé par le butin. M. le duc de Savoie a autour 
de huit mille âmes entre ses mains. J'espère que nous 
ne quitterons point ce pays-ci, que cette race de Bar- 
bets n'en soit entièrement extirpée. J'ai ordonné que 
l'on eût un peu de cruauté pour ceux que l'on trouve 
cachés dans les montagnes, qui donnent la peine de les 
aller chercher, et qui ont soin de paraître sans armes 
lorsqu'ils se voient surpris étant les plus faibles. Ceux 
que l'on peut prendre les armes à la main, et qui ne 
sont pas tués, passent parles mains du bourreau. » 

On pouvait craindre que Victor-Amédée ne se trouvât 
embarrassé de veiller sur ces huit mille captifs. Par 
bonheur, pour parler comme le grand roi et son digne 
ministre, la peste se mit parmi eux et les emporta tous. 
Louis XIV se chargea de leur oraison funèbre (lettre au 
marquis d'Arcy, 8 novembre) : 

(1) Lettres médites de Feuquières, t. V. p. 334. 



72 HISTOIRE DES CAMISARDS 

« Je vois que les maladies délivrent le duc de Savoie 
d'une partie de l'embarras que lui causait la garde des 
révoltés des vallées de Lucerne, et je ne doute point 
qu'il ne se console facilement de la perte de semblables 
sujets qui font place à de meilleurs et de plus fidèles. » 



IIISTOIRE DES CAMISARDS 73 



CHAPITRE IV 



Ordres implacables donnés aux garnisaires. — Férocité des soldats. 
Émigration générale. — L'Europe, l'Amérique s'enrichissent de 
notre appauvrissement. — Les galères se peuplent de pasteurs, 
de protestants échappés au massacre. — Vie effroyable des for- 
çats sur les galères royales. 



Tandis que l'époux de madame de Maintenon pour- 
suivait les calvinistes en Savoie, il envoyait en Angle- 
terre et en Hollande un de ses lecteurs, M. de Bonrepos, 
redemander, non plus pour ses flottes, mais pour ses 
galères, les notables de la religion persécutée qui s'y 
étaient réfugiés, démarches qu'il eut l'humiliation de 
ne pas voir accueillir (1). D'un autre côté, les cruautés 
inouïes des soudards logés chez les huguenots n'étaient 
faites, ni pour retenir ceux qui n'avaient pu fuir encore, 
ni pour rappeler ceux qui avaient eu l'heureuse 
chance de pouvoir secouer la poussière de leurs san- 
dales sur la frontière de leur ingrate patrie. 

A l'arrivée de Bàville en Languedoc, l'instant est 
favorable pour faire de la terreur, et le marquis de la 

(1) De Sourches, p. 378. 



74 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Trousse, commandant du roi dans la province, adresse 
en ces termes ses ordres à ses officiers (1) : 

« Lorsque, dans une paroisse, il se trouvera des 

opiniâtres qui refuseront d'abord d'aller à la messe et 
aux instructions et d'envoyer leurs enfants à l'école et 
aux catéchismes, il est nécessaire de leur doubler et 
tripler les logements des cavaliers, dragons ou soldats, 
et de ne les retirer que quand ils auront donné des 
marques d'une meilleure conduite. 

« Si les logements ne corrigent pas les nouveaux 
catholiques obstinés, l'officier en donnera avis, afin que 
l'on y mette ordre en les envoyant dans de dures prisons 
et en faisant condamner à l'amende les pères et mères 
des enfants qui n'iront pas aux écoles. 

« Il faudra que l'officier s'entende 'avec les consuls et 
missionnaires pour connaître au vrai les gens qui se 
conduisent mal. Il est pourtant bon d'examiner les 
choses de soi-même, y ayant beaucoup de consuls et 
d'ecclésiastiques qui agissent par passion et par zèle 
trop indiscret. 

« Quelque soin qu'on ait pris, jusqu'à présent, de dis- 
siper les assemblées que les religionnaires fugitifs ou 
quelques nouveaux convertis ont faites dans cette pro- 
vince, il n'est pas impossible qu'il ne s'en fasse encore 
quelques-unes ; et comme il est de conséquence au ser- 
vice du roi de les détruire entièrement, chaque officier 
doit remettre jusqu'à cinquante pistoles à celui ou à ceux 
qui avertiront de quelque assemblée assez à.temps pour 
que l'on puisse tomber dessus avec des troupes. Il y a 
une chose essentielle à remarquer,, c'est que les gens 
qui composent ces assemblées ont soin de poser des 

(l) Isambert, Anciennes Lois françaises, t. XX, p. 3, 4. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 75 

sentinelles une lieue à l'avant de l'endroit où ils les 
font. Ainsi, il y a de la prudence a prendre les précau- 
tions nécessaires pour se saisir de ces sentinelles ; et 
lorsque l'on aura tant fait que de parvenir au lieu de 
l'assemblée, il ne sera pas mal à propos d'en écharper 
une partie et d'en faire arrêter le plus qu'on pourra, du 
nombre desquels on fera pendre sur-le-champ quelques- 
uns de ceux qui se trouveront armés, et conduire le 
reste en prison, soit hommes ou femmes, et principa- 
lement le président. 11 faut observer de ne point tirer, 
à moins qu'on ne tombe sur l'assemblée. 

« Si on pouvait même engager quelques-uns à livrer 
un prédicant ou un proposant, on donnera cinquante 
louis d'or pour le prédicant, et autant pour un propo- 
sant, c'est-à-dire pour ceux quiiiuront prêché aux assem- 
blées. 

« Le roi, par sa déclaration du 1 er juillet 1686, a or- 
donné qu'il fût payé 5,500 livres pour la capture d'un 
ministre réfugié ou caché dans le royaume, et comme 
il peut y en avoir dans la . province du Languedoc, on 
ne saurait trop donner de soins à les pouvoir attraper, 
afin de donner à Sa Majesté des marques d'affection à 
son service, et de profiter des 5,500 livres promises...» 

Ce n'était pas le tout, de penser aux moyens de tuer 
les vivants ; Louis n'avait oublié ni les mourants, ni les 
morts, et dans une ordonnance du 24 mai 1686, il rap- 
pelle qu'il leur avait déjà ménagé leur part : 

« Ordonnons, voulons et nous plaît, que si aucun de 
nos sujets de l'un ou de l'autre sexe, qui auront fait 
abjuration, et qui, venant à tomber malades, refuseront 
de recevoir les sacrements de l'Église, leur procès leur 
sera fait et parfait, et, en cas qu'ils recouvrent la saule . 
les hommes condamnés aux galères avec confiscation 



76 HISTOIRE DES GAM1SARDS 

de biens, et les femmes et filles à l'amende honorable 
avec confiscation, et à être enfermées. Et en cas qu'ils 
en décèdent, que le procès sera fait aux cadavres, et 
leurs biens confisqués. 

« Car tel est notre plaisir. » 

Partout où l'on envoyait des soudards, on avait bien 
soin, dans la distribution des logements, de séparer les 
officiers des hommes qu'ils commandaient, et alors 
ceux-ci, libres de toute crainte, affranchis de toute 
discipline, faisaient bombance dans les maisons, dont 
ils vendaient le mobilier à l'encan pour défrayer leurs 
orgies. Ils démolissaient celles des plus récalcitrants, et 
le pillage prit quelquefois de telles proportions, qu'ils 
tirèrent du seul village deVilliers-le-Bel, où nous voyions 
arriver naguère le major d'Artagnan à la tête de soldats 
du régiment des gardes, plus de deux cents charretées 
de bons meubles, sans compter ceux que l'on avait mis 
en pièces ou brûlés. Aux champs, ils se plaisaient à loger 
leurs chevaux dans la plus belle chambre de la ferme, 
étendaient sur eux les draps arrachés del'armoirc brisée, 
ou leur faisaient une litière des meilleures bardes du 
pauvre paysan et de sa femme. Gorgés de boisson et 
n'en pouvant plus contenir, on les voyait défoncer les 
tonneaux, forcer leurs hôtes à verser le sang généreux 
de la vigne dans le chaudron suspendu à la crémaillère, 
et, pour se redonner de la vigueur, prendre des bains de 
pieds de vin chaud. 

Profitant de l'impunité assurée aux soldats, de véri- 
tables brigands se déguisaient en dragons, et, pour trom- 
per la justice sur leur identité en paraissant dignes de 
ce nom, commettaient en tous lieux les crimes le plus 
effroyables. 

Mais c'est surtout sur les personnes que, se livrant à 



HISTOIRE DES CAMISARDS 77 

toutes les excentricités d'une férocité en délire, ils épui- 
saient les raffinements de cette science de mal faire 
dont cinq siècles de pratique avaient accumulé le dépôt 
entre les mains de l'armée (1). 

aOn s'étudiait, disent les mémoires du temps, à trouver 
des tourments qui fussent douloureux sans être mortels, 
et à faire éprouver à ces malheureuses victimes tout ce 
que le corps humain peut endurer sans mourir (2). » 
Beaucoup en moururent cependant, mais c'était par 
accident, par malheur et sans mauvaise intention. Ils 
pendaient les hommes et les femmes par les pieds, les 
cheveux, les aisselles, par les parties les plus molles et 
les plus sensibles du corps, soit au plancher, soit même 
aux crochets de la cheminée dans laquelle ils allu- 
maient du foin mouillé pour les asphyxier à moitié. Ils 
les jetaient un instant sur les charbons et les retiraient 
à demi brûlés, leur arrachaient les dents, les ongles, les 
épilaient, les flambaient, nus, avec un bouchon de paille 
enflammée. Ils leurs lardaient le corps, les seins, avec 
des épingles, les enflaient avec des soufflets jusqu'à les 
faire crever. Quelquefois ils bernaint ces malheureux 
jusqu'à ce qu'ils fussent sans connaissance, ou ils les 
entraînaient dans les tourbillons d'une danse infernale 
qui ne s'arrêtait que lorsqu'ils tombaient épuisés, demi- 
morts. Ils les faisaient fumer de force, leur faisaient 
avaler du tabac en feuilles, les gorgeaient, un entonnoir 
entre les dents, de vin ou d'eau-de-vie, etc'est dans cet 
état que ceux-ci prononçaient leur acte de foi, et ju- 
raient leur adhésion aux croyances de Rome. 

Ils infligeaient à d'autres la torture par l'eau , dont ils 



(1) Voir notre Histoire des Paysans, passim. 

(2) Rulhière, t. I, p. 292. 



78 HISTOIRE DES CAMISARDS 

leur ingurgitaient vingt ou trente verres : il se trouva par- 
fois que cette eau était bouillante. On les descendait 
dans des puits au moyen de cordes, ou bien on leur 
jetait, en plein hiver, des seaux d'eau glacée sur le 
corps. 

Mais de tous les supplices, le plus cruel était l'insomnie 
prolongée. Ils les pinçaient, leur brûlaient la plante des 
pieds, et pendant huit ou dix jours, ils se relayaient, 
d'heure en heure, pour écarter le sommeil de leurs pau- 
pières, en sonnant de la trompette dans leurs oreilles, 
en les coiffant de chaudrons sur lesquels il frappaient à 
grands coups de marteau. S'il y avait des malades, ils 
battaient du tambour dans leurs chambres... 

On pense bien que ces missionnaires bottés n'épar- 
gnèrent pas les femmes. L'occasion était trop belle, et 
Ton pouvait s'en fier à eux pour savoir en profiter. « Qu'on 
laisse, avait dit Louvois, vivre les soldats fort licencieu- 
sement (nov. 1685).» — « Ceux-ci insultaient ouverte- 
ment à la pudicité du sexe et à l'honneur des maris, 
ceux-là forçaient des citoyens à racheter leur subsistance 
au prix de leur honte et de leur infamie (1). » Ils atta- 
chaient les époux et les pères aux quenouilles du lit sur 
lequel ils violaient les épouses et les fdles. Quelquefois 
c'étaient de pauvres mères que l'on liait ainsi, tandis 
que sous leurs yeux leurs nourrissons se tordaient dans 
les convulsions de la faim. Les seins gonflés, folles de 
souffrance et de désespoir , elles abjuraient, maudissant 
les hommes et blasphémant Dieu. 

A peine ces t dragons d'enfer pénétraient-ils dans un 
village livré à leur fureur, que l'on voyait se reproduire 
les diverses scènes de martyre dont le vénérable pasteur 

(1) Cathala Couture, Histoire du Quercy, t. III, p. 26. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 79 

d'Orange, Pineton de Ghambrun, a tracé ie douloureux 
tableau: 

« Toutes les troupes furent mises sur les bras de ceux 
de la religion, et ce logement ne fut pas plus tôt fait, 
qu'on ouït mille gémissements par la ville, le peuple cou- 
rant par les rues le visage tout couvert de larmes. La 
femme criait au secours pour délivrer son mari qu'on 
rouait de coups, que l'on pendait à la cheminée, qu'on 
attachait au pied du lit, ou qu'on menaçait de tuer, le 
poignard à la main, Le mari implorait la même assis- 
tance pour secourir sa femme qu'on avait fait avorter 
par des menaces, par des coups et par mille mauvais 
traitements. Les enfants criaient: « Miséricorde ! on as- 
sassine mon père, on viole manière, on met à la broche 
un de mes frères !... » J'arrête ici ma plume; elle me 
tombe des mains, et ce triste souvenir me fait verser 
tant de larmes, que je ne pourrai plus poursuivre pour 
décrire les borreurs de ces tristes journées (1). » 

Pineton de Chambrun, perdu de tout son corps par les 
douleurs de la goutte, était en outre travaillé de la pierre, 
et cloué sur son lit ou sur une chaise, parce qu'il s'était 
brisé une cuisse en tombant d'entre les bras de ses do- 
mestiques. Ordre était venu de la cour de tout faire pour 
obtenir son abjuration : 

«Si le comte.de Tessé, dit-il, m'avait menacé de 
m'exécuter rigoureusement, ilfuthomme deparolêàcet 
égard: car, sans être touché d'aucune compassion de l'état 
où il m'avait vu, il envoya chez moi, dans moins de deux 
heures, quarante-deux dragons etdeux tambours qui baL 
taient nuit et jour autour de ma chambre pour me jeter 



(1) Les larmes Je Pineton de Chambrun, p. lll. 



80 HISTOIRE DES CAMISARDS 

dans l'insomnie, et me faire perdre l'esprit, s'il eût été 
possible. 

« Ces nouveaux hôtes venaient en foule dans ma 
chambre pour me demander de l'argent... Il fallait qu'on 
courût à tous les cabarets de la ville pour leur donner 
tout ce qu'ils demandaient. S'étant gorgés du gibier le 
plus délicat, cela ne fut plus de leur goût; ils deman- 
daient des choses qu'il aurait fallu aller chercher aux 
Indes, et tout cela pour avoir prétexte de maltraiter mes 
domestiques et mes bons voisins qui étaient accourus 
pour les servir, croyant par là d'adoucir leur rage et leur 
fureur. 

« Dans peu d'heures ma maison fut toute bouleversée : 
toutes les provisions ne suffirent pas pour un seul repas, 
ils enfonçaient les portes de tout ce qui était sous clef, 
et faisaient un dégât de tout ce qui leur tombait sous la 
main. 

« Mon épouse tâchait de subvenir à tout avec un cou- 
rage intrépide... Elle essuya toutes les insolences qu'on 
se peut imaginer: les menaces, les injures de p...,deca- 
rogne, et d'autres mille discours d'impudicité que ces 
malheureux prononçaient à tous moments. La crainte 
où j'étais qu'elle ne fût insultée plus avant m'obligea de 
la conjurer de se retirer chez M. de Chavannes, son père. 
Elles'opposalongtemps à mon désir; mais enfin, vaincue 
par mes larmes, elle voulut bien me donner cette satis- 
faction. 

« La nuit ne fut pas venue, que les dragons allumèrent 
tles chandelles par toute la maison. Dans ma basse-cour, 
dans mes chambres, on y voyait comme en plein midi, 
et l'exercice ordinaire de ces malhonnêtes gens était de 
manger, de boire et de fumer toute la nuit. Cela eût été 
supportable s'ils ne fussent venus fumer dans ma 



HISTOIRE DES CAMISARDS 81 

chambre, pour m'étourdir ou m'étouffer par la fumée 
de tabac, et si les tambours avaient fait cesser leur bruit 
importun, pour me laisser prendre quelqne repos. 

« Il ne suffisait pas à ces barbares de m'inquiéter de 
cette manière, ils joignaient a tout cela des hurlements 
effroyables, et si, pour mon bonheur, les famées du vin 
en endormaient quelques-uns, l'officier qui com- 
mandait, et qu'on disait être proche parent de M. de 
Louvois, les éveillait à coups .de canne, afin qu'ils re- 
commençassent à me tourmenter. 

« Après avoir essuyé cette mauvaise nuit, le comte de 
Tessé m'envoya un officier pour me dire si je ne voulais 
pas obéir à mon roi. Je lui répondis que je voulais obéir 
à mon Dieu. 

« Cet officier sortit brusquement de ma chambre, et 
Tordre fut donné de loger tout le régiment chez moi, et 
de me tourmenter avec plus de violence. Le désordre fut 
furieux pendant tout ce jour et la nuit suivante. Les 
tambours vinrent dans ma chambre; les dragons 
venaient fumer à mon nez; mon esprit se troublait par 
cette fumée infernale, par la substractiondes aliments, 
par mes douleurs et par mes insomnies, 

« Je fus encore sommé par le même officier d*obéir au 
roi; je répondis que mon Dieu était mon roi, et que, 
bientôt, je paraîtrais devant lui pour lui rendre compte 
de mes actions; qu'on ferait bien mieux de me dépêcher 
que de me faire languir par tant d'inhumanités. Tout cela 
n'amollit pas ces cœurs barbares, ils en firent encore pis ; 
de sorte que, accablé partant de persécutions, je tombai, 
le mardi 13 de novembre, dans une pâmoison où je de- 
meurai quatre heures entières avec peu d'apparence de 
vie... » 

11 ne mourut pas, cependant, la persécution continua 



82 HISTOIRE DES CAMISARDS 

son cours; vaincu, le comte de Tessé traîna le moribond 
jusqu'à Valence, et le remit aux mains de l'évéque Gos- 
nac, qui poursuivit et sut mener à bien l'œuvre corn» 
mencée. 

« II fallait agir avec moi, continue Chambrun, toutde 
même qu'avec un enfant de naissance, et j'aurais pourri 
dans ma propre ordure, si je n'avais été entre les mains 
d'autres personnes que je n'aurais pu souffrir pour les 
emplojrer à ce vil et triste usage. On fit donc connaître à 
mon épouse et à mon neveu qu'il faudrait qu'ils se reti- 
rassent, et à moi, qu'on me donnerait des dragons 
et des archers pour me servir, 

« Je souffris tant de douleurs, que j'allai lâcher cette 
maudite parole : En bien! je me réunirai ! » 

Et voilà comment se jouaitla comédie infâme des con- 
versions ! 

Lorsqu'une contrée' avait été suffisamment préparée 
par les fureurs des dragons, unévêque, un intendant, un 
subdélégué, un curé se présentait, faisait rassembler sur 
la principale place de l'endroit tous les calvinistes, ceux 
surtout que l'on espérait trouver les plus dociles. Ceux- 
là renonçaient à leur religion au nom de tous les autres, 
et c'est ainsi que l'imbécile monarque goûtait la satisfac- 
tion de recevoir chaque matin, à son réveil, la nouvelle 
de conversions qui se montaient quotidiennement à une 
moyenne de deux cent cinquante à quatre cents (1). 

Il était bien impossible que le spectacle ou le récit de 
pareilles horreurs ne portassent pas à des extrémités 
terribles quelques natures énergiques poussées au dé- 
sespoir. On arrêta dans le Palatinat, et, se disait-on 



(l) Voir, pour ces conversions miraculeuses. Dangeau, 1. 1, p. 173. 
177, 182, 183, 184, 186, 187, 188, 201, 218, 222. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 83 

tout bas à l'oreille, jusque dans les rues de Versailles, 
des fanatiques qui avaient osé concevoir cette pensée 
inouïe, d'attenter à la vie du grand roi ! Toutefois, le 
marquis de Sourches remarque « qu'il n'était pas sur- 
prenant que, parmi tant de huguenots que l'on persé- 
cutait pour les faire changer de religion, il s'en trouvât 
quelques-uns qui eussent la tête assez mal timbrée pour 
regarder comme une tyrannie ce qu'on ne faisait que 
pour leur bien, pour prendre sur cette idée des résolu- 
tions extraordinaires (p 359). » 

C'était surtout sur les personnes affaiblies par l'âge 
ou par les maladies que l'on pouvait espérer d'exercer 
quelque action. Le médecin catholique, seul admis dé- 
sormais auprès des moribonds, faisait appeler le curé : 
par malheur ce dernier manquait toujours, soit de zèle, 
soit de capacité. Les prêtres de l'Oratoire, invités à 
faire entendre dans les bourgs et dans les villages la 
parole du Dieu né dans l'étable de Bethléem, dédai- 
gnaient de le faire, prétendant qu'ils avaient été envoyés 
pour prêcher dans les villes seulement (1). Quant aux 
curés du pays, il fallait renoncer à compter sur eux à 
cause des scandales de leur vie privée. « Lesévêques ne 
pouvaient les ranger dans leur devoir par des procédures 
régulières, à cause des appels comme d'abus de leurs 
ordonnances. » Foucauld les traita militairement et en 
fit enfermer quelques-uns au séminaire. 

Le Poitou était infesté de calvinistes. Niort, où la 
veuve Scarron était née, avait la moitié de ses habitants 
attachés à la religion proscrite. Les nouveaux converlis 
n'allaient pointa la messe, ne fréquentaient point les 
sacrements, et il fallait, pour les y contraindre, emplir 

(1) Foucauld, p. 315. 



84 HISTOIRE DES CAMISARDS 

leurs maisons de dragons. Ils se rendaient plus volon- 
tiers aux sermons, sans doute parce que les curés y 
déployaient une si crasse ignorance, qu'ils trouvaient 
qu'il n'y avait aucun danger aies aller entendre (Fou- 
cauld. p. 339). 

Le fougueux intondant fit condamner aux galères per- 
pétuelles deux gentilshommes et un avocat qui cher- 
chaient à gagner l'étranger. Mais ce qu'il avait imaginé 
de mieux, ce qui « avait attiré plus de gentilshommes à 
l'église que les dragons (ld., p. 216), » c'était de les 
faire transporter dans des prisons éloignées, à l'extré- 
mité du royaume. C'est encore être libre par le cœur 
et par la pensée, que de vivre sous les verrous dans cette 
petite patrie que chacun possède dans la grande, de 
respirer l'air que respirent nos mères, nos fils, nos 
épouses, tout ce que nous aimons. On peut entendre 
leur voix chérie, on peut espérer d'entrevoir leurs traits 
à travers les barreaux du cachot ; on sait s'ils vivent ou 
s'ils meurent, on sait qn'auprès de nous quelqu'un prie, 
pense à nous, pleure sur nous, travaille peut-être à notre 
délivrance. C'était trop de bonheur encore pour d'aussi 
grands coupables, et Foucauld inventa cette persécution 
suprême, de combiner l'exil avec la détention, d'ajouter 
la douleur de l'un aux tortures de l'autre. 

Et, cependant, il y eut quelque chose qui dépassa tout 
cela, quelque chose qui inspira plus de terreur que les 
dragons eux-mêmes, que la captivité loin du sol natal, 
quelque chose qui brisa la résistance des femmes que 
nous avons vues reculer, plus courageuses et plus fières 
que les hommes, devant la lâcheté de l'apostasie. Il 
faut bien le dire, cette torture qui triompha de leur hé- 
roïsme, ce fut le couvent, où elles trouvaient dans les 
pieuses épouses de Dieu des maîtresses jurées dans l'art, 



HISTOIRE DES CAMISARDS 85 

■si raffiné alors, de torturer son semblable (l). Quelles 
scènes terribles se jouaient donc derrière ces hautes et 
Uombres murailles au pied desquelles la loi civile recule 
[encore aujourd'hui, presque impuissante (2) ? Quels 
'sombres mystères s'accomplissaient donc dans ces 
Isaintes demeures, et quels hommes effroyables étaient 
leurs directeurs, pour surpasser les horreurs de ces dra- 
gons d'enfer, que Louvois-Satan avait déchaînés sur la 
'France ? 

Toutefois, l'inépuisable imagination de Foucauld 
'trouva à rehausser encore le haut goût de ce supplice 
par un dernier raffinement : ce fut, « comme pour les 
gentilshommes , de les expédier dans des couvents 
éloignés (3). » 

Mais prisons, bagnes, couvents ne suffisaient pas à con r 
tenir la multitude, chaque jour renouvelée, des victimes 
du fanatisme implacable de Louis. Tout cela, de temps 
en temps, versait son trop-plein dans les hôpitaux, où 
.l'on ne séjournait guère, et pour cause. Le roi-soleil 
les multipliait dans toutes les villes. Toutefois, avant 
d'applaudir au sentiment charitable qui l'inspirait quand 
il élevait ces splendides édifices, ces monuments d'or- 
gueil aux misères que tant de causes enfantèrent pendant 

(1)- « Les femmes et les filles de la R. P. R. craignaient plus les 
couvents que les dragons, et il s'en est beaucoup converti de celles 
que les dragons n'avaient pu convertir, qui n'ont pu résister à l'a- 
version qu'elles avaient pour le couvent. » Foucault, p. 319. 

(2) « Dans le temps de la révocation de Nantes, les religieuses 
chez qui l'on enfermait les filles arrachées des bras de leur parents, 
ne manquaient pas de les fouetter vigoureusement lorsqu'elles ne 
voulaient pas aller à la messe le dimanche. Quand les religieuses 
n'étaipnt pas assez fortes, elles demandaient du secours à la gar- 
nison, et l'exécution se faisait par des grenadiers, en présence d'un 
officier major. » Voltaire, Dictionnaire philosophique, V. Vierge. 

(3) Foucauld, p. 340. 346, 347, 348. 



86 HISTOIRE DES CAMISARDS 

les soixante-douze années de son règne interminable, il 
importe de savoir ce qui s'y passait, et comment ils 
étaient administrés. 

En vain ils se cachaient sous la touchante appellation 
d'Hôtels-Dieu. C'étaient, pour le peuple, des maisons du 
diable, et les plus misérables parmi les mendiants, les 
plus moribonds parmi les malades s'enfuyaient pour 
crever librement dans un coin , plutôt que d'aller 
pourrir dans ces lieux maudits où la mort trônait en 
souveraine. L'hospice était une variante du gibet, de la 
roue, du bûcher, seulement l'inévitable dénouement s'y 
présentait entouré des affres d'un plus lent trépas- 
sement. 

Aussi fallait-il les fouets de la police pour y chasser les 
.pâles mortels, tremblant de pçur et grelottant de fièvre. 
Afin de ménager la place, les lits étaient superposés, 
comme les tiroirs d'un meuble. Jamais moins de deux 
et parfois jusqu'à six malades étaient entassés sur la 
paille sordide de ces lits, les convalescents, s'il y en 
avait, à côté des agonisants, à côté des morts, que l'on 
n'avait pas eu le temps d'enlever encore. Les émanations 
des ulcères infectaient les simples blessures, et les ren- 
daient incurables. Au milieu de ces senteurs méphitiques 
et de ces ordures, toute affection devenait contagieuse, 
chacun prenant un peu du mal de ses camarades de lit, 
et leur communiquant du sien en échange. 

Le mélange odieux de ses puanteurs pestilentielles 
vous saisissait à la gorge, et Ton sentait que l'on respi- 
rait là la mort à pleins poumons, qu'on l'aspirait par 
tous les pores. 

Toute maladie était un châtiment de Dieu et tout 
malade un pécheur qu'il fallait punir. De là les mau- 
vais traitements qui lui étaient infligés. Les vénériens 



HISTOIRE DES CAMISARDS 87 

notamment, étaient fustigés sans pitié. Pouvait-on ne 
i pas se montrer particulièrement sévère pour ce qui avait 
pour cause l'incontinence, sous un prince qui, marié, 
vivait publiquement avec la femme du marquis deMon- 
tespan, et, souffletant la loi après avoir souffleté la pu- 
deur publique, faisait proclamer parles juges que les 
enfants d'un double adultère étaient des enfants légi- 
times ! 

On ne nourrissait les malades que de coups de bâton, 
et ces rations-là étaient les seules qui fussent libérale- 
ment distribuées. Môme dans les hôpitaux militaires où 
l'on avait grand intérêt à ce que les malades ne mou- 
russent pas, les administrateurs partageaient avec les 
officiers le prix du pain quei'on ne distribuait pas. Le 
clergé y avait seul la haute surveillance. Faible garantie, 
car voici ce qu'à la date du 7 mai 1G83, Louvois écrivait 
à l'intendant de la province au sujet du père Montellier, 
directeur des hôpitaux d'Alsace : 

« J'ai vu ce que vous avez découvert jusqu'à présent 
des friponneries du P. Montellier. Gomme il n'est point 
nécessaire de plus grandes preuves pour sa punition, 
puisqu'il a avoué sa faute, le roi trouve bon que vous le 
fassiez condamner à être promené dans tous les hôpi- 
taux d'Alsace par l'exécuteur, avec un écriteau devant 
et derrière qui dit : Fripon public, et que l'on le ban- 
nisse de l'Alsace pour toute sa vie. Vous ferez retenir 
sur les appointements des commandants des bataillons, 
l'argent dont ils ont profité de concert avec le P. Mon- 
tellier. » 

Mais, sous la monarchie, les abus étaient sans re- 
mède, et le 29 octobre 1789, le maréchal de Lorges 
dont le corps d'armée occupait cette même province, 
écrivait au ministre : 



88 HISTOIRE DES CAMISARDS 

« Je m'informerai des plaintes que les troupes font 
des hôpitaux de Mont-Royal et de Sarrelouis. Je sais 
qu'en gros elles disent que la plupart des soldats ne 
sont couchés que sur la paille, trois dans le môme lit; 
que les chirurgiens sont des ignorants fort paresseux à 
soigner les malades, et que, à la moindre chose qu'ils 
ont, ils coupent bras et jambes sans nécessité. Aussi, 
ce qui est certain, c'est que tous les malades y meurent, 
généralement parlant. Il y a un capitaine qui doit vi- 
siter tous les jours les hôpitaux ; cependant l'abus est 
que le capitaine craint de prendre la maladie, ne visite 
pas les malades ; je crois que le commissaire ne va pas 
plus que le capitaine (1)... » 

Ainsi, nul regard humain n'osait plonger dans cet 
enfer qui, comme l'autre, ne connaissait pas l'espé- 
rance et d'où l'on ne sortait plus, après y être entré. 

Quelquefois, au contraire, l'hôpital n'était que le ves- 
tibule et l'antichambre du couvent, qui venait reprendre, 
pour faire leur éducation religieuse, celles des malheu- 
reuses femmes et filles protestantes que, si elles n'en 
étaient pas entièrement mortes, des traitements d'une 
férocité véritablement sauvage avaient amenées à se con- 
vertir. Je raconterai, comme spécimen, les façons de 
La Rapine, gardien de l'hôpital de Valence et agent de 
l'évèque Daniel de Gosnac (1687) : 

«... Quand ces dames et ces demoiselles sont arri- 
vées et qu'elles ont été livrées entre ses mains, il les 
sépare et les met en différents cachots remplis de boue 
et d'ordures. Il leur ôte leurs habits et leur linge et leur 
envoie quérir à l'hôpital des chemises qui ont été, plu- 
sieurs semaines, et quelquefois plusieurs mois, sur des 

(!) E. Bonnemère, La France sous Louis XIV, t. II. p. 175. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 89 

corps couverts de gale, d'ulcères et de charbon, pleines 
de pus, de rache et de poux. Ce fut de cette manière 
que l'on habilla mademoiselle Ducroc (1), Ce malheu- 
Ireuxne leur faisait donner pour nourriture que du pain 
(que les chiens n'auraient pas voulu manger, et un peu 
d'eau. Plusieurs fois le jour, La Rapine leur rendait 
visite, avec des estafiers par lesquels il les faisait dé- 
pouiller et leur faisait donner des coups de nerf de 
bœuf, et lui-même leur donnait cent coups de canne 
par tout le corps , et même sur le visage ; de sorte 
qu'elles n'avaient plus de figure humaine. Il les fit 
rouer de tant de coups, qu'elles ne pouvaient ni mettre 
un pied l'un devant l'autre, ni porter leurs mains à leur 
bouche, ni remuer les bras. Outre cela, il les faisait 
plonger plusieurs fois par jour dans un bourbier pro- 
fond, détrempé par une eau puante, et il ne les tirait 
de là que quand elles avaient perdu la connaissance et 
le sentiment. Elles ont enfin succombé sous ces tour- 
ments qui n'ont point d'exemple dans l'histoire de la 
barbarie dupaganisme. Après quoi on les a transportées 
dans un couvent, où elles sont, n'ayant ni forme ni 
figure, couvertes de plaies depuis la tête jusqu'aux 
pieds. Mademoiselle de La Farelle, de Nîmes, est entre 
les mains de ce bourreau, avec plusieurs autres demoi- 
selles. Et le parlement de Grenoble, depuis peu, lui a 
encore envoyé vingt-cinq personnes, tant hommes que 
femmes, pour être converties par les même voies (2). . . » 
11 en est des grands événements de l'histoire comme 
de ces édifices élevés qu'on ne doit pas regarder de trop 
près, et dont il faut s'éloigner pour rencontrer leur vé- 



(1) Fille d'an ministre protestant, martyr de sa foi. 

(2) Bulletin du protestantisme français, 1802, p. 386. 



90 HISTOIRE DES CAMISARDS 

niable point de vue. Les contemporains ne comprirent 
pas la portée morale et politique de l'attentat du 22 oc- 
tobre 1685, et tandis que dans son oraison funèbre de 
Le'Tellier, Bossuet se plaît à ne voir là « que des trou- 
peaux égarés revenant en foule, de faux pasteurs les 
abandonnant sans même en attendre l'ordre, » Arnauld 
lui-même, le grand Arnauld, écrit à l'un de ses amis 
(13 déc. 1685) : « Je pense qu'on n'a point mal fait de 
ne point faire à Rome de réjouissances publiques pouri 
la révocation de l'édit de Nantes; car, comme on y a 
employé des voies un peu violentes, quoique je ne les 
croiepas injustes, il est mieux de n'en pas triompher (1) .» 

Une pareille indulgence au sujet d'un acte que 
l'on ne saurait flétrir en termes assez énergiques, 
semble prouver que, grâce aux mensonges intéressés des 
auteurs et des acteurs des persécutions, ainsi qu'à l'ab- 
sence de toute espèce de moyens de publicité, les détails 
ne furent pas connus tout d'abord. Mais qu'est-ce que 
la nuit de la Saint-Barthélémy, contre des sujets armés 
et révoltés, en somme, auprès de cette effroyable 
persécution de vingt-cinq années contre les meilleurs et 
les plus inoffensifs des sujets du roi-soleil, auprès de ces 
massacres, de ces bûchers que tout à l'heure, à l'insti- 
gation de Bâville, nous allons voir en permanence dans 
toutes les villes du Midi? 

Les parlements applaudirent, comme le clergé, à l'at- 



(1) Arnauld se trompe. Le pape voyait alors un ennemi dans le fils 
aîné de l'Église. De là vient son hésitation à louer plus vite l'acte 
révocatoire. Mais au commencement de l'année suivante (mars 16S6), 
il l'approuva hautement et fit chanter un Te Deum d'actions de grâces 
à cet effet. Il répondit à un cardinal, qui déplorait l'excès des rigueurs 
auxquelles on avait eu recours, que, « quand le roi aurait été 
obligé d'employer la force, il aurait bien fait de s'en servir. » M. de 
Noailles, Histoire de Madame de Maintenon, t. II, p. 447-452. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 91 

tentât de Louis, et beaucoup imitèrent celui de Provence, 
qui fit allumer des feux de joie et qui multiplia les déco- 
rations allégoriques pour célébrer la révocation de 
l'édit (1). 

L'ami de Henri IV, l'homme qui était, au commence- 
ment du siècle, le chef du parti huguenot, Duplessis- 
Mornay, avait fondé à Saumur, dont il était le gouver- 
neur, une académie protestante qui, en 1680, comptait 
parmi ses professeurs les Amyrault, les Duncan, les 
Tanneguy-Lefèvre, le père de madame Dacier, c'est-à- 
dire les hommes les plus érudits de l'Europe, qui en- 
voyait des élèves en grand nombre étudier dans la se- 
conde ville de l'Anjou, brillant foyer de lumières qui 
rayonnait alors sur tous les pays protestants. En janvier 
1685, Louis fit démolir le temple et fermer l'académie, 
et Saumur perdit les deux tiers des ses habitants (2). 

Pour faire passer au catholicisme le lustre dont avait 
si longtemps brillé le protestantisme, il permit de créer 
dans la même année une académie à Angers, honnête 
fille qui ne fit jamais parler d'elle, au dire de Voltaire, 
et qui a disparu sans bruit, trouvant moyen de mourir 
sans avoir vécu. En 1686, les académiciens de l'endroit 
mirent cette question au concours : Le triomphe du roi 
sur l'hérésie, 

Il existe dans la province un édifice qui semble avoir 
été destiné à en éterniser le souvenir. AbelServien, sur- 
intendant des finances, seigneur de Sablé, en Anjou, avait 
fait commencer en 1654, à Saumur, l'élégante église de 
Notre-Dame-des-Ardillers, que madame de Montespan 
fit terminer en 1695. Dans la frise de l'entablement qui 



(1) Cabasse, Histoire du parlement de Provence, t. III, p. 72. 

(2) J.-R.-F. Bodin, Recherches historiques sur l'Anjou, t. II. p. 3S8. 



f)2 I1IST0IRE DKS CAMISARDS 

est au-dessous des huit grands vitraux qui éclairent le 
dôme, on lit cette inscription en grandes lettres de 
bronze doré : 

P. 0. P. M. D. C. X. G. V. Deiparœ virgini. 
Ludovicus XIV Dei gratia Franc, et Navar. 
Rex toto regno hœresim destruxit,ejusque fautores 
Terra marique profligavit (1). 

« Louis XIV, par la grâce de Dieu roi de France et de 
Navarre, a chassé l'hérésie de tout son royaume, et en a 
poursuivi les fauteurs parterre et par mer. » 

La correspondance de Foucauld avec son père montre 
assez quel était l'esprit de servilisme du temps, combien 
chacun cherchait à déguiser la vérité, combien le roi et 
ses ministres voulaient être trompés, redoutaient la lu- 
mière. L'intendant de Poitiers adresse, en décembre 
1687, un mémoire à son père pour qu'il le communique 
à l'archevêque de Paris, de Harlay. Après avoir constaté 
le succès des mesures ordonnées pour la conversion 
des protestants, il indique de nouvelles rigueurs à em- 
ployer pour consolider le résultat obtenu : «... La cour, 
dit-il, permettait de se servir de toutes les voies, non 
pas de force et de violence, mais de contrainte un peu 
plus que morale, pour les obliger à faire profession de 
la religion qu'ils ont embrassée... Il aurait été à sou- 
haiter qu'il eût plu à Dieu de se servir de la voix des 
curés et des missionnaires pour rappeler les religion- 



(1) Par une coïncidence assez étrange, et qui semble une pro- 
phétie, Servien décora l'une des chapelles d'un magnifique tableau 
de Philippe de Champaigne, qui représente Siméon à l'entrée du 
temple de Jérusalem, prononçant ces mêmes paroles que répéta Le 
Tellier en signant le fatal édit : Nunc dimittis servum tuum, Dû' 
mine... 



HISTOIRE DES CAMISARDS 93 

naires à l'Église romaine, et que l'on n'eût point été 
obligé d'y employer l'autorité temporelle ; mais puisque 
la Providence a voulu se servir du roi pour consommer 
un aussi grand ouvrage, il faut croire qu'elle lui en a 
réservé la consommation. » 

Malgré la modération excessive des expressions, il 
pouvait se faire que l'on aperçût dans ces phrases l'ap- 
parence d'un blâme à l'adresse des auteurs de tant de 
massacres. En homme prudent et qui a l'expérience du 
monde des cours, le père de Foucauld lui renvoie sa 
lettre avec les judicieuses observations que voici : « Les 
ministres et tout ce qui les approche ne cherchent qu'à 
faire leur cour aux dépens de qui que ce soit, et sacri- 
fient sans scrupule tout ce qui peut, par sa ruine, leur 
attirer quelque mérite. En un mot, c'est faire le procès 
au ministère que de le rendre suspect de flatter le prince 
et de lui faire entendre les choses autrement qu'elles 
ne sont. On ne pardonne point de telles offenses, et la 
seule défiance en est mortelle. Monsieur notre archevê- 
que parle trop pour faire de lui un confident... Ne vous 
avaucez de rien, et vous ne serez garant de rien, mais 
exécutez promptement et ponctuellement. Réservez-leur 
l'honneur de toutes choses, ils en sont passionnément 
jaloux. » 

Lancé dans cette voie de persécution qui renouvelait 
contre des chrétiens dissidents tous les supplices, — 
l'amphithéâtre excepté, qui, par bonheur, n'était plus 
dans les mœurs, — que les Césars païens déployèrent 
contre les premiers sectateurs d'une religion nouvelle et 
jalouse, le grand roi se voyait donc dans l'impossibilité 
de s'arrêter : c'eût été avouer qu'il avait pu se tromper. 
Aussi, plus que jamais, la force remplace la persuasion, 
le soldat fait la besogne du missionnaire. Toutes les fois 



94 HISTOIRE DES CAMISARDS 

que la guerre se ralentit, que la. paix est signée avec 
l'étranger, qu'il y a quelque part des troupes à occuper, 
il les lance sur les calvinistes, et leurs fureurs redou- 
blent d'implacabilité. Il veut que l'on fasse éprouver les 
dernières rigueurs aux nouveaux convertis assez indis- 
crets pour ne pas pratiquer ouvertement les cérémonies 
extérieures du culte, il ordonne d'appliquer la sévérité 
de l'ordonnance du 29 avril à tous ceux « à qui les acci- 
dents de la maladie n'avaient pas laissé leur bon sens, 
ou aux morts subitement. » Tout doit être majestueux 
et compassé, sous ce majestueux monarque ; et, mourir 
en enfance, ou trop prestement, devient une légèreté 
punissable. Enfin, une déclaration du 12 octobre 1687 
convertit en peine de mort celle des galères portée 
contre quiconque favorise la fuite des protestants à l'é- 
tranger (1). Les fugitifs eux-mêmes ne sont punis que des 
galères. Le complice est plus durement frappé que le 
principal coupable. Nous l'avons dit, c'est la loi en dé- 
mence. Et alors, qu'importe une absurdité de plus! 

On ne se préoccupait ni de justice, ni d'humanité, on 
ne songeait qu'au bon plaisir du roi, à ce qui lui était 
avantageux, ou même agréable ; seulement, on ne sa- 
vait que faire pour atteindre ce but. On défaisait au- 
jourd'hui ce que l'on avait fait hier. Les malheureux 
protestants ne savaient plus s'il fallait marcher vers la 
terre d'exil ou rester dans leur patrie, et les agents de 
Louvois flottaient indécis entre ces mesures souvent 
contradictoires et toujours arbitraires. 

C'est ainsi qu*à la date du 16 décembre 1685, Louvois 
donneàBpufflers les instructions suivantes : « Lavande 
quantité de nouveaux convertis qui sont sortis de Metz 

(1) lsambert, t. XX, p. 52. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 95 

ne peut qu'être avantageuse au service du roi ; et, sans 
Leur permettre de s'en aller, ni faire de vexations pour 
(les y obliger, vous pouvez compter que le service du roi 
requiert qu'il n'y en reste pas un' grand nombre. » 

Nous ne croyons pas que jamais ministre ait tenu un 
langage aussi profondément, inepte, anssi complètement 
dépourvu du sens politique le plus élémentaire. 

« Le moyen de faire que peu de gens s'en aillent, écri- 
vait-il aux intendants (8 décembre 1686), c'est de leur 
donner la liberté de le faire, sans néanmoins la leur té- 
moigner. » 

A d'autres au contraire il donnait des ordres tout diffé- 
rents (31 décembre 1686) : « Il n'y a point d'inconvénient 
de dissimuler les vols que font les paysans aux gens de 
la R. P. R. qu'ils trouvent désertant, afin de rendre leur 
passage plus difficile ; et même Sa Majesté désire que 
l'on leur promette, outre les dépouilles des gens qu'ils 
arrêteront, trois pistoles pour chacun de ceux qu'ils 
amèneront à la prochaine place... » — « Sa Majesté 
désire que vous fassiez en sorte que les paysans des Ar- 
dennes courent sus et même fassent main-basse sur 
ceux des religionnaires qui auront l'insolence de se dé- 
fendre, leur faisant entendre qu'on leur donnera tout le 
butin qu'ils feront, pourvu qu'ils les ramènent dans les 
prisons des places du roi les plus voisines (30 jan- 
vier 1686)... » 

Il fallait que le grand roi eût fait de la patrie un enfer, 
pour qu'en touchant la terre d'exil ces malheureux pous- 
sassent des cris de joie comme celui qui s'échappe de 
la poitrine de Jean Migault : 

« Le lendemain, qui était un dimanche, tous les voya- 
geurs assistèrent au service divin, dans une église fran- 
çaise de Rotterdam. Tous étaient impatients d'épancher 



96 HISTOIRE DES CAMISARDS 

leur cœur devant Dieu ; ils allaient habiter enfin une 
terre libre et chrétienne ! Gomment n'auraient-ils pas 
senti tout le prix d'un tel bonheur! J'aime à croire qu'il 
n'y en avait pas un seul dont le cœur ne fût plein de 
reconnaissance et d'amour (1). » 

On rencontrait dans le Poitou certains cantons privi- 
légiés dans lesquels la bonne harmonie avait toujours 
existé entre calvinistes et catholiques. Ces derniers ne 
s'opposaient point aux assemblées secrètes des nouveaux 
convertis, ne les dénonçaient point à l'autorité, refu- 
saient même de fournir des témoignages contre ces 
réunions, innocentes à leurs yeux. Louvois, sur la de- 
mande de Foucauld, traita en coupables ces complices, 
envoya dans ces cantons des régiments de cavalerie, 
« accabla de troupes les lieux dont ces habitants avaient 
assisté aux assemblées, et lui expédia un arrêt pour leur 
faire leur procès (9 février 1687).-» L'intendant du Poitou 
avait cru faire un exemple suffisant, et se montrer assez 
rigoureux en condamnant un ministre et trois hugue- 
nots, le premier à être pendu, les trois autres aux galères 
perpétuelles. Louvois lui écrivit de les faire pendre tous 
les quatre. 

Foucauld attribuait l'entêtement des nouveaux con- 
vertis aux lettres pastorales qu'ils recevaient de leurs 
ministres, réfugiés à l'étranger, et il proposait de faire 
arrêter aux frontières les lettres adressées aux pro- 
testants. Mais Louvois qui avait pour lui le revenu des 
postes, comme la Montespan s'était fait attribuer celui 
des tabacs, et qui retirait deux millions de rente des 
seules postes étrangères, Louvois feignit cette fois, pour 
le dépôt des lettres, un respect qui n'était guère dans 

(1) Jean Migault, Journal, p. 171. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 97 

les habitudes de la cour. « Il était donc beaucoup plus 
sacré pour lui que celui de la religion ! » dit Foucauld 
avec un regret amer (p. 342). 

Rien ne l'était cependant pour les exécuteurs des or- 
dres sanguinaires du ministre ; on ne respectait pas 
môme la douleur des veuves. Celle d'un pasteur de Châ- 
tellerault s'était cachée, sachant qu'on allait venir l'ar- 
rêter pour l'enfermer dans un couvent. A l'approche des 
soldats, elle perd la tête, va se précipiter dans un puits, 
d'où on la retire avant sa complète asphyxie, puis on 
la conduit aux Filles-Repenties de Poitiôrs, c'est-à-dire 
parmi les rebuts du lupanar (Foucauld, p. 3i9). A la fin 
de cette année, sauf quelques septuagénaires, toutes les 
femmes religionnaires du Poitou avaient été expédiées 
dans des couvents éloignés. 

Lorsque Fénelon arriva dans cette province pour y 
prêcher, il n'y trouva que le désert, « et sa voix évan- 
gélique exprima douloureusement les tristes effets des 
premières mesures (1). » 

Il est impossible d'évaluer les pertes que fit la France 
aune époque où les sciences de l'économie politique et 
de la statistique n'existaient pas. L'Angleterre, la Suisse, 
la Hollande, la Prusse, l'Allemagne tout entière, l'Amé- 
rique même, le Canada, recueillirent cinquante mille 
familles françaises, prises toutes parmi les plus riches, 
nobles, marchands, industriels, qui, indépendamment de 
la portion de leur fortune qu'ils parvinrent à réaliser, 
eur portèrent, trésor bien plus inappréciable, le secret 
de nos arts, de notre supériorité industrielle. L'œuvre 
de Colbert, si laborieusement élevée, s'écroula sous cette 
longue persécution qui ne cessa plus qu'avec la monar- 

(1) Joseph Guérillière, Histoire générale du Poitou, t. II, p. 400. 

6 



98 HISTOIRE DES CAMISARDS 

chie elle-même. Déjà en 1688, au dire de Vauban, neuf 
mille matelots, les meilleurs du royaume (1), six cents 
officiers, et douze mille soldats avaient déserté la France 
pour aller peupler les flottes et les armées des ennemis. 
Un faubourg tout entier de Londres se peupla de nos 
ouvriers en cristaux et en acier, de nos habiles tisseurs 
en soie de Lyon, ainsi que de Tours. Cette dernière ville 
disputait alors à la capitale des Lyonnais le sceptre de 
l'industrie de la soie. Plus de trois mille familles furent 
contraintes d'émigrer, et de quatre-vingt mille âmes, la 
population, d'sfprès le témoignage de l'intendant Hue de 
Miromesnil, y tombe à trente-trois mille : les métiers, 
de huit mille, descendirent à douze cents; les ouvriers 
de quarante mille à quatre mille. La consommation, 
qui avait été de quatre-vingt-dix bœufs par semaine, 
fléchit à vingt-six, le reste à proportion (2). 

« Les Français, dit Voltaire qui cette fois pourtant 
n'admire pas, furent dispersés plus loin que les Juifs. » 
Quelques-uns en effet s'enfuirent jusqu'aux extrémités 
de l'inhospitalière Afrique, où un neveu de Duquesne 
fonda une colonie vers le cap de Bonne-Espérance. 

Mais si la France se dépeuplait de l'élite de sa popula- 
tion au profit de l'Europe et de l'univers entier, en 
revanche les galères du roi se peuplaient de nobles, de 
bourgeois, de marchands, d'avocats, de médecins, de 
ministres, de protestants de tous états, et lorsque l'on. 
songe à ce qu'était cette société du dix-septième siècle 
qui les rejetait de son sein, on est tenté de répéter cette 
phrase de madame de Sévigné, quand elle voyait, lors 

(1) « Nos matelots n'étaient pas en grand nombre; la religion en 
avait fait évader une infinité, et des meilleurs... » Madame de La- 
fayette, Mémoires, p. 212. 

(2) Chalmel, Histoire de Touraine, 1. 1, p. 31 ; t. II, p. 480. 



HISTOIRE DES CAMISARBS 99 

des révoltes de 1675, enlever autour d'elle, « par cen- 
taines », ses chers Bretons que l'on envoyait ramer à 
Toulon ou ailleurs : « Ceux qui sont demeurés ici sont 
plus malheureux que ceux-là ; vos galériens me semblent 
une société d'honnêtes gens qui se sont retirés du 
monde pour mener une vie douce. » 

Pas si douce, cependant, que la spirituelle marquise 
veut bien le dire, et c'est encore une bien sinistre his- 
toire à ajouter à toutes les autres, que celle des galères 
du grand roi. Colbert voulut que la marine comptât tou- 
jours cent galères. Chacune avait de vingt-cinq à trente 
bancs, avec cinq ou six rameurs sur chaque banc. Il 
fallait donc un personnel toujours complet de quinze à 
dix-huit mille galériens, et pour se les procurer, ainsi 
que pour les garder quand on les tenait, on faisait des 
choses qui méritaient que l'on y envoyât intendants et 
magistrats. L'intendant des galères de Marseille, Arnoul, 
qui appelait le peuple « la bête à cent têtes », avouait 
que « la grande passion qu'il avait pour ce corps » lui fai- 
sait donner une extension extrême à l'arrêt contre les 
bohèmes et les vagabonds. Une fois, il avait fait arrêter 
par un garde, il s'en vante à Colbert comme d'un acte 
de zèle (9 janvier 1668), cinq individus qu'il avait fait 
condamner à la rame, par cette seule raison que « les 
habitants lui avaient dit que ces gens-là ne faisaient que 
rôdera l'entour du village cherchant peut être, je rien 
sais rien, à dérober. » 

On se passionnait volontiers, paraît-il, pour les ga- 
lères, et le duc de Beaufort partageait les sentiments 
d'Arnoul et de madame de Sévigné pour cette insti- 
tution : « J'ai donné deux grands Turcs dont le vice-roi 
m'avait l'ait présent, écrivait-il à Colbert (18 octobre 
1563), et s'il m'était permis, j'y mettrais jusqu'à mes 



100 HISTOIRE LES CAMISARDS 

valets. » Aussi, quand on y était, ne pouvait-on plus 
s'en arracher. Vous aviez été condamné à dix années de 
galères : si l'on était bien content de vous, on vous y 
gardait pendant vingt ans, pendant trente ans, on vous 
y gardait toujours. Toutefois, Arnoul conseillait d'en 
relâcher de loin en loin quelques-uns de ceux qui avaient 
fait leur temps «Et, ajoute-t-il, quand bien môme il 
leur resterait quelque petite vigueur, il est très-impor- 
tant d'en laisser sortir quelques-uns qui aient fait leur 
temps, et qui ne paraissent sortir que sous ce prétexte, 
pour guérir la fantaisie blessée de ceux qui ont passé le 
temps de leur condamnation, que le désespoir saisit, et 
qui commettent sur eux-mêmes des excès pour recou- 
vrer leur liberté. » 

Colbert n'eut pas égard à cette demande si légitime ( 
car, à sept années delà, l'évoque de Marseille lui mande, 
en date du 31 janvier 1673, sans récriminer, mais seule- 
ment pour constater un fait usuel et normal, qu'il y a 
des forçats qui ont doublé et triplé le temps de leur con- 
damnation et qui attendent encore, ou plutôt qui n'at- 
tendent plus leur élargissement (I). Comme Arnoul, et 
sans protester contre une iniquité indigne, il se contente 
d'exprimer le vœu que le roi fasse chaque année quelques 
grâces pour donner courage et espoir à ceux que l'on 
détient ainsi. Sous la monarchie du droit divin, la justice 
s'appelait une grâce. Mais on n'obtenait ni grâce ni 
justice, ainsi que le prouvent ces lignes de Dangeau, 
écrites le 25 novembre 1697 : 

« Le roi a résolu d'ôter de dessus ses galères beaucoup 
de ceux qui ont fait leur temps, quoique la coutume fût 
établie depuis longtemps d'y laisser également ceux qui 

(l) Depping, Correspondance administrative, t. 11, passim. 



HISTOIRE DES CAMISÂRDS 101 

yétaiont condamnés pour toute la vie et ceux qui y étaient 
condamnés pour un certain nombre d'années. On en 
tirera aussi tous les invalides, et on a résolu d'envoyer 
tous ces misérables-là dans nos îles d'Amérique poul- 
ies peupler (IV » 

Il faut dire que, par une compensation étrange et qui 
ajoute une dernière touche au tableau, on relâchait par- 
fois en masse ceiïx qu'un autre devoir non moins impé- 
rieux commandait de retenir sous les verrous. Le 1 er mars 
1707, un nouvel évêque est nommé à Orléans et y fait 
son entrée. Pour faire à peu de frais largesse au peuple, 
il ordonne d'ouvrir toutes les prisons et délivre du coup 
850 criminels incendiaires, faux-monnayeurs et assas- 
sins. 

Arnoul raconte qu'il lâche, mais avec une grande 
réserve, ceux qui, ayant fait leur temps, mettent un 
Turc à leur place; de quelques-uns, des meilleurs ou des 
bandits de bonne maison, il exigeait deux Turcs, pour 
éviter « le mauvais effet que cela pourrait faire dan? 
l'esprit des parlements, qui, n'examinant pas toujours 
les affaires à fond, pourraient dire qu'au lieu de con- 
damner aux galères ils n'auraient qu'à condamner à 
l'amende ou à un Turc, ce qui causerait de très -grands 
abus. » 

Un de ces malheureux dont le temps était expiré, se 
tordait de désespoir d'être attaché sur ce banc, tandis 
que loin de lui sa femme et ses enfants mouraient de 
faim, peut-être, privés de la présence de celui dont le 
travail les faisait vivre. L'aumônier général des galères, 
touché de cette douleur immense, sollicite de prendre 
la place de cet infortuné. Pour peu qu'il n'y eut pas une 

(1) LemeiUey, Nouveaux Mémoires de Daugeau, p. 111. 



102 HISTOIRE DES CAMISAHDS 

place vide sur le banc de la galère, il n'importait guère 
qu'un bandit lut libre et qu'un juste fût enchainé. Tant 
de bandits vivaient affranchis dans les \ Mes et les cam- 
pagnes du royaume, et tant d'honnêtes gens étaient au 
bagne, surtout depuis le grand attentat de 1685, que 
l'échange ne tirait pas à conséquence. Un accepta donc; 
le galérien s'éloigna, L'aumônier général fut attaché dans 
la chiourme des forçats, et ses pieds restèrent enflés pen- 
dant le reste de sa vie du poids des fers qu'il avait portés. 

Quand on songe que Jeanne d'Arc est montée sur 
l'échafaud et que Vincent de Paul a traîné le boulet des 
galériens, tandis que Dubois a porté la pourpre des car- 
dinaux et Louis XV celle des rois, on prend en grande 
pitié les choses de ce bas monde, châtiments et récom- 
penses, et l'on jette vers le ciel un regard de suprême 
espérance. 

Donc, on faisait son service au bagne comme aujour- 
d'hui à l'armée, et, grâce à la misère effroyable de ces 
temps maudits, il se trouvait des gens, martyrs sublimes 
peut-être, qui, pour donner le dernier morceau de pain 
à leurs familles, passaient, le front courbé, sous la porte 
de cet autre enfer au seuil duquel il fallait laisser toute 
espérance. 

On connaît l'histoire du galérien Fabre, le héros du 
drame de l'honnête criminel. En 1732, un détachement 
fut envoyé pour dissiper une assemblée de calvinistes. 
Gomme toujours, les hommes furent condamnés auxga- 
lères ; les femmes à la réclusion perpétuelle. Fabre se 
trouvait parmi les premiers. Son fils se rendit sur le 
passage de la chaîne, et, à prix d'or, obtint du con- 
ducteur de remplacer son père. Mais déjà les temps 
étaient moins durs. La révolution approchait ;le souffle 
de l'esprit nouveau ébranlait le vieux monde monar- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 103 

chique ; Fabre fut relâché après six années seulement de 
séjour sur les galères. 

Un gentilhomme condamné pour assassinat ou faux- 
monnayage, achetait un Turc pour se faire remplacer.. 
Le Turc devint une marchandise fort recherchée. Les 
chevaliers de Malte ou les vaisseaux des puissances 
étrangères en enlevaient beaucoup. On se traitait de 
Turc à More : lorsqu'on saisissait un brigantin turc, on 
envoyait tout l'équipage aux galères. Louis eût pu pro- 
poser de l'échanger contre des chrétiens esclaves chez 
les peuples barbaresques qui ne restaient pas en retard 
et faisaient sur nos côtes des razzias pareilles : il n'y 
songea jamais. Regnard fut enlevé ainsi pour être vendu 
à Alger ; celui-là, cependant, eût bien valu d'être ra- 
cheté au prix d'un Turc ou deux des galères royales. Et 
combien d'autres qui n'ont pas, comme l'auteur du 
Légataire universel, laissé leurs Mémoires. 

Il y avait des catégories plus ou moins appréciées, et 
l'on faisait ouvertement trafic de chair humaine pour 
le grand roi. On achetait des Russes captifs et esclaves 
chez les Turcs ; ils devenaient forçats et esclaves chez 
le roi très-chrétien, sans même rencontrer l'avantage 
qu'au dire d'Arnoul, ils trouvaient chez les musul- 
mans, de n'être pas tourmentés pour leur religion. Le 
Grand-Turc était plus tolérant que Louis XIV ! (Jue l'on 
fût bandit, voleur, assassin, rien de mieux : mais dès 
que l'on était chrétien, il fallait, même au bagne, être 
de la communion du roi. Quant aux Juifs, l'intendant 
des galères en essaya, mais en fut mauvais marchand. 
Par bonheur, ce commerce de galériens se faisait avec 
probité et garantie delà marchandise livrée. Aussi fait-il 
très-bien observer à Colbert qu'il les rendra, « en me 
rendant mon argent et autres frais. » 



104 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Pellot, intendant du Poitou, annonçait à Colbert ce 
qu'il avait à faire pourobéir à ses instructions (4 janv., 
8 av. 16(31) : « J'écrirai aux officiers des présidiaux de 
mon département, afin qu'ils condamnent le plus qu'ils 
pourront les criminels aux galères... Si l'on donne la 
peine des galères aux faux-sauniers de la Touraine, l'on 
en aura beaucoup par ce moyen-là: vous pouvez 
prendre la peine d'écrire à M. Legay. Ce sont bons 
hommes et vigoureux, et fort propres à servir à ce mé- 
tier, et dont on purge ainsi le pays. J'en peux parler 
par expérience, en ayant tiré 80 ou 100 des prisons de 
ce pays-là, que je fis conduire et embarquer alors que 
j'eus ordre défaire des recrues (V infanterie pour l'armée 
de Flandre (1). Il y a des gens de Périgord qui viennent 
en Limousin, et qui servent aux gentilshommes quand 
ils en ont besoin pour faire des assemblées et lever la 
gerbe contre toute justice, et l'autorité du roi et ses dé- 
fenses. Quand je saurai que ces gens gagés ainsi et sans 
aveu sont en campagne, je tâcherai de mettre à leurs 
trousses quelques compagnies de dragons, et les ayant 
livrés au présidial, d'en faire un beau coup de filet pour 
la chaîne... J'ai jugé àBellac, avec les officiers du siège 
royal, les gens attroupés du marquis de la Ponze. Il y 
en a cinq condamnés aux galères, compris le capitaine 
La Treille. Il n'a pas tenu à moi qu'il n'y en ait eu da- 
vantage ; mais Ion nesl pas maître des juges.. » Il insiste 
souvent pour que l'on enlève vite Jes forçats, ce qui ne 
peut manquer d'encourager les juges à multiplier les 
condamnations aux galères. 

Yers la môme époque, l'intendant d'Orléans fait valoir 



(1) Louis XIV faisait souvent ses recrues au bagne. Voir notre 
France sous Louis XIV, t. II, p. 171. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 105 

auprès de Colbert les services qu'il rend dans le môme 
sens : « Cette lettre, dit-il, sera seulement pour vous 
informer de ce que j'ai fait pour l'exécution de la vo- 
lonté du roi, pour le. regard des criminels que Sa Ma- 
jesté désire être condamnés aux galères, afin de rétablir 
ce corps qui est nécessaire à l'État. J'ai fait entendre 
aux officiers du présidial et prévôté de cette ville l'in- 
tention de Sa Majesté... » Le roi, en effet, avait ordonné 
de condamner aux galères tous les criminels qui 
avaient encouru la peine de mort, et comme la pénalité 
n'était fixée sur rien, que beaucoup de peines étaient 
laissées à l'arbitraire des juges, il leur était très-facile 
d'obéir à ses ordres. 

Le chevalier de Goût écrivait d'Orange à Colbert 
(28juin 1662) : « J'ai un bon forçat que j'ai fait condamner 
à ce Parlement, que j'enverrai à Toulon ; et si je puis 
attrapper encore deux huguenots qui ont fait les inso- 
lents à la procession de la Fête-Dieu, je les enverrai de 
compagnie. » 

L'intendant de la marine deToulon se plaint (29 août 
■1662) qu'un de ses forçats lui a été enlevé en route 
« par nombre de noblesse asemblée, qui était un gentil- 
homme nommé de Minty, filleul de M. le duc de Ma- 
zarin...» Le corps de la noblesse fournissait, en effet, 
un assez bon contingent de forçats, surtout en qualité 
de faux-monnayeurs (1), et l'on regardait comme 
quelque chose de fort avantageux quand les forçats 
abondaient. « C'est une bonne nouvelle pour Sa Majesté, 
écrit Colbert (22 janv. 1666), qu'il y ait trente bons forçats 
dans la conciergerie de Rennes. » Louis eût pu recevoir 
bien plus souvent de ces heureuses nouvelles-là, car, au 

(l) Colbert à de Harlay, 3 iléc. L6G6. — Depping, t. II. 



106 HISTOIBE DES CAMISARDS 

dix-seplième siècle, on pouvait dire du forçat <:e que 
l'on a dit de l'esprit: il courait les rues, il n'y avait qu'à 
se baisser, et encore fort peu, pour en prendre. Le grand 
obstacle venait delà parcimonie des fermiers ou receveurs 
du roi, qui refusaient de fournir aux frais nécessaires pour 
instruire les procès et faire punir les criminels (1). il est 
vrai qu'il y avait aussi un peu de la faute de la justice 
elle-même, qui coûtait beaucoup plus qu'elle ne valait, 
et était devenue tellement ruineuse, que tous les crimes 
demeuraient impunis (2). Lesjuges prenant plus que les 
autres voleurs, il valait mieux s'en tenir aux derniers, 
sans passer encore par les mains des premiers. 

Si l'avarice des fermiers des droits du roi était cause 
que l'on poursuivait seulement un petit nombre de 
galériens qui couraient la France, l'avarice de ceux 
qui conduisaient les ebaînes faisait que la plupart mou- 
raient de misère et de faim dans le trajet, entre les di- 
verses conciergeries du centre et les ports où ils devaient 
être employés; les plus robustes arrivaient mourants (3). 
Une fois rendus à destination, ils étaient vêtus de rouge, 
la barbe, les cheveux, les sourcils rasés, et comme on 
coupait le nez et les oreilles à tous les forçats qui s'é- 
taient évadés et qu'on avait repris, on juge si ce person- 
nel était assez hideux. Chargés d'une chaîne de trois 
pieds de long à la jambe, ils étaient rivés pour toujours 
à leur banc, de jour, de nuit: ils y mangeaient, ils y 
dormaient, ils y vivaient; la mort seule brisait leurs 
liens. 



(1) De Poutac, procureur général au parlement de Bordeaux, à 
Colbert, 8 février 1661. 

(2) Note du commissaire du roi auprès des états du Languedoc,. 
Béziers, 7 décembre 1685. 

(3) Le marquis de Ternes à Colbert, 29 nov. 1667. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 107 

A l'approche du combat, le garde-chiourme criait : 
« Alerte ! le tap en bouche ! » Le tap était un bâillon, un 
morceau de liège d'un pouce d'épaisseur et trois pouces 
carrés, qui pendait attaché au cou, dans lequel on les 
faisait mordre, et qu'au signal donné chacun retenait 
devant ses lèvres par deux cordons liés fortement der- 
rière la tête. Alors la mitraille pouvait pleuvoir sur les 
galères, on pouvait risquer l'abordage, aucun cri, aucun 
gémissement ne troublait les ordres des chefs, ni l'har- 
monie de la manœuvre ; les blessures arrivaient, la mort 
survenait, le voisin n'était averti de celle de son voisin 
que parce qu'il le voyait s'affaisser sur lui-même. Les 
cris des blessés, des mourants eussent pu jeter le dé- 
couragement dans l'âme de ces hommes que l'on 
menait au combat sans les laisser combattre, sans qu'ils 
pussent s'enivrer du bruit, du mouvement, de la lutte, 
de toutes ces choses qui font passer sur l'horreur de ces 
hideuses boucheries humaines qui constituent les plus 
glorieuses éphémérides de l'histoire. 

L'amiral Baudin raconte qu'en 1846, étant alors préfet 
maritime à Toulon, le hasard lui fit trouver des papiers 
provenant d'une ancienne matricule du personnel des 
galères, vers la fin du règne de Louis XIV : « Vous avez 
remarqué, écrit-il, que des jeune gens de dix-huit, de 
seize, et même de quinze ans figurent au nombre de ceux 
qui ont été condamnés à vie pour cause de religion. Je 
me souviens d'une apostille qui a surtout excité mon at- 
tention, c'est celle relative à un malheureux enfant, con- 
damné, était-il dit, par M. de B avilie, pour avoir, étant 
âgé de plus de douze ans, accnmjjar/né son père et sa mère 
■au prêche. 

« Vous avez sans doute remarqué que toutes les con- 
damnations, sans exception, prononcées pour cause de re- 



108 HISTOIRE DES CAMISARDS 

ligion, sont des condamnations à vie; tandis que la plu- 
part des criminels, même de ceux qui sont coupables 
d'homicide, ne sont condamnés qu'à un petit nombre 
d'années seulement (1). » 

Les protestants se voyaient maltraités d'une façon 
toute particulière sur les galères royales. En frappant 
les bandits et les assasins, on ne vengeait que le roi, dont 
ils méprisaient les lois ; en martyrisant les réformés, on 
vengeait Dieu et Louis à la fois. A eux donc tous les coups 
et tous les mauvais traitements, à eux les dures corvées 
et les expéditions aventureuses. Lisez cette lettre de Sei- 
gnelay. en date du 18 avril 1686 ; 

« Comme rien ne peut tant contribuera rendre traita- 
bles les forçats qui sont encore huguenots et n'ont pas 
voulu se faire instruire, que la fatigue qu'ils auraient 
pendant une campagne, ne manquez pas de les mettre 
sur les galères qui iront à Alger (2). » 

Il faut lire les mémoires de Jean Martheille, si l'on 
veut descendre jusqu'aux derniers cercles de cet enfer 
qui eût fait reculer le Dante. Gela est écrit sans fiel, avec 
une résignation sublime, et l'accusation qui en ressort 
n'en est que plus terrible. 

Il était de Bergerac, les dragons allaient pénétrer chez 
lui, il se sauve avec un de ses amis, nommé Le Gras; ils 
traversent la France au millieu de mille dangers, arrivent 
jusqu'à la frontière du Nord, qu'ils allaient franchir lors- 
qu'ils sont trahis, vendus, livrés, traduits devant le par- 
lement de la province qui les acquitte, faute de preuves. 
Une chose, cependant, déposait contre eux: ils étaient 
sans passe-ports. Le procureur général en écrit au mi- 



(1) Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme, 1853, p. 53. 

(2) Depping, Corr. admin., t. IV, Introd., p. 26. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 109 

nistre d'État La Vrillière, « lui annonçant, dit Martheille, 
que nous avions fait preuve parfaite de notre innocence 
à sortir du royaume. » Quinze jours après, le président 
le fait appeler pour lui remettre la réponse du ministre, 
ainsi conçue : « Messieurs Jean Martheille, Daniel Legras 
s'étant trouvés sur la frontière du Nord sans passe-ports, 
Sa Majesté prétend qu'ils soient condamnés aux galères. 

« Je suis, messieurs, etc. Signé : Le marquis de la 
Vrillière. » 

Le greffier leur lut alors la sentence que le Parlement 
venait de rédiger : « Avons lesdits Jean Martheille et 
Daniel Legras, dûment atteints et convaincus" de faire 
profession de la R. P. R., et s'être mis en état de sortir 
du royaume pour professer librement la dite religion ; 
pour réparation de quoi, les condamnons à servir de 
forçats sur les galères du roi, à perpétuité. » 

« La lecture de cette sentence finie, je dis au con- 
seiller : 

— Comment, monsieur, le Parlement, un corps si vénéré 
et si judicieux, peut-il accorder la conclusion de cette 
sentence (atteints et convaincus), avec la déclaration 
de nous absoudre, comme il l'avait effectivement fait ? — 
Le Parlement, nous dit-il, vous a absous, mais la Cour, 
qui est supérieure au Parlement, vous condamne. — 
Mais où reste la justice, monsieur, qui doit diriger et 
l'un et l'autre tribunal ? — N'allez pas si avant, me répon- 
dit-il, ilne vous appartientpas d'approfondir ces choses. » 

Cet homme, cet innocent, que le bon plaisir du roi 
condamnait aux galères perpétuelles, avait seize ans ! 
C'était le 17 décembre : « il gelait, comme on dit, à pierres 
fendre. » La chaîne, composée de quatre cents forçats 
environ, dont vingt-deux criminels au môme titre que 
Martheille, quitte Paris pour se rendre à Marseille; 

7 



110 HISTOIRE DES CAMISARDS 

chacun d'eux portait environ cent cinquante livres de 
fer. A la fin de la première journée, ils arrivèrent à Cha- 
renton, accompagnés par quatre bourgeois de Paris qui, 
touchés de compassion, avaient donné cent écus au ca- 
pitaine afin qu'il se pourvût d'une ou deux charrettes 
pour le cas où quelques-uns des protestants n'eussent 
pu se traîner sur les routes. 

« A neuf heures du soir, qu'il faisait un grand clair de 
lune et une gelée, par un vent de bise qui tout glaçait, 
on décramponna la chaîne, et on nous fit tous sortir de 
l'écurie dans une spacieuse cour, close d'une muraille 
qui régnait devant cette hôtellerie. On fit arranger la 
chaîne à un bout de cette cour, ensuite on nous ordonna, 
le nerf de bœuf à la main, qui tombait comme grêle sur 
les paresseux, de nous dépouiller entièrement de tous 
nos habits, et de les mettre à nos pieds. 

« Il fallut obéir ; et nous, vingt-deux, ni plus ni moins 
que toute la chaîne, nous subîmes ce cruel traitement. 
Après que nous fûmes dépouillés, nus comme la main, 
on ordonna à la chaîne de marcher de front jusques à 
l'autre bout de la cour, où nous fûmes exposés au vent 
de bise pendant deux grosses heures ; pendant lequel 
temps les archers fouillèrent et visitèrent tous nos habits, 
sous prétexte d'y chercher couteaux, limes, et autres 
instruments propres à couper les chaînes. On peut juger 
si l'argent qui se trouva échappa des mains de ces har- 
pies ! Ils prirent tout ce qui les accommodait, mou- 
choirs, linge (s'il était un peu bon), tabatières, ciseaux, 
etc., et gardèrent tout, sans en avoir jamais rien rendu ; 
et lorsque ces pauvres misérables leur demandaient ce 
qu'on leur avait enlevé, ils étaient accablés de bourrades 
de leurs mousquetons, et de coups de bâton. 

« La visite de nos hardes étant faite, on ordonna à la 



HISTOIRE DES CAMISARDS 111 

chaîne de remarcher de front jusqu'à la place où nous 
avions quitté nos habits. Mais, ô spectacle cruel! la plu- 
part de ces malheureux, de même que nous, étions si 
raides du grand froid que nous avions souffert, qu'il 
nous était impossible de marcher, quelque petit espace 
qu'il y eut de l'endroit où nous étions jusques à nos 
habits. Ce fut alors que les coups de bâton et de nerf de 
bœuf plurent, et ce traitement horrible ne pouvant rani- 
mer ces pauvres corps, pour ainsi dire tout gelés et 
couchés, les uns raides morts, les autres mourants, ces 
barbares archers les traînaient par la chaine de leur cou, 
comme des charognes, leur corps ruisselant de sang 
des coups qu'ils avaient repus. Il en mourut, ce soir-là ou 
le lendemain, dix-huit... 

« Par une espèce de miracle, il n'y eut aucun de 
nous vingt- deux, qui y périt, ni pendant la route, où on 
nous fit encore trois fois cette barbare visite, en pleine 
campagne, avec un froid aussi grand et même plus rude 
qu'il n'était à Charenton... Ce qui nous aida le plus à 
nous réchauffer, et qui vraisemblablement, après Dieu, 
nous sauva le vie, ce fut le fumier des chevaux de cette 
écurie sur lequel nous étions assis ou à demi couchés. 
Pour moi, je me souviens que j'eus la facilité de m'y 
enterrer entièrement. Ceux qui purent le faire s'en trou- 
vèrent bien, se réchauffèrent, et se remirent bientôt... 

« Le lendemain, au matin, nous partîmes deCharenton. 
On mit sur les chariots quelques-uns de nous vingt-deux 
qui le requirent, sans qu'on les maltraitât le moins du 
monde; mais les autres malheureux, accablés de leurs 
souffrances du soir précédent, et quelques-uns à l'article 
de la mort, ne purent obtenir cette faveur qu'après avoir 
passé par l'épreuve du nerf de bœuf; pour les mettre 
sur les chariots, ou les détachait de la grande chaîne, 



112 11IST01HE DES CAM1SADDS 

et on les traînait par celle qu'ils avaient au cou, comme 
des bêtes mortes, jusqu'au chariot, où on les jetait comme 
des chiens, leurs jambes nues pendantes hors du chariot, 
où dans peu elles gelaient et leur faisaient souffrir des 
tourments inexprimables ; et, qui pis est, ceux qui se 
plaignaient ou se lamentaient sur ces chariots des maux 
qu'ils souffraient, on les achevait de tuer à grands coups 
de bâton. 

« On demandera ici pourquoi le capitaine delà chaîne 
n'épargnait pas plus leur vie, puisqu'il recevait vingt 
écus par tête pour ceux qu'il livrait vivants à Marseille, 
et rien pour ceux qui mouraient en chemin. La raison 
en est claire. C'est que le capitaine devait les faire voi- 
turer à ses dépens, et les voitures étant chères, il ne 
trouvait pas à beaucoup près son compte à les faire char- 
rier. Car, à faire charrier, par exemple, un homme jus- 
ques à Marseille , il lui en aurait coûté plus de quarante 
écus, sans la nourriture ; ce qui fait voir qu'il lui était 
plus profitable de les tuer que de les faire voiturer. lien 
était quitte en laissant au curé du premier village qui 
se présentait le soin d'enterrer ces corps morts, et en 
prenant une attestation dudit curé (1). >> 

Arrivés à Marseille, ils se virent livrés aux féroces 
caprices du comité et des deux sous-comites, pris parmi 
les mousses, «élevés dans la cruauté et à être sans pitié 
(p. v. 463), » et grandis dans le mépris et l'horreur du 
bétail humain que l'on abandonnait sans contrôle à leur 
brutalité sauvage. Non contents de les frapper sans cesse r 
ils leur infligeaient une rude bastonnade à la moindre 
dénonciation, à la plus légère faute. 

« Voici comment se pratique cette barbare exécution, 



(1) Jean Martheille, Mémoires, p. 333-337. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 113 

dit Martheille. On fait dépouiller tout nu, de la cein- 
ture en haut, le malheureux qui doit la recevoir. On lui 
fait mettre le ventre sur le coursier de la galère, ses 
jambes pendantes dans son banc, et ses bras dans le 
banc à l'opposite. On lui fait tenir les jambes par deux 
forçats, et les deux bras par deux autres, et le dos en 
haut tout à découvert et sans chemise ; et le comité est 
derrière lui, qui frappe avec une corde un robuste Turc 
pour l'animer à frapper de toutes ses forces avec une 
grosse corde sur le dos du pauvre patient. Ce Turc est 
aussi tout nu et sans chemise, et comme il sait qu'il n'y 
aurait pas de ménagement pour lui s'il épargnait le moins 
du monde le pauvre misérable que l'on châtie avec 
tant de cruauté, ilappliqueles coups de toutes ses forces, 
de sorte que chaque coup de corde qu'il donne 
fait une contusion élevée d'un pouce. Rarement ceux 
qui sont condamnés à souffrir un pareil supplice en 
peuvent-ils supporter dix à douze coups sans perdre la 
parole et le mouvement. Cela n'empêche pas que l'on 
ne continue à frapper sur ce pauvre corps, sans qu'il 
crie ni remue, jusqu'au nombre de coups auquel il est 
condamné par le major. Vingt ou trente coups n'est 
que pour les peccadilles ; mais j'ai vu qu'on en donnait 
cinquante ou quatre-vingts, et mômecent; mais ceux-là 
n'en reviennent guère. Après donc que ce pauvre patient 
a reçu les coups ordonnés , le barbier ou frater de la 
galère vient lui frotter le dos tout déchiré avec du fort 
vinaigre et du sel, pour faire reprendre la sensibilité à 
ce pauvre corps, et pour empêcher que la gangrène ne 
s'y mette (p. 123)... » 

Aux tortures physiques, il faut ajouter, pour ces pas- 
teurs vénérables, pour ces protestants, l'élite de la 
population du royaume, le supplice affreux du contact 



114 HISTOIRE DES CAMISARDS 

de ces forçats, rebut hideux d'une société déjà bien 
infâme, même dans ses plus hautes régions, et jusque 
sur le trône où l'on pouvait contempler l'insolent spec- 
tacle d'un prince faisant promener devant ses armées, 
dans la même voiture et à la face de la France, son 
épouse légitime et ses deux principales maîtresses, dont 
la plus nouvelle était elle-même mariée. 

Aux jours de ses désastres, quand les alliés vainqueurs 
dictaient les conditions de paix que subissait la France 
frémissante, il était une chose qu'ils réclamaient inces- 
samment, mais sur laquelle le grand roi se montrait 
inflexible. Ils demandaient la'liberté des malheureux cal- 
vinistes qui peuplaient les galères. Louis rendait les 
provinces, mais gardait fièrement ses galériens. Con- 
vaincu qu'à l'étranger ils vivraient et mourraient dans 
la religion que l'on avait enseignée à leur enfance, il se 
laissait aller à l'espoir que, sous le fouet du comité, ils 
embrasseraient à la lin la religion de Rome, et c'était 
pour lui une affaire de conscience de prolonger jusqu'à 
la mort leur supplice, leur agonie et leur martyre. 

De temps en temps, aux grandes fêtes, les aumôniers 
convertissaient quelques galériens catholiques que l'on 
disait huguenots. On en faisait un pompeux rapport au 
roi, et, à ce prix, on obtenait de lui qu'il ne songeât 
jamais à relâcher les autres (1). 

Pendant près d'un siècle, on continua de jeter aux ga- 
lères perpétuelles, sans jugement et pour toute la vie, 
des Français coupables de protestantisme. Ce fut seule- 
ment le 16 janvier 1763 que, dans une dépêche au duc de 
Choiseul, M. de Saint-Florentin signala l'étrangeté 
d'une situation pareille, à propos de trente-sept protes- 

(1) Martheille, p. 345. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 115 

tants détenus aux galères, et de vingt autres, prisonniers 
à Aiguës-Mortes, pour avoir assisté à une assemblée, et 
qui furent relâchés, grâce àlïntervention de l'Angleterre. 

« Le feu roi, disait M. de Saint- Florentin, avait si fort 
à cœur l'exécution des ordonnances qu'il avait données 
sur le fait de la religion que, par un règlement particu- 
lier concernant le détail des galères, et qui est dans vos 
bureaux, il décida qu aucun homme condamné pour cause 
de religion ne pourrait jamais sortir des galères (1). » 

Cette existence de damnés, à laquelle le pieux époux de 
la veuve Scarron condamnait ceux de ses sujets hugue- 
nots qu'il ne lui plaisait pas de faire massacrer par ses 
soudards, ou pendre, rouer, ou brûler par ses bourreaux ; 
cette existence, disons-nous, n'était cependant pas sans 
quelques compensations, elle avait ses jours de joies et 
de folles liesses : c'était quand quelques gentilshommes 
désœuvrés, quelques grandes dames ennuyées, quelques 
maîtresses influentes voulaient se donner la récréation de 
visiter les galères. Navires et personnel, tout faisait toi- 
lette, manœuvrait de son mieux, excitait les applaudisse- 
ments des spectateurs: 

« Une galère ainsi parée de tous ses ornements offre 
à la vue un spectacle qui frappe d'admiration ceux qui 
n'en voient que l'extérieur. Mais ceux qui portent leur 
imagination sur la misère de trois cents galériens qui 
composent la chiourme, rongés de vermine, le dos la- 
bouré de coups de corde, maigres et basanés par la ri- 
gueur des éléments et le manque de nourriture, en- 
chaînés nuit et jour et remis à la direction de trois 
cruels comités qui lqs traitent plus mal que les bêtes les 
plus viles: ceux, dis-je, qui font ces considérations dimi- 

(1) Bulletin du Protestantisme français, 1858, p. 78. 



H 6 HISTOIRE DES CAMISARDS 

nucnt infiniment leur admiration pour ce superbe exté- 
rieur. 

« Les seigneurs et dames, ayant parcouru les galères 
d'un bout à l'autre, reviennent à la poupe, s'asseyent sur 
des fauteuils; et le comité, ayant reçu l'ordre du ca- 
pitaine, commande l'exercice à la chiourme au son du 
sifflet. Au premier temps, ou coup de sifflet, ebacun ôte 
son bonnet de dessus sa tête; au second, sa casaque; 
au troisième, sa chemise. On ne voit alors que des corps 
nus... On les fait coucher tout à coup sur leurs bancs. 
Alors tous ces hommes se perdent à la vue. Après, on 
leur fait lever le doigt indice; on ne voit que des doigts; 
puis le bras; puis la tête; puis une jambe; puis les deux 
jambes; ensuite tout droits, sur leurs pieds; puis on leur 
ait à tous ouvrir la bouche ; puis tousser tous ensemble, 
s'embrasser, se jeter l'un l'autre à bas, et encore diverses 
postures indécentes et ridicules, et qui, au lieu de di- 
vertir les spectateurs, font concevoir aux honnêtes gens 
de l'horreur pour cet exercice, où l'on traite des 
hommes, et qui plus est, des chrétiens, comme s'ils 
étaient des bêtes brutes. Ces sortes d'exercices arrivent 
très-fréquemment, dans l'hiver comme dans l'été (1). » 

On avait vu parfois, au temps des Césars, quand, dans 
l'amphithéâtre, la chair des martyrs volait en éclats sous 
les fouets des tortionnaires, ou saignait sous les dents 
et les griffes des tigres et des lions, de vieux païens, subi- 
tement convertis, pousser le cri sublime de la Pauline de 
Corneille : 

— « Je vois ! je sais ! je crois !... » 

La férocité implacable des bourreaux du grand roi 
amena de pareils prodiges : 

(l) Martheille, p. 511-513. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 117 

« En 1700, tout retentit des gémissements de ceux qui 
languissaient dans les prisons et dans les fers. On voit, 
sur la fin d'avril, partir une chaîne de soixante-trois 
galériens, dont les crimes sont la fidélité, l'attachement 
et le zèle pour leur religion, et parmi lesquels on re- 
marque plusieurs pères de famille, plusieurs tètes à che- 
veux gris. Sur les galères, à Marseille, un réformé 
refuse de fléchir les genoux devant l'hostie, parce qu'il 
ne croit pas pouvoir le faire en concience; on l'étend 
sur le coursier ; le plus puissant Turc qui soit dans la 
galère, armé d'une corde goudronnée et trempée dans 
l'eau de mer, frappe de toutes ses forces ; le corps rebon- 
dit, retombe sous des coups terribles et redoublés, et ne 
fait plus qu'une plaie sanglante. Et quelle plume pourrait 
décrire des horreurs capables d'attendrir les forçats? 
Deux galériens, romains de religion, qui n'étaient pas 
là pour des excès de zèle, changent à la vue de cet 
affreux spectacle. Ils vont le déclarer à l'évêque de 
Marseille. On les associe aux souffrances de leurs nou- 
veaux frères, et ils en font leur joie et leur bonheur (1). » 

Les galères, telles que nous venons de les décrire, 
parurent au grand roi une peine trop douce encore 
pour de pareils criminels, puisque, nous l'avons vu, à 
partir de juillet 1680, hommes, femmes, enfants, tous 
ne furent plus passibles que d'une peine unique et 
égale, la mort : la mort sur place, autant que possible, 
ou la pendaison en masse pour les prisonniers. On 
tomba donc sur deux assemblées, à peu de jours de 
distance, à And use et au Vigan ; on massacra, sans 
faire quartier à personne, tout ce que l'on put tuer, on 



(1) Court de Gébelin, Histoire des troubles des Cèvennes, liv. I, 
p. 34-35. — Louis Figuier, Histoire du Merveilleux, t. II, p. 261. 



118 niSTOIRE DES CAMISARDS 

pendit haut et court tout ce que l'on put saisir, et l'on 
attendit. 

Hélas ! les infatigables convertisseurs comptèrent 
bientôt une déception de plus, et Bâville fut contraint 
d'avouer à la cour la complète insuffisance de cette 
nouvelle mesure (î). « Je viens d'apprendre que, di- 
manche dernier, 27 de ce mois, il y a eu une assemblée 
de près de quatre cents hommes, dont plusieurs étaient 
armés, dans le diocèse de Mende, au pied de la mon- 
tagne de Lozère. Bien que cette assemblée se soit tenue 
à près de 12 lieues de l'endroit où a été la dernière, je 
ne puis m'empêche'r d'être fort surpris d'un pareil évé- 
nement. Je croyais que le grand exemple que j'ai fait 
au Vigan et à Anduse mettrait, au moins pour quelque 
temps, les Gévennes en tranquillité. Mais, puisque ce 
dernier n'a de rien servi, je ne crois pas que l'on puisse 
rien espérer de ce genre de peine à l'avenir. Je crois 
même qu'il sera à la fin dangereux de le continuer ; et 
je crains que tant de condamnations à mort, dans une 
affaire mêlée de religion, n'irritent les esprits et n'en- 
durcissent tous les mauvais convertis par un si méchant 
exemple... » 

Mais il n'était pas aisé de prendre Louvois au dépourvu. 
Il songea à quelque chose de mieux que la mort, — à la 
transportation arbitraire, qui inspire moins d'horreur T 
parce que le sang ne coule pas, mais qui, combinant la 
captivité avec l'exil, tue presque aussi sûrement, et per- 
met de tuer à distance, au loin et par grandes masses. 
Les révoltés prétendent s'être retirés au désert. Il les 
prend au mot, et, si tuer les habitants ne suffit pas, il 
tuera le pays lui-môme et en fera un désert. Il confie ce 

(l) Bâville à Louvois, 29 octobre 1686. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 119 

nouveau projet à Bâville : « Je vous ai marqué que le roi 
se résoudra à changer tous les peuples des Gévennes ; 
c'est en effet son intention, s'il continue à s'y faire des 
assemblées, n'y ayant point de parti que Sa Majesté ne 
prenne pour mettre ce pays-là sur le pied d'être soumis 
à ses ordres (1). » 

Le duc de Noailles prévoit bien quelques difficultés 
dans l'exécution (2) : « J'avoue que cela m'afflige d'au- 
tant plus qu'après les châtiments rigoureux qui ont été 
faits avec si peu de fruit, depuis environ huit mois, au 
sujet de ces assemblées, on ne sait quasi plus quel parti 
prendre ponr ramener ces misérables et pour accorder 
les sentiments de la bonté et de la clémence du roi pour 
ses sujets, avec les desseins que le ciel lui a inspirés pour 
le bien de la religion et ce qu'il doit à son autorité. J'es- 
time que si Sa Majesté juge qu'il n'y ait d'autre remède 
que celui de changer quelques peuples des Gévennes, il 
faudra commencer par ceux qui ne font aucun com- 
merce, et qui habitent des montagnes inaccessibles, où 
la rudesse du climat et la température de l'air leur inspi- 
rent un esprit sauvage, tels que ceux de la dernière as- 
semblée; la perte de ces peuples étant d'une moindre 
conséquence pour la province que ceux qui contribuent 
au commerce. Si le roi prenait ce parti- là, il faudrait en- 
voyer ici au moins quatre bataillons pour l'exécution de 
ses ordres, qui ne se fera pas sans de grandes difficultés 
et de grandes peines pendant l'hiver. » 

En effet, le grand ministre paraît tenir compte de ces 
sages objections, et il amende son projet primitif (3) : 



(1) Louvois à Bâville, 21 octobre 1686. 

(2) Noailles à Bâville, 29 octobre 1686. 

(3) Louvois à Bâville, 29 novembre 1686. 



120 HISTOIRE DUS CAMISARDS 

« Il a paru extrêmement difficile d'ôter entièrement les 
peuples de plusieurs villages, pour y en mettre d'autres 
en leur place, et Sa Majesté a cru qu'il se fallait réduire 
à choisir, dans les endroits où les communautés, en gé- 
néral, sont moins bien converties, et où l'âpreté du pays 
les rend plus disposés à se soulever, ceux qui paraîtront 
avoirplusdecrédit,etlespluscapablesde commencer des 
séditions, pour les envoyer incessammentdans différents 
châteaux de la province, jusqu'à ce que deux vaisseaux, 
que le roi va faire armer à Marseille, soient en état de les 
transporter dans les îles de l'Amérique et du Canada, 
où ils peuvent être suivis par leurs femmes, si elles le dé- 
sirent. Sa Majesté s'attend que cet exemple, fait sur 
cent ou cent cinquante habitants des Cévennes, purgera 
le pays des plus dangereux, et imprimera une telle 
terreur aux autres qu'ils se contiendront mieux qu'ils 
n'ont fait par le passé. » 

Le marquis de La Trousse s'emploie activement avec 
Bàville à ce travail d'épuration. Au premier moment, le ré- 
sultat semble dépasser leurs espérances. Après un pre- 
mier coup de filet jeté à Nîmes, où l'on arrête une 
cinquantaine de personnes, La Trousse s'empresse de 
rendre compte au ministre des heureux effets de leur 
zèle (1) : « Je n'ai rien à me reprocher, Monseigneur, pour 
l'exécution de tous vos ordres ; mais j'ai affaire à des 
peuples les plus légers et les plus fous qu'il y ait au monde. 
Les habitants de Nîmes ont une telle peur qu'ils courent 
en foule aux églises ; ils demandent et voudraient qu'on 
leur donnât tous les sacrements en un môme jour, 
croyant par là se mettre à couvert de l'orage qu'ils 
croient être prêt à tomber sur leur têtes. Mon avis est 

(1) La Trousse à Louvois, 3, 7, 10 janvier 1687. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 121 

toujours, Monseigneur, qu'il ne faut point se reposer sur 
leurs belles paroles ; ce sont des canailles dans le fond, 
qui ne valent rien, et qui sont malintentionnés... 

« Nous avons composé une voiture de cent personnes 
pour les Iles, que nous ferons partir d'Aigues-Mortes 
par mer, le 24 ou 25 de ce mois, pour les conduire à 
Marseille. Toutes les mesures sont prises pour cela, 
comme aussi pour faire bientôt après une seconde et 
une troisième voiture de cent nouveaux convertis cha- 
cune, parce que nous prévoyons ne pouvoir nous dis- 
penser de faire sortir au moins trois cents personnes de 
cette province, à ne prendre que ceux qu'il est essentiel 
de chasser, et dont l'esprit mutin et dangereux les por- 
terait toujours à troubler les cantons dont on les tire. » 

Que l'on se figure quelle terreur inouïe devait presser 
toutes les poitrines, là où il suffisait de la volonté, de la 
rancune, du caprice, de la légèreté de l'intendant, d'un 
chef militaire, ou de quelqu'un de leurs subdélégués, 
pour vous faire arrêter par ce seul motif que l'on vous 
soupçonnait d'être, non pas même un protestant, mais 
un mauvais converti, et pour vous faire transporter par 
centaines, jeter aux galères, rouer vif, et torturer en cent 
façons ! Car ce n'étaient là que des mesures de surcroît, 
et l'ancienne pénalité n'avait rien perdu de ses rigueurs. 
Louvois-Satan le rappelle en passant (1) : « Sa Majesté 
n'a par cru qu'il convînt à son service de se dispenser 
entièrement de l'exécution de la déclaration qui con- 
damne à mort ceux qui assisteront à des assemblées. 
Elle désire que de ceux qui ont été à l'assemblée d'auprès 
de Nîmes, deux des plus coupables soient condamnés à 
mort, et que tous les autres hommes soient condamnés 

(!) Louvois à Bàville, 10 janvier 1687. 



122 HISTOIRE DES CAMISARDS 

aux galères. Si les preuves ne vous donnent point lieu 
de connaître qui sont les plus coupables, le roi désire 
que vous les fassiez tirer au sort, pour que deux d'iceux 
soient exécutés à mort. » 

Il craint que ses dignes agents ne faiblissent dans leur 
terrible besogne, il les reconforte et les ranime (1) : « Je 
n'ai rien à vous dire sur l'état où vous me mandez que 
sont les Cévennes, parce que rien ne convient moins au 
service du roi ni au bien de la province que de témoigner 
que l'on soit capable d'avoir pitié de gens qui se sont 
conduits comme ont fait ceux-là, lesquels doivent être 
abîmés de manière que l'état où ils demeureront serve 
d'exemple à tous les autres nouveaux convertis. » 

Ah ! vous avez reproché à notre glorieuse Révolution 
ses listes de suspects, ses échafauds, ses transportations ! 
Mais ceux qu'elle frappait le méritaient, étant tous des 
conspirateurs et des révoltés, ligués avec l'étranger en 
armes, tandis que Louis XIV frappait, en pleine paix, 
les meilleurs et les plus inoffensifs parmi ses sujets, 
qu'il poussait au désespoir. Mais la Terreur, — trop 
longue, hélas ! — ne put se soutenir que pendant quel- 
ques mois, tandis que les effroyables persécutions contre 
les calvinistes durèrent trente-cinq années, autant que 
lui et se prolongèrent même longtemps encore après 
que la mort en eut délivré la France. 



(1) Louvois àBàville, 28 janvier 1687. 



LA 

GUERRE DES CAMISARDS 

SECONDE PARTIE 



CHAPITRE I 



Les assemblées du désert. — Premières résistances armées dans 
les Cévenires. — Conjuration des trois hêtres. — Meurtre de 
l'inspecteur des missions. — Les Camisards. — Les prophètes 
cévenols. — La belle Isabeau. — Les petits prophètes dormants. 



On a voulu comparer la guerre des Camisards à l'insur- 
rection vendéenne de 1793. Historien de ces deux san- 
glants épisodes de nos annales, nous n'acceptons pas, 
pour les Cévenols, cette assimilation. Sans provocation 
aucune, les paysans du Bocage se soulevèrent contre la 
patrie à l'heure suprême où elle était envahie par toutes 
ses frontières, et quand elle ne leur demandait, comme 
au reste du pays, que le sacrifice de quelques-uns de 
leurs enfants pour voler à sa défense. Ils faillirent faire 
sombrer dans une mer de sang, ils exaspérèrent et ren- 
dirent furieuse cette sublime Révolution de 1781) dont 
eux, surtout, la race éternellement taillable et cor- 



124 HISTOIRK JiKS CAMISARDS 

véable, allaient cueillir les meilleurs fruits, et qui se 
montrait si merveilleusement conciliante à ses débuts, 
jusqu'au jour où elle se vit poussée à bout par les trahi- 
sons de la cour, du clergé et de la noblesse. 

Lorsque les pauvres habitants des montagnes cében- 
niques brandirent à la fin le bâton ferré des Jacques, il 
y avait vingt longues années, et plus, que le despotisme 
sauvage du grand roi faisait peser sur eux cette persécu- 
tion atroce qui les arrachait de leurs berceaux et n'ac- 
cordait pas même un tombeau à leurs cadavres, traînés 
sur la claie, déchiquetés par morceaux, brûlés pour en 
jeter les cendres aux quatre vents de l'horizon. De la 
naissance à la mort, la vie pour eux n'était qu'une longue 
torture. Louis avait élargi sous leurs pas et creusé à des 
profondeurs inouïes l'abîme des douleurs humaines. Ils 
avaient enfin touché le fond, et par ce beau désespoir 
dont parle le poëte, ils voulurent remonter à la surface, 
ou mourir. 

Nous osons affirmer que la Jacquerie vendéenne fut 
la plus coupable des révoltes, parce qu'elle est la plus 
injustifiée, tandis que celle des Camisards fut la plus 
légitime des insurrections, parce qu'elle était la plus 
inévitable. 

Ils ne pouvaient plus se marier, ensevelir leurs morts, 
élever leurs enfants. 11 n'y avait plus pour eux ni patrie, 
ni religion, ni propriété, ni famille. On leur enlevait les 
titres du citoyen, les droits de l'homme, ils étaient 
rejetés hors delà loi civile et de la loi religieuse, hors 
de l'humanité, et voici ce qu'écrivait un homme qui, 
certes, n'avait nul goût aux batailles ni aux luttes ar- 
mées, Jean-Jacques Rousseau dans sa lettre immortelle 
à M. de Beaumont: 

« Le seul cas qui force un peuple ainsi dénué de chefs 



HISTOIRE DES CAMISARDS 125 

à prendre les armes, c'est quand, réduit au désespoir 
par ses persécuteurs, il voit qu'il ne lui reste plus de 
choix que dans la manière de périr. Telle fut, au com- 
mencement de ce siècle, la guerre des Camisards. Alors 
on est tout étonné de la force qu'un parti méprisé tire 
de son désespoir : c'est ce que jamais les persécuteurs 
n'ont su calculer d'avance. Cependant de telles guerres 
coûtent tant de sang, qu'ils devraient bien y songer 
avant de les rendre inévitables. » 

On rencontrait dans le Languedoc une population pro- 
testante plus nombreuse que dans le reste du royaume. 
Là, brûlées par le soleil du midi, les têtes sont ardentes 
et promptes à s'exalter. Et, dans le Languedoc, il y avait 
les Cévennes*, qu'habitaient des hommes grossiers, igno- 
rants, isolés du reste du monde au milieu de leurs 
montagnes sauvages que la neige couvrait pendant de 
longs mois de l'année, et qui, encore aujourd'hui, por- 
tent la redoutable coutelière suspendue à leur côté, ou 
fixée entre les boutonnières de leur veste. 

Après que l'on eut renversé les temples où ils allaient, 
aux pieds de l'Eternel, puiser la force de lutter contre les 
rigueurs de la création et de résister à la triple tyrannie 
du fisc royal, du clergé et des gentilshommes, ils se ras- 
semblèrent, d'abord inoff'ensifs et sans armes, dans ces 
Assemblées du Désert, comme ils les appelaient dans leur 
langage biblique, où un ministre, qui ne savait pas, en 
commençant, si sa voix ne serait pas éteinte avec sa vie 
sous la fusillade des dragons embusqués aux environs, 
venait leur parler de Dieu et des espérances d'un monde 
moins rigoureux. 

Un de ceux que l'on appelait les Anciens organisait 
l'assemblée, faisait les convocations. Dépêché par lui, en 
émissaire, protégé par la pénombre de l'aurore ou du 



126 HISTOIRE DES CAMISARDS 

crépuscule, traversait le village, heurtait mystérieuse- 
ment à la porte entre-bâillée, jetait à demi-voix quel- 
ques mots en passant : « Demain, à minuit, en tel lieu, 
tel ministre fera entendre la parole de Dieu...» 

La nuit venue, on partait, par petites bandes, pour ne 
pas éveiller les soupçons. On allongeait à dessein sa 
route, on multipliait les détours, on prenait des chemins 
différents afin de déjouer la surveillance des espions, 
dont la cour soudoyait si largement l'infamie. Vieil- 
lards, femmes, enfants risquaient le dangereux pèleri- 
nage. Les enfants fatigués pleuraient; pour apaiser 
leurs cris, les hommes les chargeaient sur leurs épaules, 
et franchissaient ainsi les ravins, que l'obscurité des 
nuits rendait plus périlleux. Dans ces morftagnes, elles 
sont glacées en hiver, bien souvent orageuses en été. Par 
la bise ou par la pluie, quand on n'avait pas été trahi, 
quand le rendez-vous n'avait pas été contremandé, on 
se rencontrait, par centaines, parfois par milliers, dans 
quelque carrefour caché au plus profond des forêts, dans 
quelque ferme dont on ne pouvait plus compromettre 
les habitants en fuite, dans quelque caverne bien cachée, 
et c'est là ce qu'ils appelaient le Désert. 

Les femmes surtout, toujours plus enthouasiastes, et 
souvent plus courageuses que les hommes, y accouraient 
en foule. Les plus robustes, les plus avisés parmi les as- 
sistants étaient posés en sentinelles, et par des cris con- 
venus, avertissaient de l'approche de l'ennemi. Bien de 
fausses alertes troublaient les assemblées. Puis enfin, 
lorsque le pasteur arrivait, vers le milieu de la nuit, l'of- 
fice divin commençait. On chantait des psaumes, le pré- 
dicant lisait quelques chapitres de la Bible, donnait le si- 
gnal de la prière commune. Ce n'était point l'éloquence 
savante des Bourdaloue ou des Bossuet. L'orateur, quel- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 127 

quefois presque illettré, improvisait de longs discours, 
allongés encore par des citations des Livres Saints prodi- 
guées sans mesure. Mais ces naïvetés devenaient tou- 
chantes, tant le cœur était bien sur les lèvres de celui 
qui parlait, comme il était dans toutes les oreilles de 
ceux qui écoutaient. La paix, la charité, la patience 
étaient seules invoquées, et l'on promettait les féli- 
cités célestes pour récompense des tortures endurées 
sur cette terre des méchants. 

Les mariages, les baptêmes se faisaient généralement 
au Désert, les premiers, après des publications faites dans 
les Assemblées, les secondes dans les fermes isolées 
où l'on apportait les nouveau-nés. Mais souvent aussi 
beaucoup, redoutant les dangers laissés après elles par 
ces formalités que ne reconnaissait par la loi civile, 
achetaient, de la vénalité des curés, des bénédictions 
de mauvais aloi. On en rencontrait, parmi ceux-ci, qui se 
faisaient payer jusqu'à quinze pistoles (150 livres), et un 
évêque de Gap dénonçait trente mariages bénis de cette 
manière dans une seule de ses paroisses (1). 

Lors de la paix de Ryswick (20 septembre 1697) , 
après vingt années de guerres effroyables, de dévasta- 
tions et d'incendies sans exemple dans l'histoire, après 
que l'on eut doublé les effectifs militaires, dépensé 
les hommes par centaines de mille et l'argent par cen- 
taines de millions, le roi-soleil, après tant de Te Deum 
chantés dans ses églises, rendit toutes ses conquêtes (2), 
céda sur tous les points, un seul excepté, comme toujours, 
la rentrée de ses sujets huguenots. Immuable à cet 



(1) Ed. Hugues, Hist. de la Restauration du Protestantisme en 
France, t. I, p. 96. 

(2) Strasbourg, toutefois, resta à la France. 



128 HISTOIRE DES CAMISARDS 

égard, il répondit par un redoublement de rigueurs à l'in- 
solente prétention des alliés, qui réclamaient quelques 
garanties pour les calvinistes français. Il fallait bien, 
d'ailleurs, occuper l'armée, et puisqu'il était inévitable 
qu'elle pillât, mieux valait, après tout, qu'elle pillât les 
huguenots, et qu'elle laissât respirer un peu les bons 
catholiques. Cela sanctifiait en quelque sorte leurs 
crimes, en faisant d'eux les instruments de Dieu. Ne 
faut-il pas des démons pour être les ministres des ven- 
geances du Très-Haut, et n'était-ce pas encore des élus, 
ceux-là qu'il choisissait pour leur commettre ses 
intérêts ? 

Lesédits se succédèrent donc, plus pressés que jamais. 
Nous ne les citerons pas, ils ne faisaient que reproduire 
les peines déjà édictées. Que pouvait-on y ajouter, lors- 
qu'elles punissaient de la mort la plus effroyable, du 
supplice de la roue ou du bûcher après la torture préa- 
lable, ordinaire et extraordinaire, des malheureux, cou- 
pables de ce forfait étrange, de s'être réunis pour chanter 
des psaumes ou pour prêcher sur la Bible ou sur 
l'Évangile ! 

Un détail précieux, cependant. Une ordonnance du 
5 mai 1699 défendit aux nouveaux convertis de vendre 
une partie de leurs immeubles ou l'universalité de leurs 
meubles, ni d'en disposer d'aucune manière, sous peine 
de nullité et de confiscation. La prohibition n'était que 
pour trois ans : seulement elle fut rafraîchie tous les 
trois ans, jusqu'à l'an de grâce 1789. 

Nous le répétons, il n'y avait donc nul avantage à 
embrasser la religion de Rome. Rien ne désarmait 
la défiance de Louis, et, sûrs désormais d'être per- 
sécutés, quoi qu'ils fissent, les calvinistes comprirent 
qu'il fallait mieux résister, fût-ce par les armes, que 



HISTOIRE DES CAM1SARDS 129 

de céder, sans espoir de détourner les fureurs royales. 

Sans doute Louvois-Satan n'était plus là (1), mais ses 
dragons d'enfer sentirent leurs narines se gonfler d'aise 
en aspirant par avance ces parfums de chair rôtie qui 
leur étaient promis. Les missionnaires reprirent leurs 
bottes, et clans tout le royaume, mais principalement 
dans les montagnes cébenniques, la situation devient 
plus effroyable qu'elle n'avait jamais été. On n'entendait 
parler que de prisons, de galères, de bûchers, d'enlè- 
vements d'enfants pour lesquels on exigeait des parents 
des pensions considérables, d'internements par lettres 
de cachet, detransportations. Les Assemblées du Désert 
étaient recherchées avec fureur; on traquait les réformés 
comme des bêtes fauves, on massacrait jusqu'aux enfants 
à la mamelle, on les arrachait du sein des mères 
éventrées, pour les porter en triomphe au bout des 
baïonnettes. Ceux que l'on saisissait étaient condamnés à 
mort, roués, pendus, brûlés ; les mieux traités obtenaient 
les galères perpétuelles, où les attendait l'horrible traite- 
ment que nous savons. 

Dans une seule expédition, à Orange, en 1698, on ar- 
rêta quatre-vingt-dix-sept hommes, dont soixante-onze 
furent condamnés aux galères perpétuelles, et trente- 
huit femmes, dont dix-neuf furent renfermées dans le 
château de Sommières (2). Mais les calvinistes avaient 
la fureur du martyre, comme les missionnaires bottés 
de Louis avaient la fureur du massacre: cela ne diminua 
pas la fréquence des assemblées, et la colère du roi 
grandissait à proportion de l'entêtement des résis- 
tances. 



(1) L'homme du Palalinat et des Cévennes, ce monstre qui, au 
xix c siècle, trouve encore des apologistes, était mort le L6 juillet L691. 

(2) Court de Gébelin, Histoire des troubles des Cévennes, t. I, p. 10. 



130 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Bien des scènes semblables attristèrent le cours de 
l'année 1701. En juin, vers Foissac, auprès d'Uzès, une 
assemblée nombreuse est massacrée par les dragons ; 
une autre en Vivarais, auprès d'Oulières. Bâville con- 
damne cinq personnes aux galères, et dix, dont une 
jeune fille, à être pendues dans divers lieux. Toutes les 
maisons de ceux qu'il frappait ainsi furent rasées, tous 
leurs biens confisqués. Ainsi, par une spéculation ha- 
bile, le grand roi prenait à la fois la bourse et la vie, et 
s'enrichissait de la fortune de ceux qu'il faisait assas- 
siner. Parmi ceux qui furent pendus, se trouvait un 
nommé Marlié, et ses deux fils. Le troisième meurt en 
prison. Il laissait une femme, qui se trouva, le même 
jour, sans mari, sans enfants, sans maison, sans biens. 

Une autre assemblée, à Sainte-Croix-de-Caderles, 
dans les Cévennes, amena des répressions semblables. 
Dans la nuit du 6 au 7 novembre, quinze personnes fu- 
rent tuées à celle de Tornac, les galères reçurent tous 
ceux que l'on arrêta dans le diocèse d'Uzès, il y eut dix- 
huit personnes tuées sur place, trois femmes enceintes 
éventrées... 

« J'en passe, et des meilleurs !... » 

Le même spectacle se continue en 1702 : assemblée 
écharpcc à Saint-Côme, dans la Vaunage ; dans les bois 
de Candiac, à Yauvert, le 3 juin, veille de la Pentecôte; 
là, quatorze hommes sont envoyés aux galères, trois 
filles sont fouettées, marquées de la fleur de lis par la 
main du bourreau, le prédicateur est pendu devant l'é- 
glise... 

Bien que les prédicants prêchassent, à l'origine tout 
au moins, la patience aux protestants qui se rendaient 
sans armes aux assemblées du Désert et le plus souvent 
se laissaient égorger sans essayer même de se défendre r 



HISTOIRE DES CAMISARDS 131 

c'était sur eux que s'acharnait surtout la rage des bour- 
reaux de Louis. Presque toujours ils étaient rompus 
vifs sur la roue. Il pensait que le plus effroyable de tous 
les supplices, celui que l'on tenait en réserve pour les 
assassins vieillis dans le crime, n'était pas de trop pour 
châtier ce forfait inouï, d'oser comprendre autrement 
que lui certains points obscurs du dogme catholique. 

Au premier rang parmi les causes qui lassèrent la 
patience des Cévenols et qui les contraignirent à se ré- 
volter, il faut compter « la conduite cruelle et barbare 
que les ecclésiastiques, évoques, grands vicaires, curés, 
les moines eux-mêmes tenaient à l'égard des protes- 
tants (1). n Mais les excès auxquels un faux zèle porta 
ces prêtres indignes pâlirent devant ceux de François 
de Langlade du Chayla, prieur de Laval, archiprêtre du 
diocèse de Mende, auquel Bâville avait fait confier, 
en 1687, l'inspection des missions des Cévennes. 

Cet homme avait cinquante-cinq ans lorsque arri- 
vèrent les événements que nous allons raconter. Gen- 
tilhomme et prêtre, il nourrissait contre les nu-pieds 
des Cévennes une double haine, celle de la caste, et 
celle de la croyance religieuse. D'une piété sombre et 
exaltée à la fois, de haute taille, de mine austère et bel- 
liqueuse, tout annonçait en lui le persécuteur ardent 
et implacable, le prêtre de l'Église militante. 11 avait 
fait ses premiers débuts dans l'apostolat bien loin de 
France, dans le royaume de Siam, et il était sincè- 
rement convaincu que les croyances des disciples de 
Luther et de Calvin étaient aussi éloignées de la vérité 
que celles des sectateurs de Bouddah. 

Lui-même avait connu le martyre. Les Indiens avaient 

(1) Court de Gébelin, t. I, p. 38. 



132 HISTOIRE DES CAMISARDS 

laissé pour mort le fougeux missionnaire, lorsqu'il fut 
recueilli par un pauvre Paria qui crut, en le sauvant, 
secourir une créature plus malheureuse que lui-même. 
Rentré dans sa patrie, son courage éprouvé le recom- 
mandait à l'attention du Père La Chaise, et Bàville re- 
connut vite en lui le fanatique qui devait servir d'ins- 
trument docile à ses desseins. Infatigable, il marchait 
la nuit à la tête des expéditions organisées pour sur- 
prendre les assemblées du Désert, et il renfermait les 
captifs qu'il faisait, dans le château qu'il occupait au 
bourg de Pont-de-Mont-Vert, transformé par lui en 
prison. 

Du Ghayla devait cette demeure à la libéralité de 
Louis XIV. Lors de l'une de ses furieuses expéditions 
de 1685, le duc de Noailles avait fait massacrer et traîner 
sur la claie un riche calviniste du pays, Louis, naturel- 
lement, dépouilla la veuve et les enfants de sa victime ; 
il confisqua tous ses biens, et donna gracieusement le 
château du protestant à celui qui venait les persécuter 
tous. 

Ce sont de tels faits qui ont conquis à l'époux de ma- 
dame de Main tenon sa renommée de grandeur et de gé- 
nérosité. 

C'était là qu'entouré de soudards aux ordres d'un état- 
major d'ecclésiastiques et de moines, l'inspecteur des 
missions épuisait contre ses prisonniers tous les raffine- 
ments de cette science de torturer dans laquelle les prê- 
tres n'ont point connu de rivaux et ne furent jamais dé- 
passés. Avec des pinces, il leur arrachait un à un les 
poils de la barbe, des sourcils, des cils ; il leur liait les 
doigts des deux mains avec des cordes de coton imbi- 
bées d'huile ou de graisse, qu'il faisait brûler lentement 
jusqu'à ce que les chairs fussent rôties jusqu'aux os. Il 






HISTOIRE DES CAMISARDS 133 

leur mettait des charbons ardents dans les mains qu'il 
fermait et comprimait violemment avec les siennes. Il 
plaçait ces malheureux dans les ceps, nom que l'on 
donnait à deux pièces de bois entre lesquelles il enga- 
geait leurs pieds de telle sorte qu'ils ne pouvaient se 
tenir ni assis ni debout sans souffrir les plus cruels 
tourments. Il multiplait les effets de sa rage contre les 
jeunes enfants, contre leurs mères (1). 

Un guide, nommé Massip, avait déjà su conduire, à 
travers mille dangers , plusieurs colonnes de fugitifs 
jusqu'à Genève. Du Chayla le fait surveiller, apprend 
qn'un nouveau convoi d'émigrants, composé surtout de 
femmes déguisées en hommes, va se mettre en route 
pour gagner la Rome des huguenots. Guidé par ses 
espions, il les fait arrêter tous, et, en attendant l'instruc- 
tion de leur procès, dont l'issue d'ailleurs n'était pas 
douteuse, il les fait mettre dans les ceps. Les parents, 
les amis de ces infortunées viennent se précipiter à ses 
pieds, lui offrant une rançon ; mais ce bourreau était 
incorruptible et ne se laissa pas séduire. Il voulait que 
Massip fût pendu, que les hommes fussent aux galères, 
les femmes aux Filles-Repenties. 

Désespérés, ils se retirent, et se donnent rendez-vous 
au sommet de la montagne du Bougés, qu'abritaient 
trois hêtres centenaires. C'était dans la nuit du 2! au 25 
juillet 1702. Là, trois hommes se rencontrèrent : Pierre- 
Esprit Séguier, Salomon Couderc, Abraham Mazel. De- 
puis que la persécution avait dispersé ou mis à mort les 
pasteurs protestants, ils s'étaient constitués eux-mêmes 
ministres prédicants et prophètes à la fois. Quarante-huit 
ou cinquante réformés vinrent les rejoindre, armés au 

(1) Court de Gébelin, t. I, p. 23. 



134 HISTOIRE DES CAMISARDS 

hasard de sabres, de fusils, de bâtons, de pistolets, de 
faux, de hallebardes. 

Esprit Séguier, cède à l'inspiration qui le domine : 
« Dieu le veut ! s'écria-t-il, Dieu nous commande de déli- 
vrer nos frères et nos sœurs, et d'exterminer cet archi- 
prêtre de Satan ! » 

Abraham Mazel, Salomon Gouderc appuient ses pa- 
roles de l'autorité des leurs, et la foule entraînée pousse 
le cri des croisés d'autrefois : « Dieu le veut ! Dieu le 
veut ! » 

Cette fameuse réunion du Bougés est connue sous 
le nom de la conjuration des trois hêtres. Elle fut le si- 
gnal et le point de départ de l'insurrection des Gé- 
vennes. 

Bientôt le sommeil des habitants de Pont-de-Mont-Vert 
fut interrompu par le chant lointain d'une grave mélopée. 
Les voix se rapprochent, le bruit grandit, on distingue 
bientôt les paroles d'un psaume de Marot que les pro- 
testants entonnaient avant de s'élancer au combat. Une 
avant-garde, traversant le village au pas de course, avait 
défendu que personne n'eût à se mettre aux fenêtres, 
sous peine de la vie. On entoure le château, dont les 
hôtes ont été réveillés déjà par les chants de plus en 
plus rapprochés. L'archiprêtre croit que les réformés 
ont l'insolence de venir faire une assemblée jusque 
dans le bourg même; il ordonne à ses gardes d'aller 
faire main basse sur ceux qui la composent. Mais déjà 
les cours de sa demeure sont envahies, et de toutes 
parts des voix furieuses réclament les prisonniers. Du 
Chayla ordonne de tirer sur les assaillants : un d'eux 
tombe frappé à mort. Alors, exaspérés, ils se font un 
bélier d'une poutre qu'ils ramassent, défoncent les 
portes et pénètrent dans le château, tandis que l'abbé 



HISTOIRE DES CAMISARDS 135' 

court se barricader dans un cabinet voûté du second 
étage. 

On se précipite vers les cachots, on trouve les mal- 
heureux captifs dans les ceps, moitié morts, n'ayant 
plus même la force de profiter de la liberté qu'on vient 
leur rendre. 

« Mort à l'archiprêtre ! » s'écrie la foule en furie. Ils- 
le cherchent en vain, et ne pouvant le découvrir, ils se 
décident à mettre le feu au château, bieu sûrs qu'il pé- 
rira sous ses ruines fumantes. 

Le feu gagne du terrain, le toit s'écroule, un débris 
de charpente blesse légèrement Du Chayla qui, à l'aide 
des draps de son lit, essaye de fuir par une fenêtre. 
Cette échelle improvisée se trouve trop courte, il tombe, 
et se brise la jambe. Il se traîne en rampant jusqu'à 
une haie qui clôt le jardin, mais qu'il ne peut franchir. 
Les flammes qui couronnaient le château et s'échap- 
paient de toutes les ouvertures dissipaient au loin les 
ténèbres ; il est reconnu, saisi, entraîné sur la princi- 
pale place du bourg. Il disputait de son mieux sa vie, 
mais à son tour il trouve les oreilles et les cœurs sourds 
à sa voix. 

— Ah ! leur dit-il, si je me suis damné, voulez-vous 
donc vous damner de môme? 

Il y eut alors une scène imposante, effroyable, éclairée 
par les lueurs de l'incendie et des torches que tenaient 
quelques-uns des révoltés. On délibéra, il fut décidé 
que l'archiprêtre avait mérité la mort. Ce fut une exé- 
cution, non un assassinat. Chacun s'avançait à son tour, 
et lui portait un coup qu'il s'efforçait de ne pas rendre 
mortel : 

— Tu as fait périr mon père sur la roue ; voilà pour 
mon père assassiné par toi! — Ma mère, ma sœur ont 



136 HISTOIRE DES CAMISARDS 

été enlevées, enfermées par ton ordre dans un de vos 
couvents maudits ; voilà pour ma mère, pour ma sœur ! 
— Tu as envoyé mon frère aux galères ; voilà pour mon 
frère I — Tu m'as enlevé la fortune de mes enfants ; 
voilà pour ma fortune détruite !... 

Les. crimes de ce monstre étaient trop nombreux, son 
corps n'avait pas assez de surface pour tant de coups, 
pas assez de vie pour les recevoir tous sans mourir. Ils 
étaient cinquante-deux : chacun avait une victime à 
venger; ils défilèrent à leur tour devant lui, et quand la 
lugubre procession eut passé, on compta cinquante- deux 
blessures sur son cadavre. 

On tua aussi un autre ecclésiastique, le cuisinier et 
le receveur de rentes de l'archiprètre. Un domestique 
et un soldat furent épargnés, parce que les prisonniers 
témoignèreut qu'ils n'avaient eu que de bons procédés 
pour eux (1). C'était donc bien un châtiment qu'ils pré- 
tendaient infliger, après avoir délivré leurs frères cap- 
tifs, et non des meurtres qu'ils voulaient aveuglément 
commettre. 

On dit que, pour se reconnaître dans cette première 
expédition, les Cévenols avaient passé par-dessus leurs 
vêtements une blouse de toile blanche, sorte de chemise 
qu'ils appelaient camisa dans leur patois languedocien, 
et que de là vint le nom de Camisards, sous lequel ils 
furent désignés. Suivant d'autres, il leur fut donné parce 
qu'ils changeaient volontiers leurs chemises sales contre 
des blanches lorsqu'ils en trouvaient chez les catholiques 
qu'ils pillaient. Quatre-vingt-dix années plus tard, les 
révoltés de la Vendée avaient aussi adopté cette facile 
manièrede blanchir leur lingeaupréjudice des patriotes. 

(1) Court, t. I, p. 52. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 137 

Enfin, suivant d'autres encore il \ienl de camùade, ancien 
terme de guerre tombé en désuétude, par lequel on dé- 
signait une expédition nocturne, à l'heure où chacun 
dort dans sa seule chemise pour tout costume. Les Céve- 
nols, en effet, affectionnaient les attaques de nuit, aux- 
quelles les chefs royalistes de 1793 ne purent jamais 
décider leurs hommes dont le courage avait besoin du 
grand jour. Par là encore les Camisards différèrent des 
Vendéens. 

Le monde n'a jamais rien vu de semblable à cette 
guerre des Cévennes. Dieu, les hommes et les démons se 
mirent de la partie, les corps et les esprits entrèrent en 
lutte, et, bien autrement encore que dans l'Ancien Tes- 
tament, les prophètes guidaient aux combats les guer- 
riers qui semblaient eux-mêmes ravis au-dessus des con- 
ditions ordinaires de la vie. 

Les sceptiques et les railleurs trouvent plus facile de 
nier ; la science déroutée craint de se compromettre, 
détourne ses regards et refuse de se prononcer. Mais 
comme il n'est pas de faits historiques qui soient plus 
incontestables que ceux-là, comme il n'en est pas qui 
aient été attestés par d'aussi nombreux témoins, la raille- 
rie, les fins de non-recevoir ne peuvent pas être admises 
plus longtemps. C'est devant le sérieux peuple anglais 
que les dépositions ont été juridiquement recueillies, 
avec les formes les plus solennelles, sous la dictée des 
protestants réfugiés, et elles ont été publiées àLondres, 
en 1707, alors que le souvenir de toutes ces choses était 
-encore vivant dans toutes les mémoires, et que les dé- 
mentis eussent pu les écraser sous leur nombre, si elles 
.eussent été fausses. 

Nous voulons parler du Théâtre sacré des Cévennes, ou 
Récit des diverses merveilles nouvellement opérées dans cette 

s. 



138 HISTOIRE DES CAMISARDS 

partie du Languedoc (1), auquel nous allons faire de larges 
emprunts. 

Les phénomènes étranges qui s'y trouvent rapportés 
ne cherchaient, pour se produire, ni l'ombre ni le mys- 
tère, ils se manifestaient devant les intendants, devant 
les généraux, devant les évêques, comme devant les igno- 
rants et les simples d'esprit. En était témoin qui voulait» 
et eût pu les étudier qui l'eût désiré. 

« J'ai vu dans ce genre, écrivait Villars à Chamaillard, 
le 25 septembre 1704 (2), des choses que je n'aurais ja- 
mais crues, si elles ne s'étaient pas passées sous mes 
yeux : une ville entière, dont toutes les femmes sans 
exception paraissent possédées du diable. Elles trem- 
blaient et prophétisaient publiquement dans les rues. 
J'en fis arrêter vingt des plus méchantes dont une eut la 
hardiesse de trembler et prophétiser devant moi. Je la 
fis pendre pour l'exemple, et renfermer les autres dans 
les hôpitaux. » 

De tels procédés étaient de mise sous Louis XIV, et 
faire pendre une pauvre femme parce qu'une force in- 
connue la contraignait à dire devant un maréchal de 
France des choses qui ne lui agréaient pas, pouvait être 
alors une façon d'agir qui ne révoltait personne, tant 
elle était simple et naturelle, et dans les habitudes des 
temps. Aujourd'hui, il faut avoir le courage d'aborder 
en face la difficulté et de lui chercher des solutions 
moins brutales et plus probantes. 

Nous ne croyons ni au merveilleux, ni aux miracles. 
Nous allons donc expliquer naturellement, de notre 



(1) Par Maximilien Misson, ancien conseiller au parlement de 
Paris, réfugié protestant à Londres, 1701. - 

(2) Villars, Mémoires, p. 142. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 139' 

mieux, ce grave problème historique, resté sans solu- 
tion jusque ici. Nous allons le faire en nous aidant des 
lumières que le magnétisme et le spiritualisme mettent 
aujourd'hui à notre disposition, sans prétendre d'ailleurs 
imposera personne ces croyances. 

Il est regrettable que nous ne puissions consacrer que 
quelques lignes à ce qui, on le comprend, exigerait un 
volume de développements. Nous dirons seulement, 
pour rassurer les esprits timides, que cela ne froisse en 
rien les idées chrétiennes ; nous n'en voulons pour 
preuve que- ces deux versets de l'Evangile de saint 
Mathieu : 

« Lors donc que l'on vous livrera entre les mains des 
gouverneurs et des rois, ne vous mettez point en peine 
comment vous leur parlerez ni de ce que vous leur 
direz : car ce que vous leur devez dire vous sera donné 
à l'heure même ; 

« Car ce n'est pas vous qui parlez, mais c'est l'Esprit 
de votre Père qui parle en vous (1). » 

Nous laissons aux commentateurs le soin do décider 
quel est, au vrai, cet esprit de notre père qui, à certains 
moments, se substitue à nous, parle à notre place et 
nous inspire (2). Peut-être pourrait-on dire que toute 
génération qui disparaît est le père et la mère de celle 
qui lui succède, et que les meilleurs parmi ceux qui 
semblent n'être plus, s'élevant rapidement lorsqu'ils sont 
débarrassés des entraves du corps matériel, viennent 



(1) Saint Mathieu, ch. X, vers. 19 et 20. 

20. « Non enim vos estis qui loquimini, sed spiritus patris vestri 
qui loquitur in vobis. » 

(2) Le prolixe Lemaistre de Sacy passe prudemment à coté de 
ces deux versets, sans en chercher ni le sens littéral, ni le sens spi- 
rituel. 



140 HISTOIRE DES CAMISARDS 

emprunter les organes de ceux de leurs fils qu'ils 
estiment dignes de leur servir d'interprètes, et qui ex- 
pieront chèrement un jour le mauvais usage qu'ils au- 
ront fait des facultés précieuses qui leur sont délé- 
guées. 

Le magnétisme réveille, surexcite et développe chez 
certains somnambules l'instinct que la nature a donné 
à tous les êtres pour leur guérison, et que notre civili- 
sation incomplète a étouffé en nous pour le remplacer 
par les fausses lueurs de la science. 

Le somnambule naturel met son rêve en action, voilà 
tout. Il n'emprunte rien aux autres, ne peut rien pour 
eux. 

Le somnambule fluidique, au contraire, celui chez 
lequel le contact du fluide du magnétiseur provoque cet 
état bizarre, se sent impérieusement tourmenté du désir 
de soulager ses frères. Il voit le mal, on vient lui in- 
diquer le remède. 

Le somnambule inspiré, qui peut parfois être en même 
temps fluidique, est le plus richement doué, et chez lui 
l'inspiration se maintient dans des sphères élevées lors- 
qu'elle se manifeste spontanément. Celui-là seul est un 
révélateur, c'est en lui seul que le progrès réside, parce 
que seul il est l'écho, l'instrument docile d'un esprit 
autre que le sien, et plus avancé. 

Le fluide est un aimant qui attire les morts bien-aimés 
vers ceux quirestent. Il se dégage abondamment des ins- 
pirés, et va éveiller l'attention des êtres partis les pre- 
miers, et qui leur sont sympathiques. Ceux-ci, de leur 
côté, épurés et éclairés par une vie meilleure, jugent 
mieux et connaissent mieux ces natures primitives, hon- 
nêtes, passives, qui peuvent leur servir d'intermédiaires 
dans l'ordre de faits qu'ils croient utile de leur révéler. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 141 

Au siècle dernier, on les appelait des extatiques. Au- 
jourd'hui, ce sont des médiums. 

Le spiritualisme est la correspondance des âmes entre 
elles. Suivant les adeptes de cette croyance, un être in- 
visible se met en communication avec un autre, jouis- 
sant d'une organisation particulière qui le rend apte à 
recevoir les pensées de ceux qui ont vécu, et à les écrire 
soit par une impulsion mécanique inconsciente im- 
primée à la main, soit par transmission directe à l'intelli- 
gence des médiums. 

Si l'on veut accorder pour un moment quelque 
créance à ces idées, on comprendra sans peine que les 
âmes indignées de ces martyrs que le grand roi immolait 
chaque jour par centaines, soient venues veiller sur les 
êtres chéris dont elles avaient été violemment séparées, 
qu'elles les aient soutenus, guidés, consolés au milieu 
de leurs dures épreuves, inspirés de leur esprit, qu'elles 
leur aient annoncé par avance, — ce qui eut lieu bien 
souvent, — les périls qui les menaçaient. 

Un petit nombre seulement étaient véritablement ins- 
pirés. Le dégagement fluidique qui sortait d'eux, comme 
de certains êtres supérieurs et privilégiés (1), agissait sur 
cette foule profondément troublée qui les entourait 
mais sans pouvoir développer chez la plupart d'entre 
eux autre cbose que les phénomènes grossiers et large- 
ment faillibles de l'hallucination. Inspirés et halluci- 



(l) Il y a une bien belle scène dans l'Évangile de saint Luc. Une 
femme malade s'approche de Jésus, touche ses vêtements, est guérie : 

46. « Jésus se retourna et dit : Quelqu'un m'a touché; car j'ai 
enti qu'une force est sortie de moi. » Ch. VIII. 

Jésus lui dit, avec le langage du Père qui parle par la bouche des 
inspirés : 

4S. « Ma pie, ta foi t'a guérie : Va en paix. » Ch. III, v. 40, 48. 



142 HISTOIRE DES OAMISARDS 

nés, tous avaient la prétention de prophétiser, mais ces 
derniers émettaient une foule d'erreurs au milieu des- 
quelles on ne pouvait plus, discerner les vérités que l'es- 
prit véritablement souillait aux premiers. Cette masse 
d'hallucinés réagissait à son tour sur les inspirés, et 
jetait le trouble au milieu de leurs manifestations. 

Après cette courte explication, nous allous raconter 
les scènes prodigieuses dont les Gévennes furent témoins 
pendant vingt années. 

Suivant Brueys, le protestant renégat, l'abbé dont on a 
d'excellentes comédies et de pitoyables livres de contro- 
verse religieuse, l'historien qui a su accomplir ce tour de 
force d'écrire trois volumes sur la révolte des Cévennes 
sans prononcer le nom des dragons ni le mot de dragon- 
nade ; suivant Brueys, disons-nous, cinq ou six cents pro- 
phètes apparurent tout à coup dans le Dauphiné, puis 
dans le Yivarais. Ils avaient eu, selon l'usage, un pré- 
curseur, qui n'était rien moins que le célèbre Jurieu, 
réfugié, ministre et professeur de théologie à Botterdam, 
depuis l'attentat du 22 octobre 1685. 

« Il fallait, dit l'abbé Pluquet (1), pour soutenir la foi 
des restes dispersés du protestantisme, des secours 
extraordinaires, des prodiges. Ils éclatèrent de toute 
parts parmi les réformés, pendant les quatre premières 
années qui suivirent la révocation de l'édit de Nantes. 
On entendit dans les airs, aux environs des lieux où il y 
avait eu autrefois des temples, des voix si parfaitement 
semblables aux chants des psaumes, tels que les protes- 
tants les chantent, qu'on ne put les prendre pour autre 
chose. Cette mélodie était céleste, et ces voix angéliques 
chantaient les psaumes selon la version de Clément 

(1) Auteur d'un Dictionnaire des Hérésies, 1762, vol. in-S°. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 143 

Marot et de Théodore de Bèze. Ces voix furent entendues 
dans le Béarn, dans les Cévennes, à Vassy, etc. Des 
minisires fugitifs furent escortés par cette divine psal- 
modie, et même la trompette ne les abandonna qu'après 
qu'ils eussent franchi les frontières du royaume. Jurieu 
rassembla avec soin les témoignages de ces merveilles, 
et en conclut que « Dieu s'étant fait des bouches au mi- 
« lieu des airs, c'était un reproche indirect que la Pro- 
« vidence faisait aux protestants de France de s'être tus 
« trop facilement. » Il osa prédire (1) qu'en 1689 le cal- 
vinisme serait rétabli en France (2)... 

— L'esprit du Seigneur sera avec vous, avait dit Jurieu 
il parlera par la bouche des enfants et des femmes, plutôt 
que de vous abandonner. 

C'était plus qu'il n'en fallait pour que les protestants 
persécutés s'attendissent à voir les femmes et les enfants 
se mettre à prophétiser. 

Un homme tenait chez lui, dans une verrerie cachée 
au sommet de la montagne dePeyra, en Dauphiné, une 
véritable école de prophétie. C'était un vieux gentil- 
homme nommé Du Serre, né dans le village de Dieu-le- 
Fit. Ici les origines sont un peu obscures. On dit qu'il 
s'était fait initier à Genève aux pratiques d'un art mys- 
térieux dont un petit nombre de personnages se trans- 
mettaient le secret. Rassemblant chez lui quelques jeunes 
garçons et quelques jeifnes filles, dont il avait sans doute 
observé la nature impressionnable et nerveuse, il les sou- 
mettait préalablement à des jeûnes austères; il agissait 



(1) Jurieu, Accomplissement des prophéties, ou la Délivrance de 
V Église, \oxc>, 2 vol. in-12. 

(2) Dictionnaire universel, historique, critique et bibliographique. 
V. Jurieu 



144 HISTOIRE DES CAMISARDS 

puissamment sur leur imagination, étendait vers eux ses 
mains comme pour imposer l'Esprit de Dieu, soufflait sur 
leurs fronts, et les faisait tomber comme inanimés devant 
lui, les yeux fermés, endormis, les membres raidis par la 
catalepsie, insensibles à la douleur, ne voyant, n'enten- 
dant plus rien de ce qui se passait autour d'eux, mais 
paraissant écouter des voix intérieures qui parlaient en 
eux, et voir des spectacles splendides dont ils racontaient 
les merveilles. Car, dans cet état bizarre, ils parlaient, 
ils écrivaient, puis revenus à leur état ordinaire, ils ne 
se rappelaient plus rien de ce qu'ils avaient fait, de ce 
qu'ils avaient dit, de ce qu'ils avaient écrit. 

Voilà ce que Brueys raconte de ces « petits prophètes 
dormants, » comme il les appelle (1). Nous trouvons là 
les procédés, bien connus aujourd'hui, du magnétisme, 
et quiconque le veut, peut, dans bien des circonstances, 
reproduire les miracles du vieux gentilhomme verrier. 

Deux de ces prophètes se rendirent bientôt célèbres 
et communiquèrent en foule autour d'eux le don de pro- 
phétie. L'un était un jeune homme de vint-cinq ans, Ga- 
briel Astier; d'autre une jeune bergère de Grest, Isabeavi 
Vincent, fille d J un cardeur de laine, ignorante et grossière 
comme l'était alors le peuple des campagnes. La belle 
Isabeau gardait les moutons chez un pauvre paysan, son 
parrain, la misère l'ayant chassée du toit paternel. Un 
homme inconnu vint, Du Serre peut-être, ou quelqu'un 
de ceux auxquels il avait communiqué le secret de son j 
pouvoir; il développa et surexcita en elle une prédispo- 
sition extatique encore à l'état latent, et la fit prophé- 
tesse. 

Doutant d'elle-môme, comme toutes les somnambules 

(1) Brueys, Histoire du fanatisme, t. I, p. 71, 91, 08, 106, 10O, 110... 



HISTOIRE DES CAMISARDS 145 

au début, et luttant contre celte sorte de dépossession 
de sa propre personnalité, 'elle s'essaya d'abord dans 
des endroits obscurs, d'où bientôt la renommée vint l'ar- 
racher pour la produire sur de plus vastes théâtres. De 
petite taille, ses formes grêles et amaigries, ses traits 
irréguliers, son visage hâlé et bruni par le soleil, sou 
front élevé, ses yeux largement fendus, un peu saillants, 
noirs, doux et profonds à la fois, avaient besoin d'être 
embellis par l'inspiration pour lui mériter l'épithète que 
lui avait donnée l'admiration populaire. L'Esprit l'endor- 
mait, et rien ne pouvait plus la tirer de ce sommeil 
léthargique, ni le bruit, ni les coups, ni la douleur. Dé_ 
gagée de tous les liens charnels, l'âme, pour un mo- 
ment, vivait seule, et visible, en quelque sorte, par ses 
manifestations supérieures, dans le corps anéanti. Elle 
chantait, avec plus de grâce et de charme qu'elle ne 
l'eût pu faire dans sa vie habituelle, puis sa voix tonnait 
contre les persécuteurs de l'Église, et alors son élo- 
quence frappait d'étonnement ceux môme de ses au- 
diteurs dont l'intelligence était cultivée. On eût dit qu'il 
se dégageait d'elle une force irrésistible, elle fascinait 
•son entourage, et elle avait le pouvoir de transmettre sa 
merveilleuse faculté à beaucoup de ceux qui l'appro- 
chaient. Ils prophétisaient comme elle, mais bien peu 
le faisaient avec une élévation égale à la sienne. 

Elle entraînait les foules à sa suite, et, toujours prê- 
chant, elle arriva à Grenoble. Son succès, devant un 
public d'élite, fut plus grand encore qu'en présence des 
auditoires naifs qu'elle avait eus jusqu'alors. Parmi les 
prosélytes qu'elle fit, on compte madame de Bays, veuve 
d'un conseiller auParlemeut, qui devint bientôt prophé- 
tesse avec sa fille. Raillée par les uns, inquiétée par les 
autres, elle se retira à Livron, dans les montagnes de la 

9 



146 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Drôme. Bientôt il y eut autour d'elle trois cents inpirés 
à son exemple. Elle revint alors à sa maison des champs, 
où ses fils, ses lilles, ses valets et ses servantes se mirent 
à prophétiser à l'envi. Le mal devenait contagieux et 
gagnait du terrain. L'intendant Bouchu la fit arrêter et 
cpnduire à Tournon. 

Le même sort attendait la belle Isabeau, dont Bouchu 
parvint aussi à se saisir. Traduite devant ses juges, elle 
répondit fièrement à leurs menaces : « Vous pouvez 
bien me faire mourir ; mais Dieu en suscitera d'autres 
qui diront de plus belles choses que moi (1). » 

« Après plusieurs questions auxquelles elle satisfit, 
dit Fléchier, étant interrogée sur les discours qu'elle 
tenait, elle répondit avec les apparences d'une grande 
simplicité qui ne laissait pas d'être affectée (qu'en savait 
donc le charitable évêque de Nîmes ?), qu'à la vérité elle 
avait ouï dire qu'elle prophétisait en dormant, mais 
qu'elle ne le croyait pas, ne pouvait pas le savoir, puis- 
qu'on ignore ce qu'on fait en dormant. Quelque soin 
qu'on prît pour s'éclairer sur ce point, on ne put tirer 
d'autre réponse d'elle (2). » 

Nous le répétons, il n'y a rien de miraculeux dans 
tous ces faits, et nous retrouvons là tous les caractères 
du somnambulisme naturel, de l'extase. 

Par bonheur, le temps n'était pas venu encore des 
persécutions implacables contre les prophètes. Les plus 
nobles dames de Grenoble s'intéressèrent à la belle Isa- 
beau, la visitèrent dans sa prison, passèrent, comme 
madame de Périssol, femme d'un président de chambre 
au Parlement, des nuits entières au chevet de son lit, 



(1) Brueys, t. I, p. 106. 

(2) Fléchier, Relations des fanatiques, à la suite des Lettres choisies. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 147 

et obtinrent qu'elle fût, avec toutes les autres prophé- 
tesses, transportée à l'hôpital, où leurs bons soins ne les 
abandonnèrent pas. 

« Les personnes pieuses qui avaient la charité de tra- 
vailler à la guérison de ces pauvres malades d'esprit les 
empêchaient seulement de jeûner et leur donnaient des 
aliments fort nourrissants ; par ce moyen, on leur fai- 
sait reprendre le peu de sens que les jeûnes excessifs 
leur avaient fait perdre, et l'on n'avait pas ensuite beau- 
coup de peine à leur faire comprendre leur folie passée, 
et à les ramener peu à peu à la raison, et de la raison à 
la foi (1). » 

C'étaient des enfants, et, comme les enfants, on les 
prenait par la gourmandise. Il appartenait aux nonnes 
et aux dévotes d'imaginer ce moyen de corruption, qui 
valait bien la grande foire aux consciences de Pélisson, 
à un écu de six livres la pièce. Quoi qu'il en soit, les 
bons soins calmèrent cette pauvre âme, exaspérée par 
la vue des souffrances de ses coreligionnaires ; la belle 
Isabeau sortit de l'hôpital, libre et guérie, et ses pro- 
tecteurs lamarièrent à un jeune et beau garçon du pays. 

Mais on n'était pas parvenu à tarir la source du mal, 
et partout les prophètes avaient surgi sur les pas de la 
bergère de Grest pour continuer l'œuvre qu'elle aban- 
donnait. « Un homme, dit Brueys, tomba comme frappé 
du haut mal, puis les yeux fermés, comme une per- 
sonne endormie, se mit à prêcher et à prophétiser (t. I, 
p. 109). » De telles initiations spontanées étaient de 
tous les jours, et saint Paul n'avait pas reçu plus rapi- 
dement le Saint-Esprit sur la route de Damas. 



(1) Brueys, t. I, p. i35. 



148 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Gabriel Astier révolutionnait le Yivarais, comme la 
belle Isabeau avait fait le Dauphiné. C'était un simple 
paysan deGlieu, qui, pendant ses crises extatiques, pos- 
sédait une éloquence entraînante. Il développa d'abord 
l'esprit prophétique chez son père, dans toute sa famille 
et parmi les populations avoisinantes. Inquiété par l'in- 
tendant Bouchu, il se réfugia auprès de madame de 
Bays, et fit subir son influence à toute la contrée. 

Ses adeptes se réunissaient en conciliabules secrets 
pour se soustraire aux recherches de ceux que l'on dé- 
pêchait à leur poursuite. C'était surtout sur la cime des 
montagnes que se tenaient ces assemblées qui, de quatre 
à cinq cents personnes, s'élevèrent bientôt jusqu'à trois 
ou quatre mille. Les prophètes incliquaient le jour et le 
lieu de la réunion. Des émissaires en donnaient connais- 
sance à plusieurs lieues à la ronde. On y accourait en 
foule, vieillards, femmes, enfants, sans armes, pour 
chanter les cantiques de Marot et de Théodore de Bèze. 
Des sentinelles étaient placées sur les rochers les plus 
escarpés, sur la cime des arbres isolés. Puis le président 
se dressait au milieu de la foule, et fixant ses regards 
inspirés vers le ciel, les mains étendues sur les assistants, 
il commandait au sommeil de les coucher à terre, à l'ins- 
piration de descendre sur eux, « et, à mesure que ces 
pauvres idiots se jetaient à la renverse, il abaissait in- 
sensiblement ses mains jusqu'à ce qu'il eût vu par terre 
toute l'assemblée (1). » 

Excitée par le souffle de l'éloquence de Gabriel Astier, 
l'extase embrasa tout le Vivarais avec la rapidité d'une 
traînée de poudre, et vers la fin de janvier 1689, ces 
exaltés osèrent faire leurs réunions en plein jour. 

(1) Brueys, 1. 1. p. 27-132. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 149 

De Folleville, colonel du régiment de Flandre, marcha 
contre eux et dissipa les premières réunions, non sans 
faire beaucoup de victimes. Mais la mort même ne pa- 
raissait leur inspirer aucune crainte, et, massacrés en un 
lieu, ils se réunissaient dans un autre. On en avertit Bâ- 
ville et son beau-frère, le comte de Broglie, lieutenant 
général du roi (16 février 1689). Ils partent de Montpel- 
lier, accompagnés des évoques de Lodève et de Viviers. 
Comme on ne disposait que de quatre compagnies de 
dragons et d'une égale quantité d'infanterie, on fait 
armer toutes les communautés du Yivarais, et on presse 
Folleville de réunir tout ce qu'il pourra trouver de trou- 
pes dans le pays. 

« C'était sans doute, dit Brueys, un spectacle bien ex- 
traordinaire et bien nouveau ; on voyait marcher des 
gens de guerre pour aller combattre de petites armées 
de prophètes (t. I, p. 156). » 

Spectacle étrange, en effet, car les plus dangereux 
parmi ces petits prophètes se défendaient à coups de 
pierres, réfugiés sur des hauteurs inaccessibles. Mais le 
plus souvent ils n'essayaient même pas de disputer leur 
vie. Lorsque les troupes s'avançaient pour les attaquer, 
ils marchaient hardiment contre elles, en poussant de 
grands cris : « Tartara ! tartara ! Arrière Satan ! » Ils 
croyaient, disait-on, que ce mot, tartara, devait, comme 
un exorcisme, mettre leurs ennemis en fuite, qu'eux 
mêmes étaient invulnérables, ou qu'ils ressusciteraient 
au bout de trois jours, s'ils venaient a succomber dans 
la mêlée. Leurs illusions ne furent pas de longue durée 
sur ces divers points, et bientôt ils opposèrent aux ca- 
tholiques des armes plus efficaces. 

Dans deux rencontres, sur la montagne de Chailaret 
et non loin de Saint-Genieys, on en tua quelques cen- 



150 HISTOIBE DES CAMISARDS 

taines, on en prit un bon nombre, et le reste parut se 
disperser. Bâville jugeait les captifs, en faisait prendre 
quelques-uns, envoyait le resteaux galères; et comme rien 
de tout cela ne paraissait décourager les réformés, on 
continua à rechercher les assemblées du Désert, à égor- 
ger sans pitié ceux qui s'y rendaient, sans que ceux-ci 
songeassent encore à opposer une sérieuse résistance à 
leurs bourreaux. D'après la déposition d'une prophétesse 
nommée Isabeau Charras, consignée dans le Théâtre sacré 
des Cévennes, ces malheureux, martyrs volontaires, s'y 
rendaient, avertis d'avance, par les révélations des exta- 
tiques, du sort qui les attendait : 

« Le nommé Jean Héraut, de notre voisinage, et quatre 
ou cinq de ses enfants avec lui, avaient des inspirations. 
Les deux plus jeunes étaient âgés, l'un de sept ans, 
l'autre de cinq ans et demi, quand ils reçurent le don; 
je les ai vus bien des fois dans leurs extases. Un autre de 
nos voisins, nommé Marliant, avait aussi deux fils et 
trois filles dans le même état. L'ainée était mariée. 
Étant enceinte d'environ huit mois, elle alla dans une 
assemblée, en compagnie de ses frères et sœurs, et 
ayant avec elle son petit garçon, âgé de sept ans. Elle y 
fut massacrée avec son dit enfant, un de ses frères et 
une de ses sœurs. Celui des ses frères qui ne fut pas tué 
fut blessé, mais il en guérit; et la plus jeune des sœurs 
fut laissée pour morte sous les corps massacrés, sans 
avoir été blessée. L'autre sœur fut rapportée, encore 
vivante, chez son père, mais elle mourut de ses blessures 
quelques jours après. Je n'étais pas dans l'assemblée, 
mais j'ai vu le spectacle de ces blessés. 

« Ce qu*il y a de plus notable, c'est que tous ces mar- 
tyrs avaient été avertis par l'Esprit de ce qui devait leur 
arriver. Ils l'avaient dit h leur père en prenant congé de 



HISTOIRE DES CAMISAMIS 151 

lui, demandant sa bénédiction, le soir môme qu'ils sor- 
tirent de la maison pour se trouver dans l'assemblée 
qui devait se faire la nuit suivante. Quand le père vit 
tous ces lamentables objets, il ne succomba pas à sa 
douleur, mais, au contraire, il dit avec une pieuse rési- 
gnation : « Le Seigneur l'a donné, le Seigneur l'a ôté 1 
que le nom du Seigneur soit béni ! » C'est du frère, du 
gendre, des deux enfants blessés et de toute la famille 
que j'ai appris que tout cela avait été prédit. » 

Quelque temps après, Gabriel Astier, qui était parvenu 
à s'échapper lors du désastre de Chilaret, fut découvert 
à Montpellier. Il n'avait jamais prêché la révolte, — 
aucun prédicantnele faisait, d'ailleurs, — mais la résis- 
tance passive et la résignation. « Il déclara dans son in- 
terrogatoire, dit Fléchier, que, lorsque la maladie de 
prophétiser lui prenait, et lui montait de la tête aux 
pieds, ce sont ses termes, il n'était pas en son pouvoir 
de se retenir. » Bàville le fit rouer vif, le 2 avril 1690, à 
Bays, sur les domaines de la principale disciple de la 
bergère de Grest. 



152 HISTOIRE DES CAMISÀRDS 



CHAPITRE II 



Martyre des prédicants Brousson, Vivens, Capieu, Carrière... — 
Arrestation en masse des prophètes-enfants. — Condamnations 
arbitraires contre leurs familles. — Martyre des prophètes 
Esprit-Séguier, Salomon Couderc, Abraham Mazel. 



Cependant, dans le temps même de la défaite auChai- 
laret, c'est-à-dire au milieu de février 1689, l'événement 
était venu faire comprendre aux Cévenols qu'il y avait 
pour eux autre chose à faire que de tendre la gorge aux 
bourreaux du grand roi. Une assemblée de trois mille 
calvinistes, que guidait un prophète nommé Vallette, se 
rendait au village de Saint-Cierge. Un des officiers de 
Folleville la surprend, descendant de la montagne en 
longue procession, et chantant des psaumes. Connais- 
sant leurs habitudes pacifiques, il ordonne à ses troupes, 
malgré leur faible nombre, de tirer sur le cortège inoffen- 
sif. Quelques victimes sont jetées sur le carreau. Les 
calvinistes alors entourent la petite troupe, et, à coups 
de pierres, assomment le capitaine et quelques-uns de 
ses soudards. Le reste se sauve en désordre. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 153 

Cette première résistance démontra la nécessité de 
mettre sur pied des forces considérables. C'est ce que 
l'on fît, et bientôt le Vivarais parut rentrer dans le 
calme. Bâville et Broglie se transportèrent alors dans 
les Cévennes, où deux fameux prédicants, Brousson et 
Vivens, agitaient toute la province. 

Claude Brousson, de Nîmes, défendait les causes de 
ses coreligionnaires, en qualité d'avocat de la cour, mi- 
partie à Castres, puis à Toulouse, quand cette Chambre 
fut incorporée au Parlement. C'était à son instigation, 
et chez lui, qu'avait eu lieu l'assemblée des députés ré- 
formés qui avaient résolu de continuer à se réunir, mal- 
gré la démolition de leurs temples. Après qu'il les eût vus 
tomber tous autour de lui sous le marteau des démo- 
lisseurs de Louis XIV, il se fît ministre delà religion per- 
sécutée, pour soutenir le zèle de ceux dont la foi était bat- 
tue en brèchepar les séductions, parles menaces, déjàmè- 
me par les persécutions. Infatigable, il fuyaità Genève, en 
Hollande, lorsque le péril devenait trop pressant, mais il 
revenait toujours là où l'appelaient les devoirs qu'il s'était 
faits. Dans un de ces séjours si tourmentés qu'il fit dans 
sapatrie, il parcourut leVivarais etle Dauphiné, étudia les 
merveilles qu'y accomplissaient les disciples de Gabriel 
Astier et de la Belle Isabcau, et il écrivit même une 
Relation des prodiges du Vivarais. Enfin, vendu par un 
traître qu'alléchaient les trois mille livres promises à 
ceux qui livreraient un ministre, il fut arrêté à Oléron, 
le 18 septembre 1698, lorsqu'il se disposait à quitter 
encore une fois la France. Conduit d'abord à Pau, il se 
vit enfermé dans ce même château où était né le prince 
qui avait donné à ses anciens coreligionnaires les garan- 
ties de l'édit de Nantes. 

Bâville réclama cette proie, et Brousson fut transféré 



154 HISTOIRE DES CAMISAHDS 

à Montpellier. Une fois l'occasion s'offrit ù lui de s'échap- 
per sur la route : il dédaigna de le faire. Le 4 novembre 
il comparut devant ses juges. Sa défense fut simple et 
digne : « Dans un discours d'un quart d'heure qu'il pro- 
nonça avec beaucoup de fermeté, il dit qu'il était mi- 
nistre de l'Évangile; il avoua qu'il en avait exercé les 
fonctions en France; et enfin il s'attacha principale- 
ment à faire valoir la réputation d'homme d'honneur et 
d'homme de bien qu'il s'était acquise dans ce royaume 
et dans les pays étrangers (1). » 

Il était difficile de trouver là les bases d'une condam- 
nation capitale. Mais, sans qu'aucune pièce lui fût com- 
muniquée par avance, et sans qu'il lui fût permis de dé- 
montrer la fausseté d'une allégation calomnieuse, on 
l'accusa d'intelligences avec les ennemis de l'État, et il 
fut condamné à être rompu vif sur la roue, après avoir 
subi la question ordinaire et extraordinaire. 

En somme, le crime qu'expiait Brousson par ce sup- 
plice atroce, c'était d'avoir prononcé des sermons em- 
preints du plus pur esprit de l'Évangile. Il comparait, 
dans les termes suivants,- les deux Églises de Rome et de 
Genève : 

« La colombe est un animal pur et net qui ne se 
souille pas dans les ordures. De même, l'Église de Jésus- 
Christ est pure et exempte des souillures de ce siècle; 
mais l'Église romaine, qui, depuis plusieurs siècles, 
se souille de toutes sortes d'impuretés, n'est donc pas 
la colombe de Jésus-Christ! 

« La colombe est un animal doux et pacifique. De 
même la vraie Église est douce, paisible, charitable, dé- 
bonnaire ; mais l'Église romaine, qui fait de si grands 

(1) Brueys, t. I, p. 277. 



BIST01RK DES CAMISARDS 155 

maux aux fidèles, qui les dépouille de leurs biens, qui 
les chasse de leurs maisons, qui les traîne dans des basses- 
fosses, qui leur fait souffrir les cruels tourments de la 
géhenne et de la galère, qui les fait mourir dans les 
plus horribles supplices ou qui les fait massacrer inhu- 
mainement... Ah ! elle n'est pas la colombe de Jésus- 
Christ ! 

« La colombe est un animal très -faible ; elle n'est pas 
armée de griffes, ni d'un bec terrible pour se défendre. 
De même l'Église de Dieu est ordinairement faible et op- 
primée par ses ennemis; mais l'Église romaine est puis- 
sante et terrible aux yeux de la chair ; elle est la bête 
mystique à qui le dragon a donné sa puissance et son 
trône, et de qui la terre a dit: « Qui est semblable à la 
bête et qui pourra combattre contre elle? » Donc elle 
n'est pas la colombe de Jésus-Christ. 

«Les biens du monde sont périssables, mais les biens 
célestes sont éternels. Ceux qui ne veulent pas souffrir 
avec Jésus-Christ ne régneront pas un jour avec lui. Ils 
ont leur partage en cette vie ; mais un jour leur portion 
sera dans l'étang de feu et de soufre : mais pour vous, 
pauvres fidèles qui êtes persécutés pour la justice, ré- 
jouissez-vous dans le Seigneur, car le royaume des 
cieux est à vous! 

« Ah! que vous êtes heureux-, vous qui maintenant 
êtes chassés de vos maisons pour la cause de l'Évangile, 
car un jour vous serez reçus daus les tabernacles éter- 
nels ! Que vous êtes heureux, vous qui maintenant 
faites votre séjour dans les bois, dans les déserts, dans 
les fentes des rochers et dans les cavernes ; car un jour 
vous habiterez le palais du roi des rois, et vous serez 
éternellement abreuvés au fleuve de ses délices. » 

Il faut tout dire. Comme si, cette fois, Bâville eût re- 



156 HISTOIRE DES CAMISARDS 

culé devant l'accomplissement de son infamie en pré- 
sence de ce juste qu'il allait attacher au gibet des plus 
vils assassins, il ordonna qu'après avoir été seulement 
présenté à la question, mais sans y être appliqué, Bous- 
son fût pendu d'abord, pour n'être roué qu'après sa 
mort. 

C'était le matin, aux portes de la ville, sur de vastes 
terrains élevés, sorte de calvaire destiné alors au sup- 
plice des protestants seuls. La se dressaient la potence, 
la roue, le bûcher et tous les sombres instruments de la 
torture. 

Le soleil radieux du Midi éclairaitla scène et l'on voyait 
se dérouler à tous les coins de l'horizon des perspectives 
peut-être uniques dans le monde : au sud la ligne bleue 
de la Méditerranée ; puis à l'ouest, le Canigou, dans les 
Pyrénées ; à l'est, le mont Ventoux, auprès desAlpes : au 
Nord, le pic Saint-Loup, la sentinelle avancée des Cé- 
vennes. C'est aujourd'hui la splendide place du Peyrou, 
l'orgueil de Montpellier. Monté sur l'échafaud, Brous- 
son voulut faire entendre pour la dernière fois au 
peuple cette voix sympathique qui lui avait si souvent 
prêché le courage et la patience. Le bruit de dix- huit 
tambours couvrit ses paroles, et le bourreau, plus trou- 
blé que le patient, le lança dans l'espace et dans l'éter- 
nité. 

Vivens était un prophète d'un tout autre tempérament. 
Né dans les derniers rangs du peuple, il avait exercé, 
comme son père, la profession de cardeur de laines. 
Petit, boiteux, mais robuste et infatigable, d'un esprit 
vif et fécond en ressources, hardi jusqu'à la témérité, 
on peut dire que celui-là appartenait à l'Église militante, 
et il ne craignit pas de prendre plusieurs fois l'offensive 
contre les soldats du roi. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 157 

Il avait vu le jour à Valleraugue, dans les Hautes-Cé- 
vennes, et ses premières années n'avaient pas annoncé, 
Idit-on, un futur ministre de l'Évangile. La persécu- 
tion le ramena dans de meilleures voies , et on le 
compta bientôt parmi les prédicants les plus en fa- 
veur. 

Après avoir quitté une première fois la France, il y 
rentra pour organiser la résistance armée, et il se vit 
dans peu de temps à la tête d'une troupe de quatre cents 
révoltés. Bâville mit sa tête à prix, et il fut traqué dans 
les montagnes comme une bête fauve. Mais les cavernes, 
les chaumières, les châteaux lui offraient des asiles in- 
violables. Pour toute réponse, il rassembla ses hommes 
et fit tuer, ou tua de sa main quelques ecclésiastiques 
| et quelques officiers désignés à sa vengeance par le zèle 
qu'ils avaient déployé contre les réformés. Ceux qu'il 
marquait pour la mort ne tardaient pas à tomber sous 
des coups mystérieux, frappés dans leurs demeures ou 
par les chemins. 

La terreur régnait dans'le pays, lorsqu'un prédicant, 
ami et confident de Vivens, s'étant laissé saisir par les 
agents de Bâville, faiblit en présence de la torture, et fit 
connaître que quatre dragons de la garnison entrete- 
naient, des relations avec Vivons. On les fait venir, on 
leur vend le pardon au prix d'une trahison, et ils con- 
duisent un détachement au lieu où ils avaient un rendez- 
vous avec le ministre proscrit. 

Surpris avec deux de ses lieutenants, Carrière et Ca- 
pieu, mais non abattu, Vivens avait déjà tué quelques- 
uns de ceux qui venaient pour le saisir, lorsqu'un 
officier des milices, se hissant au sommet des rochers 
qui dominaient la caverne qui lui servait de retraite, 
toit à quelques pas de lui le prédicant qui se disposait 



158 HISTOIRE DES GAMISAHDS 

à faire une nouvelle victime. 11 abaisse sonfusil et le lue 
presque à bout portant, 

Conduits triomphalement à Alais, Capieu et Carrière 
y furent pendus. Ce supplice, le plus doux de tous ceux 
qui attendaient les prédicants, ne pouvait satisfaire 
B avilie, qui en ménageait un plus terrible à Vivens, s'il 
fût tombé vivant entre ses mains. Faute de mieux, il fit 
le procès à la mémoire du ministre « dont la mort même 
n'avait pu effacer la fureur et la rage, qu'on voyait en- 
core peintes sur son visage lorsqu'on le jeta dans le feu, 
où il aurait bien mieux mérité d'être jeté tout vivant, » 
dit Tablé Brueys avec un vif sentiment de regret (1). 

Après la mort de Vivens, de Brousson, et de quelques 
prédicants moins célèbres, il y eut, de 1607 à 1700, trois 
ou quatre années d'accablement extrême pendant les- 
quelles les résistances parurent moins vives dans les Cé- 
vennes. Mais bientôt la guerre contre l'Espagne, absor- 
bant toute l'attention de Louis XIV et toutes les forces 
disponibles du royaume, vint ranimer l'espoir et l'énergie 
des calvinistes. 

Les logements militaires n'avaient pas cessé, ni, par 
conséquent, les causes légitimes d'irritation. Les pour- 
suites contre les prédicants, surtout, redoublaient d'ac- 
tivité. En 1609, ce fut le tour de Pierre Roman, qui, 
quelques années auparavant, par un dévouement su- 
blime, s'était laissé prendre au lieu et place de Brous- 
son, qu'il considérait comme plus utile que lui à la 
cause commune. 

« Je parus, dit-il, devant l'intendant et le comte de 
Broglie, qui me reçurent d'un visage ouvert, me promet" 
tant la vie si je déclarais la retraite de Vivens et de 

(!) Brueys, t. II, p. (33. 



HISTOIRE Oi:s CAMISARDS 159 

Brousson avec leurs complices, et si je leur nommais 
ceux de ma connaissance qui fréquentaient les assem- 
blées : « S'il n'y a point d'autre moyen de sauver ma 
« vie, leur dis-je, laites-moi exécuter tout à l'heure, 
« car si telle est la volonté de Dieu, je suis aussi prêt à 
« mourir que vous à me condamner. » Sur cela le 
comte de Broglie me prit par les cheveux et, m'ayant 
donné deux ou trois secousses, me dit que s'il n'y avait 
point de bourreau pour me pendre, il en ferait lui- 
môme l'office (l). » 

Le gouverneur en fut pour ses frais de zèle et de 
bonne volonté, carie captif fut sauvé par le dévouement, 
aussi héroïque qu'ingénieux, d'une jeune fille qui trouva 
moyen de le tirer des mains de ses gardes, dans le pro- 
pre château qui abritait Broglie et Bâville. L'indomp- 
table prédicant ne changea rien à ses habitudes ; arrêté 
une seconde fois, dans la nuit du au 10 août, il fut 
délivré de vive force par des protestants en armes. Ne 
pouvant se saisir des ravisseurs, on s'en prit aux habi- 
tants du bourg où ce sauvetage avait été opéré. Les 
prisons se remplirent. Deux innocents périrent sur la 
roue, six moururent par suite des mauvais traitements 
qu'ils subirent, dix-sept lurent envoyés aux galères. 

Trois autres prédicants furent suppliciés vers la 
même époque: Claude Maire, dit Caucadon, fui pendu ; 
Isaac Salomon et David Raoul furent mués vifs. Ce der- 
nier était un simple laboureur; l'Esprit de Dieu des- 
cendit sur lui, comme jadis sur les apôtres, et tout à 
coup il se mit à prêcher avec une grande éloquence. 

Doué d'une force prodigieuse, ses souffrances, sur la 
roue, furent extrêmes. 11 reçut, dit-on, « cent trois 

(1) Court, i. I, p. 17. 



100 HISTOIRE DES CAMISARDS 

coups de barre, le sang lui sortait par la bouche ; elle 
ue fut ouverte que pour bénir le Seigneur, il n'en sortit 
aucune plainte, ni aucune marque d'impatience (1). » 

11 y eut, en 1701, une explosion nouvelle de prophètes. 
Ils pleuvaient du ciel, ils sourçaient de terre, et des 
montagnes de la Lozère jusqu'aux rivages de la Médi- 
terranée, on les comptait par milliers. Les catholiques 
avaient enlevé aux calvinistes leurs enfants : Dieu se 
servit des enfants pour protester contre cette prodi- 
gieuse iniquité. Le gouvernement du grand roi ne con- 
naissait que la violence. On arrêta en masse, au hasard, 
ces prophètes-enfants, on fouetta impitoyablement les 
plus petits, on brûla la plante des pieds aux plus grands. 
Rien n'y fit, et il y en avait plus de trois cents dans les 
prisons d'Uzès, lorsque la faculté de Montpellier reçut 
l'ordre de se transporter dans cette ville pour examiner 
leur état. Après de mûres réflexions, la docte faculté 
les déclara « atteints de fanatisme (2). » 

Cette belle solution de la science officielle, qui au- 
jourd'hui encore n'en saurait pas dire beaucoup plus 
long sur cette question, ne mit pas un terme à ce flot 
débordant d'inspirations. Bàville publia alors une or- 
donnance (septembre 1"01) pour rendre les parents res- 
ponsables du fanatisme de leurs enfants. 

« On mit des soldats à discrétion chez tous ceux qui 
n'avaient pu détourner leurs enfants de ce dangereux 
métier, et on les condamna à des peines arbitraires. 
Aussi tout retentissait des plaintes et des clameurs de 
ces pères infortunés. La violence fut portée si loin que, 
pour s'en délivrer, il y eut plusieurs personnes qui dé- 



(1) Court, t. I, p. 21, 23. 

(2) Court, t. I, p. 26, 



HISTOIRE DES CAMISARDS 161 

noncèrent elles-mêmes leurs enfants ou les livrèrent 
aux intendants et aux magistrats, en leur disant : « Les 
voilà, nous nous en déchargeons, faites-leur passer 
vous-mêmes, s'il est possible, l'envie de prophétiser (1).» 
Yains efforts ! On enchaînait, on torturait le corps, 
mais l'esprit restait libre, et les prophètes se multi- 
pliaient. En novembre, on en enleva plus de deux cents 
des Cévennes, « que l'on condamna à servir le roi, les 
uns dans ses armées, les autres sur les galères (Court de 
Gébelin). » Il y eut des exécutions capitales, qui n'épar- 
gnèrent pas même les femmes. On pendit à Montpellier 
une prophétesse du Vivarais, parce qu'il sortait de son 
nez et de ses yeux du sang, qu'elle appelait des larmes 
de sang qu'elle pleurait sur les infortunes de ses coreli- 
gionnaires, sur les crimes de Rome et des papistes... 

Une sourde irritation, un ilôt de colère longtemps 
contenue grondait depuis longtemps dans toutes les 
poitrines, au bout de ces vingt années d'intolérables ini- 
quités. La patience des victimes ne lassait pas la fureur 
des bourreaux. On songea enfin à repousser la force par 
la force. 

Il faut se rappeler aussi les incroyables extorsions du 
fisc, les impôts écrasants, leur levée par les garnisaires 
que le gouvernement mettait à la disposition des fer- 
miers généraux. On accusait, non sans raison, les curés, 
qui dressaient les rôles pour la taille et la capitation, de 
décharger les catholiques pour faire peser tout le faix 
des charges publiques sur les calvinistes, et môme sur 
les nouveaux convertis (2). Souvent les receveurs fai- 
saient vendre jusqu'aux derniers meubles des insol- 



(1) Court, p. 27. 

(2) Duval, Histoire du soulèvement des fanatiques, p. 31. 



162 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Tables. Ceux-ci en pendirent quelques-uns aux arbres 
de la route, avec les registres des impositions suspendus 
à leur cou (1). 

La situation était donc devenue intolérable. Les sou- 
dards remplissaient toutes les demeures. Le village de 
Pont-de-Mont-Vert en avait, à lui seul, trois compagnies. 
L'abbé Du Chayla encourageait leurs excès. Nons avons 
raconté la scène terrible qui donna le signal du soulè- 
vement. 

DuPont-de-Mont-Vert, les insurgés, guidés par Esprit 
Séguier, volent à Frugières, au village de Saint-Maurice, 
et, vainqueurs partout, vont goûter quelques instants 
de repos au sommet de la montagne qui domine le pays. 
Ils redescendent sur Saint-André-de-Lancize,, « préci- 
pitent le curé du haut du clocher où il s'était réfugié, 
et le livrent ensuite à ses propres paroissiens, qui re- 
gorgent, après lui avoir coupé le nez et les lèvres (2).» 

Il semble que le saut du haut du clocher suffisait et 
rendait regorgement inutile. Mais Brueys, qui ne voit 
rien des férocités que commettent les catholiques, exagère 
à chaque page jusqu'à l'absurde les représailles de leurs 
victimes. 

Ceux-ci manquaient d'armes. Pressentant qu'ils ne 
tarderaient pas à être attaqués, ils résolurent d'aller en 
chercher au château delà Devèze. Le châtelain repousse 
leur demande, fait tirer sur eux. Ils s'élancent, enfoncent 
les portes, massacrent trois générations, M. de la Devèze, 
sa vieille mère, sa jeune fille, le frère de celle-ci, un oncle 
et un de leurs serviteurs, ils pillent le château et se 
retirent après y avoir mis le feu. 



(1) Duval, p. 35. 

(2) Brueys, t. II, p. 109. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 1G3 

Trois jours avaient suffi à Esprit Séguier pour accom- 
plir ces terribles justices. Frappés de stupeur à la nou- 
velle du meurtre de l'archiprêtre, Broglie et Bâville mon- 
tent aux Cévennes, accompagnés de toute la noblesse du 
pays, à la tête de ceux de leur tenanciers qu'ils ont pu 
contraindre à les suivre, arrivent à Pont-de-Mont-Vert, 
puis retournent à Montpellier après avoir laissé le com- 
mandement des troupes au capitaine Poul. 

Ce hardi partisan, qui allait conquérir dansles Cévennes 
une si sinistre renommée, avait fait son apprentissage 
en Allemagne, en Hongrie, dans le Piémont, contre les 
Barbets des vallées de la Savoie. C'était un homme de 
haute taille, de tête et de main, robuste, énergique, infa- 
tigable, intrépide, sans pitié pour les faibles et pour les 
vaincus. 

Il fixa son quartier général à Florac, et ne tarda pas 
à surprendre les Camisards dans la petite plaine de Font- 
Morte. Il les tailla en pièces, et s'empara de la personne 
des trois principaux chefs, Esprit Séguier, Pierre Nouvel 
et Moyse Bonnet. 

— Misérable ! demanda Poul à Esprit Séguier, com- 
ment t'attends-tu à être traité? 

— Comme je t'aurais traité moi-même, si je t'avais 
pris ! lui répondit fièrement et avec dédain le prophète 
enchaîné. 

Son calme héroïque ne l'abandonna pas un instant 
dans les fers. 

— Ton nom? lui demandèrent les juges. 

— Pierre Séguier. 

— Pourquoi t'appelle-t-on Esprit Séguier ? 

— Parce que l'Esprit de Dieu est avec moi. 

— Ton domicile 

— Au Désert, et bientôt au ciel. 



'164 HISTOIRE DUS CAMISARDS 

— Demande pardon au roi de ta révolte. 

— Mes compagnons et moi n'avons d'autre roi que 
l'Éternel. 

— N'éprouves-tu pasquelques remords de tes crimes? 

— Mon àme est un jardin plein d'ombrages et de fon- 
taines, et je n'ai point commis de crimes. 

On condamna Esprit Séguier à avoir le poing coupé et 
à être brûlé vif au Pont-de Mont-Vert; Pierre Nouvel à 
être roué à la Devèze ; Moyse Bonnet à être pendu a. 
Saint- André— Lancize. Celui au nom duquel tant de for- 
faits allaient se commettre, Louis XIV, semblait craindre 
que la monotonie ne fatiguât ses bourreaux, et il voulait 
varier leurs exercices. Les trois prophètes moururent 
avec le stoïcisme des martyrs chrétiens (12 août). 

Les tortures ne firent pas faiblir un instant l'âme in- 
domptable de Séguier, et sur son bûcher, il se vantait 
encore d'avoir porté le premier coup à l'abbé du 
Chayla. 

On commença par établir à Florac une chambre de 
justice qui multiplia en tous lieux les plus effroyables 
exécutions (1), « parce que, ditBrueys, ces furieux s'al- 
lèrent follement mettre en tète qu'ils étaient en droit 
d'user de représailles sur les chefs catholiques qui tom- 
baient entre leurs mains (2). » 

Le comte de Boulainvilliers est plus sincère et plus 
vrai dans son appréciation, lorsqu'il avoue que le parti 
essaya « si la révolte ou la mort ne mettraient point 
de fin à ses souffrances. » Et il ajoute : « Il périt cent 
mille hommes qu'on immola pour justifier la conduite 



(1) Court, t. I, p. 70. 

(2) Brueys, t. II, p. 129. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 165 

de M. de Bàville, et de ce nombre, il y eut la dixième 
partie qui finit par le feu, la corde ou la roue (1). » 

Un ancien notaire, innocent de tout crime, accusé, 
mais non convaincu, fut pendu, et sa femme avec lui- 
D'autres encore subirent un sort analogue. Les délations 
se multipliaient, et étaient toujours bien accueillies. Les 
prisons regorgeaient de captifs, on ne parlait que de gi- 
bets, de maisons rasées, de confiscations. Il ne s'agissait 
pas d'être juste, mais de frapper la contrée de terreur 
pour la réduire aux caprices du grand roi. 

Bâville se trompait dans ses calculs. Les Camisards 
n'avaient songé encore qu'à châtier du Chayla et quel- 
ques ecclésiastiques trop impitoyables à leur égard. Ils 
ouvrirent les yeux à la fin, et, comprenant qu'ils n'a- 
vaient aucune pitié à attendre de leurs persécuteurs, ils 
prirent l'offensive et se montrèrent sans pitié à leur tour. 

Même dans leurs manifestations les plus excessives 
d'indépendance et de liberté, les hommes ont besoin de 
reconnaître un chef qui les commande et auquel ils 
obéissent. Esprit Séguicr mort, les révoltés acclamèrent 
Laporle, qui avait servi dans les armées, et qui prit â 
leur tête le titre de colonel des Enfants de Dieu, qui 
cherchent la liberté de conscience. Ses ordres étaient 
adressés du Camp de l'Éternel. 

11 persuada aux Camisards de se diviser en petites ban- 
des, afin de contraindre l'ennemi à éparpiller ses forces, 
de délivrer surtout leurs frères captifs, et d'exterminer 
les curés, à l'instigation desquels on les persécutait. 
Deux prophètes déjà célèbres parmi eux, Salomon Cou- 
derc et Abraham Mazel, appuyèrent son opinion. Ce 



(1) Boulainvilliers. État de la France, province du Lamjuedoc. 
Court, ld., p. 89. 



106 HISTOIRE DES CAMISARDS 

dernier avait reçu, dans un songe prophétique, une 
mission du ciel (1). 

« Quelque temps avant que j'eusse reçu de l'Esprit 
l'ordre positif et redoublé de prendre les armes, je son-* 
geais que je voyais dans un jardin de grands bœufs 
noirs et gras, qui broutaient les plantes du jardin. 
Une personne me dit de chasser ces bœufs, mais je re-- 
fusai de le faire ; cependant la même personne ayant 
fait insistance, je les chassai. Fort peu de temps après, 
je reçus^une inspiration dans laquelle il me fut dit que 
le jardin était l'Église, que les gros bœufs noirs étaient 
les prêtres qui la dévoraient, et que je serais appelé à 
mettre en fuite ces sortes d'hommes. A quelques jours 
de là, l'Eprit m'avertit de me préparer à prendre les 
armes pour la cause de Dieu. Cet avertissement fut suivi 
de plusieurs autres pareils : et comme je parlais assez 
haut dans l'extase, les uns, qui voyaient ma faiblesse, 
ou pour mieux dire mon néant, étaient comme scan- 
dalisés de cet ordre inconcevable ; les autres, plus hum- 
bles, se contentaient de lever les yeux au ciel. Dans ces 
réitérations, il n'y avait jusque-là qu'une déclaration 
générale. Pierre Esprit et Salomon Couderc, deux de 
nos principaux inspirés (qui ont été brûlés vifs), eurent 
des avertissements conformes aux miens, et quelques., 
autres en eurent aussi. Enfin, le dimanche 24 juillet 
J 702, comme nous étions dans une assemblée proche 
de la montagne de Lauzère (Isaac Soulage, David Ma- 
sauric et quelques autres), l'Esprit me saisit et m'or- 
donna en m'agitant beaucoup de prendre les armes sans 



(1) Court, t. I, p. 75. — Nous renvoyons le lecteur au Théâtre 
jacré des Cèvennes, auquel Court a emprunté ces citations, et dans- 
lequel nous puiserons nous-mêmes. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 167 

aucun retardement et d'aller délivrer ceux de mes frères 
[que les persécuteurs détenaient prisonniers au Pont- 
de-Mont-Vert. Ils étaient dans le château d'André, que 
l'abbé Du Chayla occupait. » 

Cette obsession victorieuse ne ressemble-t-elle pas à 
pelle qui, autrefois, avait chassé Jeanne d'Arc de Vaucou- 
jleurs pour la pousser vers Charles VII, le gentil dauphin 
pont elle voulait faire le roi de France ? 

Un gentihomme renégat, le baron de Saint-Cômes, 
[touchait, depuis son abjuration, une pension de deux 
mille livres. Il déployait un zèle ardent contre ses anciens 
[coreligionnaires, croyant sans doute justifier ainsi les 
libéralités du roi. Depuis quatorze ans, bien des assem- 
blées avaient été surprises par lui, et massacrées, à 
ISaint-Cômes, Candiac, Garrigues, Vauvert... Pour payer 
|;es services, l'intendant lui confia les charges d'inspec- 
|;eur des nouveaux convertis et de colonel des milices. 
Il avait publié une ordonnance de désarmement général 
nour contraindre ces populations, qui ne vivaient que 
lie la chasse et de la pêche, à déposer toutes leurs armes 
aians les arsenaux des villes. 

Un de ceux qui se trouvaient ruinés par cette mesure, 
jkbdias Morel, que l'on avait surnommé Catinat à cause 
Ile son admiration enthousiaste pour ce grand général 
|;ous lequel il avait longtemps servi, — Catinat donc, et 
lïinq ou six autres avec lui, condamnent à mort M. de 
Eaint-Cômes, vont l'attendre sur une route qu'il doit 
|;uivre, se précipitent, arrachent leurs armes aux hommes 
lie sa s îite, le tirent de son carrosse, et le tuent sur place. 

C'était le 13 août, le lendemain môme des supplices 
■l'Esprit Séguier, Nouvel et Bonnet. Le réponse était ter- 
rible. Bâville prétendait faire de l'intimidation : ils 
pillaient en faire à leur tour. 



168 HISTOIRE LES CAMISARDS 

N'ayant pu se saisir des coupables, le roi du Languedoc 
frappe les innocents, sous prétexte de complicité morale, 
et exaspère encore les populations. 

Prévoyant de longue date que tant de cruautés porte- 
raient tôt ou tard leurs fruits sanglants, Bàville avait 
fait tracer dans les Cévennes et dans le Vivarais cent 
chemins royaux pour permettre de faire arriver l'artillerie 
jusque dans les lieux les plus élevés. On avait formé 
par ses soins cinquante-deux régiments de milices lo- 
cales, choisis parmi les anciens catholiques, plus nom- 
breux dans les contrées que les protestants, et soldés 
par la province, c'est-à-dire en grande partie par ceux 
qu'ils avaient mission de poursuivre à outrance. Us 
étaient exercés séparément tous les dimanches, et pas- 
saient, une fois l'an, une revue générale. En outre, on 
avait fait élever, en 1686, des forteresses à Alais, Nîmes 
et Saint-Hippolyte, principales entrées des Cévennes. 
Tous les châteaux, tous les lieux de défense étaient 
armés. Mais, dans ce siècle d'anarchie et à une époque 
où l'armée régulière elle-même ne connaissait pas la 
discipline et ne vivait guère que de pillages sur le plat 
pays, les mesures les plus sages en apparence n'étaient 
que des causes de désordre et de vexations intarissables. 
Une lettre écrite le 7 septembre 1702, de Saint-André- 
de-Valborgne, nous laisse entrevoir un petit coin du 
tableau (1) : 

« Une troupe de vagabond» s'est élevée dans notre 
pays. Elle commet de si grands désordres qu'on ne peut 
prévoir que la ruine totale de nos cantons. Nos supé- 
rieurs, pour remédier aux ravages de ces brigands, et 
pour dissiper leurs attroupements, ont rempli le pays de 

(l) Court, t. I, p. 87. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 169 

troupes. Mais une fois que nous les avons, hélas! nos 
malheurs augmentent au lieu de diminuer. Nous 
trouvons dans ces troupes des gens plus cruels et plus 
barbares cent fois que nos ennemis ; elles sont composées 
de milices bourgeoises, anciens catholiques. Dispersées 
dans nos villages, on les fait sans cesse courir de tous 
côtés pour tâcher d'arrêter ces malheureux vagabonds ; 
mais elles nous désolent totalement par leur rage. Le 
peu d'égards qu'ils ont pour leurs désolés voisins les 
porte elles-mêmes â toutes sortes d'excès et de vio- 
lences. 

<( En passant par le pays, elles pillent, elles battent, 
elles saccagent tout avec une cruauté horrible. Elles en- 
chaînent, elles emprisonnent indifféremment tous ceux 
qu'elles attrapent, et les punissent rigoureusement, sans 
certitude s'ils sont innocents ou coupables. Les plaintes 
que l'on fait ià-dessus ne sont point écoutées. Quel 
n'est pas notre état ! Nous sommes absolument exposés 
en proie à la fureur extrême de ces troupes impitoyables, 
et la seule qualité de nouveau converti suffit pour n'a- 
jouter aucune foi à ce qu'il dit, quoique très-souvent il 
fasse les actions de très-bon catholique, et qu'il soit plus 
zélé pour le service du roi, que celui qui le persécute. 
En un mot, un ancien catholique ennemi est aujour- 
d'hui maître absolu du sort du purifié nouveau con- 
verti, qui est entièrement exposé à tous ses ressenti- 
ments. » 

Laporte débute par tailler en pièces trois compagnies 
de bourgeoisie qui, après avoir pillé plusieurs villages 
qu'habitaient de nombreux calvinistes., emportaient un 
butin considérable. C'était au passage d'un pont établi 
sur la rivière de Vabron, non loin de Florac. Pour bien 
établir dès le début quelle «différence existait entre les 

10 



170 HISTOIRE DES CAMISARDS 

catholiques et les calvinistes, il fit inviter ceux qui 
avaient été dépouillés à venir revendiquer leur bien, 
sans permettre que les Camisards s'en appropriassent la 
moindre parcelle. 



HISTOiRE DES CAMISARDS 171 



CHAPITRE III 



Principaux chefs des insurgés : Roland, Laporte, Jean Ca-valier, 
Catinat, Esperandieu, Rastalet, Ravanel, Castanet, Joanny. — 
Phénomènes de l'inspiration : l'avertissement, le souffle, la pro- 
phétie, le don. 



Que l'on se figure la situation effroyable d'un pays ha- 
bité par deux populations hostiles, des catholiques et 
des protestants, divisées parla plus terrible des haines, 
— une haine religieuse, — saccagé tour à tour par les 
troupes du roi et les bandes des révoltés ! L'indifférence 
était impossible, la neutralité inutile, on eût été en butte 
aux deux partis, et à quelque communion que l'on 
appartînt, on était également menacé. 

C'est à ce moment qu'apparaît sur la scène l'homme 
qui va jouer le plus grand rôle dans ce drame en même 
temps sanglant et fantastique. Nous voulons parler de 
Roland, le véritable héros des Cévennes, qui, lui, ne 
déposera jamais les armes, qui ne traitera jamais avec 
les bourreaux de ses frères, qui sera vaincu et mourra 
martyr, mais sans qu'une minute de défection, de 
faiblesse puisse lui avoir jamais été reprochée. 



172 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Roland, neveu de Laporte, avait servi dans un régi- 
ment de dragons. Il possédait donc, comme son oncle, 
quelques connaissances militaires, qu'il employa à dis- 
cipliner un peu la seconde bande, qui accepta de marcher 
sous ses ordres. Sa haute taille, sa voix fortement 
timbrée, son activité infatigable, son courage froid et 
persévérant, son altitude imposante, tout semblait le 
prédestiner à commander parmi les hommes. Bien su- 
périeur à tous égards à Laporte, simple chef militaire, 
Roland se présentait comme prédicant, chef et prophète 
à la fois. Aussi exerçait-il sur les Cévenols un prestige 
considérable. 

En descendant des Cévennes, et avant d'arriver à la 
plaine fertile qui de Nîmes s'étend jusqu'à la mer, on ren- 
contre une longue vallée très-peuplée de riches villages, 
presque tous protestants. C'est la Yaunage, qu'ils se 
plaisaient à appeler leur petite Canaan. C'est là que 
Roland s'établit tout d'abord. 

Castanet, soldat intrépide et bon prédicant, ancien 
garde des bois de la forêt del'Aygoal, commande bientôt 
une troisième troupe d'insurgés. 

Un pauvre petit pitot du pays, qui venait de naître 
au moment de la révocation de ledit de Nantes, s'était 
vu contraint de suivre les écoles catholiques. Mais sa 
mère, calviniste fervente, détruisait le soir l'ouvrage du 
matin, et relevait dans la haine de la religion de Rome. 
Elle le conduisait aux assemblées du Désert, où l'élo- 
quence de Brousson enflamma plus d'une fois son ima- 
gination, et où il fut témoin des prodiges des petits pro- 
phètes. Bientôt lui-même fut visité par l'esprit de Dieu. 
Aprè§ avoir quitté son modeste métier de berger pour 
celui de garçon boulanger à Anduze, il s'était réfugié à 
Genève, pour éviter la persécution. 



HISTOIRE DES CAM1SARDS 173 

Sa foi y avait grandi, son esprit s'y était développé, 
en môme temps que ses facultés extatiques. 11 rêva que 
Dieu lui commandait de revenir secourir ses coreligion - 
naires opprimés. Il obéit, et vers le commencement de 
juin 1702, il rentra en France, assista à quelques assem- 
blées, et, après la sanglante nuit du Pont-de-Mont-Vert, 
il proposa à des jeunes gens de prendre les armes à l'i- 
mitation de leurs frères des Gévennes, de délivrer les 
captifs, de venger les victimes, et de faire respecter leurs 
croyances. Il les entraîne par son éloquence persuasive, 
et ils jurent de le suivre partout où il voudra les conduire. 

Petit, le cou court et gros, sa tête trop rapprochée 
des épaules, ses yeux bleus, son visage sans barbe, ses 
longs cheveux blonds flottant sur ses épaules lui eussent 
fait donner seize ans à peine. Ce nouveau chef en avait 
près de vingt ; il était né à Hibaute, non loin d'Anduze, 
et il s'appelait Jean Cavalier. 

Ils étaient ^dix-huit, et ne possédaient, en tout, qu'un 
fusil et deux vieilles épées. Mais ils savaient que, dans 
les localités éloignées des grandes villes, on avait forcé 
les calvinistes à déposer leurs armes chez les curés les 
plus voisins. Le presbytère de Saint-Marlin-de-Durfort 
était non loin delà. Ils s'y rendent au milieu delà nuit, 
éveillent le prêtre, et lui disent de les suivre pour admi- 
nistrer un homme qui va mourir. A leur nombre non 
moins qu'à leur attitude, le curé devine le péril qui le 
menace. 

— Vous voulez des armes ! leur dit-il. Vous pouvez 
m'égorger, et charger votre conscience du meurtre d'un 
vieillard qui n'a jamais inquiété un seul d'entre vous. 
Entrez chez moi, puisque vous êtes les plus forts, et fai- 
tes suivant votre volonté. 

Après avoir accepté quelques rafraîchissements que 

10. 



174 HISTOIRE DES CAMISARDS 

le vieux prêtre leur offrit, ils se contentèrent d'enlever 
les armes dont ils avaient besoin, et ils se dirigèrent 
vers le camp de l'Éternel. 

Pendant ces premiers temps, ces bandes parurent se 
recueillir, et leur nombre ne leur servit qu'à se réunir 
plus fréquemment et avec moins de danger, dans leurs 
assemblées du Désert. La maladie de fanatisme, de plus 
en plus contagieuse, se développa dans des proportions 
prodigieuses, et l'histoire n'a rien à enregistrer d-' aussi 
merveilleux que ce que l'on vit alors. Pendant quatre 
années, des révoltés n'agirent, ne vécurent qne sous 
l'inspiration d'hommes et de femmes prophètes, ou 
même de prophètes enfants, chez lesquels on constatait 
quatredegrés différents d'initiation, etauxquels il n'était 
accordé qu'une confiance proportionnée à leur élévation 
dans l'échelle des faveurs divines. 11 y avait l'avertisse*- 
ment, le souffle, la prophétie et le don. 

« Ils ne se regardaient pas tous comme inspirés, dit 
Court de Gébelin. Le nombre même de ceux qui pré- 
tendaient l'être était très-petit en comparaison des 
autres, mais ils croyaient tous aux inspirations. C'était 
par elles que tout se réglait parmi eux. Fallait-il élire 
des chefs, livrer des combats, former des projets, les 
mettre à exécution, décider du sort des personnes de 
qui ils prétendaient avoir reçu de mauvais traitements, 
et qui dans la suite avaient le malheur de tomber entre 
leur mains? Ce n'était jamais qu'après avoir consulté 
l'Esprit-Saint, dont les inspirés se croyaient animés, et 
qu'en conséquence de l'ordre qui en était émané. C'était 
l'inspiration qui découvrait les traîtres cachés, qui or- 
donnait du temps où il fallait mettre des sentinelles, 
ou n'en mettre pas, qui rendait les croyants intrépides 
dans les combats, qui leur faisait affronter la mort 






HISTOIRE DES CAMISARDS 175 

sans crainte, qui les soutenait dans leurs fatigues, et 
dans les supplices même. Sur tout cela, il est bon de 
rapporter leurs propres termes (1): 

« Les premières personnes que j'ai vues dans l'ins- 
piration étaient ma mère, mon frère, mes deux sœurs 
et une cousine germaine. Il y a présentement treize 
ans pour le moins que ma mère a reçu les grâces, et 
elle les a toujours eues depuis ce temps-là jusqu'à mon 
départ de Montpellier, vers le mois de mai 1702 ; et 
j'ai appris de diverses personnes, qui l'ont vue il n'y 
a pas longtemps, qu'elle est encore dans lé même 
état. Il y a onze ans qu'elle est détenue en prison. Mes 
sœurs reçurent le don quelque temps après que ma 
mère l'eut reçu ; l'une à l'âge de dix-neuf ans, l'autre 
de onze. Elles sont mortes eii mon absence. Les plus 
grandes agitations de ma mère étaient de la poitrine, 
ce qui lui faisait faire de grands sanglots. Elle ne par- 
lait que français pendant l'inspiration, ce qui me causa 
une grande surprise la première fois que je l'entendis, 
car jamais elle n'avait essayé de dire un mot en ce lan- 
gage, ni ne l'ajamais fait depuis, de ma connaissance, 
et je suis assuré qu'elle ne l'aurait pu faire, quand elle 
aurait voulu. 

« Environ un an avant mon départ, deux de mes 
amis (Antoine Coste et Louis Talori) et moi, allâmes 
visiter Pierre Jacquet, notre ami commun, au moulin 
de l'Eve, proche de Vernon. Comme nous étions en- 
semble, une fille de la maison vint appeler sa mère 
qui était avec nous, et lui dit : « Ma mère, venez voir 
l'enfant. » Ensuite de quoi, la mère elle-même nous ap- 
pelle en nous disant que nous venions voir le petit en- 

(I) T. II, p. 166. Nous puiserons à la même source que Court de 
Gébelin, mais sans nous astreindre à reproduire les mêmes citations. 



176 HISTOIRE DES CAMISARDS 

fant qui parlait. Elle ajouta qu'il ne fallait pas nous 
épouvanter, et que ce miracle était déjà arrivé. Aus- 
sitôt nous courûmes tous : l'enfant, âgé de treize à 
quatorze mois, était enmailloté dans le berceau, et il 
n'avait encore jamais parlé de lui-même, ni marché. 
Quand j'entrai avec mes amis, l'enfant parlait distinc- 
tement en français d'une voix assez haute, vu son âge, 
en sorte qu'il était aisé de l'entendre par toute la 
chambre. Il exhortait, comme les autres que j'avais vus 
dans Tinspiration, à faire des actes de repentance ; 
mais je ne fis pas assez d'attention à ce qu'il dit, pour 
me souvenir d'aucune circonstance. La chambre où 
était cet enfant se remplit ; il y avait pour le moins 
vingt personnes, et nous étions tous priant et pleurant 
autour du berceau. 

« Après que l'extase eut cessé, je vis l'enfant dans son 
ordinaire. Sa mère nous dit qu'il avait eu des agitations 
de corps au commencement de l'inspiration ; mais je ne 
remarquai pas cela quand j'entrai. C'était une chose dif- 
ficile à reconnaître, parce qu'il était enveloppé de ses 
langes. J'ai beaucoup ouï parler ici d'un autre petit 
enfant à la mamelle, qui parlait aussi à Dieu. Dans le 
Dauphiné, j'ai assisté à une petite assemblée dans une 
cave, auprès de Bois-Chêtel, où une jeune fille dit dans 
l'inspiration après avoir parlé déjà assez longtemps: «Je 
t'assure, mon enfant, qu'il y a des gens qui ont dessein 
de vous surprendre ; il faut vous retirer bientôt » (ou 
quelque chose de semblable) ; et quand elle fut revenue 
à elle-même, elle continua de dire qu'il fallait se retirer 
promptement. En effet, les soldats vinrent visiter la 
maison aussitôt après (1). » 

(1) Déposition de Jean Vernet, de Bois-Çhâtel, dans le Vivarais. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 177 

Il est digne de remarque que, dans l'extase, la pro- 
phétesse parlait français. Tous et toutes faisaient de 
même. Le patois languedocien était le seul dont ils se 
servaient dans la vie ordinaire, et dès qu'ils étaient 
visités par l'esprit, il leur paraissait plus facile de s'é- 
noncer dans un idiome qui leur était peu familier. 

Nous pensons qu'ici, d'ailleurs, une large part doit 
être faite à l'exagération, à l'erreur. On voulait pousser 
la chose jusqu'au miracle: l'inspiration, chez les enfants 
de dix à douze ans, eût pu s'expliquer naturellement. 
Alors on fut jusqu'à faire parler les enfants à la mamelle. 
Tout le monde avait entendu les premiers prophétiser 
et prédire dans leur extase somnamhulique; de plus 
ambitieux voulurent qu'il leur fût arrivé quelque chose 
de plus qu'à tout le monde. Mais parce que tout n'est 
pas rigouresement vrai, tout doit-il être rejeté? Alors 
que reste-il de certain dans les événements de ce monde, 
au milieu desquels la passion des partis, l'inintelligence 
ou la prévention des témoins, ont su introduire un 
inévitable mélange de détails erronés? 

« Je partis d'Anduze au mois de juin 1702, pour aller 
à Genève. Étant dans mon pays, j'ai assisté à trois 
assemblées, dans l'une desquelles un jeune homme qui 
parlait dans l'extase prononça ces paroles : « Je te dis, 
« mon enfant, que vous devez vous retirer d'ici ; je te 
« dis que vous êtes vendus (1). » Mais comme on n'obéit 
pas assez promptement, et qu'on demeura encore en- 
viron une heure dans l'assemblée, la bourgeoisie d'An- 



(l) C'était la formule presque invariable : « Je te dis, mon en- 
fant... Je t'assure, mon entant. » Voici une particularité bien 
étrange. En 1850, à une époque où j'étais bien éloigné de songer 
à ces choses, que j'ignorais profondément, le hasard me permit 
d'étudier pendant longtemps une extatique naturelle qui nie mit 



178 IIISTOIRE DES CAMISARDS 

duze en armes tomba sur nous, et il y en eut quinze 
qui furent faits prisonniers (1). » 

Ces faits de seconde vue, de prévision, si communs 
dans l'état somnambulique, étaient de tous les jours, et 
sauvaient parfois les révoltés de périls imminents. Le 
Théâtre sacré des Cévennes en fournit des exemples à 
chaque page : 

a Alexis ne fut pas sitôt assis qu'il tomba en extase : 
il appuyait sa tête de sa main, et ses plus grandes agita- 
tions étaient de la poitrine. Il parla à très-haute voix, et 
ce | qu'il disait, en général, était pour porter ceux qui 
l'entendaient à se repentir de leurs péchés et à ne plus 
participer à l'idolâtrie. Étant dans l'inspiration, il repro- 
cha aux femmes qui étaient présentes d'avoir avalé le 
morceau de basilic (l'hostie) ; et me tendant la main 
il me dit : « Toi, mon frère, tu ne l'as pas avalé.» Cela 
fut accompagné d'autres paroles et de circonstances 
qui firent une grande impression dans l'esprit des assis- 
tants. Il dit que ce n'était pas lui qui parlait, mais que 
c'était l'Esprit de Dieu qui parlait par sa bouche. Je me 
souviens qu'il reprocha à quatre femmes de la maison 
qu'elles s'étaient allées coucher sans prier Dieu et qu'il 
insista en criant fortement : « Confessez, confessez, mal- 
heureuses ! » Et elles avouèrent que cela était vrai. Sur 
quoi il exhorta beaucoup à prier sans cesse... 

« Le même soir, Alexis, Révault et moi, allâmes cou- 
cher chez un honnête homme de notre connaissance, 



en présence de phénomènes aussi difficilement croyables que ceux 
dont les Cévennes furent témoins, et qui, en parlant d'elle, s'expri- 
mait toujours ainsi : « Tu feras, ma pauvre enfant... » Elle par- 
vint à se guérir elle-même par ses prescriptions, alors que la fa- 
culté l'avait abandonnée. 
(1) Déclaration de Jean Cabanel, d'Anduze. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 179 

nommé Cabrit, à une petite demi-lieue de là. Une heure 
après que nous fûmes arivés, Alexis reçut l'inspiration. 

« Il dit entre autres choses qu'encore que l'ennemi 
fût proche de là, il n'y avait point de danger pour 
nous. « Je t'assure, mon enfant, lui dit l'Esprit, que 
vous n'avez rien à craindre, je ne permettrai pas qu'au- 
un détachement passe ici (1) » 

« Gomme notre troupe était entre Ners et Las-Cour- 
de-Creviez, dit Durand Fage, le frère Cavalier, notre 
chef, eut une vision. Il était assis, et il se leva soudai- 
nement, en nous disant ces paroles : « Ah ! mon Dieu ! 
je viens de voir en vision que le maréchal de Montrevel, 
qui esta Alais, vient de donner des lettres contre nous à 
un courrier qui va les porter à Nîmes. Qu'on se hâte, et 
on trouvera le courrier habillé d'une telle manière, 
monté sur un tel cheval, et accompagné de telles et 
telles personnes. Gourez, hâtez-vous, vous le trouverez 
sur le bord du Gardon.» A l'instant, trois de nos hommes 
montèrent à cheval, Ricard, Bouré, et un autre ; et ils 
rencontrèrent sur le bord de la rivière, dans l'endroit 
marqué, et l'homme et ceux qui étaient avec lui, dans 
toutes les circonstances que le frère Cavalier avait spé- 
cifiées. Cet homme fut amené à la troupe, et on le trouva 
j chargé des lettres du maréchal ; de sorte que nous fûmes 
informés, par cette admirable révélation, de diverses 
choses dont nous fîmes ensuite un heureux usage. Le 
courrier fut renvoyé à pied. J'étais clans la troupe quand 
cela arriva, et j'atteste ce que j'ai vu. » 

Nous savons que les parents étaient souvent fort em- 
barrassés de leurs enfants, qui prophétisaient malgré 
eux, et les exposaient ainsi aux peines prononcées par 

(l) Déclaration de Jacques Mazel. 



180 HISTOIRE DES CAMfSÀRDS 

l'autorité. Voici qui donne, en môme temps, la mesure 
du savoir et de l'intelligence des curés d'alors : 

«Un bon paysan, nommé Halmèdc, avait un fils de 
douze à treize ans (au commencement de 1702), qui re- 
cevait des inspirations. Halmède, apprenant la persécu- 
tion, alla au curé, : « Monsieur le curé, lui dit-il, mon 
fils prophétise, je vous en avertis, et ne prétendez pas 
me venir ruiner pour cela. — J'ai médité sur ces choses- 
là, répondit le curé ; croyez-moi, faites jeûner votre fils, 
vous verrez que c'est un bon remède. » Le père obéit, 
mais l'enfant continua de prophétiter comme à l'ordi- 
naire, et Halmède en donna avis au curé. » Eh bien ! 
dit celui-ci, faites autre chose : au moment que votre 
garçon tombera dans les agitations qui sont le prélude 
de ses harangues, donnez-lui de bons coups de bâton ; 
si c'est un fourbe, vous le verrez bientôt. » Le père obéit 
encore, mais si ce mauvais traitement interrompait 
quelquefois l'opération, par une raison secrète du bon 
plaisir de Dieu, l'enfant était pourtant visité de l'Esprit 
plus fréquemment qu'à l'ordinaire; il aurait fallu le 
battre jusqu'à la mort... 

« Revenons à notre curé. 11 se trouva dans un grand 
embarras, quand le paysan l'assura que les coups donnés 
à l'enfant ne rebutaient pas l'Esprit, et il pensa en lui- 
même, qu'apparemment le petit garçon était ensorcelé. 
Dans cette imagination de son cerveau creux, il eut re- 
cours aux charmes. Il conseilla au père de se munir 
d'une peau de serpent et de la mettre sur l'enfant, dans 
le temps qu'il prophétiserait. Halmède voulut obéir pour 
la troisième fois. (Les peaux de serpent se trouvent com- 
munément dans le pays, et les bonnes gens s'en servent 
pour beaucoup de choses. ) Gomme son fils parlait sous 
l'inspiration du Saint-Esprit, il approcha de lui avec sa 



HISTOIRE DES CAMISARDS 181 

peau de serpent, belle et bien choisie, pour la lui mexlre 
sur la tète. Mais à cet instant même, l'enfant, se sentant 
agité avec une violence extraordinaire, haussa sa voix 
en criant, et se mit à censurer fortement son père. Il ré- 
véla tout, en présence de diverses personnes, ce qui 
avait été dit et fait avec le curé, ajoutant menaces sur 
menaces, d'une façon terrible contre les pécheurs en- 
durcis. Le père, frappé comme d'un coup de foudre, 
versa des larmes de repentance ; et Dieu voulut que, peu 
de jours après, il reçut lui-môme le don de révélation 
et de prédication (1).» 

« J'ai vu, dit un autre, un grand nombre de ces ins- 
pirés, de tout âge, et des deux sexes... C'étaient tous des 
gens sans malice, et en qui je n'apercevais rien que je 
pusse soupçonner être de leur invention. Ils faisaient 
de fort belles exhortations, parlant français pendant la 
révélation. On doit remarquer qu'il n'est pas moins dif- 
ficile à des paysans de ces quartiers-là de faire un dis- 
cours en français, qu'à un Français qui ne ferait que 
d'arriver en Angleterre de parler anglais... 

«Des diverses personnes que j'ai vues dans le saisis- 
sement (je ne sais pas comment exprimer cela), il n'y en 
a point eu qui m'ait causé plus d'étonnement qu'une 
certaine pauvre idiote de paysanne, âgée d'environ qua- 
rante ans ; je la connaissais parce qu'elle avait été en 
service chez un de mes amis. C'était assurément la plus 
simple et la plus ignorante créature que nos montagnes 
eussent jamais produite. Quand on me dit qu'elle prê. 
ehait, mais qu'elle prêchait à merveille, je n'en cran 
rien du tout. Il ne pouvait pas me tomber dans l'esprit 
qu'elle pût seulement joindre quatre mots de français 

(1) Déclaration de Abraham Mazel. 

i! 



182 HISTOIRE DES CAMISARDS 

ensemble, et j'en aurais juré, ni même qu'elle eut te 
hardiesse de parler dans une compagnie. Cependant,, 
j'ai été témoin plusieurs fois qu'elle s'acquittait de tout, 
cela miraculeusement bien. Cette ânesse de Balaam avait 
une bouche d'or quand l'intelligence céleste la faisait 
parler. Jamais orateur ne s'est fait écouter comme elle... 
C'était un torrent d'éloquence, c'était un prodige, et ce que 
je dis n'a rien d'exagéré. Une autre chose fort singulière r 
c'est que cette prophétesse prêchait souvent, et qu'elle 
était en quelque sorte maîtresse de ses enthousiasmes, 
c'est-à-dire qu'elle les obtenait quand elle les demandait. » 

En voilà assez, croyons-nous, pour faire connaître les 
principaux caractères de cette lutte sans exemple. Nous 
allons maintenant poursuivre le récit des événements. 

Dans cette guerre de surprises, toutes les difficultés 
étaient pour l'attaque, tous les avantages pour la dé- 
fense. Chaque montagnard était un complice pour les 
révoltés, et se faisait un devoir de conscience de faire 
tomber les troupes catholiques dans toutes les embus- 
cades qui leur étaient dressées. Des bergers, dont les 
troupeaux paissaient au sommet des montagnes, leur 
servaient de sentinelles, et, au moyen de certains si- 
gnaux, leur faisaient connaître la marche de l'ennemi. 
On passait auprès d'un laboureur absorbé par ses tra- 
vaux rustiques, auprès d'une pauvre femme qui menait 
ses vaches aux champs, auprès d'un enfant qui parais- 
sait tout entier aux jeux de son âge; mais les soldats 
avaient à peine passé, que le laboureur saisissait son 
fusil caché dans les broussailles et tuait, invisible, les 
traînards attardes, l'enfant faisait siffler sa fronde au- 
tour de sa tête, et, avec ses sabots, la femme écrasait le 
crâne des blessés. 

On arme les communautés ; mais on. organise ainsi 



HISTOIRE DES CAMISARDS 183 

la guerre civile. Des nouveaux convertis combattaient 
dans les rangs de ces réquisitionna ires. C'était autant 
de traîtres qui, au jour du combat, passaient du côté 
de leurs frères en religion. Le découragement se glissait 
dans le cœur des soudards, qui sentaient la trahison les 
envelopper de tous côtés. Mal payés par un gouvernement 
aux abois, le pillage ne les enrichissait guère, dans ces 
contrées pauvres et dévastées. On demandait de bonnes 
troupes nombreuses ; mais la cour se débattait contre 
l'Europe, à bout de patience en face de l'orgueil intrai- 
table du roi-soleil, et il n'y avait plus ni hommes, ni 
argent à expédier en Languedoc. 

Les Camisards paraissent vouloir se contenter encore 
de se venger de ceux dont ils avaient trop à se plaindre. 
C'est ainsi qu'ils mettent successivement à mort le se- 
crétaire de Du Chayla, qui levait impitoyablement les 
sommes auxquelles les paroisses suspectes avaient été 
condamnées pour frais de procédures, à la suite du 
meurtre de l'archiprôtre ; le prieur de Saint-Martin-de- 
Bordeaux, homme brûlant de zèle ; le capitaine Jourdan, 
protestant renégat, celui qui avait tué par surprise le 
prédicant Yivens, et qui. en maintes circonstances, 
avait massacré impitoyablement les assemblées de ses 
anciens coreligionnaires. Il s'était caché sous son lit; 
après lui avoir reproché ses méfaits, ils lui accordèrent 
le temps d'adresser à Dieu ses dernières prières, et ils 
exécutèrent la sentence qu'ils venaient de rendre. 

Broglie luttant de son mieux, suppléait comme il pou- 
vait aux difficultés sans nombre de la situation. Il vint 
établir son quartier général à Saint-Jean-de-Gardon- 
nnique, au cœur môme des Hautes-Cévenncs. L'in- 
tendant le seconda par ses ordonnance furibondes." 

Pour les appuyer, on fait des arrestations en masse. 



184 HISTOIRE DES CAMISARDS 

En peu de jours, à Alais, Bâville juge, c'est-à-dire con- 
damne des accusés de tout âge et de tout sexe, entre 
autres deux prédicants, Mandagoute et Abraham Pouget. 
On arrête ceux qui ne dénoncent pas les asiles des Céve- 
nols armés, soit qu'ils en aient on non connaissance. 

Pendant ce temps les milices poursuivaient Laporte, 
et, pour commencer les hostilités, se faisaient battre par 
lui. Poul, alors, accourut pour le venger. Il y eut un pre- 
mier combat au lieu appelé le Champ-Domergue (sep- 
tembre 1702). Chacun releva ses morts, et le succès 
demeura incertain. 

Il était difficile d'atteindre les Cévenols, retirés dans 
les montagnes. On eut recours à la trahison, et Poul 
surprit la petite bande de Laporte sur une hauteur, 
entre le château deMazel et le chemin de Témélac. Une 
pluie abondante avait mis les insurgés dans l'impos- 
sibilité de se servir de leurs armes à feu. Mieux protégés, 
les soldats de Poul fondent sur eux, Laporte tombe 
mort, en essayant de protéger la retraite des siens. 
Poul fait trancher la tète au cadavre ainsi qu'à huit 
autres calvinistes qui avaient succombé. Il lui fallait sa 
douzaine ; pour la compléter, il ajoute les tètes de trois 
de ses hommes, tombés sous les coups des Camisards, 
et ce sinistre trophée est promené par les ordres de 
Broglie dans les principales villes de la contrée. Le 
25 octobre, les douze têtes sont exposées au pont d'An- 
duze ; le lendemain, à Saint-Hippolyte, et de là à Mont- 
pellier sur la place de l'Esplanade. 

A cette vue, la rage des calvinistes ne connut plus de 
bornes. Privés de leur chef, les hommes de Laporle vin 
rent grossir les deux petites troupes de Roland et de Ca- 
valier. De nouvelles bandes se forment dans le diocèse 
d'Uzès. La principale reconnaît pour chef Nicolas Joanny, 



HISTOIRE DES CAMISABDS 185 

de Genouillac, ancien maréchal-des-logis, qui signale 
son entrée en scène par un premier succès auprès 
d'Hyeuset. La troupe fuit devant lui, laissant parmi les 
morts les deux capitaines qui la commandaient. Une 
seconde marche sous le commandement de Couderc, sur- 
nommé la Fleur, de Mazel-Rosade. Il avait été dans les 
ceps de l'abbé Du Chayla, et c'est au dévouemeut de sa 
mère qu'il avait dû d'en sortir. 

De là sa fureur contre les ecclésiastiques. Réunis ou 
séparés, ces deux chefs brûlent les églises et les pres- 
bytères du Bousquet, de Cassagnac, du Prunet, de Saint- 
Andéol, et de cinq ou six autres lieux, et, pour l'exemple, . 
ils veulentmettreàmort un traître qui lesavaitdénoncés. 
Il parvient à se sauver, mais sa femme et ses deux filles 
périssent sous les ruines de sa maison incendiée. 

Dès le mois de novembre, les insurgés, forts de la 
complicité du pays, marchent ouvertement, en plein 
jour, rétablissent l'exercice public de leur culte, défen- 
dent d'aller à la messe, de payer les dîmes; ils font 
verser entre leurs mains l'argent des fermiers des béné- 
fices et du fisc royal. Tous les services publics sont dé- 
sorganisés, l'anarchie est à son comble. 

Les assemblées du Désert se rouvrent, plus fréquentes 
et plus suivies que jamais. Là, Cavalier se révèle prédi- 
cantet prophète à la fois, en attendant qu'il grandisse 
sur les champs de bataille, et bientôt sa renommée rejette 
sur le second plan Roland lui-même. Pour châtier la 
paroisse d'Aigues-Vives, où il venait de tenir une très- 
nombreuse assemblée, et faute de pouvoir se saisir des 
coupables, Broglie fait pendre quatre personnes à la 
porte de l'église, et en envoie douze aux galères, parmi 
lesquelles le premier consul, ou fonctionnaire munici- 
pal. Quelques femmes furent fouettées par le bourreau. 



186 HISTOIRE DES CAMISARDS 

On rasa la maison du consul et de quelques autres, et 
le lieu fut condamné à une amende de mille livres 
pour les frais delà procédure et ceux de l'exécution. 

Un prédicant, La Quoite, fut roué vif, par surcroît. 
« Le supplice qui brisa ses os ne brisa pas son cœur en- 
durci, dit Louvreleuil ; il mourut dans son hérésie (1). » 

Bâville, le roi du Languedoc, avait obtenu de la cour 
qu'elle lui donnât carte blanche, et un arrêt du conseil 
lui attribua « la connaissance de tous les crimes relatifs 
au soulèvement, avec le pouvoir de mettre tels juges 
qu'il jugeraità propos, pour faire le procès aux prévenus 
et les juger en dernier ressort. » C'était l'arbitraire sous 
le masque de la justice. L'intendant accusait les cal- 
vinistes de ce qu'il voulait, et faisait décider de leur sort 
par qui lui plaisait. Mieux valaient les agissements des 
chefs militaires, qui pendaient sans autre forme de pro- 
cès. Cela du moins avait le mérite de la franchise. 

Effrayés de ces ordonnances impies, ainsi que des 
exécutions aveugles dont elles donnèrent le signal, les 
protestants de la Vaunage, voyant traiter de môme, in- 
nocents et coupables, comprirent qu'il ne leur restait 
plus qu'à mourir en se défendant, et furent grossir les 
bandes detîoland et de Cavalier, qui, réunies, se prirent 
à dévaster les églises catholiques, en égorgeant de leur 
mieux les curés dont elles pouvaient se saisir. 

Rien ne saurait peindre la terreur qui s'empara des 
ecclésiastiques. Ils désertèrent leurs presbytères pour 
venir se réfugier dans les villes. Les évoques d'Uzès, 
d'Alais, de Mende, les recuellirent, barricadèrent leurs 
palais épiscopaux, organisèrent la défense comme si les 
armées d'Attila étaient aux portes. Louvreleuil, le curé 

(1) Louvreleuil, prêtre, Le Fanatisme renouvelé, t. I, p. 108. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 187 

nistorien, fait un dénombrement homérique des plans 
de défense de celui de Mende (1) : « Contrescarpes, 
ravelins, courtines, portes, herses, fossés, fausses 
hrayes, murailles, tours, remparts, parapets, guérites 
tout fut rétabli et mis en bon état... Huit compagnies 
de cinquante hommes chacune, et une de cent quarante- 
cinq, composées de paysans du dehors, furent mises 
■sur pied, non-seulement pour se bien défendre, mais 
encore pour être en état d'envoyer des secours aux envi- 
rons. )> 

Les insurgés triomphaient de la terreur qui pesait sur 
la contrée, et paraissaient peu effrayés des adversaires 
qu'on leur opposait. Un capitaine, en garnison au châ- 
teau de Mandagors, marche contre eux ; il est tué, les 
siens se retirent en désordre. Alors les États du Lan- 
guedoc, assemblés à Montpellier le 9 novembre, or- 
donnent la levée de trente-deux compagnies de fusiliers 
■et d'un régiment de dragons auquel on donne le nom 
de la province. Bâville obtient le concours d'un ba- 
taillon de marine en quartiers d'hiver dans les évêchés 
de Toulon, Aix, et Marseille, et qui fut transporté sur 
ceux de Nîmes et d'Uzès ; du régiment de dragons de 
Saint-Cernin, et d'un régiment irlandais. Il fît en outre 
des levées de miquelets dans le Roussillon, afin d'op- 
poser les montagnards des Pyrénées aux montagnards 
•des Gévennes. Enfin, on envoya des députés à la cour 
pour représenter les malheurs de la contrée et réclamer 
de prompts secours. 

C'est, de part et d'autre, un effroyable échange d'excès 
qui se succèdent sans interruption. La fumée des églises 
incendiées se confond avec celle des temples détruits, 

(l) Le Fanatisme renouvelé, t. I, p. 96. — Court, t. I, p. 12S. 



188 HISTOIRE DES CAMISARDS 

tout est à feu et à sang. Cavalier grandit sur ces ruines 
amoncelées, ses talents et son audace mettent en défaut 
l'habileté des officiers qu'on lui oppose, et il devient 
pourses sectateursënthousiastesleGédéon,leMachabée, 
le Jean Ziska, le Ragotzki du Languedoc (1). 

Sa troupe allait grossissant chaque jour.* Là surtout, 
les prophètes régnaient et gouvernaient avec un pouvoir 
absolu: « Tout ce que nous faisions, dit l'un d'eux (2), 
soit pour le général, soit pour notre conduite par- 
ticulière, c'était toujours par ordre de l'Esprit. On obéis- 
sait aux inspirations des plus simples et des petits en- 
fants, surtout quand ils insistaient dans l'extase avec 
redoublement de paroles et d'agitations, et que plusieurs 
disaient une même chose. Mais, dans la troupe où j'étais, 
nos chefs, et particulièrement M. Cavalier, étaient doués 
de grâces extraordinaires; aussi les avait-on choisis à 
cause de cela, car ils n'avaient aucune connaissance de 
la guerre ni d'autre chose. Tout ce qu'ils avaient leur 
était donné miraculeusement sur-le-champ. Dès qu'il 
s'agissait de quelque chose sur quoi les inspirations 
n'avaient rien dit, on allait ordinairement au frère 
Cavalier : 

« — Frère Cavalier, lui disait-on (car il ne voulait pas 
être traité de monsieur, encore qu'il eût cinquante bons 
gardes et qu'il lût mieux obéi qu'un roi), frère,, telle et 
telle chose se passe, que ferons-nous? » Aussitôt il ren- 
trait en lui-même ; et, après quelque élévation de son 
cœur à Dieu, l'Esprit le frappait, on le voyait un peu 
agité, et il disait ce qu'il fallait faire. C'était merveille 



(1) François Léopold, prince Ragotzki, chef des mécontents de 
Hongrie, de 1700 à 1705. 

(2) Théâtre sacré des Cèvenncs, déposition de Durand Fage. 



HISTOIRE DKS CAMISARDS 189 

dans les batailles, de le voir le sabre à la main, à cheval, 
et, dans certaines émotions de l'Esprit qui l'animait, 
courir partout, encourager, fortifier, faire des comman- 
dements qui surprenaient souvent, mais qui étaient 
exécutés à merveille et qui réussissaient de même. 

« Dans les occasions de grande importance, on faisait 
la prière générale, et chacun demandait à Dieu qu'il 
lui plût d'aider ses enfants dans l'affaire dont il s'agissait. 
Incontinent voilà qu'en divers endroits on apercevait 
quelqu'un saisi de l'Esprit. Les autres couraient pour 
entendre ce qui serait prononcé. Et ceux qui critiquent 
ici sans savoir l'état des choses auraient eu beau crier 
que nous avions des inspirations de commande, elles 
n'étaient pas de commande, mais elles étaient de de- 
mande, car nous implorions le secours de Dieu dans 
notre besoin, et sa bonté nous répondait. 

« — Eh bien ! disaient après cela les chefs, qu'est-ce 
que Dieu a ordonné ? » Tous les inspirés ayant dit la 
même chose, par rapport ace qui était en question, 
d'abord on se mettait en devoir d'obéir. Dans les com- 
mencements, plus que dans la suite, on murmurait 
quelquefois, parce qu'on manquait de foi et qu'on vou- 
lait être plus sage que la sagesse même, et cela arrivait 
particulièrement aux nouveaux incorporés dans la 
troupe et à ceux qui n'avaient pas d'inpirations. « Serait- 
il bien possible, disait-on quelquefois, que Dieu voulût 
qu'on se gouvernât ainsi ou ainsi ! » et alors on faisait 
souvent à sa fantaisie, en supposant que peut-être l'ins- 
piration n'avait pas été bien entendue. Mais on en était 
châtié ; et ceux d'entre nous qui avaient le plus de sou- 
mission et d'humilité ne manquaient pas de faire des 
réflexions sur la faute qui avait été commise. 

« Devions-nous attaquer l'ennemi, étions-nous pour- 

11. 



190 HISTOIRE DES CAMISARDS. 

suivis, la nuit nous surprenait-elle, craignions-nous 
les embuscades, arrivait-il quelque accident, fallait-il 
masquer le lieu d'une assemblée, nous nous mettions 
d'abord en prières: « Seigneur, fais-nous connaître ce 
« qu'il te plaît que nous fassions pour ta gloire et pour 
« notre bien ! » Aussitôt l'Esprit nous répondait, et l'ins- 
piration nous guidait en tout. 

« La mort ne nous effrayait point : nous ne faisions 
aucun cas de notre vie, pourvu qu'en la perdant pour la 
querelle de notre Sauveur et en obéissant à ses com- 
mandements, nous remissions nos âmes entre ses mains. 
Je ne crois pas qu'un seul de ceux qui étaient inspirés 
dans notre troupe ait été tué dans le combat ou ait été 
pris et exécuté à mort (car notre guerre se faisait sans 
cartel), qu'il n'en ait été averti quelque temps aupara- 
vant par l'Esprit. Alors on se remettait avec humilité 
entre les mains de Dieu, et on se résignait à sa volonté 
avec constance. On s'estimait heureux de le pouvoir 
glorifier dans la mort comme dans la vie. Je n'ai jamais 
ouï dire qu'aucun de nos frères, qui ont été appelés en 
grand nombre à sceller la vérité par leur sang, ait eu la 
moindre tentation de racheter sa vie par une lâche 
révolte, comme plusieurs auraient pu le faire s'ils l'a- 
vaient voulu. Ce même Saint-Esprit qui les avait tant de 
fois assistés les accompagnait jusqu'au dernier moment. 
De sorte qu'ils ne perdaient point au change, et que la 
mort ne leur était qu'un passage à la Aie. 

« D'ailleurs, quand l'inspiration nous avait dit : 
« Marche, ne crains point, » ou bien : « Obéis à mon 
« commandement, fais telle ou telle chose, » rien n'au- 
rait été capable de nous en détourner: je parle des plus 
fidèles et de ceux qui avaient le plus éprouvé la vérité 
de Dieu. Lorsqu'il s'agissait d'aller au combat, j'ose dire 



HISTOIRE DES CAMISARDS 191 

-que quand l'Esprit m'avait fortifié par une bonne parole : 
« N'appréhende rien, mon enfant, je te conduirai, je 
« t'assisterai, » j'entrais dans la mêlée comme si j'avais 
été vêtu de fer, ou comme si ies ennemis n'eussent eu 
que des bras de laine. Avec l'assistance de ces heureuses 
paroles de l'Esprit de Dieu, nos petits garçons de douze 
ans frappaient à droite et à gauche comme de vaillants 
hommes. Ceux qui n'avaient ni sabres ni fusils faisaient 
des merveilles à coups de perches et à coups de fronde ; 
•et la grêle des mousquetades avait beau nous siffler aux 
•oreilles et percer nos chapeaux et nos manches, comme 
l'Esprit nous avait dit : « Ne craignez rien ! » cette grêle 
de plomb ne nous inquiétait pas plus qu'aurait fait une 
menue grêle ordinaire. 

« Il en était de même dans toutes les autres occasions, 
lorsque nous étions guidés par nos inspirations. Nous 
ne posions point de sentinelles autour de nos assem- 
blées quand l'Esprit, qui avait soin de nous, avait déclaré 
que cette précaution n'était pas nécessaire. Et nous au- 
rions cru être en sûreté sous les chaînes et dans les 
cachots, dont le duc de Berwick et l'intendant Bâville 
auraient été les portiers, si l'Esprit nous eût dit : « Vous 
•serez délivrés ! » 

« 11 faudrait, déclare Élie Marion, de gros livres pour 
contenir l'histoire de toutes les merveilles que Dieu a 
opérées par le ministère des inspirations qu'il lui a plu 
de nous envoyer. Je puis protester devant lui, qu'à parler 
généralement, elles ont été nos lois et nos guides. Et 
j'ajouterai avec vérité que lorsqu'il nous est arrivé des 
disgrâces, c'a été pour n'avoir pas obéi ponctuellement 
à ce qu'elles nous avaient commandé, ou pour avoir fait 
quelque entreprise sans leur ordre. 

« Ce sont nos inspirations qui nous ont mis au cœur 



i ( .)2 ' HISTOIRE DES CAMfSARDS 

de quitter nos proches et ce que nous avions de plus 
cher au monde, pour suivre Jésus-Christ et pour faire la 
guerre à Satan et à ses compagnons. Ce sont elles qui 
ont donné à nos vrais inspirés le zèle de Dieu et de la 
religion pure ; l'horreur pour l'idolâtrie et pour l'impiété; 
l'esprit d'union, de charité, de réconciliation et d'amour 
fraternel qui régnait parmi nous ; le mépris pour les 
vanités et pour les richesses iniques, car l'Esprit nous 
avait défendu le pillage, et nos soldats ont quelquefois 
réduit des trésors en cendres, avec l'or et l'argent des 
temples des idoles, sans vouloir en profiter. Notre devoir 
était de détruire les ennemis de Dieu, non de nous enri- 
chir deleurs dépouilles. Et nos persécuteurs ontdiverses 
fois éprouvé que les promesses qu'ils nous ont faites 
des avantages mondains n'ont point été capables de 
nous tenter non plus. 

« C'a été uniquement par les inspirations et par le 
redoublement de leurs ordres, que nous avons com- 
mencé notre sainte guerre. Un petit nombre de jeunes 
gens simples, sans éducation et sans expérience, com- 
ment auraient-ils fait tant de choses, s'ils n'avaient pas 
eu le secours du ciel ? Nous n'avions ni force, ni conseil, 
mais nos inspirations et aient notre recours etnotre appui. 

a Ce sont elles seules qui ont élu nos chefs et qui les 
ont conduits. Elles ont été notre discipline militaire. 
Elles nous ont appris à essuyer le premier feu de nos 
ennemis à genoux, et à les attaquer en chantant des 
psaumes, pour porter la terreur dans leur âme. Elles 
ont changé nos agneaux en lions et leur ont fait faire des 
exploits glorieux. Et quand il est arrivé que quelques- 
uns de nos frères ont répandu leur sang, soit dans les 
batailles, soit dans le martyre, nous n'avons point 
lamenté sur eux. Nos inspirations ne nous ont permis. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 193 

de pleurer que pour nos péchés et pour la désolation de 
Jérusalem. Et je ne ferai point de difficulté de dire ici 
que lorsque Dieu retira ma mère en sa grâce, il m'or- 
donna d'essuyer mes larmes et m'assura qu'elle reposait 
en son sein, 

« Ce sont nos inspirations qui nous ont suscités,. 
nous, la faiblesse même, pour mettre un frein puissant 
aune armée de plus de vingt mille hommes d'élite, et 
pour empêcher que ces troupes ne fortifiassent le grand 
et général ennemi, dans le lieu où la Providence avait 
ordonné qu'il reçût le premier coup mortel. 

« Ces heureuses inspirations ont attiré dans le sein 
de nos églises plusieurs prosélytes d'entre les adorateurs 
de la Bête, qui ont toujours été fidèles depuis. Elles ont 
animé nos prédicateurs, et leur ont fait proférer avec 
abondance des paroles qui repaissaient solidement nos 
âmes. Elles ont banni la tristesse de nos cœurs au milieu 
des plus grands périls, aussi bien que dans les déserts 
et les trous des rochers, quand le froid et la faim nous 
pressaient ou nous menaçaient. 

« Nos plus pesantes croix ne nous étaient que des far- 
deaux légers, à cause que cette intime communication, 
que Dieu nous permettait d'avoir avec lui, nous sou- 
lageait et nous consolait. Elle était notre sûreté et notre 
bonheur. 

« Nos inspirations nous ont faitdélivrer plusieurs pri- 
sonniers de nos frères, reconnaître et vaincre des traîtres, 
éviter des embûches, découvrir les complots et frapper 
à mort des persécuteurs. 

« Si les inspirations de l'Esprit-Saint nous ont fait 
remporter des victoires sur nos ennemis parl'épée, elles 
ont fait bien plus glorieusement triompher-nos martyrs 
sur les échafauds. C'est là quele Tout-Puissant a fait des 



194 HISTOIRE DES CAMISARDS 

•choses grandes. C'est là le terrible creuset où la vérité 
et la fidélité des Saints inspirés a été éprouvée. Les pa- 
roles excellentes de consolation et les cantiques de 
réjouissances du grand nombre de ces bienheureux 
martyrs, lors même qu'ils avaient les os brisés sur les 
roues, ou que les flammes avaient déjà dévoré leur chair, 
ont été sans doute de grands témoignages que leurs 
inspirations descendaient de l'Auteur de tout don 
parfait. » 

Voici encore une déposition qui, même après les 
deux précédentes, nous paraît offrir un grand intérêt. 
Elle est dictée par un cousin et homonyme du plus 
glorieux chef des Camisards, de Jean Cavalier, du village 
de Sauves. Celui-là était un incrédule, qui fut converti 
bien à son corps défendant. 

« On commençait à parler beaucoup des prophètes de 
notre pays, lorsque quelques amis me sollicitèrent de 
me trouver dans une assemblée de gens qui devaient faire 
des prières ensemble. J'étais un garçon de quinze à seize 
ans que la dévotion n'occupait pas beaucoup ; mais je 
consentis volontiers à la proposition qu'on me fit, quand 
je pensai que je verrais peut-être là quelques-uns de 
ces inspirés dont on disait des choses si étranges, 

« Je ne fus pas sitôt entré dans la grange où tout le 
monde était, que j'aperçus un petit garçon couché à la 
renverse qui avait des agitations surprenantes. Cela m'é- 
pouvanta en quelque manière, etje n'en jugeai pas 
avantageusement. Quand ce petit garçon commença à 
parler, il dit entre autres choses qu'il y avait des per- 
sonnes dans la compagnie qui n'y étaient venues que par 
curiosité, et avec un esprit moqueur, et que si ces per- 
sonnes-là ne se repentaient, Dieu promettait qu'ils 
seraient reconnus et rendus honteux. Il ajouta quelques 



HISTOIRE DES CAMISARDS 195 

autres choses de même nature, et il fit si bien mon 
portrait, que quand il aurait pénétré dans mon cœur, il 
n'aurait pas si bien représenté les dispositions oùj'étais; 
ce qui me frappa terriblement. Mais mon petit raisonne- 
ment ne se porta pas plus loin qu'à soupçonner que ces 
gens-là pourraient bien être quelques espèces de devins. 
J'aurais voulu être à dix lieues de là. En effet, je me re- 
pentais de m'être engagé si avant parmi les assistants, 
et je formai la résolution de m'approcher peu à peu de 
la porte, pourm'enfuir le plus tôt que je pourrais; j'étais 
non-seulement ému et effrayé de ce que ce petit garçon 
avait si précisément deviné mes pensées, mais j'avais 
grand peur qu'il ne me nommât ou qu'il ne fit peut-être 
quelque chose de plus fâcheux encore. 

« Je ne m'étais de ma vie trouvé dans un pareil em- 
barras. Mais ce fut bien pis lorsque, comme toute ma 
pensée et tout mon désir ne tendaient qu'à sortir de là, 
je vis un autre fort jeune garçon directement sur mon 
passage, entre la porte et l'endroit où j'étais, qui, tom- 
bant tout à coup dans des agitations beaucoup plus vio- 
lentes que celles de son camarade, dit à haute voix qu'il 
yavait une personne malintentionnée qui voulait sortir, 
et que l'on eût à mettre des gens à la porte pour l'en em- 
pêcher de peur qu'elle n'allât découvrir l'assemblée. Après 
cela, ce nouveau devin se mit à dire tout haut, dans la 
précision la plus parfaite, tout ce que je m'étais dit à 
moi-même depuis que l'autre avait parlé; il ne lui man- 
quait plus que de me nommer par mon nom et par mon 
surnom, et de me venir saisir par le bras, et il ajouta 
diverses choses tendant à m.' obliger à m'humilier devant 
Dieu, à me repentir, à lui donner gloire, etc. 

« Ma frayeur secrète redoubla beaucoup. Je fus tout 
Iransi et j'étais pris de tous les côtés; car ce dernier gar- 



19C HISTOIRE DES CAMISARDS 

çon n'avait parlé que d'une seule personne, qui, comme 
je le sentais bien, ne pouvait être que moi. Et pour la 
porte, il n'y fallait plus penser. Mon Dieu! disais-je en 
moi-même, avec quelle sorte de gens suis-je ici? Qu'est- 
ce qui a dit à ces petits garçons ce qui est dans mon 
cœur? S'ils m'affrontent ici, que ferai-jc? Que devien- 
drai-je? Que diront mes parents? J'étais dans un grand 
embarras. Mais pourtant, ajoutais-je, ces gens-là parlent 
du bon Dieu; si c'étaient des sorciers, ils ne diraient pas 
toutes les bonnes choses qu'ils disent; ils ne feraient pas 
de si belles prières; ils. ne chanteraient pas des psaumes, 
et ces deux enfants ne m'auraient pas exhorté à me re- 
pentir. Ces pensées-là calmèrent un peu mon esprit et 
me portèrent à prier Dieu... 

« Alors voilà un troisième jeune garçon qui tombe 
comme avaient fait les autres, Après quelques agitations, 
il se leva plein de l'Esprit, et dit à peu près ceci : « Je 
t'assure, mon enfant, que cette assemblée est en sûreté, 
ne crains rien, je suis avec vous, et je veux maintenant 
mettre ma parole dans ta bouche pour que tu consoles 
mon peuple. » Gela "me toucha de nouveau et fortifia 
mon cœur. 

« Le jeune prédicateur parla deux grandes heures 
avec une facilité merveilleuse, et il dit des choses si 
pathétiques et si excellentes, que tout le mondre fon- 
dait en larmes et moi avec les autres. Personne ne dor- 
mait, j'en suis sûr, les paroles que ce petit serviteur de 
Dieu prononçait n'étaient pas endormantes: on n'en 
perdait pas une, car elles étaient toutes du sujet et toutes 
proportionnées à la capacité du bon et simple peuple 
qui les écoutait quoiqu'elles fussent toutes sublimes et 
divines. Les deux heures passèrent comme deux mo- 
ments. Et qui est l'enfant qui pourrait dire des choses sem- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 197 

blables? Tout le monde assurait que ce petit garçon ne 
savait pas lire; mais quand il aurait su lire, en vérité, il 
n'était point capable par lui-même de composer un 
pareil discours, ni de le réciter, ni même d'avoir la har- 
diesse de parler en public et en français... 

« Aussitôt après que sa prédication fut finie, je sentis 
comme un coup de marteau qui frappa fortement ma 
poitrine, et il me sembla que ce coup excitait un feu qui 
se saisit de moi, et qui coula par toutes mes veines. 
Cela me mit dans une espèce de défaillance qui me fit 
tomber. Je me relevai aussitôt, sans aucune douleur, 
et comme j'élevais mon cœur à Dieu, dans une émo- 
tion inexprimable, je fus frappé d'un second coup avec 
un redoublement de chaleur. Je redoublai aussi mes 
prières, ne parlant et ne respirant que par grands sou- 
pirs. Bientôt après, un troisième coup me brisa la poi- 
trine et me mit tout en feu. J'eus quelques moments de 
calme, et puis je tombai soudainement dans des agita- 
tions delà tête et du corps qui furent fort grandes, et 
semblables à celles que j'ai eues depuis, jusqu'à présent 
que je raconte ceci. Ces grands mouvements ne 
durèrent pas, mais l'émotion et l'ardeur du dedans 
continuèrent. J'étais alors tout occupé du sentiment que 
j'eus de mes péchés. Les fautes du libertinage, aux- 
quelles j'étais le plus principalement sujet, me pa- 
rurent des crimes énormes et me mirent dans un état 
que je ne saurais ici décrire. 

« Cependant le prédicateur faisait une seconde prière. 
Après qu'il eut fait chanter le psaume centième, il nie 
fit venir devant lui, et il m'adressa des exhortations 
que je ne pus recevoir que comme venant d'une part 
extraordinaire, tant elles frappèrent vivement mon 
cœur. La hardiesse même de ce jeune garçon m'éton- 



198 HISTOIRE DES CAMISARDS 

nait, ainsi que la pensée qu'il avait eue de prendre 
connaissance de ce qui m'était arrivé, et d'en entre- 
tenir le public. Et, en effet, quelle merveille de voir un 
enfant timide et ignorant entreprendre d'enseigner un 
peuple ! prêcher dans un langage qu'il n'était pas 
capable de parler dans un autre temps ! s'exprimer 
magnifiquement! fournir abondamment des choses excel- 
lentes 1 et présider en évêque dans une assemblée de 
-chrétiens ! Il me dit que j'étais bien heureux de m'être 
trouvé parmi ceux que Dieu avait appelés pour être 
rassasiés de sa grâce, sans qu'il leur en coûtât rien ; 
que je devais bénir éternellement la bonté de notre 
Père céleste, qui m'avait tendu si aimablement les 
bras en me présentant ses trésors ; que je l'en devais 
•remercier avec un cœur humble et reconnaissant, en 
tous les moments de ma vie, et quantité de choses de 
cette nature d'un prix infini. Mais il ajouta que parce 
que j'avais murmuré, la volonté de Dieu était de me 
tenir un certain temps dans un état d'humiliation, et qu'il 
me visiterait en me terrassant seulement, jusqu'à ce 
que son bon plaisir fût de mettre aussi ses paroles en 
ma bouche ; qu'en attendant, j'eusse à prier sans cesse. 

« Après cela, ce bon petit ministre de Jésus-Christ 
donna la bénédiction et déclara, étant toujours rem- 
pli de l'Esprit, que chacun arriverait en paix dans sa 
maison sans aucune mauvaise rencontre. 

« Sur le chemin, comme je m'en retournais chez 
mon père, j'étais toujours en prière et en admiration, 
non-seulement à cause des grandes choses qui m'é- 
taient arrivées, mais pour toutes les autres merveilles 
que j'avais vues et entendues. Je ne cessais de pleu- 
rer, et les grandes agitations que j'eus de temps en 
temps me jetèrent plusieurs fois à terre ou m'obli- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 199 

gèrent de m'arrêter. Je fus près de neuf mois dans cet 
état. La main de Dieu me frappait souvent, mais ma 
langue ne se déliait point. Il est vrai que sa grâce me 
consolait d'ailleurs, car j'obéissais avec plaisir à l'Es- 
prit intérieur, qui me portait toujours à l'invoquer. 
Je ne me souciais plus de mes jeux et de mes divertisse- 
ments ordinaires, et surtout je me sentis une véritable 
haine pour tout cet attirail du culte public des pa- 
pistes, et pour toute cette farce de messe dont je 
m'étais auparavant fait un jeu. Je ne pouvais seule- 
ment pas regarder leur église sans frissonner. 

« Enfin, après environ neuf mois de'sanglots et d'agita- 
tions sans parole, un dimanche matin, comme je fai- 
sais la prière dans la maison de mon père, je tombai 
dans une extase extraordinaire, et Dieu m'ouvrit la 
bouche. Pendant trois fois vingt-quatre heures, je fus 
toujours sous l'opération de l'Esprit, en différents de- 
grés, sans boire, ni manger, ni dormir, et je parlais 
souvent avec plus ou moins de véhémence, selon la 
nature des choses. On fut bien convaincu dans la fa- 
mille, par l'état extraordinaire que jamais où on me vit 
alors, et même par le prodige d'un jeune de trois jours, 
après lequel je n'eus ni faim, ni soif, qu'il fallait que 
des choses semblables vinssent de la souveraine puis- 
sance. » 



200 HISTOIRE DES CAMISABDS 



CHAPITRE I 



Premiers succès des Caraisards. — Vie évangélique des rebelles, an 
camp de l'Éternel. — Broglie, maréchal de France, remplace 
Noailles. — Soulèvement, général des campagnes. — Les Flo- 
rentins massacrent catholiques et protestants. — Fureurs inouies. 



Roland semblait s'être réservé les hautes Cévennes, 
en abandonnant le bas Languedoc à Cavalier. Quatre 
personnages qui se firent un nom à la tête des Enfants 
de Dieu se réunirent à ce dernier : c'étaient Catinat, 
Espérandicu, Rastalet et Ravenel. Comprenant la né- 
cessité d'imprimer à la lutte une direction unitaire, ils 
s'effacèrent généreusement devant lui et voulurent le 
faire reconnaître comme chef suprême. Cavalier, s'ex- 
cusant sur sa trop grande jeunesse, s'efforçait de dé- 
cliner ce périlleux honneur. Il crut les faire reculer en 
exigeant qu'on lui reconnût le droit de vie et de mort 
sur ses hommes. Mais, après avoir consulté l'Esprit, ils 
lui accordèrent le pouvoir de faire fusiller ceux qu'il, 
jugerait coupables, sans rassembler aucun conseil de 
guerre. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 201 

Pour justifier leur choix, il bat, le 5 décembre, trois 
compagnies de troupes régulières que commandaient 
deux gentilshommes de la contrée, et les poursuit dans 
les bois de Vaquières, non loin d'Hieuzet. Plaçant Ra- 
vanel à l'extrémité d'un défilé dans lequel les troupes 
devaient s'engager, il les attaque lui-même en flanc, 
les culbute et tue les deux gentilshommes. Des armes, 
des vêtements, de l'argent sont le prix de la victoire. 
L'argent est employé à acheter des chaussures. Quel- 
ques jours après, il obtient un nouveau succès à Cen- 
dras, sur un détachement de milices bourgeoises, dont 
il tue le capitaine. Enfin, à Saint-Cornes, où ils tenaient 
une assemblée, un capitaine veut, à la tête de sa com- 
pagnie de fusiliers, troubler leurs pieux exercices. Mais 
les temps étaient passés, où les calvinistes attaqués en- 
tonnaient des psaumes et se laissaient égorger sans 
essayer de se défendre. Une terreur panique s'empare 
des fusiliers, ils fuient devant les Camisards, le capi- 
taine lui-môme n'échappe qu'à grand'peine à la fureur 
de ceux qui le poursuivent jusqu'au château de Cavei- 
rac, où il trouve un asile. 

Le château de Servas, entre Mais et Uzès, était dé- 
fendu par une nombreuse garnison à laquelle les pro- 
testants avaient à reprocher bien des cruautés commises 
à leur égard. Cavalier ordonne à trente des siens de re- 
vêtir des habits d'ordonnance, fait lier avec des cordes 
six autres huguenots, et se met lui-même à leur tête en 
costume d'officier. Arrivé au village que domine la for- 
teresse, il mande le consul : 

— Je suis, lui dit-il, le neveu de M. de Broglie, je 
viens de défaire les révoltés sur lesquels j'ai fait ces six 
prisonniers. Je crains qu'on ne me les enlève avant que 
je les conduise en lieu sûr, et je demande au comman- 



202 HISTOIRE DES CAMISARDS 

dant du château de les [faire coucher dans ses prisons. 

Celui-ci n'a garde de refuser. 11 presse le prétendu 
neveu du gouverneur de la province d'accepter pour 
lui-même un lit dans le château, et d'y venir prendre 
quelques rafraîchissements. Cavalier se fait prier, et 
cède enfin à ses instances! Ses hommes étaient de- 
meurés en bataille sur la place du village, bâti au pied 
de la forteresse. Pendant le souper, quelques-uns en- 
traient de temps en temps, avec leurs fusils, pour rendre 
compte à leur officier de quelques détails de service. 
Quand il en voit un assez grand nombre autour de lui r 
il donne le signal, les Camisards tombent, les uns sur 
le corps de garde, les autres sur la garnison, lui-même 
se charge du commandant, et ils les massacrent tous 
jusqu'au dernier. Ils mettent le feu au château, et s'é- 
loignent, chargés de munitions de guerre et de provi- 
sions de bouche. 

Le jeune héros avait résolu de célébrer les fêtes de 
Noël dans une grande assemblée au Mas-Cauvé, dans 
le village de Saint-Cristol, non loin d'Alais. Il s'y trou- 
vait le 24 décembre, et n'avait alors avec lui que quatre- 
vingts hommes. Le chevalier de Guines, qui comman- 
dait à Alais, se met à la tète de la garnison, appuyée 
par six cents hommes des milices bourgeoises et cin- 
quante gentilshommes à cheval. Cavalier et Espérandieu 
dissipent l'assemblée, attendent de pied ferme l'ennemi 
qui s'avance, et se mettent chacun à la tête d'une petite 
bande, protégés pas des haies et quelques broussailles. 

La noblesse voulait se réserver l'honneur d'exter- 
miner à elle seule cette faible troupe, sans discipline, 
sans armes. Mais à la première décharge des Camisards 
que dirige Espérandieu, ils tournent le dos et prennent 
la fuite, en renversant, sous le galop de leurs chevaux,. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 203 

l'infanterie qui se préparait à les appuyer. Profitant de 
ce premier mouvement de désordre, Cavalier fond avec 
sa poignée d'hommes au milieu de cette multitude dé- 
bandée, et, pour les poursuivre plus à leur aise, ses 
gens, malgré la rigueur de la saison, se dépouillent de 
leurs habits. Ils les chassent, l'épée dans les reins, jus- 
qu'aux portes de la ville, où ils fussent entrés pêle-mêle 
avec eux, si leur petit nombre ne les eût empêchés de 
s'y risquer. Des armes, des vêtements, des munitions, 
de l'argent, des souliers, chose précieuse entre toutes, 
furent le prix de cette victoire. Ce succès était telle- 
ment inespéré, qu'ils l'attribuèrent modestement à un 
miracle de Dieu en leur faveur. 

Le 27, réuni à Roland, il entreprend d'aller désarmer 
la garnison de Sauves, ville lermée, sur la rivière de Vi- 
dourle, dans les Cévennes. Pour opérer une diversion 
et attirer au dehors une partie des forces ennemies, 
Cavalier va brûler l'église de Manoublet, tandis que 
Roland, à la tête de cinquante hommes, déguisés comme 
lui en troupes royales en quête des révoltés, vient, muni 
d'un faux ordre du duc de Rroglie, faire rafraîchir ses 
hommes dans la citadelle. On les accueille, on les fête, 
un joyeux et fraternel banquet leur est servi, on fait 
rafraîchir leur troupe sur la principale place de la ville. 
Lejeune colonel, — Rolandavait vingt-cinq ans, — cour- 
tise sa voisine de table, madame de Sauves, et se montre 
trop entreprenant. Elle conçoit quelques doutes, et au 
dessort, comme chacun se levait en désordre pour courir 
aux remparts de la ville afin de repousser Cavalier, dont 
on signalait l'approche à la tète de deux cent trente 
hommes environ, elle fait fermer sur eux la porte qu'ils 
viennent de franchir. Mais sur la place où sa troupe 
bivouaque, le faux colonel se démasque, et désarme la 



204 HISTOIRE DES CAMISARDS 

garnison. Ils se retirent après un séjour de quatre heures 
pendant lequel ils brûlent la principale église, entraînent 
au dehors un certain nombre de catholiques trop zélés, 
relâchent le plus grand nombre, et tuent les ardents, 
parmi lesquels trois ecclésiastiques. 

A ce dernier coup, curés, prieurs et bénéficiaires de 
tous ordres se remettent à trembler sur de nouveaux 
frais. Dès le 31 décembre, les pasteurs abandonnent 
leurs troupeaux pour se réfugier dans les villes fermées, 
et implorent à grands cris des secours qu'on ne peut 
leur envoyer. L'évoque de Nîmes, Fléchier, se fait l'écho 
de la terreur universelle (1) : 

1703. — « Jamais temps ne fut plus malheureux que 
celui-ci. Les dangers deviennent toujours plus grands, 
et il semblé qu'on ait toujours plus de peine d'être 
assisté. Rien ne coûte à ces scélérats pour faire du mal, 
et tout coûte quand il faut secourir les gens de bien. 
Ceux qui gouvernent sont bien embarrassés, quelque 
bonne intention qu'ils aient. Il sort des ennemis de tous 
côtés, et il n'y a ni assez de troupes, ni assez d'argent 
pour les réprimer. » 

C'est qu'il n'était pas facile de réduire une formidable 
insurrection qui couvrit bientôt une superficie de qua- 
rante lieues de long sur vingt de large, comprenant les 
six diocèses de Mende, Alais, Viviers, Uzès, Nîmes et 
Montpellier, ce qui, pour parler le langage plus intelli- 
gible de la géographie moderne, répond à nos quatre 
départements de l'Ardèche, de la Lozère, du Gard et de 
l'Hérault. 

La longue et imposante chaîne des Cévennes, qui 
couvre en grande partie toute cette portion du royaume, 

(l) Fléchier, Lettres choisies. Lettre du 12 janvier 1703. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 205 

et qu'habite une population robuste, sobre, agile, éner- 
gique et un peu sauvage, comme le sol qui la nourrit, 
paraît avoir été prédestinée par la nature pour servir de 
théâtre à une guerre de partisans. L'Ardèche (ancien 
Vivarais) embrasse les ramifications connues sous le nom 
de montagnes des Boutières, au nord, et de montagnes 
de Sanargue, au sud. Le géant de ces contrées, le 
Mézenc, se dresse à 1774 mètres au-dessus du niveau de 
la mer. Des grottes nombreuses se creusent aux flancs 
des montagnes. Dans la Lozère (Gévaudan), l'élévation 
des pics est moins considérable, et cependant les sommets 
de la Margeride, de la Lozère, d'Aubrac, possèdent une 
altitude de 1,350 à 1,500 mètres. Enfin, le Gard et 
l'Hérault ont aussi leurs parties difficilement accessibles, 
présentant en tous lieux d'immenses avantages à la dé- 
fense, des difficultés excessives à l'attaque ; des pics 
inabordables, des forêts de pins, des chênes, des hêtres, 
des châtaigniers abritant des lacs et des étangs, anciens 
cratères éteints. 

Les assemblées du Désert étaient aussi fréquentes 
que le cours des événements pouvait le permettre. On 
se réunissait le dimanebe surtout, sur le sommet d'une 
montagne, dans un vallon, une caverne, une grange, où 
on pouvait; mais, par prudence, elles avaient rarement 
lieu deux fois dans le même endroit. On lisait la Bible, 
l'Evangile, on chantait des psaumes, on écoutait les dis- 
cours des prédicants, on admirait les extases des pro- 
phètes. Aux grandes fêtes, un certain nombre rece- 
vaient l'Eucharistie. Agenouillés et tremblants, ils 
voyaient les chefs qui jouissaient du privilège de la 
seconde vue, ûudon, parcourir les rangs, et, inspirés de 
l'Esprit, ajourner les indignes, les consoler,, tandis que 
les autres communiaient au milieu des prières de tous. 

12 



206 HISTOIRE DES CAMISARUS 

En temps ordinaire, ils faisaient trois fois par jour des 
prières publiques. Ils ne quittaient un lieu qu'après avoir 
demandé à Dieu de les guider dans leur route, et, arrivés 
sans mauvaises rencontres, ils le remerciaient. Vain- 
queurs, ils lui rendaient grâce sur le champ de bataille 
môme, si cela était possible. Ils se livraient à des jeûnes 
particuliers ou publics (1). 

« Ni les querelles, dit Cavalier, ni les inimitiés, ni les 
calomnies, ni les larcins, n'étaientpoint pratiqués parmi 
nous. Tous nos biens étaient en commun : nous n'étions 
qu'un cœur et qu'une âme. Tout jurement, toute impré- 
cation, toute parole obscène, étaient entièrement bannis 
de notre société ; et les inspecteurs que nous avions éta- 
blis parmi nous, afin que tout s'y fît avec ordre et dé- 
cence, prenaient un soin particulier de nos pauvres et 
de nos malades, et leur fournissaient toutes les choses 
nécessaires. Heureux temps, s'il avait toujours duré (â)! » 
Inquiétés, poursuivis, traqués en tous lieux comme 
des bêtes fauves, les malheureux Cévenols avaient dû 
renoncer à cultiver la terre et à exercer les modestes 
industries qui les faisaient vivre. Comment donc trou- 
vèrent-ils moyen de prolonger une existence que le grand 
roi leur faisait si amère, alors qu'il n'y avait autour 
d'eux que des maisons détruites, des granges incendiées,, 
des troupaeux dispersés ? Ils surmontèrent toutes ces. 
difficultés, cependant, et triomphèrent des résistances 
des hommes comme de celles de la nature. Dépouillés 
de leurs biens, ils pillèrent à leur tour les catholiques, 
et emmagasinèrent dans les cavernes des montagnes 



(1) Jean Cavalier, Mémoires, livre II, p. 115 et suivantes. — Cour 
t. I, p. 176. 

(2) Cavalier, Mémoires, livre II, p. 121. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 207 

les fruits de leurs razzias impitoyables. Vivres, vête- 
ments, vins, armes, fromages, viandes salées, tout leur 
était bon et ramassé avec soin par eux. On se nourrissait 
tellement quellement, grâce à la complicité généreuse 
des habitants qui n'avaient pas encore pris les armes. La 
soupe était rare, c'était le régal des grands jours ; on ne 
l'avait qu'à tour de rôle. 

Lorsqu'ils ne purent plus se procurer de poudre 
dans les villes, ils s'adressèrent aux contrebandiers, aux 
soldats mêmes qui devaient les combattre, et desquels 
ils l'achetaient. Puis enfin ils parvinrent à en fabriquer 
eux-mêmes. Quant aux balles, la vaisselle d'étain, le 
plomb qu'ils enlevaient aux églises et aux fenêtres des 
presbytères qu'ils saccageaient, leur en fournirent tou- 
jours amplement. Enfin, dans les grottes les plus mysté- 
rieuses, les plus inabordables, ils cachaient leurs blessés 
qui étaient entourés de tous les secours de la charité la 
plus attentive. 

Au commencement de janvier de l'année 1703, la 
cause des révoltés est triomphante. Dédaignant les expé- 
ditions nocturnes des premiers temps, ils marchent au 
grand jour, tambours battants et enseignes déployées. 
Ils ont des corps d'armée, d'excellents chefs pour cette 
guerre de partisans, et pour soldats de robustes monta- 
gnards que la persécution stimule et que soutient le 
fanatisme. Ils se défendent dans les plaines, dressent 
des embuscades dans les défilés, opèrent de savantes 
retraites à travers les montagnes, et, sans aucun secours 
de l'étranger, sont raremeut vaincus, sinon par surprise 
ou par des forces trop supérieures, et restent presque 
toujours vainqueurs sur les champs de bataille. 

Justementinquietdes succès croissants desCamisards, 
le gouvernement se décide à envoyer sur les lieux quel- 



208 HISTOIRE DES CAMISARDS 

ques troupes commandées par deux brigadiers distin- 
gués, de Parate et de Julien. Ce dernier venait même 
d'être élevé à la dignité de maréchal de camp à la pro- 
motion du 23 décembre 1702, avant d'être expédié sur 
lesCévennes. 

Né protestant, de Julien avait quitté la France lors 
de l'attentat du 22 octobre 1685, espérant sans doute 
que le grand roi retirerait une ordonnance plus impoli- 
tique encore que cruelle. Mais, infaillible comme le 
pape, — ses courtisans le lui disaient, et il le croyait 1 1), 
— Louis XIV ne revenait jamais sur ce qu'il avait fait. 
Lassé d'attendre, de Julien abjura pour reconquérir sa 
patrie, son grade, et les faveurs que la cour prodiguait 
aux renégats. Converti par ambition, tourmenté par ses 
remords, peut-être, on le voyait déployer en toute cir- 
constance un zèle- amer et bigot contre ceux dont il 
avait délaissé les croyances, et dont, dans ses dépêches, 
il ne parlait que dans les termes les plus insultants. «Ce 
sont, écrit-il, des misérables, des gueux, des bandits, 
des canailles. » Il fit parfois passer au fil de l'épéc des 
villages tout entiers. Aussi obtint-il bientôt la confiance 
absolue des ecclésiastiques et de l'intendant de la pro- 
vince. 

Tandis que les deux nouveaux capitaines se dirigeaient 
vers le théâtre de leurs futurs exploits, le comte de Bro- 
glie apprend que les Camisards sont descendus dans la 
Yaunage (11 janvier). Il appelle à lui le terrible Poul, 
on se met à leur recherche, et on les atteint au Val de 



(1) « Si l'on tenait un consistoire pour décider de l'infaillibilité 
du roi comme on en a tenu pour celle du pape, je déciderais pour 
celle de Sa Majesté. Ses ordres ont confondu toute la science hu- 
maine. » Lettre de Tessé à Chamillard , 5 avril 1706. Mémoires de 
Noailles, p. 192. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 209 

Bane, sur le territoire de Nîmes. On se met en marche, 
en ordre de bataille, Poul à la droite, la Dourville à la 
gauche, Broglie avec son fils au centre. Cavalier se 
trouvait alors à Nîmes, et Ravanel et Catinat comman- 
daient à sa place. Avant de s'éloigner, il leur avait pré- 
dit, dans une de ses extases, qu'ils livreraient un combat 
en son absence, qu'ils seraient vainqueurs, et que Poul 
y perdrait la vie. 

Après avoir congédié tous ceux qui ne se trouvaient 
là que dans l'espoir de prier Dieu au milieu du Camp de 
l'Éternel, les deux lieutenants du jeune général mas- 
sèrent leurs hommes sur une hauteur qui dominait le 
Val de Bane. Ils n'étaient en tout que deux cents. On 
hésitait néanmoins à les attaquer, quoique l'on eût à 
leur opposer un chiure égal de milices bourgeoises, 
appuyées par le régiment du Petit-Languedoc et une 
compagnie de dragons. Poul lui-même, qui savait à 
quels adversaires on avait affaire, était d'avis que l'on 
attendit des renforts. Les plus aventureux l'empor- 
tèrent, et on livra la bataille. 

Ils étaient agenouillés et chantaient des cantiques, 
lorsque la première décharge de l'ennemi éclate sur 
eux. Ils se lèvent alors, et répondent par un feu telle- 
ment meurtrier, chacun ajustant son homme, que les 
milices terrifiées tournent le dos et entraînent les dra- 
gons dans leur fuite. 

Un jeune garçon, nommé Samuelet, n'était armé que 
d'une fronde. Mais il la maniait si bien, que d'une pierre 
il abattit Poul, frappé à la tète. Le berger David avait 
châtié l'orgueil du géant Goliath. L'enfant se précipite, 
arrache le sabre des mains du blessé, lui tranche la tète, 
s'élance sur son vigoureux cheval, et se met à la pour- 
suite des dragons. 

12. 



210 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Les catholiques s'enfuirent tout d'une haleine jusqu'à 
Nîmes, où ils entrèrent toujours courant, sans armes, 
sans chapeaux, frappés d'une terreur qui devint de plus 
en plus contagieuse. Cavalier put réjouir sa vue de ce 
spectacle. Confiant dans la prophétie qu'il avait faitela 
veille, il était venu, déguisé en marchand, acheter lui- 
même de la poudre dont il manquait. Grâce à la con- 
fusion générale, il sortit de la ville sans être inquiété, 
s'amusa à rassurer sur la route les fugitifs effarés qui 
voulaient lui persuader de retourner avec eux vers la 
ville, et bientôt ilrejoignitRavanel et Catinat, auxquels il 
avait voulu réserver les honneurs de la journée. 

Les vainqueurs résolurent d'aller brûler un village 
qui avait la maie chance de s'appeler Poul, et qui n'était 
guère qu'à une lieue de Nîmes. L'église, quatorze mai- 
sons furent réduites en cendres, et quelques victimes 
furent fusillées. Le chevalier de Saint-Chattes se flattait 
de leur faire expier ce facile triomphe. Tout son déta- 
chement resta sur la place ou se noya dans le Gardon ; 
lui-même ne dut son salut qu'à la rapidité de son cheval. 

Cependant de Julien et les renforts que l'on attendait 
étant arrivés, Broglie résolut de venger sa défaite et de 
poursuivre les Camisards à outrance. Dans un conseil 
auquel assistait Bàville, de Julien avait émis cette pro- 
position radicale, de passer au fil de l'épée tous les pro- 
testants de la province et de brûler tous les villages 
soupçonnés de favoriser la révolte (1). C'était, on le voit 
beaucoup mieux que la Saint-Barthélémy, seulement 
l'exécution de ce beau projet demeurait fort épineuse, 
attendu que les victimes étaient prévenues, que beau- 
coup d'entre elles étaient armées, et tout aussi bien en 

(i; Court, t. I, p. 212. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 211 

situation d'égorger les catholiques que de se laisser 
égorger par eux. Ils ne le prouvaient que trop bien tous les 
jours. On se contenta donc de décider que l'on s'effor- 
cerait de les rejoindre, si l'on pouvait, sauf à les tuer, si 
l'on parvenait à les battre. 

« On les courait partout comme on court des loups 
enragés, dit Brueys : mais on ne savait où courir pour 
les rencontrer (1). » 

C'était là le difficile, en effet. Quand on croyait les 
tenir, ils disparaissaient, semblaient s'enfoncer sous terre, 
et le lendemain, ils brûlaient des villages bien loin du 
lieu où ils se trouvaient la veille. Nul ne trahissait le 
secret de leur marche. Ceux que l'on arrêtait et dont on 
espérait obtenir quelques éclaircissements mouraient, 
mais ne parlaient pas. 

On apprend enfin qu'ils sont du côté de Saint-Jean-de- 
Ceyrargues. Bâville y court, avec toutes les forces dont 
la province pouvait disposer ; et comme il s'agissait d'en- 
velopper les Cévenols dans un réseau de feu, de Julien 
y marche d'un côté à la tête de deux bataillons de troupes 
régulières, Broglie d'un autre avec deux compagnies de 
dragons et un corps considérable de fusiliers, le comte 
de Tournon d'un troisième côté, avec huit cents hommes 
de milices rassemblés à Uzès. 

L'Église les accompagne de ses vœux les plus ardents, 
et adresse pour eux au ciel ses prières les plus instantes : 
« On est actuellement après les Camisards, écrit Flé- 
chier ; les troupes de Nîmes et d'ailleurs ont marché vers 
Uzès et Saint-Esprit pour tomber sur la troupe auda- 
cieuse que M. de Julien poursuit depuis quelques jours, 
Dieu veuille bénir ceux qui combattent pour la religion! » 

(1) Brueys, t. I, p. 155. 



212 HISTOIRE DES CAMISAliDS 

Hélas ! la Providence, dont les desseins sont insonda- 
bles et les voies bien détournées, ne devait bénir les gros 
bataillons qu'après que les petits auraient été décimés 
bien des fois encore dans les combats et sur les échafauds. 

Seul contre trois, c'eût encore été assez pour ces glo~ 
rieux champions de la liberté de conscience, de mourir 
d'une mort glorieuse. Ils jugèrent qu'il valait mieux 
vaincre leurs nombreux adversaires et faire triompher 
la noble cause. Seulement, ils voulurent prendre leur 
temps et choisir leur lieu. Aussi Bàville, Broglie, Tour- 
non et Julien ne trouvèrent- ils plus à Saint- Jean-de- 
Ceyrargues ceux qu'ils croyaient surprendre, et, dans 
le même moment, ils brûlaient les village de Salendrés 
et de Geyras, de l'autre côté de la rivière. On la franchit, 
on s'avance ; mais il n'y a plus personne ; ils sont devenus 
invisibles, impalpables, ils se sont évanouis dans les 
airs, ou bien cachés dans le tronc des arbres des forêts. 
Et voilà que tout à coup, le 23 janvier, ils enlèvent un 
convoi de vivres à Mandajors, et pour comble d'audace 
et d'irrévérence, le 25, ils prennent la liberté grande de. 
venir attaquer un corps de garde aux portes d'Anduze, 
où était Broglie avec des troupes nombreuses. 

Boland et Cavalier, trop jeunes peut-être pour le grave 
métier de généraux d'armées, manquaient déplorable- 
ment de sérieux. On chercherait en vain dans leurs actes 
ce caractère de majesté compassée qui distinguait le 
grand siècle. C'étaient chaque jour de véritables espiè- 
gleries de pages en goguettes ; ils introduisaient un élé- 
ment nouveau — l'esprit, qui s'y trouvait fort dépaysé, 
— dans l'art éminemment grave de tueries hommes, et 
l'on eût dit qu'ils avaient juré de susbstituer le vaude- 
ville insolent et railleur à la tragédie, où l'on préten- 
dait leur réserver le rôle de victimes au dénouement. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 213 

Nous avons déjà raconté de leurs tours. Une fois, ils 
écrivent à un capitaine pour l'avertir qu'une assemblée 
va se tenir au Colet. Celui-ci, naïvement, s'empresse de 
s'y rendre avec toute sa garnison. Les Gamisards arrivent 
au lieu qu'il vient de quitter, y tiennent leur assemblée, 
prêchent et chantent, et ne se retirent qu'après avoir tout 
saccagé. 

Une autre fois (27 janvier), il prend fantaisie à Roland 
de détruire une garnison de cent hommes qui, du châ- 
teau de Saint-Félix, exerçait sur les protestants des en- 
virons une rude tyrannie. Il met le feu aux métairies du 
château, situées à quelque distance, et en fait donner 
avis au vicomte de Saint-Félix, qui s'élance à la tête de 
la meilleure partie de la garnison pour aller faire main 
basse sur les incendiaires. Roland alors marche sur le 
château, somme le reste de la garnison de se rendre, 
promettant la vie sauve à ceux qui lui ouvriront les 
portes, et la mort à ceux qui lui résisteront. 

Deux soldats se laissent intimider et font pénétrer Ro- 
land dans l'intérieur de la forteresse. On poursuit les 
autres de chambre en chambre, et tous sont tués sans 
miséricorde à l'exception des deux qui avaient cédé. On 
enlève cent cinquante pains de munition, quarante-cinq 
fusils, un baril de poudre. Puis on marche à la rencontre 
du vicomte qui, n'ayant trouvé personne aux alentours 
de ses granges incendiées, accourait au secours de son 
château, que déjà les flammes couronnaientdc leurrouge 
panache. Ses hommes sont taillés en pièces, et il se sauve 
lui-même à grand'peine. Roland fait couper la tête à 
douze cadavres qu'il fait exposer au pont d'An duze, sinis- 
tre représaille que le comte de Broglie dut comprendre ( 1 ). 

(1) Court, t. I, (). 21G-218. 



214 HISTOIRE DES CAMISARDS 

De leur côté, Castanet, Joanny, Couderc, répandent 
la terreur autour d'eux. Afin de donner au lecteur une 
idée de la situation effroyable de cette malheureuse 
province habitée par deux populations, catholique et 
protestante, dont Louis XIV avait fait des ennemis 
acharnés, nous allons laisser raconter à Court de Gé- 
belin les exploits de Joanny à Genouillac, sa ville na- 
tale. Déjà, dans deux expéditions différentes, il avait 
brûlé l'église et les maisons de quelques catholiques 
trop compromis, et égorgé les milices bourgeoises, 
auxquelles on avait accordé le privilège du logement 
militaire chez les protestants : 

« Quelques jours après, on mit une nouvelle gar- 
nison dans ce lieu. Joanny forma le dessein de les dé- 
busquer une seconde fois : il se présenta, demanda 
les armes et promit de laisser retirer la garnison en 
paix si on les lui accordait. De la Perrière, capitaine 
d'infanterie, qui était à la tête de la garnison, trouva 
la proposition insolente et se mit en défense ; mais il 
fut tué à l'attaque, avec quelques-uns de ses soldats, et 
le reste de sa troupe, poursuivie et écharpée dans les 
casernes où elle s'était réfugiée. Un seul lieutenant et 
cinq soldats trouvèrent leur salut dans la fuite. Au 
bruit de ses exploits, les catholiques de ce canton, au 
nombre de cinq ou six cents, prirent les armes, cou- 
rurent la campagne, firent main basse sur les protes- 
tants, et pillèrent leurs maisons. Le colonel Marsilly 
fut les joindre à la tête de quatre cents hommes et 
marcha avec eux à Genouillac. Joanny eut l'audace de 
les attendre de pied ferme à la porte de la ville, en or- 
dre de bataille; mais après une décharge, accablé par 
le nombre, il battit en retraite et se retira dans les 
montagnes sans être poursuivi. Le colonel, étant alors 



HISTOIRE DES CAMISARDS 215 

entré dans la ville, fit main basse sur les habitants ré- 
formés, tranquilles dans leurs maisons. Une centaine 
de ces malheureux furent immolés à son zèle, et péri- 
rent par la main des soldats. 

« Marsilly s'étant, quelques jours après, retiré à la 
Forte, Joanny revient, pour la troisième fois, à Ge- 
nouillac, et forme le projet de châtier les catholiques 
des environs, qui avaient osé faire main basse sur les 
protestants et piller leurs maisons ; il porta partout la 
terreur et l'effroi, et dévoua à son ressentiment tout 
ce qu'il trouva sous' ses pas ; le lieu de Chambourigaud 
fut, en particulier, le théâtre où il joua sa plus san- 
glante scène. 

« M. de Julien accourut au secours de cet infortuné 
canton, et étant entré dans Genouillac, il fit massacrer 
tout ce qui s'y trouva encore de protestants, et livra la 
ville à la fureur et à la cupidité du soldat, qui se char- 
gea de butin. » 

On suit les Camisards à la trace du sang qu'ils lais- 
sent derrière eux. Divisés en petites bandes, ils pro- 
mènent au loin le fer et la flamme, et l'on compte, en 
janvier plus de quarante églises, châteaux, presbytères 
incendiés, plus de quatre-vingts personnes égorgées 
Après qu'il ont passé, les troupes royales, partout 
comme à Genouillac, arrivent le lendemain, brûlent 
es maisons des protestants qu'ils égorgent sur ce s 
ruines fumantes, et chacun travaille ainsi à faire le dé - 
sert dans ces contrées, heureuses avant que la religion 
ne vînt les bouleverser. 

Suivant Louvreleuil (l),un synode des pays étrangers 



(1) Le Fanatisme renouvelé, t. I, p. 20 i. 



21G HISTOIRE DES CAMISARDS 

intervint pour réprimer les excès des Camisards, et leur 
fit parvenir une lettre dans laquelle les protestants du 
dehors blâmaient énergiquement cette série de repré- 
sailles sanglantes. Genève aussi réprouva leur conduite. 
Est-ce à dételles interventions qu'il faut attribuer quel- 
ques jours de répit dont ils laissèrent profiter la pro- 
vince? Mais pour qu'elle fût durable, cette modération 
eût dû être imitée par leurs persécuteurs, ce qui n'eut 
jamais lieu. 

Aussi Cavalier reprit-il bientôt l'offensive, et, à la 
tête de huit cents hommes, il résolut d'aller soulever 
le Yivarais, non sans semer bien des ruines et des 
meurtres sur sa route. 

Le comte de Roure, lieutenant du roi à Saint-Esprit, 
fit demander au jeune chef des Camisards la cause d'une 
pareille agression. 11 répondit : « que si lui et ses amis 
avaient pris les armes, ce n'était point pour attaquer, 
mais pour se défendre : que la cruelle persécution qu'on 
leur faisait éprouver depuis vingt ans, et qui augmen- 
tait tous les jours, les y avait contraints : que puisqu'on 
ne voulait pas les laisser en repos chez eux, mais les 
obliger d'abandonner une religion qu'ils croyaient bonne, 
et les forcer d'aller à la messe et de se prosterner devant 
des images de bois et de pierre, contre les lumières et 
les mouvements de leur conscience, ils aimaient mieux 
mourir les armes à la main que de se damner : que 
néanmoins, ils étaient prêts à quitter les armes et à les 
employer ainsi que leurs biens et leurs vies pour le ser- 
vice du roi, dès le moment qu'on voudrait bien leur ac- 
corder la liberté de conscience, et la délivrance de leurs 
parents, de leurs frères et de leurs amis qui étaient sur 
les galères ou renfermés pour cause de religion dans les 
prisons, et qu'on cesserait de faire souffrir aux protes- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 217 

tants, pour la même cause, des morts cruelles et igno- 
minieuses (1). » 

Toutefois, ce hardi partisan ne put traverser les mon- 
tagnes de l'Ardèche qu'il trouva trop bien gardées. De 
Julien l'avait suivi, et résolut de lui faire payer cher son 
imprudence. 11 ordonna à de Joviac, colonel des fusi- 
liers, de l'attaquer de front avec tout ce qu'il pourrait 
rassembler de troupes, tandis que le comte de Roure, 
à la tête des milices et de tous les gentilshommes du 
voisinage, se replierait sur ses derrières, afin de l'écraser 
entre deux corps d'armée. Il ne paraissait pas que Ca- 
valier pût se tirer d'affaire, au milieu de troupes aussi 
supérieures en nombre. L'événement trompa néanmoins 
l'espoir des catholiques. Ils furent battus, beaucoup de 
gentilshommes perdirent la vie, et les vainqueurs pour- 
suivirent leurs ennemis jusqu'au bourg de Salvas, à 
plus d'une lieue de celui de Vagnas, où l'affaire avait 
eu lieu (10 février). 

Le lendemain, de Julien, à la tête de dix-huit cents 
hommes de troupes fraîches, surprit les Camisards, ha- 
rassés de leur victoire de la veille. Il leur coupa la re- 
traite, les força d'accepter le combat, et les tailla en 
pièces, malgré les prodiges de valeur qu'ils accom- 
plirent dans cette journée néfaste. Le soir, Catinat et 
Ravanel rallièrent quelques débris de leurs bandes 
attendirent vainement Cavalier, Espérandieu et Rasla- 
let. Cavalier, fugitif avec quatre ou cinq des siens, ne 
reparut qu'au bout de quelques jours pendant lesquels 
il défendit sa vie contre des hasards et des périls inouïs. 
Espérandieu était resté sur le champ de bataille. Quant 
à Rastalet, la célébrité qu'il s'était déjà acquise lui valut 

(l) Cavalier, Mémoires, livre I, p. 91. 

13 



218 HISTOIRE DES CAMISARDS 

d'être réservé par de Julien pour B avilie, auquel il fallait 
bien faire sa part dans cette curée d'hommes; le terrible 
intendant le fit expirer sur la roue, le 4 mars, à Alais. 

Nous disons qu'il fut réservé, car de Julien avait re- 
noncé à faire des prisonniers, et il s'en vante avec une 
naïveté pleine de cynisme : « Gomme dans nos marches, 
à la moindre alarme, nous aurions été embarrassés de 
garder les prisonniers, je pris la peine de leur faire casser 
la tête à mesure qu'on mêles conduisait. Le roi épargne 
les frais de justice et ceux de l'exécution, et même la 
corruption des juges subalternes, qui souvent par in- 
térêt justifient les coupables. Ce sont des serpents dan- 
gereux auxquels il est bon d'écraser la tête le plus tôt 
qu'il est possible (1). » 

Il devenait de plus en plus dangereux de rester neutre 
au milieu de cette guerre de cannibales. C'est alors que les 
populations des campagnes se soulevèrent à leur tour, 
firent un troisième parti au milieu des deux qui les dé- 
chiraient, et, brûlant, assassinant au hasard, portèrent 
au comble les malheurs de la contrée. Ils étaient guidés 
par Chabert, et le lieu de Saint-Florent ayant fourni le 
plus de recrues à ce ramassis de brigands, on les désigna 
sous le nom de Florentins. 

Les habitants de Fraissinet avaient commis quelques 
excès contre des protestants et notamment contre plu- 
sieurs jeunes filles qui revenaient d'une assemblée. 
Castanet, qui comptait dans sa troupe quelques-uns des 
parents des victimes, résolut de les punir. Ils voulurent 
résister, mais mal leur en prit, car Castanet vainqueur 
lit passer une quarantaine de personnes au fil de Tépée. 



(1) Lettre de Julien à Chamillart, février 1703. — Archives de la 
guerre, volume 1707, n° 69. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 219 



CHAPITRE V 



Montrevel, maréchal de France, remplace Broglie. — Bàville le 
seconde dans ses sauvages entreprises. — Massacre des protes- 
tants à Nîmes. — Crimes horribles des Florentins, des Cadets de 
la Croix, des Camisards blancs, des Camisards noirs. — Le pape 
Clément XI fulmine une bulle contre les révoltés des Cévennes. 



La cour, mécontente de Broglie contre lequel le clergé 
ne cessait d'adresser des plaintes, envoya pour le rem- 
placer le maréchal de Montrevel à la tête de troupes 
considérables, qui portèrent à environ 60,000 homme* 
l'effectif dont il put disposer. Arrivé à Nîmes le 15 février, 
il eut une conférence avecBâville, de Julien et de Parât .. 
qui lui firent connaître les difficultés de la situation. 

Nicolas La Beaume de Montrevel n'avait aucune des 
qualités nécessaires pour apaiser la formidable insur- 
rection des Cévennes. Orgueilleux, dur, implacable, sol- 
dat brutal et ne connaissant que la force, il pouvait, 
avec Bâville et de Julien, faire du Languedoc un désert ; 
mais il n'eût jamais su ramener dans la voie pacifique 
un seul protestant. Parlementer avec ces misérables 



220 HISTOIRE DES CAMISARDS 

bandits lui semblait bien au-dessous de la dignité d'un» 
maréchal de France ; il jugeait plus simple et plus ex- 
péditif de les tuer le jour du combat, de les pendre le 
lendemain. 

La partie était trop chaudement engagée pour que les 
Camisards se laissassent décourager par les démons- 
trations imposantes des catholiques. Ils avaient juré de 
mourir tous jusqu'au dernier plutôt que d'abjurer leurs 
croyances, et ils se préparaient à tenir parole. 

Bien que vaincu à Vagnas, le corps de Cavalier rem- 
porta bientôt quelques petits avantages partiels, brûla 
dix-huit églises, quatre-vingts maisons, tua une cin- 
quantaine de personnes, massacra tous les habitants de 
Uruguière... Mais Ravanel, qui commandait alors, fut 
lui-môme battu, le 20 février, aux portes de Nîmes, par 
le maréchal de Montrevel. La perte fut grande des deux 
côtés. 

Les Cévenols éparpillent leurs forces, afin de pouvoir 
se dérober plus facilement aux recherches et de forcer 
leurs adversaires à se diviser eux-mêmes pour les pour- 
suivre. Et alors, grâce à leur connaissance plus exacte 
du pays, ils se réunissent à un jour donné, tombent sur 
un des petits corps royalistes, le taillent en pièces, et 
jettent ainsi la terreur et la démoralisation chez ceux 
qui les poursuivent. Ils semblent toujours en fuite, et 
sont partout vainqueurs. 

Pour que la frayeur ne fût pas toute du côté des catho- 
liques, Montrevel fait piller et brûler les villages où 
■ les révoltés ont séjourné, Marvejols, Hieuset, Saint- 
Jean-de-Ceyrargues ..., puis il publie coup sur coup 
deux ordonnances menaçantes. 

«Le roi, disait-il dans la première, en date du 23 fé- 
vrier, étant informé que quelques gens sans religion por- 



HISTOIRE DliS CAMISARDS 221 

tent des armes, exercent des violences, brûlent des 
églises et tuent des prêtres, Sa Majesté ordonne à tous 
ses sujets de leur courir sus, et que tous ceux qui seront 
pris les armes à la main, ou parmi les attroupés, soient 
punis de mort sans aucune forme de procès : que leurs 
maisons soient rasées et leurs biens confisqués : comme 
aussi que toutes les maisons où ils ont fait des assemblées 
soient démolies. Le roi défend aux pères, mères, 
frères, sœurs et autres parents des fanatiques et autres 
révoltés, de leur donner retraite, vivres, provisions , 
munitions, ni autre assistance, de quelque nature et 
sous quelque prétexte que ce soit, ni directement, ni 
indirectement, à peine d'être réputés complices de leur 
rébellion, et comme tels, il veut et entend que leur 
procès soit fait et parfait par le sieur de Bàville et les 
officiers qu'il choisira. 

« Sa Majesté ordonne encore aux habitants du Lan- 
guedoc qui dans le temps de cette ordonnance seront 
hors de leurs demeures, d'y retourner dans huit jours: 
si ce n'est qu'ils eussent une cause légitime, qu'ils dé- 
clareront au sieur de Monlrevel, commandant, ou au 
sieur de Bàville, intendant ; et cependant aux maires et 
consuls des lieux, de la raison de leur retardement : de 
quoi ils prendront des certificats pour les envoyer aux- 
dits sieurs commandant ou intendant, auxquels Sa 
Majesté ordonne de ne laisser entrer aucun étranger ni 
sujet des autres provinces, sous prétexte de commerce, 
ou autre affaire, sans un certificat des commandants ou 
intendants des provinces d'où ils partiront, ou des juges 
royaux des lieux de leur départ ou des plus prochains. 

« A l'égard des étrangers, ils prendront des passe-ports 
des ambassadeurs ou envoyés du roi dans les pays où 
ils sont, ou des commandants ou ries intendants des pro- 



222 HISTOIRE DES CAMISARDS 

vinces, ou des juges royaux des lieux où ils se trouveront, 
Au surplus, Sa Majesté veut que ceux qui seront pris 
en ladite province du Languedoc sans de tels certificats 
soient réputés fanatiques et révoltés, et comme tels, que 
leur procès soit fait et parfait, et qu'ils soient punis de 
mort : auquel effet ils seront menés audit sieur de Bâ- 
ville ou aux officiers qu'il choisira. » 

Une autre ordonnance, du lendemain 24, n'était pas 
moins rigoureuse : 

« Nous, etc., étant informé qu'il se fait tous les jours 
dans différents endroits des attroupements de soulevés, 
qui commettent toutes sortes de crimes et qui conti- 
nuent de massacrer les anciens catholiques et de brûler 
les églises, et que les habitants de plusieurs endroits 
qui sont nouvellement convertis, loin de contribuer 
à repousser de telles violences, les favorisent de tout 
leur pouvoir, ou ne donnent aucun avis de leurs marches, 
ni de leur séjour dans les lieux où ils sont aussi tran- 
quilles que si tout le pays n'était pas dans une obliga- 
tion indispensable de leur courre sus : et même quel- 
ques uns des bourgs et villages, ayant poussé leur mau- 
vaise volonté jusqu'à attenter sur les troupes du roi :. 
Nous croyons devoir mettre tous prêtres, ecclésiastiques, 
religieux, anciens catholiques, et les églises, sous la 
garde des habitants nouveau convertis des commu- 
nautés. Déclarons que s'il leur arrive aucun accident, 
ces communautés seront responsables, et qu'elles seront 
brûlées et entièrement détruites, le lendemain qu'il s'y 
sera commis la moindre de ces cruautés inouïes qui ont 
été ci-devant exercées. 

« Déclarons en outre que s'il arrive qu'aucun soldat 
des troupes du roi se trouve tué dans aucune des com- 
munautés ou villages, les lieux eu seront aussi respon- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 223 

sables, et punis de la même peine. Et afin que personne 
n'en ignore, nous ordonnons qu'à la diligence des syn- 
dics des diocèses, la présente ordonnance sera partout 
lue, publiée et affichée : de laquelle publication, dans 
chaque communauté, ils nous rapporteront dans huit 
jours un certificat. Enseignons à tous les maires et con- 
suls de tenir la main à l'exécution de la présente ordon- 
nance, à peine d'en répondre en leurs propres et privés 
noms. » 

On le voit, il n'était plus permis de demeurer tran- 
quille au milieu de la conflagration universelle, la neu- 
tralité se voyait poursuivie à l'égal de la révolte armée, 
et le grand roi soulevait une jacquerie générale dans 
une des plus vastes provinces de son royaume. Chacun, 
puisque cela était commandé, s'arma donc, mais pour 
sa cause : les catholiques pour la foi de Rome, les pro- 
testants pour la religion réformée, et les Florentins pour 
le meurtre et le pillage. 

Bien décidé à faire suivre ces menaces des effets les 
plus rigoureux, Montrevel proposa d'emprisonner un 
certain nombre de nouveaux convertis reconnus sus- 
pects, et, à chaque meurtre ou incendie que se permet- 
traient les Gamisards, de pendre haut et court trois ou 
quatre de ces otages ; en outre, de faire lever par les 
troupes une certaine somme à laquelle seraient con- 
damnés chacun des habitants des lieux où l'on com- 
mettrait quelque désordre. La cour rejeta ces beaux 
projets, autorisant seulement l'intendant à lever cent 
mille livres sur les nouveaux convertis, pour indem- 
niser les catholiques. 

Bàville secondait de son mieux le fougueux maréchal, 
et, remontant droit des effets à la cause, il s'en prenait 
aux ministres, qui, par leur éloquence inspirée, entre- 



224 iiisTOiRi-; di-:s camisards 

tenaient le zèle des calvinistes : « J'ai fait prendre et 
punir seize de ces prédicants, écrivait-il un jour. Je n'en 
connais plus que deux, qui sont fonçasses, que j'espère 
faire arrêter, s'ils paraissent. Le moyen le plus efficace 
que j'ai pu trouver pour empêcher ces assemblées est 
de rendre les communautés responsables, de. condamner 
en des amendes solidaires tous les habitants, de leur 
envoyer des troupes en pure perte, et de raser les mai- 
sons où elles ont été tenues. Depuis que nous avons mis 
en pratique cet expédient, les assemblées ont été beau- 
coup moins fréquentes (1). » 

De telles mesures, quoi qu'en pensât Bàville, n'étaient 
pas faites pour apaiser les haines religieuses. Aussi 
quand, vers cette époque, il parut en Hollande et en 
Angleterre différents manifestes pour engager les puis- 
sances alliées à voler au secours de leurs infortunés co- 
religionnaires de France, ces ouvertures trouvèrent les 
esprits merveilleusement disposés à les accueillir. 

Le 4 mars, la petite bande de Cavalier chantait des 
psaumes en marchant, lorsqu'elle fut rencontrée, vers 
Saint-Manet, par La Jonquière à la tête de trois à quatre 
cents hommes de troupes de la marine. Le jeune héros 
cévenol la repousse, et, à quelques jours delà, il venait 
de se réunir à Roland, lorsqu'il fut atteint de la petite 
vérole. Il remit son commandement aux mains de Rava- 
nel et de Catinat, et se retira àCardet, où il attendit que 
la nature lui envoyât la guérison. 

Après quelques escarmouches heureuses, les Cami- 
sards, au nombre de 1,300 environ, s'avancent du côté 
de Ganges, où ils pénètrent après avoir tué, jusqu'au 
dernier homme, un détachement d'infanterie qui pré- 

(1) Rulhière, Éclaircissements, t. II, p. 230. 



HISTOIRE DES CAM1SARDS 225 

tendait leur disputer le passage. Ils s'y ravitaillent, tra- 
versent la montagne de Sérane, et attaquent la ville de 
Pompignan. Déjà ils avaient brûlé une quarantaine de 
maisons, lorsque Montrevel accourt à la tête de forces 
supérieures. Une bataille sanglante s'engage dans la 
plaine de Pompignan, et Gatinatet Ravanel, après avoir 
fait, au dire de Court de Gébelin, « des actions dignes 
des plus grands capitaines, » opérèrent de leur mieux 
leur retraite. Roland, blessé, fuit avec eux. La perte des 
Genevois dépassa deux cents hommes. Battus, mais non 
découragés, ils s'arrêtèrent pour brûler l'église de Dur- 
fort, à deux lieues de là. Montrevel souilla sa facile vic- 
toire en faisant exécuter par la main du bourreau plu- 
sieurs prisonniers; puis il leva 10,000 livres d'amende 
sur la ville de G anges, pour n'avoir pu s'opposer à ce que 
les Gamisards y prissent des rafraîchissements, et y logea 
à discrétion deux régiments. C'était à la fois, pour cette 
malheureure ville, la honte, la ruine et la mort. 

Une mesure plus heureuse de Montrevel fut de réu- 
nir à Nîmes les gentilshommes protestants ou nouveaux 
convertis, de leur prêcher la modération, la fidélité au 
roi, de les encourager à se jeter entre les partis pour 
arracher les armes des mains des révoltés. Mais, hélas! 
ils étaient impuissants, le roi seul pouvait accomplir ce 
miracle, en rendant à ces malheureux la liberté de con- 
science, la seule chose qu'ils demandaient. 

Dès le 15 mars, les vaincus reprenaient l'offensive et 
brûlaient l'église de Saint-Laurent-d'Aigouse, presque 
sous les yeux de Montrevel. Joanny etCastanct, dans les 
hautes Gévennes, remportaient aussi quelques petits 
avantages partiels, se reposaient de vive force dans les 
villages et les métairies où la fatigue les prenait. Les 
catholiques survenaient, et, forts des ordonnances de 

13. 



226 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Montrcvel, arrêtaient ces complices involontaires, pour 
lesquels des échafauds étaient dressés en permanence 
à Mende, Alais, Nîmes et Montpellier. 

Mais toutes ces horreurs de détail pâlirent devant une 
scène effroyable qui eut Nîmes pour théâtre, et qui 
porta au comble l'exaspération des révoltés. 

C'était le 1 er avril, un dimanche, jour des Rameaux. 
Cent cinquante réformés, — des vieillards, des femmes, 
des enfants pour la plupart, — étaient rassemblés pour 
chanter des cantiques, dans un moulin du faubourg de la 
porte des Carmes. Ce moulin, situé sur le canal de la Gau, 
petit ruisseau qui traverse la ville, avait pour fermier un 
protestant zélé. Iln'yavaitpas un homme arméparmi eux. 
Leur crime, le douxFléchier, dans une lettre du 25 avril, 
a pris soin de nous le faire connaître : 

« Ils osèrent môme, le dimanche des Rameaux, tenir 
une assemblée dans un moulin, sans aucune précaution, 
à la porte de la ville; et dans le temps que nous chantions 
vêpres, chanter leurs psaumes et faire leur prêche ! » 

Certes, 

— Rien que la mort n'était capable 
D'expier un pareil forfait!... 

Montrevel dinait, lorsqu'on vint lui annoncer cet 
attentat. Il s'élance de table, arme ses dragons et court 
investir le moulin. Par son ordre, sous ses yeux, on dé- 
fonce les portes, on massacre ces innocents. Quelques- 
uns tentent de s'évader par une fenêtre : Montrevel y fait 
placer des sentinelles pour les repousser dans le moulin, 
et le massacre continue au milieu des cris de fureur des 
égorgeurs, des hurlements d'effroi des femmes et des 
enfants. Mais il y en avait trop à égorger, et cela perdait 
du temps. Montrevel fait rappeler tous ses hommes, et 



HISTOIRE DES CAMISARDS 227 

ordonne de mettre le feu au moulin. Alors il y eut quel- 
que chose de hideux. Ces martyrs cherchaient à s'é- 
chapper par la porte, par la fenêtre, par le toit effondré. 
Blessés, demi-consumés, sanglants et hrûlés, fous de 
terreur, de désespoir et de douleur à la fois, ils se pré- 
cipitent... Montrevel les fait refouler dans le brasier par 
ses dragons d'enfer. 

Une seule jeune fille de dix-sept ans avait été arrachée 
du milieu des flammes par un valet de chambre du 
maréchal. Montrevel furieux ordonne qu'on les pende 
sur-le-champ tous les deux. La fille était exécutée déjà 
et son complice allait l'être, lorsque des religieuses par- 
vinrent, après de longs efforts, à arracher sa grâce au 
maréchal, qui se contenta de le chasser de sa maison et 
de la ville. 

Il n'y eut désormais ni piété ni merci d'aucun côté. 
« Epoque fatale, dit un historien (I), qui réduisit une des 
plus belles provinces de la France dans la désolation la 
plus affreuse ! On n'entendit plus parler que d'enlè- 
vements, que de meurtres, que de carnages, de pillages et 
d'incendies. Les Gamisards d'un côté, les troupes du roi et 
les cadets de la Croix d'un autre, se disputaient l'horrible 
gloire de se surpasser tous en cruauté. » 

Les cadets de la Croix, les Florentins, les Camisards 
noirs, trois variétés d'une même espèce de brigands, 
étaient les routiers du parti, recrutés parmi les assassins 
de grand chemin, les déserteurs de l'armée et du bagne. 
Poussés par le double incitant du fanatisme religieux et 
de la soif du pillage, on devine jusqu'où ils allèrent 
dans les voies du mal! Les Camisards noirs avaient 
pour chef un ancien boucher d'Uzès qui croyait conti- 

(1) Court, t. I, p, 317. 



228 HISTOIRE DES CAMISARDS 

nuerson métier en égorgeant des hommes comme il 
avait assommé des bœufs. Quant aux cadets delà Croix, 
qui devaient leur nom à une petite croix blanche fixée 
à leurs habits, ils obéissaient à un gentilhomme du nom 
de Fayolles, vieux diable qui s'était fait ermite sous le nom 
de frère François-Gabriel. Florimond, Alary, Le Fèvre 
guidaient d'autres bandes, et toutes rivalisaient de 
crimes. 

« Il a passé par la tête aux anciens catholiques, écri- 
vait Montrevel (9 novembre 1703), de faire main basse 
sur tout ce qu'ils ont trouvé dans les villages de nouveaux 
convertis ; ce qui produit deux espèces de Camisards 
quasi également fâcheux. . . Les cadets de la Croix ne 
cherchent qu'à voler et à faire impunément un pillage 
universel, sans chercher les rebelles en armes : ils se con- 
tentent de faire comme eux. . . ; ils tuent tout sans règle 
et sans mesure . . . , ce sont la plupart de francs bri- 
gands » 

Épouvanté lui-même, Montrevel voulut d'abord s'op- 
poser à leurs attentats, puisque les catholiques en étaient 
victimes comme les protestants. N'ayant pu en venir à 
bout, il accepta leur concours, en essayant de détourner 
cet orage sur la tête des réformés. 

Pour ajouter encore, s'il se pouvait, à la terreur som- 
bre qui pesait sur la contrée , Montrevel et Bâville allon- 
gèrent démesurément leurs listes de suspects. Ils se firent 
donner l'état exact des catholiques et des nouveaux 
convertis de chaque paroisse, le nom et la religion de 
leurs seigneurs, ainsi que de tous ceux qui tenaient à 
ferme des jardins, moulins ou métairies; puis un autre 
état encore des nouveaux convertis qui étaient absents 
depuis neuf mois du lieu de leur domicile; enfin, on ré- 
solut de revenir aux enlèvements en masse, et on dé- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 229 

clara passibles de la transportation les parents des re- 
belles attroupés ; les notables de chaque lieu comme ca- 
pables, par leur notoriété, de pouvoir entraîner les 
autres; les jeunes gens mal pensants, qui, à un moment 
donné pourraient faire des recrues pour les rebelles (1). 

Ils exigèrent que tous ceux qu'ils désignaient ainsi 
aux futures vengeances des catholiques se rendissent les 
délateurs de leurs frères, et ils les firent solidairement 
responsables de tous les désordres que commettraient 
les Camisards dans leurs communautés, qu'ils divisèrent 
en trois classes : les plus riches devaient payer 20,000 
livres pour le moindre meurtre, celles de la seconde 
classe 12,000, et les plus pauvres 8,000. 

Ce n'étaient pas là de vaines menaces et l'on se hâta 
de mettre à exécution ces mesures excessives. A Mialet 
près d'Anduze, de Julien opéra une razzia de cinq cent 
quatre-vingt-dix personnes, après avoir mis le village à 
sac. De là, il en fut enlever environ trois cents àSaumans, 
chargea cinquante mulets de butin, livra tout le reste aux 
flammes. Dans la fertile Vaunage, mille cinq cents ré- 
formés furent arrachés, le même jour, de vingt-quatre 
paroisses différentes. Ce heau travail d'épuration eutpour 
résultat de faire prendre les armes à tous les nouveaux 
convertis qui avaient espéré jusque-là que, demeurant en 
paix eux-mêmes, on les y laisserait à leur tour. 

On procéda ensuite à un désarmement général. Villes, 
bourgs, villages, hameaux, maisons isolées, tout fut 
fouillé, bouleversé. Nîmes même n'échappa pas au pil- 
lage. Le 30 avril au matin, dès quatre heures, le tam- 
bour, les trompettes éveillèrent les habitants, et l'on lit 
défense que nul ne sortît de sa maison avant dix heures. 

(1) Court, t. I, p. 324. 



230 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Toute la force armée était sur pied, bivouaquant dans la 
rue. Le souvenir récent de la hideuse boucherie du 
moulin du faubourg faisait redouter aux protestants 
une nouvelle Saint-Barthélémy. On en fut quitte pour 
des visites domiciliaires, et pour l'enlèvement de toutes 
les armes que l'on put trouver. 

Au milieu de tant de massacres qui se succèdent, 
on ne sait plus si les Gamisards répondent à ces vio- 
lences par des violences nouvelles, ou s'ils les pro- 
voquent par leurs fureurs. A Montlezan, gros bourg 
dont la majorité des habitants appartenait à la religion 
de Rome, ils brûlent quarante-deux maisons, passent au 
fil de l'épée tous les catholiques qui s'étaient réfugiés 
dans l'église. A Aurillac, à La Salle, les mêmes scènes 
d'horreur se renouvellent encore. 

De Planque reçoit l'ordre de les poursuivre à la tête 
de mille deux cents hommes ; il les surprend au Golet 
de Dexe, alors qu'ils se reposaient, endormis dans une 
prairie. Il fond sur eux et ils ont à peine le temps de 
se sauver en désordre dans les montagnes voisines, où 
de Planque n'ose pas les poursuivre. 

Mais quelques jours après, le 29 avril, il leur fit es- 
suyer un désastre plus considérable. Désireux de re- 
descendre dans la plaine, Cavalier avait convoqué une 
assemblée dans la vallée de Malle-Bouisse, où il fit trois 
prédications dans la journée. Le soir venu, épuisés de 
fatigue et de faim, ils se retirent à la tour Belot, an- 
cienne ruine féodale inhabitée, entre Alais et Anduze. 
Le secret de leur retraite fut livré par un meunier, du 
nom sinistre de Guignon, Ce misérable, qui avait su 
tromper le jeune chef cévenol par des démonstrations 
de piété exaltée, s'était jusque-là utilement employé à 
la subsistance des Camisards. Mais il se laissa séduire 



HISTOIRE DES CAMISARDS 231 

par l'appât de cent louis qui lui furent comptés par Bâ- 
ville et Montrevel, arrivés la veille à Alais. 

De Planque divisa sa petite armée en trois corps de 
troupes. Le premier, commandé par de Tarnaud, se 
rendit auprès de la tour Belot, en passant par le haut 
chemin d'Anduze ; le second, sous la conduite de de 
Foix, attendait les fuyards le long du Gardon ; de 
Planque, à la tête du troisième, se rendit à la tour par 
un autre chemin. Cette triple attaque était bien plus 
que suffisante pour défaire une poignée d'hommes sur- 
pris dans leur sommeil et harassés de lassitude. 

Les sentinelles se replièrent en désordre sur le camp 
des Enfants de Dieu, poursuivies de près par les catho- 
liques, et regorgement commença. 11 ne fallait pas 
songer à une défense impossible. Cavalier rallia de son 
mieux ses compagnons et ne pensa qu'à la retraite. 
Quelques-uns sortent de la tour et tentent de repousser 
la nuée des assaillants. D'autres, ne pouvant sortir as- 
sez vite, tirent parles fenêtres, percent les murailles, 
et dans les ténèbres, chacun fait feu au hasard, tuant 
indifféremment amis et ennemis. 

Ce fut une scène de désordre impossible à décrire. 
Le jour commençait à paraître, Cavalier, la rage et la 
douleur dans l'âme, se retira, laissant dans la tour trois 
cents des siens, qui se défendirent jusqu'au dernier. 
Désespérant de les réduire, de Planque avait envoyé 
chercher de l'artillerie, laissée à Alais. La grêle de gre- 
nades, qu'en attendant on ne cessait de faire pleuvoir 
sur les assiégés, finit par y mettre le feu, sans mettre 
encore un terme à cette lutte désespérée. Ils savaient 
que la roue ou le bûcher les attendaient, s'ils tombaient 
vivants entre les mains des vainqueurs. Ils préféreront 
se laisser brûler en se défendant, puisque du moins 



232 HISTOIRE DES CAMISARDS 

cette mort affreuse n'était pas sans vengeance, et que 
les affres en étaient voilées par l'ardeur du combat. 

Enivré de ce succès, Montrevel multiplie les ordon- 
nances furibondes contre ceux que visiteraient les ré- 
voltés. Tout sera pillé, confisqué, détruit. Ils doivent 
veiller de jour, de nuit, s'avertir de proche en proche.... 
Enfin, il se décide à armer les cadets delà Croix contre 
les Camisards. Les nouveaux convertis se virent con- 
traints à soudoyer quatre de ces bandes, qui furent en- 
tretenues et payées sur le pied de troupes régulières. 

La province est hérissée de baïonnettes, et chaque 
soldat est un bandit sûr de l'impunité. A la tête de forces 
imposantes, de Julien observe les hautes Cévennes, de 
Villars, colonel réformé, est au pied de la Lozère, de Gé- 
vaudan, maréchal de camp, surveille le diocèse d'Uzès. 
Les passages du Vivarais sont surveillés par de nom- 
breux détachements. 

Castanet se fait remettre par les collecteurs les sommes 
dues au roi, et il en donne audacieusement quittance. 
Il se marie, et pour que chacun prenne part à la fête, il 
fait relâcher vingt-cinq catholiques qui allaient être mis 
à mort, à la condition qu'ils épargneront les protes- 
tants. 

Instruit par l'expérience et s'apercevant de l'avantage 
que la cavalerie donnait à l'ennemi, tandis qu'il ne pou- 
vait pas toujours profiter de ses succès, n'étant pas en 
mesure de poursuivre assez rapidement les vaincus, Ca- 
valier résolut d'en opposer une à celle des catholiques, 
et à cet effet il fit enlever bon nombre de ces chevaux à 
demi sauvages que nourrit la Camargue. Catinat et Sa- 
muelet, le vainqueur de Poul, le possesseur, par droit 
de conquête, de l'étalon d'Espagne qu'il montait aux 
combats, furent mis par lui à la tête de ces nouvelles 



HISTOIRE DES CAMISARDS 233 

recrues, et il put risquer désormais certaines expéditions 
qui exigeaient une grande célérité. 

Nous passons sous silence les arrestations, les pen- 
daisons qui étaient de chaque jour, à Nîmes, à Alais, à 
Montpellier, partout. Nous dirons seulement que le 
18 mai les Cévenols subirent encore un échec considé- 
rable à Bruéis. 

Réconcilié avec le fils aîné de l'Église, le pape Clé- 
ment XI lança une bulle contre « cette race maudite et 
exécrable, » et les six évoques des contrées, révoltées 
l'appuyèrent de toutes leurs forces, et réchauffèrent 
ainsi le fanatisme des curés, qui prescrivirent dans leurs 
paroisses « de ne donner aucun secours ni assistance 
aux rebelles, et de ne leur fournir ni vivres ni provi- 
sions ; mais de les poursuivre et de les détruire par le 
feu et par l'épée, les assurant que tous ceux qui s'ac- 
quitteraient de ce devoir, comme il convenait à de 
dignes soldats de l'Église et du roi, recevraient indul- 
gence plénière de leurs péchés, comme il est porté dans 
la bulle, etc. (1)... » 

Pour faire face à tant de périls, à tant d'ennemis con- 
jurés pour leur perte, les réformés publièrent encore 
un écrit qui avait pour titre : Nécessité de donner un 
prompt et puissant secours aux protestants des Cévennes. Ils 
y exposaient en ces termes leur situation actuelle, après 
avoir raconté les horreurs inouïes des dragonnades et 
les périls des transportations en masse dans les colonies : 

<( Le premier vaisseau qu'on y envoya, et qui était 
tout chargé de nos pauvres gens , périt proche de la 
Martinique, où on les envoyait ; la plus grande partie, 
tant hommes que femmes et filles, furent noyés et sub- 

(1) Brueys, t. III, p. 360. 



234 HISTOIRE DES CAMISAHDS 

mergés. Nous avons souffert tous nos terribles maux 
dans l'espérance que Dieu toucherait le cœur de nos 
ennemis et leur ferait connaître l'injustice de tant de 
persécutions. Nous sommes demeurés tranquilles, nous 
tenant resserrés dans nos bois et dans nos montagnes, 
où quelques bons personnages sans lettres, sans études, 
commes les apôtres de Jésus-Christ, mais pleins de piété, 
se mirent à nous consoler dans nos bois , nos cavernes 
ou nos maisons. C'étaient des gens simples, cardeurs, 
tisserands, maîtres d'école, dont nos peuples furent si 
édifiés qu'il n'y eut personne, tant hommes que femmes, 
qui ne voulût entendre ces nouveaux prédicateurs ; de 
sorte que le nombre s'augmentant, on résolut de s'as- 
sembler à la campagne, sans bruit, sans éclat, sans 
armes. Nous choisissions les lieux écartés, les heures 
de la nuit, pour faire ces exercices en repos et en sû- 
reté. Dans ces assemblées, on lisait la parole de Dieu, 
on chantait ses louanges, on faisait des prières pour le 
roi et pour l'État. Rien n'était plus innocent ; mais les 
moines et les prêtres suscitèrent contre nous de nou- 
velles persécutions. Ils faisaient embusquer des troupes 
dans les lieux où nos gens devaient passer, ils les fai- 
saient prendre et mettre en prison, puis les faisaient con- 
damner, les hommes et les femmes, à être pendus, ou 
au moins, les hommes, à être conduits aux galères, les 
femmes, à être renfermées dans les couvents. 

« Si, par hasard, les dragons découvraient les lieux 
où nos gens étaient assemblés, ils tiraient sur eux sans 
miséricorde comme sur des bêtes sauvages, sans distinc- 
tion d'âge ni de sexe, même sur les femmes enceintes 
qu'on faisait mourir cruellement avec l'enfant qu'elles 
avaient dans le ventre. Après vingt ans de souffrances 
inouïes, voyant qu'il nous fallait tous périr, qu'il n'y avait 



HISTOIRE DES CAMISARDS 235 

plus d'autre parti à prendre pour éviter la mort que de 
prendre les armes, nous les avons prises, prêts à les 
déposer le jour où l'on voudrait nous rendre la justice 
que nous réclamons. Ce n'est point ici une révolte ni 
une rébellion : c'est un droit de nature qui nous oblige, 
en conscience, de repousser la violence ou la force. 
Autrement, nous serions complices de nos propres mal- 
heurs, traîtres à nous-mêmes et à notre patrie. Nous ne 
voyons partout que misère, injustice et tyrannie. Nous 
ne savons quels sont ceux qui gouvernent la France. 
Mais nous n'y comprenons rien. Car jamais un bon roi, 
comme le nôtre, n'a pris plaisir à détruire ses sujets in- 
nocents, à les perdre, à les massacrer, parce qu'on les 
trouve priant Dieu dans leurs maisons ou dans les trous 
de la terre 

« Nous n'ignorons pas les préparatifs de guerre qu'on 
fait contre nous. Le maréchal Montrevel nous menace 
d'un grand nombre de troupes pour nous détruire. Notre 
résolution et notre intrépidité ont jusqu'à présent, dé- 
concerté nos ennemis, Nous ne serons point épouvantés 
de leur grand nombre : nous les poursuivrons partout ; 
nous userons de justes représailles contre nos persé- 
cuteurs, en vertu de la loi du talion ordonnée par la pa- 
role de Dieu et pratiquée par toutes les nations du monde, 
et nous ne mettrons jamais bas les armes que nous ne 
puissions professer librement notre religion, confor- 
mément aux édits et déclarations qui nous en confèrent 
le droit, et qu'on viole aujourd'hui sans honte et sans 
justice. » 

Cette protestation, si digne et si calme, ne pouvait 
pas manquer d'avoir un profond retentissement dans 
l'Europe tout entière, déjà si furieusement irritée contre 
l'orgueil de Louis. Aussi parut-on prendre en considé- 



23G histoire di:s camisards 

ration ce nouvel appel. On envoya quelques vaisseaux 
croiser dans laMéditerranée ; mais, soitqueles Camisards 
ne répondissent pas aux signaux qui leur étaient faits', 
soit que ces démonstrations ne fussent pas sérieuses, ces 
tentatives n'aboutirent pas, et la cour, mise en éveil, 
prit des mesures pour accélérer la ruine du Languedoc. 

Afin d'être plus à portée de surveiller les événements, 
Montrevel avait établi son quartier général à Alais. 11 
continua à faire opérer des enlèvements à peu près arbi- 
traires. De ceux qu'il prenait, les uns étaient suppliciés, 
les autres envoyés aux galères, les autres détenus indé- 
finiment dans les prisons, d'autres enfin transportés en' 
masse dans les îles. Le ministre félicite les magistrats 
de juger à la chaude, comme disait un vieux juriscon- 
sulte, et Chamillart ose écrire à Montrevel : 

« Le roi a paru fort content de la diligence avec la- 
quelle le présidial de Nismes juge les rebelles, et trou- 
vera bon que vous témoigniez aux officiers qui le com- 
posent que Sa Majesté leur sait gré de leur attention 
pour ce qui regarde son service (1). » 

De son côté, de Planque exposait cyniquement en 
ces termes ses plans à Chamillart : » La guerre ne finira 
jamais si on ne prend pas le parti que j'ai proposé il y a 
deux mois, qui est d'enlever toutes les subsistances de 
la campagne et de les enfermer dans les villes... Qu'on 
ne donne aux nouveaux catholiques de subsistances que 
toutes les vingt-quatre heures seulement : ainsi on affa- 
mera les rebelles ; et si on avait pris ce parti-là, je ne 
crois pas que les choses seraient si gâtées... Dé plus, il 
faut enlever tous les plus suspects, tant hommes que femmes, 
et les envoyer périr sur mer... 11 ne sert à rien qu'on les 

(i) Chamillart à Montreuil, Archives de la guerre, vol. 1708, n° 55. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 237 

mette eu prison, les nourrissant aux dépens du roi ; ils 
se moquent de tous ces traitements, disant qu'on n'o- 
serait les faire périr (1). » 

Il n'y a rien de neuf sous le soleil. Qui savait que les 
officiers du grand roi avaient imaginé les noyades quatre- 
vingt-dix années avant l'affreux Carrier, le bourreau de 
Nantes ! 

Parmi les condamnations qui eurent le plus de reten- 
tissement à cause du rang des victimes, il faut compter 
celle du baron de Saïgas, gentilhomme protestant, de 
fort ancienne noblesse. 11 espérait demeurer neutre au 
milieu de la guerre civile, et évitait de se rendre aux 
assemblées du Désert. Gastanet fut froissé de cette tié- 
deur. Le il février 1703, il vint l'enlever, à la tête de 
quatre-vingts hommes armés, et le contraignit d'assister 
à l'assemblée du Vébron. Pois, quand la cérémonie fut 
terminée, on le laissa libre de se retirer. 

11 eut le tort de demeurer deux heures parmi eux. 
Plus tard, il assista à la réunion des gentilshommes que 
Montrevel avait faite à Nîmes. Il y montra du zèle, de- 
manda à servir auprès du maréchal contre les révoltés, 
décida môme quelques Camisards à faire leur soumis- 
sion. Il se croyait doue bien en paix avec tout le monde, 
lorsque six ou huit hommes vinrent l'arrêter dans son 
château de Saïgas, et le conduisirent à Saint-Hippolyte. 
Dès le lendemain, Bàville s'empressa d'interroger le 
prévenu. « Je comparus dix-huit fois devant lui, dit le 
baron. Je fus confronté avec vingt-huit témoins, qui 
tous ensemble ne fournirent pas de quoi faire donner 
le fouet à un écolier. Ma plus grande charge était celle 



(1) De Planque à Chamillart, 27 mai 1703. — Archives Je la 
guerre, vol. 1707. 



238 HISTOIRE DES CAMISARDS 

d'avoir resté deux heures volontairement avec Castanet 
et sa troupe. » 

Vainement il fut appliqué à la question ordinaire et 
extraordinaire ; jamais il n'avoua rien, ne put être con- 
vaincu d'aucun autre crime que de celui-là. 

Le 27 juin, en vertu d'un jugement rendu à Alais par 
Bâville et quelques conseillers du présidial de Nîmes, il 
fut condamné aux galères perpétuelles, après avoir été 
dégradé de noblesse dans sa personne et dans celle de 
sa postérité. Ses biens furent confisqués au profit du roi, 
et son château rasé jusques aux fondements. 

Quatre paysans avaient été arrêtés en même temps que 
le baron de Saïgas, coupables d'avoir laissé les Camisards 
prendre des rafaîchissements chez eux. Pour ce (.'rime, 
deux avaient été pendus, les deux autres envoyés aux 
galères, où ils étaient attachés au même banc que leur 
ancien seigneur. Des deux condamnés au gibet, l'un avait 
subi son supplice avec courage, l'autre avait faibli au 
pied de l'échelle fatale, et s'était flatté de racheter sa vie 
au prix de son abjuration, Henri IV faisait de ces mar- 
chés-là. Seulement, Henri IV y gagnait Paris, et le pauvre 
manant n'y gagna que le très-faible adoucissement de 
voir ses derniers instants entourés des consolations et 
des prières de quelques moines de sa nouvelle religion. 

Lorsque les pénitents le descendirent dans la fosse 
ouverte pour le recevoir, on crut remarquer que le cada- 
vre faisait quelques mouvements. Un chirurgien accourt, 
le rappelle à la vie. Le prévôt averti réclame son pendu 
pour le rependre mieux, la sentence portant qu'il devait 
être attaché au gibet, suivant la formule, « jusqu'à ce que 
mort s'en suivit. » Les pénitents résistent, cachent le 
ressuscité dans leur couvent, espérant que l'on respectera 
ce pieux asile. Le prévôt va chercher main-forte, assiège 



HISTOIRE DES CAMISARDS 239 

le couvent d'un côté, tandis que de l'autre son pendu, 
prenant ses jambes à son cou pour que l'on n'y remît 
pas la corde, détale avec une légèreté facile à com- 
prendre. Il ne reprit haleine que lorsqu'il fut arrivé au 
milieu des Camisards, qui oublièrent, comme lui, qu'on 
venait de le faire catholique in exfremis. 

On ne pendait pas beaucoup les femmes, par décence. 
Une paysanne venait d'être fouettée par les mains du 
bourreau, pour le même crime qui avait été si durement 
expié par les quatre pauvres diables dont nous venons 
de parler. On crut voir quelque chose de providentiel 
dans cette étrange coïncidence, et le pendu épousa la 
femme fouettée. 

C'était sans doute le premier mariage que faisait le 
bourreau. 

Revenons au baron de Saïgas, que nous avons presque 
oublié. Il était âgé déjà, la torture avait brisé ses mem- 
bres, il ne pouvait manier la rame. Cependant les deux 
évoques de Montpellier et de Lodève voulurent se donner 
la satisfaction d'aller contempler leur victime sur les 
galères royales. Le capitaine ne crut pas devoir leur re- 
fuser ce plaisir, et' fit lancer le navire en mer. Mais après 
quelques coups de rame, le comité, ce bourreau que 
nous savons, le comité lui-même, voyant que ce vieil- 
lard était dans l'impossibilité de faire ce qu'on exigeait 
de lui, s'écria avec indignation : » Assez !» — et fit mettre 
bas les rames (1). 

Telle était la justice et telles étaient les mœurs, pen- 
dant le grand siècle et sous le règne du grand roi. Mais 
si l'on traitait ainsi les gentilshommes, et pour de pa- 



(l) Court, t., p. Ho?. 



2-iO HISTOIRE DES CAMISARDS 

reils crimes, que pouvait attendre la race si méprisée 
du populaire et des manants ! 

Après quatorze années de tortures, après d'inutiles 
instances de la reine Anne, et seulement après la mort 
de Louis XIV, le baron de Saïgas fut relâché en 1710, 
sur les pressantes sollicitations de la douairière d'Or- 
léans, mère du régent. Moins d'une année après, de 
Saïgas mourut à Genève, auprès de sa femme. 

Pendant le procès de Saïgas, les enlèvements, les 
supplices poursuivaient leur cours. A l'assemblée de 
Fabrôgue, de Parate tua quatre-vingts réformés. Trois 
paysans de Gaveirac furent fusillés, pour ne s'être pas 
trouvés chez eux lorsqu'un capitaine de la garnison fut 
tué dans leur village. On en roua d'autres, Brunel, 
Durand, et un notaire âgé de quatre-vingts ans. On 
pendit un jeune Genevois, parce qu'il n'avait pas de 
passe-port; un autre, ancien catholique, parce qu'il 
ressemblait à un chef de Camisards... 

Les mois de juillet et d'août voient chaque jour de 
pareilles exécutions. Il suffisait qu'un village fût soup- 
çonné d'avoir fourni des rafraîchissements aux Cami- 
sards pour être livré aux caprices des soudards. Les Cé- 
venols rendaient de leur mieux le mal pour le mal, et 
vraiment on eût dit que tous les démons de l'enfer 
étaient déchaînés sur cette malheureuse province. On 
se rencontrait, on se précipitait aveuglément les uns sur 
autres, sans prendre la peine de vérifier si l'on était 
ami^ou ennemi. La poudre manquait, le fer se brisait 
entre les mains des combattants : on se déchirait avec 
les dents, avec les ongles. On avait soif de sang, et l'on 
s'enivrait de carnage. Un jour des miquelets servaient 
d'escorte à la maîtresse du vieux maréchal; des soldats du 
régiment de Tarnaud allaient arrêter un suspect. Les 



HISTOIRE DES CAMISAHDS 24 f 

uns descendaient des hautes Cévennes, les autres y mon- 
taient. On marchait de nuit, pour éviter la chaleur du 
jour. On se charge brusquement, et plusieurs morts 
jonchaient le sol, lorsque l'on reconnut l'erreur. Aux 
environs du Chayla, des dragons et un régiment d'in- 
fanterie se chargèrent également, dans les ténèbres. 

Montrevel prit de nouvelles mesures, plus rigoureuses 
^encore que les précédentes. Les pères, mères, femmes 
des révoltés reçurent l'ordre de faire déposer les armes 
à leurs enfants et époux, sous peine d'être traités eux- 
mêmes comme rebelles. Ordre fut donné aux catholi- 
ques de se renfermer dans les villes ou lieux fortifiés et 
d'abandonner les campagnes, sous prétexte qu'ils n'y 
étaient pins en sûreté. Mais auparavant ils durent 
abattre, ou murer à chaux et à sable tous les fours des 
métairies. Menacés de la famine, les Camisards firent 
savoir qu'ils brûleraient tous les lieux abandonnés et 
où ils ne trouveraient pas de subsistances, et il dé- 
fendirent à tous et à chacun, sous peine d'être incendiés 
et égorgés, de porter des vivres et provisions dans les 
villes et lieux fermés. 

Les ordonnances de Montrevel, auxquelles les Cé- 
venols ne faisaient jamais que répondre par des repré- 
sailles, ne pouvaient qu'amener une recrudescence 
d'horreurs de part et d'autre : «On ne voyait plus dans 
Nîmes, à Monde et à Montpellier, que gibets et écha- 
fauds dressés et ensanglantés (1). » Le 7 août, à Nîmes, 
on compte sept exécutions : quatre hommes roués, trois 
femmes pendues, accusés, mais non convaincus, d'avoir 
favorise les calvinistes. Le maréchal ayant brûlé quel- 
ques villages, ils l'avertirent qu'ils en brûleraient autant 

(1) Court, t. 1, p. 425. 

U 



242 HISTOIRE DES CAMISARDS 

•de leur côté. Ils n'exécutaient pas toutes leurs menaces. 
Leur intérêt était de respecter les villages, pour se con- 
server les moyens de trouver des aliments. Mais ils 
firent retomber leur vengeance sur les églises, qu'ils 
incendièrent, sur les curés, qu'ils tuèrent, dans huit ou 
dix paroisses. 

Les rencontres se renouvelaient chaque jour et se 
multipliaient en tous lieux, avec des fortunes diverses. 
En passant à Vie, Cavalier, comme un preux des temps 
anciens, fit défier l'officier qui commandait à descendre 
dans la plaine pour se mesurer avec sa garnison contre 
sa petite troupe. L'officier accepta le cartel, et bien mal 
lui en prit, car il fut tué, et sa garnison battue. 

Dans les hautes Gévennes, une autre bande cévenole 
bat les troupes royales dans la plaine de Fondmorte. A 
Saint- Julien-d'Arpaon, Salomon Couderc, prédicant, 
prophète et général, se reposait au milieu des siens. Un 
soldat captif s'évade sans être aperçu, vole au Pont-de- 
Mont-Vert, y trouve des miquelets; il les guide vers la 
retraite des Gamisards, qu'ils surprennentendormis, et 
dont ils égorgent un bon nombre. Ils pénètrent dans le 
village qu'ils venaient de quitter, le pillent, y fusillent 
quinze personnes. 

Dans le même temps. Cavalier, plus heureux, battait 
les royalistes auprès de la rivière de Vidourle. Roland, 
le 26 août, tenait une pieuse assemblée à la Combe de 
Bisoux, non loin d'Anduze. Les sentinelles signalcntl' ap- 
proche de l'ennemi. Roland ordonne de continuer l'exer- 
cice religieux; puis il fait placer les femmes au milieu, 
portant toutes une branche d'arbre sur leur tête. Les 
hommes, un peu espacés, en portaient également, pour 
dissimuler leur petit nombre. Inquiets à la vue de cette 
longue forêt qui marche, les miquelets se rangent hors 



HISTOIRE DES CAMISARDS 243 

de la portée du fusil. Mais bientôt ils découvrent la ruse 
et fondent sur les derrières des Camisards, qui font 
face à l'ennemi, résistent jusqu'à la nuit, et opèrentleur 
retraite après avoir plus tué de catholiques qu'ils n'a- 
vaient perdu d'hommes. 

Le 1" septembre, Cavalier et Roland étaient réunis 
pour causer des intérêts communs, entre Durfort et 
Saint-Hippolyte. Un détachement de quatre-vingts 
hommes passe non loin d'eux, Mais ils n'étaient pas dis- 
posés à se battre ce jour-là. Le soir, le détachement 
revient à son point de départ, A la vue de quelques sen- 
tinelles, il a la curiosité d'aller voir de plus près ce que 
c'était. Les deux chefs alors cèdent à la tentation et 
tombent sur le détachement. Ce fut une tuerie générale, 
à laquelle un seul échappa, parce qu'il s'était attardé à 
manger du raisin dans une vigne. Cette brillante escar- 
mouche ne coûta que deux hommes aux Camisards, 
qui se pourvurent abondamment d'armes et d'habits, 
dépouilles précieuses pour des combattants sans solde, 
sans fournisseurs, sans budget. 

Enorgueillis de ce succès, ils envoyèrent défier le gou- 
verneur de Saint-Hippolyte de venir, comme celui de Vie, 
se mesurer avec eux dans la plaine. Il refuse, laissant à 
Montrevel et àBâville le soin de châtier les rebelles par 
des moyens moins héroïques. Us brûlent, en effet, et 
dépeuplent entièrement plusieurs villages, font couler 
le sang sur les places publiques de toutes les villes. Ne 
pouvant se saisir de Cavalier, ils font enlever son père 
et l'un de ses frères. Furieux, le jeune héros menace 
Montrevel de les aller enlever à la tête de 10,000 hommes. 
Le maréchal ne lui répond qu'en faisant raser la mai- 
son paternelle. 



2ii HISTOIRE DES CAMISARDS 



CHAPITRE VI 



(Bâville ordonne l'anéantissement du pays, fait brûler les forèls et 
166 villages. — Vastes projets de Guiscard de la Bourlie. — 
L'Angleterre, la Hollande promettent des secours aux Cami- 
sards. — Massacres dans lesCévennes, exécutions dans les villes. 
— Jean Cavalier est défait à Vergèse. — Ses extases prophé- 
tiques. 

Toujours à la piste des révoltés, et après avoir large- 
ment usé des espionnages et des délations, Bàvillc ima- 
gina un nouveau moyen, et des plus originaux, pour 
justifier les enlèvements. Il fit venir de Lyon un habile 
sorcier qui, au moyen d'une baguette magique, vulgai- 
rement appelée le Bâton de Jacob, avait la prétention 
de découvrir les assassins. « La baguette tourna sur 
dix-huit personnes, qui étaient dans les métairies voi- 
sines. On les prit, et on les conduisit à Alais (1). » 

Bâville perdait la tête. Il revint au projet de suppri- 
mer les Ce venues et les Cévenols, de faire disparaître 
quatre cent soixante-six villages, de brûler les forêts et 
tout le pays. Cette fois la cour approuva, et chargea 

(1) Louvreleuil, t. H, p. 73. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 245 

Montrevel, Julien et Canillac de l'exécution de ce pro- 
jet, qui fut ajourné à la fin de septembre. Pour toute 
réponse, les Camisards prirent l'initiative, et prome- 
nèrent le . fer et les flammes surtout aux environs des 
villes, qui abritaient leurs irréconciliables ennemis. 
« L'émotion fut grande, dit Fléchicr (1), quand on vit du 
haut des maisons les métairies en feu, et ces incen- 
diaires allant de l'une à l'autre impunément, le flam- 
beau à la main, et menaçant jusqu'à nos faubourgs, où 
l'on voyait aborder de toutes parts des gens effrayés 
des massacres qu'ils avaient vus. » 

Il faut entendre Flécbier épancher les navrements de 
son âme à la vue de ce troupeau tout nouvellement 
acheté et payé par la caisse des conversions, qui fran- 
chit le parc pour se sauver à travers les rochers des 
Gévennes : 

« Vous avez raison de me plaindre dans la triste si- 
tuation où je me trouve ici depuis plus de deux ans, 
voyant les nouveaux convertis de mon diocèse, qui, 
comme vous savez, sont en grand nombre dans la ville 
et la campagne, que j'avais instruits, servis, assistés, 
traités avec beaucoup de douceur et de charité, depuis 
leur conversion, presque tous entièrement pervertis et 
devenus tout d'un coup ennemis de Dieu, du roi, des 
catholiques, et surtout des prêtres (2). » 

Ailleurs, l'évêque de Nîmes est forcé de confesser 
qu'ils ne demandent qu'à travailler en paix, à cesser 
leurs massacres, qui ne sont que des représailles : 

« La moisson se fait tranquillement. On a enlevé 
grand nombre de Cévenols moissonneurs. Ces scélérats 



(1) Fléchier, Lettres choisies, 8 oct. 1703. 

(2) /<*., lettre du 27 avril 1704. 



246 HISTOIRE DES CAMISARDS 

ne tuent plus... Ils déclarent que si on fait mourir 
quelqu'un de leurs frères, ils reprendront le glaive, et 
tueront plus que jamais. Voilà, monsieur, un état bien 
triste (1).» 

Oui, certes, bien triste, mais pour ces scélérats qui 
ne voulaient plus tuer, et que l'on continuait à enlever 
pour les envoyer ramer sur les galères du roi ou périr 
sur mer. 

Vingt fois Fléchier dépose en leur faveur, sans que 
jamais une parole de pardon ou de pitié tombe de ses 
pieuses lèvres : 

« Nous sommes encore dans la désolation où les fana- 
tiques nous ont réduit. Ils ne sont pas moins révoltés 
qu'auparavant, mais ils tuent moins (2)... » 

« Les fanatiques sont toujours les mêmes : ils ne tuent 
pas tant qu'ils faisaient autrefois, mais ils n'en sont pas 
moins rebelles et malintentionnés (3). » 

« Ils ne tuent plus, ils se remettent au travail, et sont 
bien aises de dormir dans leurs maisons, et de manger 
en paix le pain qu'ils ont gagné dans la journée (4). » 

Ils se montraient heureux de cela, sans nul doute; 
mais se rappelant que l'homme ne vit pas que de pain 
et qu'il lui faut par surcroît la parole qui sort de la 
bouche de Dieu, ils demandaient autre chose encore, et 
dans une lettre du 14 septembre, datée du Désert et 
signée : Cavalier, chef des troupes envoyées de Dieu, — 
le jeune capitaine osa écrire au grand roi pour l'assurer 
que les mauvais traitements seuls les avaient poussés 



(!) Fléchier, Lettres choisies , lettre du 4 juillet 1704. 

(2) ld., lettre du 10 janvier 1704. 

(3) ld., lettre du 18 août 1704. 

(4) ld., lettre du 8 janv., 1705. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 247 

à bout, qu'ils étaient bons et loyaux sujets, et qu'ils ne 
réclamaient que la liberté de conscience. 

Avant de mettre à exécution ses projets de ruinetotale, 
Montrevel ordonna aux nouveaux convertis de la cam- 
pagne de se retirer dans les villes d'Alais, Anduze, le 
Yigan, Montpellier, Saint-Hippolyte,Uzès et Sommières. 
Il désigna de même à ceux de quatre cent soixante-six 
villages condamnés, les paroisses clans lesquelles il 
leur était'enjoint de se rendre sous huit jours avec leurs 
bestiaux et tout ce qu'ils pourraient emmener. C'étaient 
environ vingt mille personnes qui allaient être chas- 
sées de chez elles, à l'entrée de l'hiver, qui, comme on 
sait, commence de bonne heure et se prolonge tard 
dans ces montagnes élevées. 

Le 26 septembre, Montrevel, Bâville et leurs troupes 
quittèrent Alais et se mirent en marche pour aller ac- 
complir ces farouches desseins. Seulement, à leur ap- 
proche, les [habitants, se figurant-qu'on voulait les réunir 
tous dans un petit nombre d'endroits pour pouvoir les 
massacrer avec plus de facilité, se jetèrent dans les 
montagnes et vinrent grossir les différentes troupes des 
chefs révoltés. Ainsi ces sanglantes mesures tournaient 
d'abord contre leurs auteurs. Et, comme ils allaient com- 
mencer la dévastation, des lettres pressantes leur si- 
gnalèrent un danger nouveau, une expédition plus 
urgente encore. Les Camisards s'étaient jetés dans la 
plaine, et deux vaisseaux anglais croisaient en vue des 
côtes. L'alarme fut chaude, mais les craintes se dissi- 
pèrent promptement. Montrevel accourut à Cette à la 
tête do la plupart de ses troupes, pour s'opposer, s'il y 
avait lieu, à un débarquement que l'on redoutait. Les 
vaisseaux, détachés de la flotte combinée d'Angleterre 
et de Hollande, apportaient de l'argent, des vivres et des 



248 HISTOIRE DES CAMISARDS 

munitions. N'ayant pas aperçu les signaux convenus, 
ils reprirent le large et regagnèrent la flotte. 

Vers le môme temps, une diversion puissante attira 
l'attention des troupes royales sur le Roucrgue, où un 
vaste projet de soulèvement avait été sourdement 
fomenté par un ancien capitaine, nommé Boëton, 
homme de tète, qui s'aboucha avec les chefs camisards, 
pour agir de concert avec eux. Catinat, Dayre, et un 
autre officier de Cavalier vinrent le joindre. Tout devait 
être ajourné jusqu'à l'instant où Boëton aurait eu le 
temps de réunir tous ses adhérents, et l'on convint d'un 
rendez-vous général où tous devaient se rencontrer en 
armes. Mais l'impatience de Catinat perdit tout. Tenté 
par l'occasion, il fit brûler quelques églises dans le 
canton. Les gentilshommes, les milices se réunirent 
contre eux, les attaquèrent, les dispersèrent, après avoir 
pris quelques officiers, parmi lesquels Dayre, qui fut 
rompu vif à Montpellier, et qui mourut avec le stoïcisme 
qu'ils déployaient tous. 

Boëton, que l'on n'avait pu instruire de ces mésaven- 
tures, arrive au rendez-vous à la tête de sixeents hommes, 
et n'y trouve personne. Réduit à l'impuissance, il se 
retire dans les montagnes, s'empare du château de Fer- 
rières, et s'y met en défense. Assiégé bientôt par des 
forces trop supérieures aux siennes, il capitule et obtient 
une amnistie pleine et entière pour lui etpour tous ceux 
qui ont embrassé sa cause. 

Ainsi échoua une entreprise qui se rattachait à un 
plan beaucoup plus vaste, conçu par un aventurier plein 
d'énergie, cadet de l'antique famille de Guiscard, puis- 
sante dans le Périgord, et connu sous le nom d'abbé de 
la Bourbe. Il avait rêvé de donner une impulsion unique 
à ces mouvements divers qu'il observait autour de lui, 



HISTOIRE DES CAMISARDS 2'l9 

de grouper en faisceau les griefs communs des catholiques 
et des protestants, et de conquérir par les armes, avec 
quelques autres libertés encore, la liberté de conscience, 
dont les cruautés implacables du roi-soleil avaient sur- 
tout pour effet de faire apprécier l'importance. On n'en- 
tendait d'ailleurs que plaintes générales de tous côtés, 
contre l'excessive misère et l'extrême oppression, contre 
les traitants d*abord, puis contre l'orgueil, le luxe inso- 
lent, la tyrannie, la démoralisation profonde du clergé, 
ses richesses, ses grandes possessions, ses rigueurs à 
percevoir les dîmes, son refus de concourir aux charges 
de l'État. Les catholiques , sur tous ces points, par- 
tageaient donc le mécontentement général, aussi les 
principales vengeances des révoltés se tournaient-elles 
contre les agents du triple lise, royal, ecclésiastique et 
seigneurial contre des traitants de tout ordre, et contre 
les curés. 

La Bourbe n'espérait rien moins qu'un vaste soulève- 
ment général par tout le royaume, pour rendre la li- 
berté à la France « gémissante dans les fers d'un dur et 
honteux esclavage, » soulèvement qui resserrât « le 
pouvoir illimité du prince dans ses anciennes et légi- 
times bornes, » et qui procurât aux citoyens « les dou- 
ceurs d'un honnête et solide repos. » Il lança donc, le 
8 mars 1703, un manifeste adressé aux mécontents des 
deux religions, et ils étaient nombreux dans l'un et dans 
l'autre parti: «Crions liberté! liberté! disait-il. Deman- 
dons hautement des états généraux libres, et tels qu'ils 
étaient autrefois (1). » 

Ainsi dirigée, la lutte eûtété politique et sociale, au 
lieu de devenir une simple guerre religieuse. On devait 

(1) Guiscard, Mémoires, p. 38. 



250 HISTOIRE DKS CAMISARDS 

cesser toute violence contre les églises et les prêtres r 
éviter, dans le commencement surtout, tout exercice 
public de religion, si ce n'est en temps et lieux convenus.. 
Profitant des embarras intérieurs et extérieurs dans 
lesquels la politique insensée de Louis XIV avait fini 
par plonger le royaume, on était assuré d'être for- 
tement appuyé au dedans commeaudehors. Leschances 
de succès étaient donc sérieuses, lorsque la terrible 
explosion des Cévennes et la tentative prématurée de 
Catinat vinrent faire tout échouer. Les catholiques 
effrayés oublièrent pour un moment leurs justes motifs 
de plainte pour se réunir au pouvoir central, cause de 
tous les maux, mais qui, du moins, pouvait les rassurer 
contre la révolte armée. 

L'abbé de la Bourbe se retira dans les pays étrangers, 
où il conçut de nouveaux projets, qui échouèrent comme 
le premier. 

On n'en avait pas fini avec les terreurs que causaient 
les flottes alliées. Deux vaisseaux vinrent encore croiser 
sur les rivages du Languedoc et de la Provence ; quel- 
ques Gamisards ayant paru dans le Marais, on pensa que 
c'était dans l'espoir de favoriser une décente. De Saint- 
Gilles à Aiguës-Mortes, on détruisit tout sur le littoral, 
jusqu'aux cabanes des pêcheurs, on fit tout renfermer 
dans les lieux fortifiés, et les ouvriers des campagnes ne 
purent avoir de nourriture que pour un jour. Ces me- 
sures pouvaient paraître excellentes contre les insurgés, 
mais elles ruinaient la contrée par contre-coup. 

Ce fut encore vers la fin de ce même mois de sep- 
tembre 1703, que l'on arrêta deux officiers qui, venus 
de la Hollande, allaient s'aboucher avec les Cévenols. 
L'un deux, Jonquet, était lieutenant au service des Pro- 
vinces-Unies ; l'autre, Peytau, avait une commission de 



HISTOIRE DES CAMISARDS 251 

•capitaine au service de la môme puissance. Conduits à 
Alais, ils furent interrogés, soumis à la torture, et l'on 
obtint d'eux des aveux qui firent connaître ce qu'on 
avait à redouter de la complicité des alliés. Ils venaient 
s'assurer des forces des Camisards, leur offrir des armes, 
•des munitions, de l'argent, s'entendre avec eux pour 
opérer une descente sur les côtes du Languedoc, pré- 
parer la rentrée de bon nombre d'officiers protestants 
émigrés depuis l'attentat de 1685 ; soulever le Dauphiné, 
le Vivarais, et les autres provinces de proche en proche ; 
persuader aux révoltés de s'abstenir de ces sanglantes 
représailles, qui perdaient leur cause, de respecter les 
catholiques, et de prendre pour prétexte unique de leur 
insurrection la décharge des impôts excessifs, la recons- 
truction des temples, la revendication de la liberté de 
conscience ; de n"accepter enfin aucune amnistie , 
comme de n'accorder aucune trêve. 

C'était, en un mot, la mise à exécution des plans de 
la Bourbe. Mais on savait, en France, que l'orgueil du 
grand roi ne lui permeltaitjamaisde.se lancer sur le 
terrain des concessions. 

Il ne restait donc plus qu'à pousser énergiquement 
l'œuvre de destruction un moment ajournée. La besogne 
était rude, longue et difficile ; les maladies attaquaient 
les soldats, harassés de fatigue, mal nourris, malpayés; 
beaucoup désertaient. Les paroisses étaient trop consi- 
dérables : l'une d'elles, celle deSaint-Germain-de-Col- 
berte, n'avait pas moins de neuf lieues de tour, compre- 
nait cent onze hameaux, était habitée par deux •cent 
soixante-quinze familles, dont neuf seulement appar- 
tenaient à la religion de Rome. 

% Julien, l'homme d'expédition, celui qui prenait la peine 
de casser la tète des prisonniers pour gagner du temps 



252 HISTOIRE DES CAMISARDS 

et pour économiser les frais de justice, Julien proposa 
alors au maréchal de tout incendier, toujours afin d'éviter 
les difficultés et les lenteurs. Muntrevel en écrit à la 
cour qui s'empresse de lui expédier l'ordre qu'il ré- 
clame (14 octobre 1703). 

a Aussitôt, dit Louverleuil , cette expédition fut 
comme une tempête qui ne laisse rien à ravager dans 
un champ fertile. Les maisons amassées, les granges, les 
baraques, les métairies écartées, les cabanes, les chau- 
mières, tous les bâtiments tombèrent sous l'activité du 
feu, comme tombent, sous le tranchant de la charrue 
quiles coupe, les fleurs champêtres, les mauvaises herbes 
et les racines sauvages. » 

Vingt-cinq habitants s'étaient réfugiés dans un 
château de leur voisinage. Les miquelets y accoururent 
et huit des fugitifs sont fusillés, parce qu'ils avaient 
choisi un autre asile que celui qui leur était assi- 
gné (1). 

Se sentant soutenus, les cadets de la Croix redoublent 
de fureurs. Us incendient douze maisons au Golet de 
Dèze. Dans le seul lieu de Brenoux, ils massacrent cin- 
quante-deux personnes. Il y avait parmi elles plusieurs 
femmes enceintes : ils les éventrent et portent en pro- 
cession, à la pointe de leurs baïonnettes, leurs enfants 
arrachés de leurs entrailles fumantes (2). Cela était de- 
venu, de catholiques à protestants, un procédé tradi- 
tionnel. 

Les Camisards désespérés rendent de leur mieux une 
partie du mal qu'on leur fait. Dans la nuit du 2 au 3 oc- 
tobre, Cavalier surprend Sommières, dont il saccage les 



(i) Court, t, II, p. 93. 

(2) Id., p. 94. 






HISTOIRE DES CAMISARDS 253 

faubourgs. Les habitants sortent de la ville pour le re- 
pousser, mais il les met en fuite, et beaucoup restent 
sur la place. Le canon de la forteresse tonne sur la tête 
des insurgés. Le jeune Cévenol se retire dans la crainte 
que le bruit de la canonnade n'attire les garnisons voi- 
sines. H brûle les églises et les maisons presbytéralesà 
Uchau, au Pont-de-Lunel, au Chayla, à Vergèse, Nages, 
Boissières, Sincens, Aubair, Junas, Saint-Côme. Il tue 
des catholiques, enlève les chevaux des postes, l'argent 
des recettes. 

Le plan de Cavalier réussit; Julien est rappelé des 
hautes Cévennes et se met, mais en vain, à la poursuite 
des Camisards. « Us ne sont jamais trouvés, dit Flé- 
chier, et ils ne trouvent aucun obstacle à tout le mal 
qu'ils veulent faire; ils sont les maîtres de la cam- 
pagne; on désole leurs montagnes, et ils désolent notre 
plaine. 11 ne reste plus d'églises dans nos diocèses, et 
nos terres, ne pouvant être ni semées ni cultivées, ne 
nous produisent aucun revenu. L'on craint le désordre, 
et Tonne veut pas donner lieu à une guerre civile de re- 
ligion. Tout se ralentit, tous les bras tombent sans 
savoir pourquoi, et l'on nous dit : Il faut avoir pa- 
tience, on ne peut pas se battre contre des fantômes 
qui se rendent invisibles (1). » 

Ils se faisaient voir à leurs heures, cependant,- et 
Cavalier, après quelques courses à découvert, vient 
■enlever les sentinelles aux portes mômes d'Uzès, défie 
audacieusement Vergetot qui y commandait, et l'avertit 
qu'il va l'attendre du côté de Lussan, entre Uzès et 
Bargeac. Lussan est bâti sur des rochers qui lui forment 
comme une ceinture de remparts naturels. Cavalier 



(i) Fléchier, Lettres choisies, lettre du 23 oct. 1703. 

15 



254 HISTOIRE DES CAMISARDS 

fait demander des vivres aux habitants qui tirent sur- 
son parlementaire, le blessent, et envoient réclamer des 
secours à Ycrgetot, qui accourt à leur aide au point du 
jour avec un régiment et quarante officiers irlandais. 
La bataille s'engage auprès du vieux château de Fan» 
Après une lutte acharnée, ils sont battus et Catinat 
leur donne la chasse avec sa cavalerie. 

Il est inutile de dire que les exécutions se multipliaient 
sur de simples soupçons, à Nîmes, àMontpellier, à Mais, 
à Mende ; « mais elles n'eurent aucun effet, dit un his- 
torien (1), parce que l'endurcissement des fanatiques 
était à toute sorte d'épreuves, et qu'ils se regardaient 
comme des martyrs qui versaient leur sang pour la dé- 
fense de la véritable religion. » 

Fatigué des prétentions exorbitantes de Louis XIV T 
le duc de Savoie ayant quitté le parti de la France pour 
celui des alliés, les protestants redoublèrent d'efforts 
pour quitter cette terre maudite qui n'était plus pour 
eux qu'un vaste bagne et un immense calvaire, et pour 
aller prendre du service à l'étranger. La reine Anne, la 
Hollande, favorisèrent avec ardeur ce mouvement de 
désertion dont leur cause profitait, et envoyèrent vers 
le duc quelques anciens émigrés pour préparer les 
cadres des régiments qu'ils devaient armer contre la 
France. 

Les catholiques avaient organisé trois autres com- 
pagnies de cadets de la Croix, formées surtout de nou- 
veaux convertis, c'est-à-dire de l'écume et de la lie du 
parti calviniste, des gens qui flottaient, indifférents, 
entre les deux religions, n'appartenaient plus à aucune, 
ne voyaient dans cette guerre impie qu'un prétexte 

(1) Cité par Court, t. II, p. 109. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 2oÔ 

pour pouvoir piller en toute impunité (1). Ces étranges 
défenseurs de la cause de Dieu chargèrent leur con- 
science facile de tant de forfaits qu'ils firent horreur à 
leur parti lui-même, et que Montrevel, sur la plainte 
des états du Languedoc, se vit forcé de publier contre 
eux les ordonnances les plus sévères. Mais leur faire 
entendre la voix de la discipline était chose impossible. 
On leur opposa des troupes régulières, ou à peu près, 
qu'ils attendirent les armes à la main, et cette petite 
lutte intestine permit aux malheureux montagnards des 
Cévennes de respirer pendant quelques jours. 

Il en était, paraît-il, de l'inspiration prophétique de 
Cavalier, comme de l'inspiration poétique d'Homère et 
de Corneille, qui sommeillait quelquefois, et les aban- 
donnait à leurs propres forces. Le jeune héros cévenol 
n'avait pas été averti par l'Esprit de l'approche d'un 
nombreux détachement qui investit sa petite troupe 
dans la plaine de Nages. Sans se troubler plus que de 
raison, il s'empresse de masser ses hommes sur une 
hauteur. De là, et sans même attendre l'attaque de leurs 
ennemis, ils fondent sur eux avec une telle impétuosité, 
qu'ils les culbutent du premier choc. Une trentaine de 
femmes, qui leur apportaient des provisions, se trou- 
vaient parmi eux. Sachant les misères et les hontes qui 
attendaient les vaincus dans cotte guerre de cannibales, 
elles se précipitent au milieu des dragons avec des cris 
de rage et les massacrent sans pitié. L'une d'elles, 
nommée Lucrèce Guigon, se distingua entre toutes. 
« Vive l'épée de l'Éternel! vive l'épée de Gédéon! » s'é- 
criait-elle ; et saisissant le sabre des soldats blessés, elle 
les abattait à ses pieds. On eût dit l'ange de la mort 

(1) Villars, Mémoires, p. 138. 



256 HISTOIRE DES CAMISARDS 

exécutant les arrêts du Très-Haut. Ils se virent pour- 
suivis jusque dans les plaines de Galvisson, où des ren- 
forts qu'ils reçurent forcèrent les Cévenols à ne pas 
pousser leur succès plus avant. 

Le vainqueur s'en vint prendre quelques heures de 
repos à Clarensac, où il prêcha, redevenu prédicant 
après avoir été général, et dont il ne s'éloigna pas sans 
en avoir renversé les murailles. 

Dans cette guerre de suprises, toutes les rencontres 
n'étaient pas toujours heureuses pour les protestants. 
Le jeune héros en fit la dure expérience dix jours après, 
dans le bourg de Vergèse. On délibérait sur le sort 
d'un maçon qui, malgré la défense expresse de Cavalier, 
et pour obéir aux ordres non moins positifs de Montrevel, 
travaillait à réparer les fortifications de ce village. Alter- 
native terrible, car si le pauvre maçon eût obéi à Cava- 
lier, sa situation eût été exactement la même le lende- 
main, vis-à-vis des troupes royales. Or, comme les uns 
et les autres ne faisaient que passer et repasser dans la 
contrée, on n'avait jamais, du jour au lendemain, la tête 
bien solide sur ses épaules. 

Le comte de Fimarcon ayant subitement investi Vergèse 
de tous les côtés, il fallut se résoudre à combattre, 
malgré la trop grande infériorité du nombre. 

Cavalier, lorsqu'il se voyait entouré, avait adopté une 
tactique. C'était de ne faire aucune attention aux coups 
de fusil qui venaient de droite, de gauche, nipar derrière, 
mais de pratiquer une trouée droit devant lui dans la 
direction de la montagne la plus voisine. C'est ce qu'il 
fit cette fois, mais non sans avoir perdu quelques 
hommes. Fimarcon pénétra à Vergèse, pilla les maisons, 
fit passer parles armes quatre ou cinq personnes qui, 
sans doute, avaient travaillé dans un sens opposé à celui 



HISTOIRE DES CAMISARDS 257 

du maçon de tout à l'heure, et ne laissa vivre qu'un 
seul prisonnier qu'il emmena à Galvisson. C'était un Ca- 
misard, ancien calviniste renégat. Mais comme il déclara 
qu'il persistait à vouloir mourir huguenot, il fut jeté hors 
de la prison et de l'hôpital, condamné à mourir de ses 
blessures et de faim. 

Un prêtre passait; fou de douleur, il lui demanda pour 
toute grâce que l'on achevât de le tuer : « Volontiers, 
dit le prêtre, si vous voulez vous confesser et com- 
munier. » A bout de forces, le malheureux céda. Alors 
il obtint la faveur d'être fusillé et enterré honorablement. 

Le jour même de l'affaire de Vergèse (23 novembre), 
il arriva une horrible aventure dont la victime fut la fille 
du baron de Meyrargues, mariée depuis un an à M. de 
Miraman. Confiante dans cette force que fait à une 
femme sa jeunesse et sa beauté, confiante d'ailleurs 
dans l'innocence de sa vie ainsi que dans l'indulgence 
qu'elle et son mari avaient toujours témoignée aux ré- 
voltés, elle s'était mise en route pour aller rejoindre 
celui-ci, accompagnée seulement d'une femme de 
chambre, d'une nourrice, d'un valet de pied et du cocher 
qui la conduisait. Mais elle avait compté sans les cadets 
de la Croix, Camisards noirs lorsqu'il s'agissait de déva- 
liser les protestants, et blancs, dès qu'il fallait massacrer 
les catholiques. 

Quatre de ces bandits les arrêtent entre Lussan et 
Vendras, et les entraînent dans un bois où ils les mas- 
sacrent, à l'exception du valet qui parvint à prendre la 
fuite. Laissée pour morte, la femme de chambre vécut 
cependant assez longtemps pour raconter les détails de 
cette sanglante tragédie. 

« Ces malheureux, dit-elle, nous ayant obligé de mar- 
cherdans le bois pour nous écarter du grand chemin, ma 



258 HISTOIRE DE6 CÀMISARDS 

pauvre maîtresse se trouva si lasse et si fatiguée qu'elle 
pria le bourreau qui la conduisait de permettre qu'elle 
s'appuyâtsur son épaule. « Nous n'irons guère plusloin,» 
lui répondit-il. En effet, on nous fit asseoir sur un 
lieu où il y avait du gazon et qui devait être celui de 
notre martyre. Là, ma chère maîtresse dit à ces barbares 
les choses les plus touchantes, et d'une manière si douce 
qu'elle aurait fléchi un démon. Elle leur donna sa bourse, 
sa ceinture d'or et un beau diamant qu'elle sortit de son 
doigt ; mais rien n'adoucit ces tigres. Un d'eux lui dit: 
a Je veux tuer tous les catholique, et vous tout à 
« l'heure. — Que vous reviendra-t-il de ma mort? lui 
« dit-elle ; accordez-moi la vie ! — Non, c'en est fait, lui 
« répondit ce brutal, vous mourrez de ma main, faites 
votre prière. » 

« Alors ma pauvre maîtresse, se mettant à genoux, pria 
Dieu tout haut de lui faire miséricorde, et à ses meur- 
triers; et comme elle continuait sa dévotion, elle reçut 
un coup de pistolet, à la mamelle gauche, qui la jeta par 
terre ; un coup de sabre à travers le visage, et un coup de 
pierre sur la tête. Un autre scélérat tua la nourrice d'un 
coup de pistolet, et soit qu'ils n'eussent pas d'armes 
chargées, ou qu'ils voulussent épargner la munition, ils 
se contentèrent de me percer de plusieurs coups de baïon- 
nette. Je contrefis la morte ; ils crurent que je l'étais en 
effet, et ils se retirèrent. Quelque temps après, je me 
traînai auprès de ma maîtresse, je l'appelai, elle me ré- 
pondit, et me dit d'une voix basse: 

— « Ne me quittez point, Suzon, jusqu'à ce que j'aie 
« expiré. » Elle ajouta: « Je meurs pour ma religion et 
«j'espère que le bon Dieu aura pitié de moi. Dites à mon 
« époux quejelui recommande notre petite. »Aprèscela, 
elle ne s'occupa que de Dieu, par des oraisons courtes 



HISTOIRE DES CAMISARDS 259 

et tendres, jusqu'à son dernier soupir qu'elle rendit à 
mes côtés à l'entrée de la nuit . » 

Aussitôt qu'il eut connaissance de ce crime odieux, Ca- 
valier fit saisir ces misérables dans les bois du Bouquet, 
où ils s'étaient réfugiés. Un conseil de guerre les con- 
damna àmort et ils furent exécutés, àl'exception de l'un 
des quatre qui n'avait pas pris part au meurtre. 

Les Cévenols purgeaient souvent, par des exécutions 
semblables, leurs rangs de ceux qui se rendaient 
coupables de crimes particuliers, ainsi que de faux- 
frères qui s'y glissaient parfois pour les trahir. Et ici 
se présente encore un des côtés merveilleux de cette 
histoire. En voici deux ou trois exemples quiparaissent 
se rapporter au mois de novembre 1703, et que ra- 
content ainsi les dépositions consignées dans le Théâtre 
sacré des Cévennes: 

« Un nommé Languedoc, sergent dans le régiment de 
Menon, se vint jeter parmi nous comme déserteur, décla- 
rant qu'il voulait, à l'avenir, combattre pour la cause de 
Dieu. Quelques-uns des nôtres savaient qu'il était de fa- 
mille protestante, et ses discours nous parurent si rai- 
sonnables, que nous le reçûmes d'abord sans difficulté, 
comme nous avions déjà admis d'autres déserteurs. Mais 
il arriva deux jours après que ce malheureux fut lui- 
même témoin, dans une assemblée, de diverses inspi- 
rations qui l'indiquèrent évidemment et qui le décla- 
rèrent traître. L'un de eeux qui parlèrent dans l'inspi- 
ration dit positivement que ce méchant homme était 
venu pour nous vendre, et qu'on en serait convaincu si 
on cherchait dans sa manche, où on trouverait une lettre 
de l'ennemi. Sur cela, il fut incontinent saisi et fouillé, 
et on trouva effectivement, dans la manche de son jus- 
taucorps, une lettre du lieutenant général Lalande, qui, 



260 HISTOIRE DES CAMISARDS 

entre autres choses, lui faisait des reproches de ce qu'il 
n'avait pas encore exécuté sa promesse. L'accusé, étant 
ainsi marqué du doigt de Dieu, avoua d'ahord et lui 
donna gloire. Il fît môme une grande confession de tous 
ses péchés, et ne demanda, pour toute grâce, que les 
prières des gens de bien qu'il avait eu le malheur de 

vouloir trahir Il fut exécuté par l'ordre de M . Cavalier, 

qui, sans doute, avait reçu quelque ordre de l'Esprit; et 
il fit une mort édifiante. » 

Un peu auparavant, La Salle, un autre traître, avait 
été également découvert, et exécuté par les ordres de 
l'Esprit. 

« Gomme nous étions proche du village de Fons, à deux 
lieues de Nîmes, dans un bois où nous nous étions re- 
tirés après avoir été poursuivis pendant deux jours, il ar- 
riva queplusieurs inspirations concoururent à dire qu'ily 
avait dans la troupe un traître qui avait été séduit par 
sa femme et qui avait un dessein formé de tuer le frère 
Cavalier. (Les inspirations le nommaient ainsi.) Ce traître 
nommé La Salle, avait été papiste; mais il avait depuis 
longtemps fait les fonctions de bon protestant, et le frère 
Cavalier avait eu tant de confiance en lui qu'il en avait 
fait un de ses gardes, et qu'il se servait de lui en diverses 
occasions particulières. Nos inspirations insistèrent, en 
assez grand nombre, et entre autres celles de frère Ra- 
vanel et la mienne. Sur ces instances, nous allâmes rap- 
porter la chose au frère Cavalier, qui, pour lors, était 
un peu éloigné du gros de la troupe. 

« Nous le trouvâmes pensif, car il avait eu lui-même 
des avertissements sur cela, comme je le dirai tout à 
l'heure. 11 ordonna que La Salle fût saisi ; ce qui fut aus- 
sitôt exécuté. D'abord cet homme se mit à crier miséri- 
corde, sans nier le fait, demanda fortement à voir le 



HISTOIRE DES CAMISARDS 261 

frère Cavalier. Mais le frère Cavalier ne le voulut point 
voir. De sorte que La Salle ayant pleinement confessé 
qu'il avait été suborné pour commettre le crime dont il 
était accusé parles inspirations, il fut conclu qu'il aurait 
la tête coupée, parce que si on l'avait fait passer par les 
armes selon la pratique ordinaire, le bruit des fusils aurait 
pu nous attirer l'ennemi, qui nous cherchait, et qui pou- 
vait être proche de nous. 

« Le frère Cavalier avait un double sujet de tristesse. 
Il se voyait privé, par un accident douloureux, d'un 
homme qu'il avait aimé et dont il avait été bien servi; et 
d'ailleurs il se reprochait d'avoir en quelque façon dis- 
simulé l'avertissement que Dieu lui avait envoyé, ou 
plutôt de n'en avoir pas profité aussitôt qu'il l'aurait dû 
faire. Car lorsqu'il consentit à la mort du traître, il nous 
dit qu'il avait eu lui-même un avertissement en vision du 
mauvais dessein de cet homme; dans laquelle vision le 
dit La Salle, étant couché auprès de lui, avait voulu par 
trois fois le tuer d'un coup de pistolet, et que chacun 
des trois coups avait manqué. 

« Dès qu'il eut été résolu défaire mourir La Salle et 
qu'on eut ordonné qu'il fût exhorté et consolé, selon 
que cela se passait en pareille occasion, je m'éloignai 
de l'endroit de l'exécution et je m'en allai vers le frère 
Cavalier qui n'avait pas voulu non plus en être témoin. 
Comme toute la troupe était en prières pour le criminel, 
le frère Cavalier, qui était assis à terre, tomba en extase 
et eut des agitations extraordinaires. Dans la violence des 
mouvements qui le soulevaient et qui le secouaient ru- 
dement, l'Esprit lui dit : «Je t'assure, mon enfant, que 
« si tu murmures contre mon commandement, je 
« t'abandonnerai. Je t'avais fait connaître qu'il fallait 
« que ce traître fût mis à mort, et tu m'as résisté. 

15. 



262 histoire Di:s camisards 

« Prends garde, mon eufant, car je déclare que si tu 
« n'obéis pas aux ordres que je te donne, je t'aban- 
« donnerai et je donnerai mon troupeau à conduire à 
« d'autres qui le conduiront aussi bien que toi. » Je 
puis bien répondre de ces paroles ; mais il y en eut beau- 
coup d'autres, qui tendaient à la même chose. Je fus 
extraordinairement touché, de même que les autres qui 
étaient présents, de cette terrible extase du frère 
Cavalier. » 

Ainsi donc un réseau de trahisons enlaçait le jeune 
héros cévenol. Ne pouvant le vaincre, ces généraux en 
étaient réduits, — ô honte et misère ! — à payer des es- 
pions pour qu'ils leur livrassent, mort ou vif, celui qui, 
avec sa poignée de proscrits, d'hommes sans terres, de 
va-nu-pieds, les battait en toute rencontre, à la tête de 
leurs nombreux bataillons. Écoutons encore la curieuse 
déclaration de son cousin, Jean Cavalier, du village de 
Sauves : 

« Après la bataille de Gaverne, nous nous en allâmes 
au château de Rouvière, à une demi-lieue de Sauves. 
Comme j'étais avec le chef Cavalier, mon cousin, et plu- 
sieurs des principaux de la troupe, il dit tout haut : « Je 
» me sens tout contiïsté ; un Judas m'a baisé au- 
jourd'hui. » Cependant on prépare le dîner, environ 
vingt personnes se trouvèrent à table, tant de ceux de 
la troupe que des amis du voisinage. Entre autres, il y 
avait un certain N. , protestant de profession, qui avait 
été ami de l'illustre Brousson : il avait aussi toute la 
confiance de M. Cavalier, et nous le regardions tous en- 
semble avec d'autant plus d'estime, qu'il avait toujours 
fréquenté nos saintes assemblées, qu'il aidait souvent à 
les convoquer, qu'il recevait les charités de ceux qui 
nous communiquaient des secours d'argent, et qu'il 



IIISTOIRK DES CAMISARDS 263 

avait même souffert la prison pour quelqu'une de ces 
bonnes œuvres. 

« C'était un homme de quarante-cinq ans. Comme 
nous étions tous à table, N. à la droite de mon cousin 
et moi à sa gauche, l'Esprit me saisit avec de grandes 
agitations au milieu du repas, et. entre autres paroles, il 
me fit prononcer celles-ci : «Je te dis mon enfant, qu'un 
« de ceux qui sont assis à cette table et quia trempé la 
« main dans le même plat avec mon serviteur a des- 
« sein de l'empoisonner. » Presque aussitôt que mon 
inspiration eut cessé, un parent de M. Cavalier, qui 
était dans la même chambre auprès du feu, tomba en 
extase et dit en propres termes : « Il y a ici un Judas 
« qui a baisé mon serviteur et qui est venu pour l'em- 
poisonner. » Dès que mon cousin eut entendu ce que 
j'avais prononcé, il s'était abstenu de manger et avait 
ordonné que les portes fussent gardées ; mais après 
qu'il eut reçu le second avertissement par la bouche 
de la jeune fille, il fit redoubler la garde. La compagnie 
continua de- dîner. Comme on était encore à table, le 
frère Ravanel (celui qui a souffert le martyre ) fut sou- 
dainement saisi de l'Esprit avec des agitations très- 
grandes. 

« Je t'assure, mon enfant, lui dit l'Esprit, qu'il y a 
« présentement un traître assis à cette table, qui a reçu 
« une somme d'argent pour empoisonner mon serviteur, 
« et même toute la troupe, s'il lui était possible. Je ite 
« dis qu'il a promis a l'ennemi d'empoisonner le chef, 
<( et qu'il s'est proposé, en entrant dans cette maison, 
« d'empoisonner l'eau de la citerne et le s(>au, pour 
« tâcher de détruire le troupeau, s'il ne peut pas l'aire 
périr le berger.» A l'instant que M. Cavalier eut en- 
tendu ces paroles, il défendit qu'on puisât de l'eau, et 



264 HISTOIRE DES CAMISARDS 

il fit garder la citerne du château après que l'on eut 
jeté le seau dedans. 

« Dans le même temps, on vint dire dans la chambre 
où nous étions, que le frère Duplan brigadier de la 
troupe, qui était dans une autre chambre, venait de tom- 
ber dans une extase extraordinaire, avec de fort vio- 
lentes agitations; j'y courus et j'entendis qu'il prononça 
ces paroles: « Je te déclare, mon enfant, qu'il y a dans 
« cette maison un homme qui a vendu mon serviteur 
« pour une somme d'argent (il nomma 500 livres ou 500 
« écus). Il a mangé à la même table que lui. Mais je te 
« dis que ce traître sera reconnu, et qu'il sera con- 
te vaincu de son crime. Je te dis qu'il a dessein présen- 
te tement de jeter le poison qu'il a caché sur lui, ou de 
« le mettre dans les habits de quelqu'un de la com- 
te pagnie : mais je permettrai qu'il soit reconnu et 
« nommé par son nom. » 

« M. Cavalier, ayant été averti de l'inspiration de 
Duplan, le fit venir dans une chambre particulière avec 
les trois personnes qui avaient eu des inspirations, et 
tous ceux qui avaient mangé avec nous à la même 
table. On avait commencé à fouiller plusieurs de ces 
mêmes personnes, lorsque Duplan, qui marchait au 
milieu de ses agitations, entra dans la chambre, il vint 
droit à N., et lui mettant la main sur le bras, il l'accusa 
et le censura avec beaucoup de véhémence, disant: 
« Ne sais-tu pas, misérable, que je vois toutes choses ? 
« que je sonde les cœurs et les reins, et que les plus 
a secrètes pensées me sont découvertes ? n'appréhen- 
« des-tu pas mes jugements terribles ? Oserais-tu nier 
« le complot que tu as fait avec les ennemis de mon 
« peuple? Confesse, confesse, malheureux, ton crime! » 

« N. voulut s'excuser ; mais Duplan, dans un redou- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 265 

blement de l'inspiration, déclara positivement que le 
poison était dans la tabatière et dans la manche du jus- 
taucorps de celui qui était accusé, de sorte qu'il fut 
pleinement convaincu. J'étais présent, et j'ai vu tout 
cela. Le poison était dans du papier. M. Cavalier ayant 
des raisons particulières pour ne pas faire mourir ce 
traître, et sa mort n'ayant pas été ordonnée par une 
des quatre inspirations, il se contenta de le censurer et 
de lui représenter quantité de choses qu'il n'est pas né- 
cessaire que je rapporte ici. De sorte que, la nuit étant 
venue, N. eut la liberté de s'en retourner chez lui. Il y 
eut ordre à la troupe de se préparer pour la prière gé- 
nérale, en actions de grâces de la délivrance que Dieu 
nous avait accordée. » 

Cependant les troupes que commandait Montrevel 
poursuivaient l'œuvre de dévastation commencée dans 
les Cévennes, et la cour le secondait de loin par ses or- 
donnances. Le commencement de novembre en vit pa- 
raître une qui enjoignait aux nouveaux convertis des 
diocèses de Montpellier, Nîmes, Uzès et Alais, de payer 
200,000 livres aux anciens catholiques, en dédomma- 
gement du préjudice qu'ils pouvaient avoir essuyé à la 
suite des pillages des Camisards. 

Parmi les exécutions qui, chaque jour, épouvan- 
taient les villes du Languedoc, nous ne relèverons que 
celle d'unjeune garçon de quatorze ou quinze ans, pendu 
à Montpellier, soupçonné d'avoirpris part, disait-on, à 
un massacre commis à Saturargues, accusation qui 
avait déjà conduit son père à la potence, un mois plus 
tôt. 

Malheur aux pauvres huguenots qui, chassés de leurs 
demeures pour être internés au loin, se risquaient à 
venir pleurer sur ces ruines fumantes ! En décembre, 



266 HISTOIRE DES CAMISAftDS 

le comte de Tournon en rencontra une quarantaine 
aux environs de Saint-Julien d'Arpaon. Beaucoup par- 
vinrent à fuir; mais les soldats tuèrent les enfants, les 
vieillards, et >les femmes enceintes. 

Cavalier indigné écrivit au gouverneur de Nîmes pour 
le rappeler à la modération, en le menaçant de se mon- 
trer implacable à son tour, et de massacrer indifférem- 
ment tous les catholiques coupables ou non à l'égard 
des religionnaires. 

Près de Florac, le lieutenant-colonel Oourbeville donne 
la chasse à cent de ces pauvres exilés. Us se réfugient 
dans une maison dont ils forcent l'entrée, et presque 
tous sont égorgés. 

Ainsi qu'on l'avait promis, tout était terminé avant la 
fin de l'année. Le 23 décembre, Montrevel en donnait 
avis à Chamillart, et chantait en ces termes les louanges 
de Julien : « J'ai eu l'honneur de vous mander, monsieur, 
« que M.Julien a enfin achevé son ouvrage, c'est-à-dire 
■« qu'il a brûlé les maisons des paroisses condamnées 
« dont il n'aurait pu détruire en un an les murailles. 
« On ne peut pas s'être acquitté de cette commission 
« avec plus d'application qu'il a fait (1). » 

Les quatre cent soixante-six villages condamnés avaient 
disparu. On avait fait sauter à la mine ce qui eût résisté 
à la flamme, et tout était anéanti, arbres, récoltes, 
vignes, mûriers, fermes, maisons ou cabanes. Et parce 
qu'il ne restait plus une voix pour chanter en français 
•des cantiques à Dieu dans ce désert fait de main 
d'hommes, l'imbécile et cruel monarque crut, pour la 
seconde fois, que tout était converti dans son royaume, 
et qu'il avait enfin sauvé la religion. Six semaines avaient 



(1) Archives de la guerre, vol. 1708, no 323. 



HISTOIRE DBS CAMISARDS 267 

suffi pour renouveler en pleine France les atrocités que 
le grand roi avait fait commettre jadis dans le Palatinat. 
Commencée le 29 septembre, l'œuvre sinistre était faite 
et parfaite le 14 décembre, Brueys le dit du moins (!)•: 
« Les fanatiques qui n'avaient pu être réduits ni par les 
expéditions militaires, ni par les supplices, commen- 
cèrent à sentir les premières horreurs de la faim ; ils 
erraient comme des bêtes féroces par les bois et par les 
montagnes, fuyant les troupes du roi qui les suivaient 
sans cesse. » 

Il y eut une torture de plus ajoutée à leur martyre, 
voilà tout ; mais c'était chanter trop tôt victoire, et l'in- 
domptable Cavalier le fit bien vite voir à ses ennemis. 
Il ne restait plus aux Cévenols que leurs fusils, leurs 
faux et leurs bâtons ferrés ; ils accoururent en foule les 
apporterdans le camp des Enfants de Dieu. Dès le 17 dé- 
cembre, le chef en qui ils avaient foi remportait un avan- 
tage signalé sur les catholiques, aux Roques d'Aubais. 
Une recrue de soixante enfants armés de frondes faisait 
pleuvoir sur les troupes une grêle de cailloux. Des 
femmes, à la tête desquelles on distinguait Lucrèce 
Guigon, combattaient avec un courage tout viril. Ce 
n'était plus de la bravoure, c'était de la fureur, de la 
frénésie, de la rage, et l'on eût dit que l'on avait soif du 
sang les uns des autres. 

A trois jours de là, une bande de Camisards goûtait 
quelques heures de repos dans un pré, à Tornac. Quel- 
ques femmes, qui leur apportaient des rafraîchisse- 
ments, sont enlevées par cinq ou six cents hommes que 
commandait le gourverneur de Saint-Hippolytc. Les 
Cévenols en sont instruits, et jurent, malgré l'infériorité 

(l) Histoire du fanatisme, t. III, p. 266. 



268 HISTOIRE DES CAMISARDS 

du nombre, de délivrer leurs hardies pourvoyeuses, ou 
de périr avec elles. Une lutte acharnée s'engage, et le 
gouverneur prend la fuite vers Anduze, poursuivi par 
ceux que, lâchement, dans son rapport, il appelle de 
faux braves. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 269 



CHAPITRE Vil 



Catholiques et protestants s'exterminent sans pitié. — Les Cami- 
sards font un appel aux États protestants de l'Europe. — Succès 
de Roland, de Cavalier. — La cour rappelle Montrevel et le rem- 
place par le maréchal de Villars. 



1704. — Le courage des Camisards, on le voit, n'était 
nullement abattu. On avait détruit sous leurs pieds la 
patrie terrestre. Mais ils contemplaient avec sérénité la 
patrie céleste sur leurs têtes, certains que, par la mort, 
celle-là du moins ne leur échapperait pas. Chaque chef 
agissait dans son indépendance, sous sa responsabilité 
personnelle, guidé par les inspirations d'en haut, et 
sous l'approbation d'un conseil de guerre formé par la 
réunion de ses officiers. On avait renoncé, de part et 
d'autre, à faire des prisonniers : les vaincus étaient 
passés par les armes. Il y eut cependant une fois un 
échange. Castanet, nous l'avons vu, avait trouvé le 
temps de se marier entre deux expéditions. Mariette, sa 
jeune femme, ayant été arrêtée, Gastanet parvint à se 
saisir d'une femme de considération, dans le bourg de 



270 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Valeraugues, et proposa de l'échanger contre sa femme, 
ce qui fut accepté. 

Les catholiques, toujours vaincus lorsqu'ils luttaient 
avec des chances égales, souvent défaits, môme lors- 
qu'ils avaient la supériorité du nombre, étaient frappés 
de démoralisation, et. les officiers eux-mêmes ne se lan- 
çaient que mollement dans des expéditions où il n'y 
avait, disaient-ils, ni quartier à espérer, ni profit à 
faire. « Je vois dans une partie des troupes, écrivait 
Fléchier avec découragement (I), si peu de zèle pour le 
service de Dieu et du roi, que je n'attends pas de grands 
succès des expéditions qu'on médite, si le ciel n'échauffe 
nos guerriers. » 

Hélas ! Dieu semblait déserter sa propre cause, la 
jugeant sans doute mauvaise, et, sourd aux prières des 
évêques, il n'échauffait que le courage de ceux que l'on 
disait ses ennemis. Ne comprenant rien à la résistance 
héroïque de ces hommes, qui cependant luttaient pour 
leurs autels, leurs foyers, leur famille et leur modeste 
avoir, la cour pressait Montrevel d'en finir, et celui-ci 
se voyait contraint d'avouer que,lesCévennes détruites, 
rien n'était terminé avec les Cévenols. Le maréchal avait 
néanmoins sous ses ordres des forces imposantes, secon- 
dées par une population catholique ardente, et plus fana- 
tique encore que ne l'étaient les Camisards. Il avait le 
régiment de dragons de Fimarcon, celui de Saint-Cernin, 
deux bataillons de Hainault, deux de Royal-Comtois, 
un de Soissonnais, un de Blaisois, un de Dauphiné, un 
de Labour, un de Marsilly, un de Tournon, un de la 
Fare, un de Dugua, trois de miquelets, quatre de la 
marine, deux des galères, trois du régiment suisse de 

(1) Fléchier, lettre du 9 fév. 1704. 



HISTOIRE DES CAM1SARDS 271 

Courten, deux de Cbarolais, un de Froulay, et en outre 
deux compagnies de fusilliers de la province, de nom- 
breuses milices bourgeoises, sans compter les bandes 
des cadets de la Croix, et une artillerie formidable. Ces 
forces, imposantes étaient commandées par un maréchal 
de France, deux maréchaux de camp, treize brigadiers, 
et l'on ne pouvait réduire cinq ou six bandes comman- 
dées par un garçon de vingt ans et quelques jeunes 
pâtres comme lui, qui, toutes réunies, n'eussent peut- 
être pas pu mettre en ligne un total de trois ou quatre 
mille combattants. 

Pour répondre aux actes de sauvagerie que le roi- 
soleil venait d'accomplir, ainsi que pour réchauffer le 
zèle des alliés, qui faisaient des promesses qu'aucun 
acte ne suivait, les réfugiés protestants publièrent un 
nouvel écrit: L'Europe esclave, si les Cévenols ne sont pus 
promplement secourus. Après avoir surabondamment 
prouvé qu'en anéantissant toutes les garanties accordées 
par ses prédécesseurs et par lui-môme aux religionnaires. 
Louis XIV avait rompu le pacte qui engageait la fidélité 
de ses sujets, l'auteur s'écriait : 

« Qu'est-donc que l'Europe- doit faire dans cet état ? 
Nous devons l'apprendre des Romains, qui ne trou- 
vèrent pas de moyens plus efficaces pour chasser 1rs 
Carthaginois de l'Italie, que de porter la guerre en 
Afrique et de les attaquer dans leur propre pays. Mais 
sans aller si avant dans les siècles passés, nous pouvons 
l'apprendre de l'ennemi commun même (car pus est ab 
hosle doceri), lequel, avec un succès merveilleux et pres- 
que incroyable, a, non-seulement envoyé une partie <le 
ses forces dans le cœur de l'Allemagne, mais aussi fo- 
menté le mécontentement des Hongrois persécutés, et 
les a portés à se soulever; ce qui ne donne pas peu d'in- 



272 HISTOIRE DES CAMISARDS 

quiétude à l'empereur, et divertit une partie considérable 
de ses troupes, qu'on pourrait employer plus utilement 
contre les véritables ennemis de l'État. 

« Portons donc la guerre dans le cœur de la France, 
et profitons des mécontentements que l'oppression et le 
pouvoir arbitraire ont causé dans ce royaume, et qui ont 
non-seulement éclaté parmi les protestants des Gévennes 
et du Languedoc, mais qui commencent déjà à se faire 
voir en Dauphiné et en d'autres provinces, ou pour 
mieux dire dans tout l'Etat. Car si la France est vigou- 
reusement attaquée au dedans, elle sera bientôt dans 
l'impuissance de soutenir une guerre étrangère ; et elle 
se verra contrainte d'abandonner ce qu'elle a usurpé 
sur les autres, pour conserver ce qui esta elle. En un 
mot, si l'on a une fois ruiné quelques provinces, la mi- 
sère est si grande en France, que les peuples ne pourront 
ni se rétablir, ni payer les subsides. Ainsi les ressources 
qu'on pratique en France pour avoir de l'argent, qui 
est le nerf de la guerre, étant taries, celle-ci ne pourra 
plus se faire avec avantage par les Français. » 

L'auteur ajoutait, avec raison, qu'il était à propos de 
composer de réfugiés français les régiments que l'on 
enverrait dans les Gévennes. Ceux-ci s'entendraient plus 
facilement avec les Camisards, en même temps qu'ils 
pourraient entraîner, par leur influence, ceux de leurs 
amis ou parents qui hésitaient encore à se soulever pour 
revendiquer les libertés perdues. 

Si l'on y joignait trois ou quatre mille braves Vaudois 
et dix ou douze mille Anglais, Allemands et Hollandais, 
on soumettrait le Dauphiné et la Provence, on mettrait 
à contribution les riches cités de Grenoble, Lyon et Mar- 
seille, on pénétrerait dans le Bordelais après s'être ren- 
du maître du Languedoc. Une flotte anglaise remon- 



HISTOIRE DES CAM1SARDS 273 

terait la Garonne pendant que les révoltés et les alliés en- 
treraient à Bordeaux, s'empareraient du Château-Trom- 
pette et des forts qui dominent le cours du fleuve, et 
l'Angleterre reconquerrait ainsi sa chère et regrettée 
province de Guienne, le pays des bons vins ! 

Tout cela était bien séduisant, et possible peut-être, 
dans l'état d'énervement et de profonde misère où 
les folies de Louis XIV avaient réduit le malheureux 
royaume. Mais il eût fallu de l'unité dans la direction 
de l'affaire, et lorsque les Anglais se montraient décidés, 
les Hollandais ne l'étaient pas encore, ou bien les Alle- 
mands ne l'étaient déjà plus. On ne s'entendait ni 
sur le contingent à fournir dans l'œuvre commune, ni 
sur la part que chacun se taillerait dans la peau de l'ours. 
On choisit néanmoins, dans une conférence tenue à la 
Haye, le 28 avril, chez le duc de Marlborough, le bri- 
gadier Belcastel, officier sage, brave et expérimenté, 
pour faire des levées d'hommes et amener des secours. 
Puis il fallut consulter l'Angleterre, et lorsque Belcastel 
eut tous ses pouvoirs pour se mettre en mouvement, la 
partie était déjà perdue en France. 

Ni les catholiques, ni les protestants ne s'endormaient 
dans le Languedoc, tandis que les alliés se disposaient 
à attaquer les premiers et à secourir les autres. Planque 
et Julien, chacun de son côté, brûlaient, égorgeaient, 
enlevaient en masse, détruisaient moulins et fours, 
internaient dans les villes murées les serruriers, maré- 
chaux, armuriers, cordonniers, médecins et chirurgiens, 
afin que ceux de ces malheureux qui échappaient au fer 
et à la flamme mourussent de faim et de l'excès de leur 
misère. 

Parmi les captures importantes qu'ils firent, on 
doit compter une fameuse prophétesse qu'à cause de sa 



274 HISTOIRE DES CAMISARDS 

haute taille on appelait la Grande-Marie, et Louis Jon- 
quet, un des officiers de Cavalier. 

Montrevel rivalisait de férocité avec ses lieutenants, 
mais les sanglants exploits de tous les égorgeurs catho- 
liques palissaient devant ceux de l'ermite, le principal 
chef des cadets de la Croix. Les états du Languedoc 
demandent encore que l'on mette un terme à leurs excès 
intolérables : les évèques prennent hautement leur dé- 
fense : « On tâche de décrier lui et les siens, écrit Flé- 
chier (1) : mais nous l'avons bien soutenu. » 

Le 17 janvier, Cavalier défait, entre Montpesat et Vie, 
un détachement de royalistes, et le lendemain, au col 
du Marcou, Roland tend une embuscade dans laquelle 
viennent tomber deux bataillons du régiment de Dau- 
phiné, qui conduisaient de Saint-André-de-Vollongue h 
La Salle de nombreux captifs arrêtés par Planque dans 
les hautes Cévenncs. Ce fut une boucherie plutôt qu'un 
combat; Monblanc, qui les commandait, y perdit la vie,, 
ainsi que presque tous ses hommes. La petite cava- 
lerie cévenole les poursuivit jusqu'auxportes de La Salle, 
tuant tous ceux dont la fuite se ralentissait. Le vainqueur 
fut chanter un Te Deum d'actions de grâces à Valescure, 
attaqua ensuite les faubourgs de Saint-Hippolyte, in- 
cendia une église, abattit quelques croix, et se retira 
sans que la garnison osât sortir pour inquiéter sa retraite. 
Planque y étant revenu quarante-huit heures après fit 
brûler ses morts, et aussi bon nombre de maisons de 
Vallongue, Roucou, et de quelques autres lieux. Cavalier, 
à quelques jours de là, remporta encore un avantage 
sur les dragons. 

Bâville répond à ces défaites par des exécutions, Mon- 

(l) Fléchier, lettre du 9 fév. 1704. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 275 

trevel parties ordonnances de plus en pins impitoyables. 
Les prisons des îles Sainte-Marguerite se peuplent de 
plusieurs centaines de ces malheureux, qu'ils font en- 
lever en masse. Deux cent cinquante disparaissent ainsi 
de Nîmes, en deux ou trois jours, cent cinquante de 
Quissac... 

«Aux enlèvements, dit Court de Gébelin (1), Montre- 
vel ajouta les massacres. Tous les malheureux qui furent 
censés n"avair pas obéi à l'ordonnance qui portait de 
s'enfermer dans les villes ou dans les lieux murés ou 
qui furent trouvés à la campagne, ou qui, après avoir 
obtenu congé de sortir de leur asile pour vaquer à quel- 
que affaire indispensable, n'étaient pas revenus à l'heure 
marquée, quelque bonne raison qu'ils pussent alléguer 
pour leur justification, ou enfin tous ceux qui furent 
soupçonnés avoirfourni quelques secours auxCamisards : 
tous ces gens-là éprouvèrent irrémissiblement le triste 
sort dont je parie. Nous avons des exemples et des uns 
et ries autres. » 

Les deux mois de février et mars sont consacrés en 
entier à ces sauvages expéditions. Dans une seule, le 20 
février, Planque massacre plus de six cents de ces in- 
fortunés. Voici un détail, pris au hasard. Un grand 
nombre d'habitants de paroisses incendiées s'étaient 
réfugiés à Saint- André. Afin de se procurer quelque 
secours, ils s'écartent du lieu de leur internement, où 
ils périssaient de faim. Planque, instruit de cette in- 
fraction grave aux ordonnances, fait partir un déta- 
chement pour les aller châtier. Déjà ils étaient rentrés 
tous dans leurs cantonnements: c'était la nuit, ils dor- 
maient. On les arrache de leurs lits pour les enfermer 

(1) Court, t. II, p. 227. 



276 HISTOIRK DES CAMISARDS 

dans l'église. On les en faisait sortir à leur tour pour les 
égorger. Cinq femmes ouvrirent cette sanglante tragédie. 
L'une d'elles fut massacrée sous les yeux de ses deux 
enfants, deux petites filles de six à sept ans qui, hurlant 
de désespoir, se jetaient sur les soldats qui riaient de 
leur fureur impuissante. Quand tout fut fini, on jeta 
morts et mourants, hommes, femmes et enfants, dans 
la rivière qui roula leurs cadavres sur ses bords, où ils 
furent dévorés par les chiens affamés et les bêtes 
sauvages. 

Ailleurs, quatre paysans et une jeune fille obtiennent 
la permission de s'éloigner pour des affaires pressantes. 
On leur avait fait promettre de rentrer dans la même 
journée. Mais ils sont surpris par un de ces orages épou- 
vantables comme on en voit parfois dans les montagnes. 
Les plus faibles ruisseaux sont devenus des torrents 
impossibles à franchir. La jeune fille épouvantée se réfugie 
sous un abri, les supplie d'attendre l'aube'pour se remettre 
en route. Ils cèdent, arrivent de grand matin à La Salle, 
lieu de leur internement. Furieux, le commandant de 
place fait fusiller les quatre hommes. Chacun intercède 
pour la jeune fille. Des religieuses la pressent, pour 
obtenir un sursis, de déclarer qu'elle est enceinte. Elle 
refuse d'acheter sa vie au prix d'une tache à son hon- 
neur. Les religieuses alors prennent sur elles la respon- 
sabilité de ce pieux mensonge. Une sage-femme est! 
appelée, qui, acceptant la complicité de leur fraude, 
déclare, après visite, qu'elle est grosse en effet. « Eh 
bien! dit La Place, qu'on les arrête toutes deux, qu'on! 
les garde en prison, et si dans deux mois il ne paraît! 
pas signe de grossesse, on les pendra toutes deux. » Laj 
sage-femme Jbaisse la tête, et déclare qu'elle n'a dé-j 
couvert que les signes de la virginité. Les soldats alorsl 



HISTOIRE DES CAMISARDS 277 

tuent la jeune fille sur les corps de ses quatre compa- 
gnons de route. 

Le 8 février, Jean-Louis Maury futpendu à Franchas- 
sin, auprès de Prades, par ordre de Julien. 11 y eut 
sans doute des conversions dans sa famille, et plus de 
quatre-vingts ans plus tard un de ses descendants, 
l'abbé Maury, passa un jour à fleur de corde et eût été 
pendu comme son aïeul, par des forcenés qui voulaient 
l'accrocher à la lanterne, lorsqu'il leur dit: « Eh! 
messieurs, en verrez-vous plus clair! » On se tirait 
alors d'affaire avec un bon mot. Mais qu'étaient les 
égorgeurs de 93, luttant avec la férocité du désespoir 
contre l'Europe envahissante, contre le Midi frémissant, 
contre la Vendée avec ses cent mille combattants, contre 
la conspiration flagrante de là noblesse et du clergé; 
qu'étaient-ils auprès des égorgeurs du grand roi, 
massacrant des malheureux dont le crime unique 
était de préférer le prêche à la messe ! 

En apprenant l'arrestation de son lieutenant Jonquct, 
et surtout celle de la Grande-Marie, Cavalier avait rugi de 
colère et de douleur à la fois. Il parvint à se saisir de la 
sœur de Le Fèvre, l'un des chefs des cadets de la Croix, 
et fit proposer entre elle et la célèbre prophétesse un 
échange qui ne fut pas accepté. La Grande-Marie fut 
pendue à Nîmes, et Jonquet roué vif (6 mars). 

Des protestants de Saint-André-de-Magencoules s'é- 
taient assemblés pour faire des exercices de religion. Ce 
fut cette fois la bourgeoisie catholique de Saint-André qui 
massacra jusqu'au dernier ces malheureux, qui n'essayè- 
rent pas même de se défendre. 

Il semble que ce soit, de part et d'autre, un assaut de 
férocité dans lequel la palme appartient aux catholiques. 
Entre Bargeac et Bagnols, les cadets de la Croix s'empa- 



278 HISTOIRE DES CAMISARDS 

cent de trois jeunes filles, leur font subir le dernier ou- 
trage, leur emplissent le corps de poudre, les bourrent 
comme une pièce d'artillerie, y mettent le feu, et les 
font éclater (1). Flécbier voit ces atrocités, et timidement 
les blâme. Il écrit à l'un de ses curés (2) : « Vous devez 
contenir les catholiques armés : ils doivent combattre et 
faire la guerre du Seigneur, non pas piller les amis et 
les ennemis. » 

Les Camisards s'efforcent de ne pas rester en arrière : 
« On ne se fait nul quartier, écrit-on dans ce temps-là. 
Si Le Fèvre l'ermite, et ceux qu'il commande, brûlent 
des contrées entières et passent au fil de l'épée les nou- 
veaux convertis, Cavalier et les autres chefs camisards 
brûlent et saccagent de leur côté, et font main basse 
par représailles sur tous les prêtres et anciens catholiques 
qu'ils rencontrent. On ne saurait parler de ces choses 
sans horreur : le pays qui sert de théâtre à cette guerre 
intestine est devenu un désert affreux... (3) » 

C'est désormais une lutte de loups enragés, la terreur 
règne jusque dans les cités : « Nous sommes, écrit l'é- 
vêque de Nîmes (-4), dans une ville où nous n'avons point 
de repos, ni de plaisir, non pas même de consolation. 
Quand les catholiques sont les plus forts, les autres 
craignent d'être égorgés. Quand les fanatiques sont en 
grand nombre près d'ici, les catholiques craignent à 
leur tour. Il faut que je rassure tantôt les uns, tantôt 
les autres. Nous sommes ici comme bloqués, et l'on ne 
peut sortir de la ville à cent cinquante pas sans crainte 



(1) Court, t. II, p. 240. 

(2) Lettres choisies, lettre 163. 

(3) Cité par Court, t. II, p. 249. 

(4) Fléchier, lettre du 27 avril. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 279 

et sans danger d'être tués. Il n'est pas permis de se pro- 
mener, ni de prendre l'air. J'ai vu de mes fenêtres brûler 
nos maisons de campagne impunément. Il ne se passe 
pas de jour que je n'apprenne à mon réveil quelque mal- 
heur arrivé la nuit. Ma chambre est souvent pleine de 
gens qu'on a ruinés ; de pauvres femmes dont on vient 
de tuer les maris ; de curés fugitifs qui viennent repré- 
senter les misères de leurs paroisses. Tout fait horreur, 
tout fait pitié. Je suis père, je suis pasteur ; je dois 
soulager les uns, adoucir les autres, les aider, les se- 
courir tous. L'exercice de notre religion est presque 
aboli dans trois ou quatre diocèses. Plus de quatre 
mille catholiques ont été égorgés à la campagne ; 
quatre-vingts prêtres massacrés, près de deux cents 
églises brûlées... » 

Si telles étaient les angoisses des persécuteurs, qu'elles 
ne devaient pas être celles des persécutés I Voilà donc 
qu'elles étaient les conséquences du crime commis par 
Louis XlVen octobre 1685 ! Voilà ce qu'avait amené la 
persécution implacable provoquée à l'origine par le 
clergé, soutenue par lui depuis ! C'est ce qui fut repré- 
senté dans une lettre que l'on adressa vers cette époque 
à Montrevel : 

« Monseigneur, je ne doute pas que vous ne soyez sur- 
pris et en même temps touché, de voir l'entière désola- 
tion du bas Languedoc, où l'on n'entend parler que de 
meurtres, d'incendies, de pillages, de cruautés et d'in- 
justices. II semble que ce soit par une cruelle émula- 
tion. 

« La plupart deshommes ne tendent qu'à sedétruire 
et qu'à ruiner la province et l'État. Le plus grand 
malheur est que la corruption est allée jusque dans le 
sanctuaire. Ce sont les ecclésiastiques qui sont la cause 



280 HISTOIRE DES CAMISARDS 

de tous les désordres. Ceux qui devraient être occupés 
à prier Dieu sans cesse et à gémir à la vue de tant de 
sang répandu, s'en réjouissent; et ils scandalisent par 
une conduite si éloignée de la charité ceux qui ont 
encore quelque sentiment de la nature et de la reli- 
gion. 

« Oui, Monseigneur, je dis qu'ils en sont la cause, lors- 
que, par un principe d'orgueilplutôt que par des motifs 
chrétiens, ils ont voulu dominer sur la foi d'autrui et 
tyranniser les consciences. Que n'ont-ils pas fait pendant 
plusieurs années? Ou plutôt qu'ont-ils fait? A quoiont 
abouti toutes leurs violences? Ont-ils fait des chrétiens, 
ou pour mieux dire n'ont-ils pas fait des athées, des liber- 
tins, et enfin des rebelles? Voilà ce qu'ont produit les 
séminaires, les couvents, les prisons, les exils, les amen- 
des et les enlèvements, des pères à leurs enfants, des en- 
fants à leurs pères, des femmes à leurs maris, et des 
maris à leurs femmes. Il n'est pas nécessaire, monsei- 
gneur, que je vous fasse le détail de la conduite de 
quelques évoques de cette province et des prêtres de leurs 
diocèses, qui, sous le prétexte spécieux delà religion, 
ont insolemment abusé de l'autorité de l'Église et par 
leurs vexations ont jeté le monde dans le désespoir où 
vous le trouvez. Si vous prenez la peine de vous informer 
des choses, vous saurez que non-seulement ils sont les 
auteurs du plus grand malheur qui peut jamais arriver 
dans cette province, mais encore qu'ils approuvent et 
animent hautement ceux qui, sous le nom de Cadets, 
vont impunément tuer, piller et brûler. Après cela, je 
vous avoue, Monseigneur, qu'il faut avoir une grâce 
toute particulière pour ne pas douter de la vérité de la 
religion catholique, et il ne faut pas s'étonner si ceux 
qui commençaient d'en goûter les principes se sont 



HISTOIRE DES CAMISARDS 281 

rebellés lorsqu'on a vu des manières si opposées à la 
douceur de l'Évangile (1). » 

Les nouveaux convertis adressent de leur côté un 
placet à Montrevel, dans lequel ils protestent de leur dé- 
vouement et demandent des chefs pour marcher contre 
les cadets de la Croix. 11 refuse, et se co ntente de rendre en- 
core une ordonnance sévère contre ceux-ci ; mais comme 
on ne voyait pas qu'un seul fût jamais puni, [tandis que 
l'on se montrait si impitoyable à l'égard des religion- 
naires, il n'était que trop évident que ce n'étaient 
là que de vaines démonstrations, et ces bandits pour- 
suivaient sans crainte le cours de leurs atrocités. Les 
Camisards seuls leur faisaient parfois payer cher leur 
audace, ainsi que cela arriva le 8 mars, aux environs de 
Garigues. 

Trois nouveaux chefs cévenols, Dortial, Abraham 
Charmasson et Mercier, essayent de troubler encore le 
Vivarais. Ils s'y montrent le 19 mars, brûlent l'église 
de Gluiras, tuent deux curés, incendient quelques 
presbytères. Julien marche contre eux, les surprend 
dans le village de Franchassin, et, après les avoir taillés 
en pièces, fait tout détruire afin d'étouffer dès le début, 
dans le sang et sous les ruines, cette nouvelle tenta- 
tive de soulèvement. 

Au milieu de toutes ces horreurs, il se rencontra un 
gentilhomme protestant d'Uzès, nommé de Rossel, 
baron d'Aigalliers, qui conçut la noble pensée d'y 
mettre un terme. A son avis, les plus influents parmi 
les réformés devaient s'interposer entre les bourreaux 
et les victimes, tenter de désarmer d'abord celles-ci, 
et d'obtenir ensuite des autres qu'ils leur laissassent 

(1) Cité par Court, t. II, p. 252. 

16. 



3»2 JJIST01IU-; DES CAMISARDS . 

cette faculté, la seule qu'ils réclamaient, de prier Dieu 
à leur manière. Il se rendit à Paris, désireux d'exposer 
ses projets et de les faire agréer.avant de rien entre- 
prendre pour leur réussite. Il vit le duc de Chevreuse, 
le duc de Montfort, son fils, Chamillart, qui le présenta 
à Villars, dont on parlait déjà pour l'envoyer remplacer 
Montrevel, dont l'insuffisance était surabondamment 
démontrée, et auquel on s'en prenait du prolongement 
de cette lutte fratricide. Villars lui prêta une oreille 
favorable, et lui dit d'aller l'attendre à Lyon, où lui- 
même devait bientôt se rendre. 

Pendant ces pourparlers, Cavalier remportait, le 
15 mars, sur l'armée catholique, une victoire sanglante 
qui acbeva de ruiner Montrevel dans l'esprit de la cour. 

Le maréchal venait d'arriver à Uzès, lorsqu'il apprit 
que les Cévenols se trouvaient du côté de Saint-Chattes. 
Dédaignant de marcher en personne contre eux, il se 
contenta de lancer à leur rencontre La Jonquière à la 
tête de six cents hommes d'élite de la marine, appuyés 
par quelques compagnies de dragons de Fimarcon, 
sous la conduite de de Foix, leur lieutenant-colonel. 

De Foix rejoignit La Jonquière à Saint-Chattes ; mais 
celui-ci, ne voulant partager avec personne la gloire 
d'un succès qu'il croyait assuré, le renvoya à Uzès. Puis 
•il se mit à suivre les Camisards à la piste, non sans faire 
quelques exécutions sur sa route, pour entretenir chez 
ses soudards leur appétit du sang. Enfin il rejoignit les 
révoltés aux Devois deMartignargues, où ils avaient ré- 
solu de l'attendre de pied ferme. 

Cavalier enflamma le courage de ses compagnons par 
une allocution chaleureuse, et ils adressèrent à Dieu 
leur prière ordinaire. Abrité derrière quelques arbris- 
seaux, il prit habilement position au bord d'un ravin 



HISTOIRE DES CAMISARDS 283 

qu'il mit entre lui et ses adversaires, fortifia sa gauche 
d'une trentaine de cavaliers que commandait Catinat, 
et sur la droite, protégée également par un massif d'ar- 
bustes, il plaça en embuscade soixante hommes d'élite 
auxquels il ordonna d essuyer, sans broncher, le pre- 
mier feu des catholiques, puis de tomber ensuite sur 
eux de tous les côtés h la fois. 

La Jonquière avançait toujours plein de confiance 
dans sa supériorité numérique et dans la bravoure plus 
savante de ses troupes. Arrivées à la portée du fusil, 
elles font feu ; Cavalier commande aux siens de se cou- 
cher ventre à terre, et les balles passent par dessus leurs 
têtes. La Jonquières, les croyant tous morts, ordonne à 
ses bataillons de fondre sur eux la baïonnette en avant. 
Mais les Gamisards, dont pas un n'était atteint, se re- 
lèvent, entonnent à pleine voix le cantique de circons- 
tance, et se précipitent sur eux à leur tour. Puis d'un 
côté s'avance la petite cavalerie, de l'autre les soixante 
hommes sortent de derrière les arbres qui les cachaient 
aux regards, et la petite armée de La Jonquière, enve- 
loppée de toutes parts, n'essaye pas même de lutter et 
fuit éperdue devant les Gamisards qui se fatiguent à les 
massacrer. 

Presque lous les officiers se firent tuer. Six cents ca- 
tholiques restèrent sur la place, tandis que les Cévenols, 
assure-t-on, ne perdirent que deux hommes morts quel- 
ques jours après des suites de leurs blessures. Un riche 
butin, des fusils, des pistolets, desépées, des habits, des 
chevaux furent "le prix de ce brillant fait d'armes. La 
Jonquière, blessé légèrement au visage, parvint à se 
sauver en traversant le Gard à la nage, et ne se reposa 
qu'à une lieue du champ de bataille. Dans sa fuite, 
il Jaissa comme trophée son cheval aux mains de 



284 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Cavalier, qui 'en fît désormais sa monture ordinaire. 

Montrevel, au comble de l'exaspération, se décide 
enfin, mais trop tard, à se lancer à la poursuite des Ca- 
misards. 11 ne convenait pas à la fortune de Cavalier de 
livrer une seconde bataille. Le maréchal ne put le ren- 
contrer. 

Il crut sauver sa renommée en gardant le silence sur 
cette triste affaire. Chamillart, dans une lettre sévère en 
date du 24 mars, lui apprit que rien n'était ignoré à la 
cour : « Quoique vous n'ayez rien mandé au roi de ce 
qui s'est passé à Saint-Chattes, vous ne doutez point 
que M. de la Jonquière n'en ait informé son supérieur, 
et que Sa Majesté n'ait été bien fâchée d'un si triste évé- 
nement. Elle m'a même recommandé de vous dire sur 
ce qui lui en est revenu, qu'il n'aurait tenu qu'à vous de 
l'éviter, si vous vous étiez mis en mouvement avec toutes 
les troupes dont vous pouviez disposer. » 

La victoire de Saint-Chattes avait porté à son apogée 
la gloire du jeune héros cévenol. Sa troupe grossissait 
chaque jour, et bientôt il compta autour de lui un millier 
de fantassins et deux cents hommes à cheval. Cette 
petite armée possédait un trompette, huit tambours et 
un fifre, et celui qui la guidait, enivré de ce succès prodi- 
gieux, nourrissait dans son âme les plus grands, les 
plus généreux projets. 

Hélas ! Montrevel, avant de quitter le Languedoc, lui 
ménageait de terribles adieux. La cour l'avait enfin rap- 
pelé, et le dernier des grands capitaines de la monar- 
chie, Villars, que l'on opposait à Cavalier, devait venir 
le remplacer le 20 avril. Montrevel, qui était décidé à 
partir le 18, fit courir le bruit qu'il se dirigeait définiti- 
vement le 16 sur Montpellier, Ses derniers préparatifs 
de départ étaient faits, ses équipages avaient déjà pris 



HISTOIRE DES CAMISARDS 285 

les devants. Une partie des troupes marchait ostensi- 
blement à la rencontre de son nouveau général, l'autre 
devait accompagner celui qui lui cédait la place. C'é- 
taient six mille hommes d'élite, avec lesquels il reste à 
Sommières, entre Nîmes et Montpellier, à portée de 
tout observer, de tout entreprendre. 

Cavalier, instruit des faux bruits répandus par les 
agents du maréchal, y ajoute foi, et arrive le 15 au soir 
à Caveirac, dans la Vaunage, à une lieue de Nîmes, avec 
ses douze cents hommes. Il s'y repose la nuit, et le len- 
demain il prend plaisir à passer en revue sa petite 
armée et à lui commander des évolutions. 

Un curé de Montpezat, qui avait à sa solde des es- 
pions vigilants et fidèles, tenait Montrevel au courant 
de tous les mouvements du jeune chef cévenol. Averti 
par lui, le maréchal revient sur ses pas et fait entourer 
Caveirac par toutes les forces dont il dispose. 

Avant que l'affaire ne s'engageât, Cavalier, qui sou- 
vent ne s'en remettait qu'à lui-même du soin de faire 
des reconnaissances, se vit couper la retraite par un 
cornette et deux dragons, qu'un bouquet d'oliviers 
l'avait empêché d'apercevoir. Il est reconnu, poursuivi 
par eux, attaqué par tous les trois à la fois. D'un coup 
de fusil il tue le cornette, et de ses deux coups de 
pistolet, il casse la tête aux dragons, puis il vient re- 
joindre sa troupe qu'il dispose de son mieux sur une 
petite colline. 

Un premier corps d'armée, commandé par Granval, 
engage la bataille. Cavalier accepte le combat, remporte 
une première victoire, et pendant une heure on poursuit 
les fuyards. Mais voilà qu'ils se trouvent en face d'une 
nouvelle armée de troupes fraîches, qui coupe la re- 
traite à la petite cavalerie camisarde, et intercepte toute 



28G HISTOIRE DES CAMISARDS 

communication avec son infanterie. Harassés de fa- 
tigue, il leur faut recommencer la lutte. Ils résistaient 
de leur mieux, quand, au bruit de la fusillade, accourt 
un troisième corps d'armée, commandé par Montrevel 
en personne. 

Il ne fallait plus songer qu'à opérer la retraite dans 
les conditions les moins désastreuses possibles. Cavalier 
confie sa fortune à un paysan qui lui indique le cbemin 
de Soudorgues à Nages comme étant le seul qui pré- 
sentât encore quelque chance de salut. Il s'y lance avec 
ce qu'il peut réunir des débris de sa troupe, mais tout à 
coup le cbemin lui est coupé par un quatrième corps 
d'armée, détaché par Montrevel et commandé par 
Menon. Les Gamisards étaient pris entre deux feux. 
C'était une déroute. Mais de quel côté fuir ? Cavalier 
réunit ceux qui survivent encore et leur dit : « Enfants, 
nous sommes pris et roués vifs, si nous manquons de 
cœur. Nous n'avons plus qu'un seul moyen : il faut se 
faire jour et passer sur le ventre à ces gens-là. Serrez 
vos rangs, suivez-moi, et que Dieu nous protège ? » 

Alors ils se précipitent comme des taureaux blessés 
au plus épais des bataillons ennemis. C'est une mêlée 
effroyable, au milieu des cris, des blasphèmes, des hur- 
lements. On lutte corps à corps, on se prend aux che- 
veux, on se roule à terre, on se mord, on se déchire. Quel- 
ques-uns passent, cependant, et franchissent un pont, 
dont bientôt un détachement de dragons vient inter- 
cepter le passage aux autres. 

Le frère de Cavalier se trouvait du nombre de ceux 
qui étaient passés les premiers. C'était un enfant de 
dix ans, qui montait un étalon de la Camargue, et se 
battait comme un jeune lionceau. Il se retourne, cher- 
che des yeux son frère, et le voit de l'autre côté de la 



HISTOIRE DES CAMISARDS 287 

rivière, luttant, avec une poignée de braves, au milieu 
d'une multitude d'ennemis qui veulent l'avoir vivant. 
Il arrête les fuyards, le pistolet à la main : « Où allez- 
vous ? leur crie-t-il. Retournez renverser les dragons, 
sauvons frère Cavalier!... » 

On lui obéit, et les dragons, pris à leur tour en tête 
et en queue, cèdent le passage aux derniers débris de 
l'insurrection cévenole. 

Cavalier était sauvé, mais son armée n'existait plus 
Dans cette journée, il avait déployé le génie d'un gé- 
néral et le courage héroïque d'un soldat. Surpris suc- 
cessivement par quatre corps d'armée dont chacun était 
plus nombreux de beaucoup, qu'ils ne l'étaient en tota- 
lité, ses braves et lui luttèrent jusqu'à la fin. Lorsqu'ils 
avaient quelque avance, ils tenaient tête à l'ennemi, 
échangeaient avec lui leurs dernières fusillades, et 
quand la poudre leur manqua, ils le repoussèrent à 
coups de pierres. 

Cette poignée de héros avait combattu sur un champ 
de bataille de plus de deux lieues d'étendue. La victoire 
resta aux gros bataillons, mais certes la plus large part 
de gloire demeura aux vaincus. La perte fut égale des 
deux côtés. 

Cavalier, rassemblant autour de lui les restes mutilés 
de son armée, se retira vers Pierredon,où pendant deux 
jours, il fut rejoint par quelques malheureux, blessés ou 
fugitifs, qui accouraient, sans armes, mourant de faim, 
les vêtements en désordre, les cavaliers sans chevaux, 
qu'ils avaient abandonnés pour franchir les fossés de la 
plaine ou les escarpements des montagnes, les fan- 
tassins sans chaussures, qu'ils avaient jetées pour fuir 
plus vite. Se sentant poursuivi, le jeune capitaine tra- 
versa le Gardon, qui roulait dans son lit ensanglanté les 



288 HISTOIRE DES CAMISARDS 

cadavres des meilleurs parmi ses compagnons, et cher- 
cha un asile dans les bois d'Hieuset. Mais Dieu, sans 
doute, avait fait sonner pour lui cette heure fatale que 
connaissent à leur tour tous ceux qui frappent avec 
l'épée : rien ne lui réussissait plus, il doutait de son 
étoile, l'extase le visitait plus rarement, le succès n'ha- 
bitait plus sous sa tente. Lalande l'y poursuivit avec 
mille hommes, qu'il divisa en trois petits corps pour 
être plus certain que les Gamisards ne pourraient lui 
échapper. Chacune de ces troupes était bien plus que 
suffisante pour accabler ces débris expirants. Surpris, 
ils essayèrent à peine une défense inutile, et se disper- 
sèrent dans la profondeur des bois d'Hieuset, de Va- 
quières et du Bouquet, où il n'était plus possible de les 
poursuivre. 

Dans une lettre datée du « Désert, ce 19 avril 1704, » 
Cavalier annonça à son père le désastre qui l'avait frappé 
mais sans l'abattre: « ....Je vous prie, lui disait-il, ne 
vous inquiétez en rien; priez toujours plus instamment, 
car cela ne m'a en rien étonné. Quoiqu'on vous ait dit 
que j'étais blessé, ne le croyez pas. Il est vrai que je fus 
pris à la mêlée par trois dragons, mais Dieu me fit la 
grâce de m'en défaire, et je les tuai tous les trois. Enfin, 
c'est pourquoi nous sommes tous ensemble, et nous 
avons encore beaucoup de grâces à rendre à Dieu, c'est 
qu'il nous a tiré de cette terrible affaire. Quelque monde 
qui s'élève, je ne crains rien, car je sais que Dieu sera 
ma garde. Je vous prie de prier pour moi, comme je 
fais pour vous. » 

Un nouveau désastre, plus terrible encore peut-être, 
vint frapper les malheureux religionnaires. On arrêta 
une femme âgée que l'on voyait se diriger souvent vers 
le bois, passant et repassant sans cesse, tantôt avec une 



. HISTOIRE DES CAMISARDS 289 

corbeille sur la tête, tantôt avec un panier sous le bras. 
Corbeille et panier étaient pleins à l'aller, et vides au 
retour. On l'interrogea, et il fallut la conduire jusqu'au 
pied de la potence pour la contraindre à parler. Mais là, 
son courage faiblit ; elle consentit à marcher à la tête 
d'un régiment de dragons, et elle guida sa marche jusqu'à 
l'entrée d'une caverne qu'il eût été impossible de dé- 
couvrir sans elle. Les catholiques y trouvèrent une 
trentaine de Camisards blessés, qu'ils assassinèrent 
sans pitié. Puis, à mesure qu'ils avançaient, ils décou- 
vrirent les provisions de vivres, les amas de blés, de 
vins, de châtaignes, les ingrédients de pharmacie, les 
dépôts d'armes, de vêtements, le matériel de leur fa- 
brique de poudre... 

Lalande, après avoir tout détruit, jugea que les dix 
ou douze villages les plus voisins avaient dû fournir 
surtout à ces approvisionnements, et être visités souvent 
par les Camisards.. Pour les châtier de cette complicité, 
volontaire ou forcée, il fit tout détruire, tout passer au 
fil de l'épée, sans excepter femmes et enfants. 



n 



290 HISTOIRE DES CAMISARDS 



CHAPITRE VIII 



Villars cherche à désarmer, par de trompeuses promesses, ceux 
que l'on n'a pu vaincre. — Préliminaires du d2 mai 1704. — Ca-. 
valier réclame la liberté de conscience, l'élargissement des pri- 
sonniers et galériens, ou la liberté de quitter la France. — Con- 
férence de Cavalier avec Villars. — Roland refuse de suivre Ca- 
valier dans sa défection. — Catinat, Ravanel abandonnent Ca- 
valier, qui ne trouve pas, à Versailles, l'exécution des promesses 
qui lui ont été faites. — Il passe au service de l'Angleterre. ■ 



Cependant Villars arrivait dans la province, accom- 
pagné du baron d'Aigaliers, qu'il avait pris en passant à 
Lyon, et avec lequel il descendit le Rhône jusqu'à Beau- 
caire. Bâville et le clergé vinrent l'y recevoir et cherchè- 
rent à le pousser vers les moyens extrêmes; mais il avait 
promis d'avoir toujours « deux oreilles pour écouter les 
deux partis. » 

<( Il en eut besoin, dit d'Aigaliers dans ses mémoires 
manuscrits (1), lorsque Julien, qui commandait en Vi- 
varais, nous eut joints vis-à-vis de Tournon, car la con- 
versation ayant bientôt roulé sur les Camisards, M. de 
Julien ne manqua pas de prendre la parole et de dire 
dans les termes d'un homme rpui a profondément réfléchi 

(1) D'Aigaliers, Mémoires, cité par Court, t. II, p. 3268. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 291 

sur la matière, et qui la connaît à fond, que si l'on avait 
suivi ses conseils, il n'y aurait pas un seul Camisard dans 
la province ; mais que pour cela il n'aurait pas fallu s'en 
tenir aux quatre cents villages ou hameaux qu'il avait 
fait démolir ou brûler dans les hautes Cévennes, mais 
qu'il aurait fallu saccager tous les autres et tuer tous les 
paysans qu'on eût trouvés à la campagne. » 

D'Aigaliers, sans se troubler, maintint avec fermeté 
ses projets de conciliation, que Julien combattit avec 
hauteur et mépris, affirmant qu'on ne trouverait pas 
dans toute la province quatre protestants pour y prêter 
les mains. Villars écoutait, paraissait indécis, et le jeune 
gentilhomme redoutait qu'à la nouvelle des désastres de 
Cavalier, le maréchal n'inclinât vers les voies de rigueur. 
Aussi, à leur arrivée à Nîmes, s'empressa-t-il de voir les 
gentilshommes les plus influents de son parti, et de 
mettre Villars à même de s'assurer que leur concours lui 
était tout acquis, pour mener à bien l'œuvre de désar- 
mement qu'il le pressait d'entreprendre. 

Pendant ce temps, Villars visitait les principales villes, 
écoutant' interrogeant, faisant son profit de tout, tra- 
vaillé en sens contraire par d'Aigaliers d'un côté, par 
Bâville, Julien et Lalandede l'autre, parlant un langage 
ferme et sévère, mais sans menaces inutiles, sans colères 
folles, sans injures, semant au besoin de vagues pro- 
messes, qui n'engageaient encore rien ni personne. 

Laissons au futur vainqueur de Denain le soin de 
nous dévoiler l'esprit de cette guerre odieuse. Un 
pareil témoin ne paraîtra pas suspect : 

«Parmi les catholiques, les uns, aveuglés par leur 
zèle, trouvaient du danger pour la religion dans tous les 
adoucissements qu'on croyait devoir accorder aux héré- 
tiques, par l'espérance de les ramener; d'autres, en- 



292 HISTOIRE DES CAMISARDS 

traînés par leur cupidité, se voyant les plus nombreux 
et les plus forts, regardaient le bien des hérétiques et 
même des nouveaux convertis, comme une proie qui 
leur était due. Il n'y avait pas en eux la moindre ombre 
de charité chrétienne : à les entendre, il n'y avait 
d'autre parti à prendre que de tuer tous ces gens-là, du 
moins de les chasser du pays sans distinction ; ils 
tenaient, à cet égard, des propos mêlés de menaces qui 
revenaient aux révoltés et les aigrissaient. Enfin, le plus 
petit nombre était de ceux qui plaignaient l'aveuglement 
des hérétiques, sans leur faire de mal, ni désirer qu'on 
leur en fit (1) ... » 

« Le soldat n'aimait pas cette guerre, parce qu'il fal- 
lait se battre contre des gens déterminés, parents et amis 
de leurs hôtes ordinaires. L'officier la détestait et re- 
doutait encore davantage, parce qu'il n'y avait ni hon- 
neur ni sûreté, étant réduit à faire le métier de prévôt et 
d'archer, dans la crainte perpétuelle des représailles. 
Nous découvrîmes aussi que parmi nos commandants 
(ceux surtout qui étaient du pays), ily en avait qui crai- 
gnaient la fin de la guerre, qui leur aurait fait perdre 
leur petite domination ; qui écrivaient aux révoltés des 
lettres dures, qui leur faisaient croire que les offres de 
grâce dont ils accompagnaient leurs menaces n'étaient 
qu'un leurre pour les surprendre. Nous eûmes lieu de 
croire que quelques massacres qu'on voulait faire passer 
pour fortuits avaient été ménagés pour intimider et éloi- 
gner plus que jamais des rebelles qui étaient prêts à se 
rendre (2)... » 



(1) Villars, Mémoires, p. 137. —Voir aussi ses lettres à Cha- 
millart des V, 12, 30 mai, 5, 18, 28 juin... 

(2) Jd.,p. 138. 



histoire des camisards 293 

Villars ne fut pas longtemps avant de se convaincre 
que c'étaient surtout « les supplices les plus cruels, sans 
grâce aucune, qui portaient les Camisards à exposer sans 
ménagement dans les combats une vie qu'ils étaient in- 
failliblement destinés à perdre par une mort ignominieuse 
et cruelle (1). » Aussi se décida-t-il à laisser agir d'Ai- 
galiers, malgré l'opposition énergique de l'évêque d'Uzès, 
porté, comme Bâville et les autres, aux mesures de ri- 
gueur. 

« C'était, dit d'Aigaliers (2), un homme qui aimait pas- 
sionnément tous les plaisirs, la musique,- les femmes et la 
bonne chère. 11 avait toujours chez lui de bons musiciens, 
de jolies filles dont il prenait soin, et des vins excellents, 
qui augmentaient visiblement sa vivacité. 11 ne sortait ja- 
mais de lable sans être excessivement animé, et alors s'il 
imaginait que quelqu'un de son diocèse ne fût pas aussi 
bon chrétien que lui, il écrivait à M. Bâville pour le 
faire exiler... » 

Une autre considération poussait Villars vers l'emploi 
des moyens diplomatiques. A peine arrivé sur le théâtre 
de la guerre, il avait reçu de Cavalier une missive dans 
laquelle il lui répétaitune fois de plus qu'ils se défendaient 
sans prétendre attaquer, et qu'ils déposeraient les armes 
aussitôt qu'on leur aurait accordé la liberté de con- 
science. Voici les principaux passages de cette lettre, qui 
n'a rien de littéraire, mais qui cependant ne manque pas 
d'une certaine grandeur (3). 



(1) Villars, Mémoires, p. 136. 

(2) Cité par Court, t. II, p. 337. 

(3) Voir Ernest Moret, Quinze Ans du règne de Louis XIV, t. I, 
p. 374. 



29-4 HISTOIRE des camisards 

« Du désert, ce dernier avril 1704. 
« Monseigneur, 

« Ayant appris que vous n'étiez pas informé de notre 
demande, quoique plusieurs fois nous en avons donné 
avis à la cour; mais nous craignons que ces avis ont été 
cachés à Sa Majesté et à Votre Grandeur, j'ai voulu 
mettre derechef la main à la plume pour vous supplier 
d'accepter cette demande pour le bien et la prospérité 
du royaume, quiest la liberté de notre conscience et la 
délivrance des prisonniers et de tant de galériens qui 
souffrent injustementpour avoir voulu soutenir la vérité. 
Nous sommes massacrés pour prier Dieu, comme si c'é- 
tait une chose mauvaise de servir Dieu suivant la 
pureté de son Évangile. On a pillé nos biens, démoli nos 
maisons, on nous a exposés à des souffrances les plus 
cruelles du monde, et voyant cela, nous nous sommes 
assemblés, non point pour résister à Sa Majesté, mais 
pour nous défendre contre ceux qui ont voulu nous em- 
pêcher de prier Dieu. 

« Sa Majesté nous permettra de dire que, si on ne 
nous accorde cette demande, nous souffrirons plutôt 
toutes les souffrances qu'il plaira à Sa Majesté de verser 
sur nous, que d'abandonner notre loi... Il est vrai qu'on 
a fait entendre à notre roi que nous étions des rebelles 
et des meurtriers, mais plusieurs mauvaises choses ont 
été faites, disant que c'était les rebelles qui faisaient ces 
désordres, qu'ils étaient commandés par Cavalier. 11 est 
vrai que dans toutes les attaques qu'on nous a faites, 
j'ai toujours donné mon avis; mais pour le désordre, je 



HISTOIRE DES CAMISARDS 295 

l'ai toujours défendu, particulièrement de tuer, ni piller 
aucun endroit du monde. Quelque méchanceté qu'on 
nous ait fait, j'ai toujours laissé à Dieu la vengeance, 
qui la rendra à chacun selon ses œuvres ; mais pour vrai, 
je n'abandonnerai jamais mes armes qu'on ne m'ait 
accordé cette demande, qui est la liberté de tout le 
royaume. Si cela est, je me viendrai remettre très- 
volontiers à la soumission de Sa Majesté avec tous ceux 
qui veulent continuer la vérité, et y finir nos jours pour 
son service... Je prie la grandeur de votre personne de 
vouloir jeter les yeux sur la désolation du pays, et 
donner vos ordres pour le repos du monde et la pros- 
périté du royaume. Car tout royaume divisé ne peut pas 
subsister; ainsi ce royaume ne peut pas subsister si la 
paix n'y est. » 

Muni dune commission signée le 4 mai par le mare" 
chai, d'Aigaliers se mit donc à la tête de quatre-vingts 
nouveaux convertis, et alors Bàville et Lalande, pour ne 
pas lui laisser tout l'honneur du succès, si l'entreprise 
réussissait, dépêchèrent vers Cavalier l'ancien maître 
chez lequel il avait été berger autrefois, nommé La- 
combe, qui depuis avait conservé son amitié. 

Doué d'un sens droit, d'un cœur noble et généreux, le 
jeune chef écouta avec quelque complaisance les pre- 
mières ouvertures qui lui étaient faites, mais tout en 
établissant bien, dès le principe, «qu'ils ne mettraient ja- 
mais les armes bas, qu'on n'eût rétabli dans le pays les 
exerrices de leur religion (1). » 

« La perte, dit-il, que je venais de faire à Nages était 
d'autant plus considérable qu'elle était irréparable, 
puisque j'avais perdu tout d'un coup une grande quan- 

(1) Cavalier, Mémoires, p. 257 et suiv. 



296 HISTOIRE DES CAM1SARDS 

tité d'armes, toute ma munition, tout mon argent, mais 
surtout un corps de soldats faits au feu età la fatigue, et 
avec lesquels je pouvais tout entreprendre. Mais ma der- 
nière perte (celle de ses magasins) était la plus sensible* 
Elle m'était plus fatale que toutes celles qui l'avaient 
précédée mises ensemble, parce qu'auparavant j'avais 
toujours eu quelque ressource pour me rétablir, mais 
alors je n'en avais aucune. Le pays était désolé; l'amitié 
de nos amis refroidie, leurs bourses épuisées; cent 
bourgs ou villages saccagés et brûlés; toutes les prisons 
pleines de protestants; la campagne déserte; ajoutez à ' 
cela que le secours d'Angleterre, promis depuis si long- 
temps, ne venait pas et que le maréchal de Villars était 
arrivé dans la province avec de nouvelles troupes. » 

De plus, s'il faut en croire la déposition de Claude 
Arnassan (1), ses voix lui conseillaient de cesser une 
^utte qui avait causé déjà tant d'horribles désastres, et 
qui allait fatalement s'éteindre, quand il n'y aurait plus 
de combattants pour la soutenir. La raison ne com- 
mandait-elle pas de traiter, alors que l'on étaitencoreen 
situation de discuter les conditions de la paix? 

« Une fois, dit Claude Arnassan, comme nous étions 
près de tomber dans une embuscade de nos ennemis, 
sur le bord du Gardon, l'un de nos frères en fut averti 
par inspiration, et lEsprit lui fit dire que nous eussions 
à prendre un autre chemin. Le lendemain nous eûmes 
connaissance certaine du danger dont nous avions été 
garantis. 

« Un autre jour le frère Cavalier, aujourd'hui colonel, 
tomba en extase proche du petit Saint-Hippolyte en 
ma présence, et de huit ou dix autres qui étaient fort 

(l) Théâtre sacré des Cévennes, p. 149. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 297 

proches de lui. L'Esprit lui dit : « Mon enfant, je te dis 
« qu'on te fera de grandes propositions ; mais ne te fie 
« point à eux. » Les paroles qu'il prononça ensuite 
m'échappèrent; mais je me souviens qu'il dit encore 
« ceci : « Tu -parleras au roi » . Je suppose qu'il a eu 
depuis des avertissements positifs, puisqu'il a traité ; car 
on ne faisait rien qui fût de quelque conséquence dans 
nos troupes sans la direction des inspirations. 

« Le combat où le fameux partisan Poul fut tué avait 
été prédit en ma présence, le matin du jour même, par 
le chef Cavalier et par un autre frère de la troupe, lors- 
qu'il n'y avait aucune apparence que cette bataille se 
donnerait. M. Cavalier était dans le château deCandiac, 
l'Esprit lui dit que nous aurions unhomme tué et deux 
blessés ; ce qui arriva. » 

— ... « Tu parlera* au roîfnSi l'on veut bien songer 
au prestige prodigieux qui entourait l'orgueilleux mo- 
narque que depuis cinquante années la France entière 
adorait à genoux, on comprendra que ces mots devaient 
chatouiller l'orgueil du petit pitot languedocien, comme 
la prédiction des sorcières de Macbeth. Pauvre berger 
des Cévennes, avoir vingt-deux ans, traiter d'égal à égal 
avec le plus illustre capitaine du royaume, aller àVer- 
sailles, voir le roi; octroyer à ses frères la liberté de 
conscience, obtenir de Louis XIV, à la place de ses 
bandes déguenillées et indisciplinées, un beau régiment 
à la tête duquel il marcherait à la gloire et à l'immor- 
talité!... Certes, un tel rêve était fait pour tourner une 
tète plus mûre quenel'étaitcelle du jeune héros cévenol. 

Sur le rapportquelui fitLacombe, de Lalande lui écri- 
vit pour lui proposer une entrevue. Cavalier chargea 
Catinat de lui porter sa réponse. Celui-ci accepta sans 
crainte cette mission épineuse, et se présenta devant le 

17. 



2 ( J8 nisTOiiu: des camisards 

lieutenant de Villars, non comme un rebelle et un sup- 
pliant, mais comme un général d'armée en conférence 
avec un général ennemi. 

— Je suis Gatinat, lui dit-il, commandant de la cava~ 
lerie de Jean Cavalier. 

— Quoi ! s'écria Lalande, vous êtes ce Gatinat qui a 
massacré tant de gens sur le territoire de Beaucaire ? 

— Oui, répondit Gatinat, c'est moi qui ai fait ce que 
vous dites, et j'ai cru le devoir faire. On nous attaquait 
avec la torche et le poignard, nous nous sommes dé- 
fendus avec les mêmes armes qu'on employait contre 
nous. 

— Vous êtes bien hardi, reprit Lalande, d'oser paraître 
devant moi ! 

— J'y suis venu sans crainte, repartit Gatinat, sous la 
sauvegarde de la foi jurée, et sur la parole que frère Ca- 
valier m'a donnée qu'il ne me serait fait aucun mal. 

— Et il a eu raison, répondit Lalande. Retournez vers 
lui ; assurez-le que dans deux heures je me rendrai au 
pont d'Avènes avec trente dragons seulement et quel- 
ques officiers. Qu'il s'y trouve en nombre égal, et nous 
verrons à nous entendre ! 

C'était le 12 mai. La conférence dura deux heures. 
Lalande s'était fait accompagner du jeune frère de Cava- 
lier, qui était détenu depuis quelques jours dans les 
prisons d'Alais. Ils se précipitèrent dans les bras l'un de 
l'autre, et confondirent pendant quelques instants leurs, 
larmes. « C'est le roi quivous le rend ! » dit Lalande. Puis- 
il pressa Cavalier de formuler ses demandes. 

— Nous voulons trois choses, répondit celui-ci : la 
liberté de conscience ; la délivrance de tous ceux qui 
sont détenus pour cause de religion dans les prisons ou 
sur les galères ; et enfin, si les deux premières grâces. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 299 

nous sont refusées, que Ton nous laisse sortir librement 
du royaume. 

Lalande n'espérait pas que l'orgueil du roi-soleil lui 
permît de céder jamais sur les deux premiers points. Il 
arrêta donc l'attention de Cavalier sur le troisième, et 
lui demanda pour combien de ses coreligionnaires il ré- 
clamait cette liberté de l'exil : « Pour dix mille ! répliqua 
Cavalier, — Impossible ! interrompit Lalande. On con- 
sentirait peut-être, si vous vous contentiez de deux 
mille. » 

Cavalier maintint ses exigences. Lalande dit qu'il en 
rendrait compte au maréchal, et avant de se retirer, il 
jeta quelques poignées d'or à ceux qui entouraient le 
jeune chef, pourboire, dit-il, à la santé du roi. Cavalier 
l'arrêta d'un geste rapide : « Nous ne demandons pas 
d'or, lui dit-il, mais la liberté de conscience ! — Il ne 
dépend pas de moi de vous l'accorder, répondit Lalande, 
soumettez-vous en attendant aux volontés du roi. — 
Nous sommes prêts à obéir, reprit Cavalier, s'il daigne 
accéder à nos justes demandes, sinon nous mourrons 
jusqu'au dernier homme, les armes à la main, plutôt que 
de nous voir exposés de nouveau aux cruelles violences 
qu'on nous fait souffrir. » 

Le lendemain, le baron d'Aigaliers vint trouver Cava- 
lier a Saint- Jean-de-Ccyrargues. C'était la première fois 
que ces deux jeunes hommes se rencontraient. Ils 
échangèrentune chaudeaceolade, les deuxtroupes se con" 
fondirent, et Camisards et nouveaux convertis mêlèrent 
leurs voix pour entonner des psaumes. Le gentilhomme 
obtint du chef révolté de persévérer de plus en plus dan s 
des projets de transaction dont celui-ci ne sentait que 
trop bien la nécessité. 

Ce fut sans doute pressé par d'Aigaliers qu'il écrivit à 



300 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Yillars la lettre suivante, beaucoup trop humble pour la 
circonstance, et dans laquelle il avait le tort grave de ne 
pas rappeler les demandes des protestants : 

« Monseigneur, — quoique je me donnaihier l'honneur 
de vous écrire, je ne saurais m'empècher de recourir 
encore à Votre Excellence pour vous supplier très-hum- 
blement de m'accorder la grâce de votre protection, 
pour moi et pour ma troupe, qui brûlons d'un zèle 
ardent de réparer la faute que nous avons commise en 
prenant les armes : non pas contre le roi, comme nos 
ennemis nous l'ont voulu imputer, mais pour défendre 
nos vies contre nos persécuteurs, qui les ont attaquées 
avec une si grande animosité, que nous n'avons pas cru 
que ce fût par ordre de Sa Majesté. Nous savons qu'il 
est écrit dans Saint-Paul que les sujets doivent être 
soumis â leurs souverains. Si malgré ces protestations 
très-sincères le roi demande notre sang, nous serons 
prêts dans un peu de temps à remettre nos personnes 
à sa justice, ou à sa clémence. 

« Nous nous estimerons très heureux, Monseigneur, 
si Sa Majesté touchée de notre repentir, à l'exemple du 
grand Dieu de miséricorde dont elle est l'image vivante 
sur la terre, nous veut faire la grâce de nous pardonner 
et de nous recevoir à son service. Nous espérons que 
par notre fidélité et par notre zèle, nous acquerrons 
l'honneur de votre protection, et que sous un illustre et 
bienfaisant général tel que vous, Monseigneur, nous 
nous ferons gloire de répandre notre sang pour les inté- 
rêts du roi. C'estpar laque je souhaite aussi qu'il plaise 
à Votre Excellence de permettre que je me dise avec un 
profond respect et une profonde soumission, Monsei- 
gneur, votre très-humble et très-obéissant serviteur, 

Cavalier. » 



HISTOIRE DES CAMISARDS 301 

Il est permis de croire que, pour obtenir de Cavalier 
cet acte de faiblesse, d'Aigaliers avait fait miroiter de- 
vant les yeux du jeune Cévenol l'espérance d'une en- 
trevue avec le maréchal lui-même. Et en effet, il ma- 
nœuvra avec une telle habileté, que Villars consentit à 
cette conférence étrange, d'autant plus facilement, 
d'ailleurs, que deux échecs successifs essuyés par les 
troupes catholiques démontraient trop bien que les Ca- 
misards n'étaient ni abattus par le désastre de Cavalier, 
ni hors d'état de soutenir encore cette lutte sanglante. 

Le jour môme de l'entrevue de celui-ci avec Lalande, 
le comte de Tournon était parti de Florac, où il comman- 
dait, à la tête de trois cents miquelets. Roland, qui aban- 
donnaitvolontiers à son jeune ami le rôle le plusbrillant 
pour ne se montrer que dans les occasions décisives, 
Roland sut attirer le comte dans la plaine de Fond-Morte, 
le tailla en pièces, lui tua deux cents hommes et' beau- 
coup d'officiers, et chargea vingt-quatre mulets de butin. 
Par cette dure leçon, l'impénétrable chef des révoltés 
donnait assez clairement à entendre qu'il prétendait se 
tenir, jusqu'à nouvel ordre, en dehors de tout ce que 
faisait Cavalier, et qu'il se réservait d'intervenir à la der- 
nière heure, suivant que le dénouement serait, ou ne 
serait pas, tel que le parti protestant le désirait. Enfin, 
quelques jours après, Joanny, dans un défilé au-dessus 
du hameau de Calberte, massacra un détachement de 
quarante royalistes qui accompagnait des fourrageurs. 

Grâce à la tolérance de Villars, Cavalier circulait 
librement et sans être inquiété ; il recevait les officiers 
catholicpes, sa troupe logeait par étapes, et ils allaient 
par le pays, prêchant, chantant des psaumes et accom- 
plissant, au grand scandale du clergé, tous les actes 
extérieurs du culte proscrit. 



302 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Enfin Villars fit proposer à Cavalier la conférence 
que celui-ci espérait, et qu'il n'avait garde de refuser. 
Le lieu du rendez-vous fut le jardin des Récollets de 
Nîmes, situé hors de la ville, entre les portes de la 
Boucairie et de la Madeleine, abrité par de grands arbres 
et entouré de hautes murailles. 

C'est le 15 mai 170i. De Langlade, où il avait passé 
la nuit, Cavalier se dirigea sur Nîmes. Entre Caveirac et 
Saint-Cézaire, il rencontra Lalande, qui s'avançait de 
son côté. On échangea des otages, puis, après avoir 
placé ses sentinelles et disséminé sa troupe aux environs 
de la ville, le jeune héros cévenol y fit son entrée ac- 
compagné de son frère, qui montait avec grâce son 
petit étalon de la Camargue, de d'Aigaliers, de Lacombe, 
de Daniel Billard, son favori, et de dix-huit de ses 
gardes à cheval, sous la conduite de Catinat. 

Villars l'attendait en causant avec Bâville, Lalande 
et Sandricourt, gouverneur de Nîmes : « La conférence 
que vous allez avoir avec Cavalier, dit celui-ci au ma- 
réchal, sera remarquable dans l'histoire, et ceux qui 
viendront après nous seront surpris d'apprendre qu'un 
homme tel que Cavalier, de la lie du peuple, et qui ne 
s'est fait connaître que par des crimes et par sa révolte 
contre son roi, parvienne à faire sa paix avec son sou- 
verain, et qu'elle se traite aujourd'hui dans une confé- 
rence entre ce misérable et le maréchal de Yillars. 

— Vos réflexions sont justes, à ne regarder ceci que 
par l'extérieur, répondit le maréchal ; mais il s'agit des 
sujets du roi, qui sont fomentés et soutenus par les 
ennemis de Sa Majesté, pour diviser ses forces par les 
troupes qu'elle est obligée d'avoir dans cette province : 
ce qui procure un avantage aux ennemis, ou du moins 
diminue ceux que le roi peut avoir sur eux. D'ailleurs 



HISTOIRE DES CAMISARDS 303 

1 est question de gens fous et aliénés qu'on ne peut ra- 
mener à leur devoir que par des démarches extérieures 
et inespérées, qui puissent les flatter et les toucher ; et 
il est toujours digne d'un grand roi d'user envers ses 
sujets plutôt de clémence que de rigueur. Plus le sujet 
-est bas et abject, et plus la générosité y est grande ; 
et pour un général, il est aussi glorieux de pacifier les 
guerres civiles que de vaincre les ennemis de l'État. » 
C'étaient là de nobles paroles et de généreux senti- 
ments, peu faits pour être compris par ses trois inter- 
locuteurs. Là voix du maréchal fut couverte par les 
acclamations d'un peuple immense qui se pressait 
pour contempler les traits de celui dans la personne 
duquel triomphait, pour un moment, la cause protes- 
tante. « Il n'y aurait pas eu un plus' grand concours si 
c'eût été le roi, » dit Louvreleuil avec amertume (1). 
Ses longs cheveux blonds flottant sur ses épaules 
étaient abrités sous un chapeau que surmontait une 
plume blanche. Monté sur le brillant coursier qu'il 
avait pris naguère, à Saint-Chatte, au colonel de la 
Jonquière, il était vêtu d'un justaucorps de drap gris 
clair, d'une veste et d'une culotte écarlates ; les extré- 
mités d'une cravate de mousseline richement brodée 
retombaient sur sa poitrine. Chacun voulait admirer 
ce grand général de vingt-deux ans, qui venait de tenir 
en échec deux maréchaux de France, et qui, capitaine, 
orateur et prophète à la fois, avait causé plus d'une 
nuit d'insommie au grand roi lui-même. 

La garde du maréchal était rangée sur une ligne 
d'un des côtés de la porte ; Cavalier disposa la sienne en 
face, et delà même manière. 

(1) Le Fanatisme renouvelé, t. III, p. 114. 



3(M HISTOIRE DKS CAMISARDS 

A la vue de cet homme dont l'aspect juvénile contras- 
tait si étrangement avec les grandes choses qu'il avait 
accomplies depuis deux années, Bàville et Villars échan- 
gèrent un regard dans lequel se peignait leur profonde 
surprise, llsnepouvaientcomprendre l'ascendant prodi- 
gieux que cet homme, si jeune, de petite taille, de ché- 
tive apparence, avait su prendre sur des bandes révoltées, 
qui obéissaient en esclaves à une parole de sa bouche, 
à un geste de sa main. Villars surtout était émerveillé 
du mérite militaire qu'il avait déployé dans cette lutte 
désespérée, mérite qui eût fait honneur à un vieux 
général. 

« C'est un homme du plus bas étage, écrivait-il quel- 
ques jours après, qui n'a pas vingt-deux ans et n'en 
paraît pas dix-huit, petit, et aucune mine qui impose, 
qualité nécessaire pour les peuples ; mais une fermeté 
et un bon sens surprenants. Je vous conterai ce trait. 
Il est certain que pour contenir ses gens, il en faisait 
souventmourir; etjelui demandais hier: « Est-il possible 
qu'à votre âge, et n'ayant pas un long usage du com- 
mandement, vous n'eussiez aucune peine à ordonner 
souvent la mort de vos propres gens? — Non, monsieur, 
me dit-il, quand elle me paraissait juste. — Mais de qui 
vous serviez-vous pour la donner? — Du premier à qui 
je l'ordonnais, sans qu'aucun ait jamais hésité à suivre 
mes ordres. » Je crois, monsieur, que vous trouverez 
cela surprenant. D'ailleurs il a beaucoup d'arrangement 
pour ses subsistances, et dispose aussi bien ses troupes 
pour une action que des officiers bien entendus pour- 
raient le faire. C'est un bonheur si je leur ôte un pareil 
homme (l). » 



(1) Villars, Mémoires, p. 139. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 305 

Dans cette conférence mémorable, chaque personnage 
conserva son caractère. Bàville se montra furieux, em- 
porté, dur, implacable; Cavalier, digne et fier; Villars, 
habile et conciliant. Ce dernier, pour épargner à son 
adversaire les embarras d'une situation difficile, lui 
adressa quelques paroles gracieuses, auxquelles il ré- 
pondit de son mieux. 

L'impétueux Bàville se sentait profondément humilié 
du rôle que la condescendance du maréchal lui impo- 
sait. 

— Le roi, s'écria-t-il, est bien bon de s'abaisser à 
traiter avec un rebelle tel que vous ! 

— Si c'est là tout ce que l'on veut me dire, répliqua 
vivement Cavalier, ce n'était pas la peine de me faire 
venir, et je suis prêt à me retirer. Mais si nous avons 
pris les armes, sachez, monsieur, que c'est vous, que ce 
sont vos cruautés, votre tyrannie qui nous ont poussés 
à bout et qui en sont cause. 

Plus calme et plus parlementaire, Villars s'empressa 
de ramener à lui la direction de l'entrevue : 

— C'est à moi que vous avez affaire, lui dit-il, et je 
vous demande de me faire connaître ce que vous dé- 
sirez. 

— Je l'ai dit déjà, il y a trois jours, au général de 
Lalande, qui est auprès de vous. Nous n'avons rien à y 
ajouter ni à en retrancher. Nous demandons la liberté 
de conscience, la liberté des protestants en prison ou 
aux galères, ou bien la liberté de vendre ce que nous 
possédons et de passer à l'étranger. 

— Ne parlons pas de religion ! s'écria Bàville. Le roi 
daigne vous pardonner ; vous devez le remercier à deux 
genoux, et il n'y a ni condition à faire, ni article à dis- 
cuter. 



,30C> HISTOIRE DES CAMISARDS 

— Ce sont précisément ces articles-là qui nous ont 
mis les armes à la main, repartit. Cavalier, et ce n'est 
pas pour moi seul que j'agis ici. J'y soutiens les intérêts 
de mes frères et de mes amis qui me les ont confiés ; et 
d'ailleurs, les choses ont été portées trop loin pour qu'il 
nous reste d'autre parti : ou de mourir jusqu'au dernier 
les armes à la main, ou d'obtenir l'objet de nos justes 
demandes. 

Cavalier se sentait de force à tenir tête à Villars lui- 
même sur un champ de bataille ; mais dans les conseils, 
le rusé général devait battre facilement son jeune rival. 
Il fit d'abord briller devant ses yeux la perspective de 
servir Louis XIV comme colonel d'un régiment formé de 
ses coreligionnaires, au lieu d'aller traîner à l'étranger 
son exil volontaire et de s'ensevelir dans l'obscurité. 
Puis après avoir fait de vagues promesses au sujet des 
protestants qui gémissaient sur les galères, il sut 
ajourner la difficulté en le priant de formuler par écrit 
ses demandes pour qu'il les soumît à l'approbation de 
la cour. 

— Que le roi accède à nos justes réclamations, répon- 
dit Cavalier, et jamais Sa Majesté n'aura eu de plus 
fidèles sujets que nous. 

Pendant l'entretien, Lalande appuyait familièrement 
son bras sur l'épaule du jeune Cévenol. « Adieu, Sei- 
gneur Cavalier ! » lui dit Villars en le congédiant. Et ce- 
lui-ci, après être resté à causer pendant quelques ins- 
tants avec différentes personnes de l'état-major du ma- 
réchal, se retira et reprit sa marche triomphale à tra- 
vers la ville. Les dames se pressaient sur sa route, heu- 
reuses de lui serrer la main. La belle duchesse de Villars 
elle même voulut qu'il lui fût présenté. Enfin, précédé 
de quelques-uns de ses hommes qui, le sabre à la main, 



HISTOIRE DES CAMISABBS 307 

faisaient ranger la foule sur son passage, il fut finir mo- 
destement sa journée chez le jardinier Guy Billard, le 
père du prophète Daniel Billard, son ami. 

Cavalier se retira dans la petite ville de Calvisson, et 
partout, dans le Vaunage, les protestants enivrés se ré- 
unirent sur les débris de leurs temples renversés, chan- 
tant des cantiques de paix, écoutant les discours des 
prédicants, admirant lesjcxtascs des prophètes. Bâville 
hurlait de rage, et le clergé grondait sourdement. 

« La cessation des meurtres et des incendies, écrivait 
l'évcque de Nîmes (1), la paix et la tranquillité de la 
province, estime fin très-souhaitable; mais il faut pas- 
ser par des moyens bien désagréables et tristes pour la 
religion. Nous avons vu Cavalier jusqu'à nos portes : 
son entrevue avec M. le maréchal et M. de Bâville ; ses 
soumissions, ses fiertés, la hardiesse des scélérats qui 
l'accompagnent, l'assemblée de tant de meurtriers im- 
punis, le concours des nouveaux convertis qui les veut 
voir, les psaumes qu'ils chantent et dont toute la Vau- 
nage retentit ; les prêches qu'ils font, où ils débitent 
mille extravagances applaudies de tous les peuples ; les 
prophètes et les prophétesses qui s'élèvent parmi eux en 
grand nombre, et qui jettent dans les esprits faibles les 
espérances du prochain rétablissement de leur reli- 
gion : tout cela scandalise et afflige fort les catholiques, 
et nous paraît bien triste à supporter. Mais le désir de 
remettre l'exercice de la religion catholique et la crainte 
qu'on a de rompre cette paix qu'il semble que Dieu 
nous présente, nous font dissimuler bien des choses 
qu'on aurait autrefois punies, et ménager ces gens qui, 



(i) Fléchier, lettre du 2î mai 1704. 



308 HISTOIRE DES CAMISARDS 

dans le temps qu'ils se soumettent au roi, contrevien- 
nent à toutes ses ordonnances. » 

« Chacun croit rêver, dit l'abbé Gilles Bégault, secré- 
taire de l'évêché, de voir qu'en un moment les choses 
changent d'une manière si extraordinaire et qu'un 
gueux, qu'un petit marmot, car Cavalier n'a pas plus de 
vingt ans et n'en paraît que seize, avec la mine d'un 
enfant ou d'un petit écolier, traite comme de couronne 
à couronne avec le roi, par l'entremise de maréchaux 
de France, et que les plus scélérats que l'enfer ait 
jamais vomis, noircis des crimes et des attentats les 
plus affreux, viennent hardiment dans Nîmes, sous la 
protection des puissances, avec otages et sauvegardes ; 
que des malheureux qu'on devait s'attendre à voir sur 
une roue ou sur un bûcher paraissent hardiment armés, 
à la face d'une infinité de gens dont ils ont brûlé les 
biens, massacré les pères, les mères, les frères ! ... Mais 
il est question de la plus maudite affaire qu'dn ait 
jamais vue (1) ! » 

C'étaient chaque jour, entre d'Aigaliers, Bâville et 
Villars de nouvelles difficultés : « Il faut que ces gens- 
là partent 1 répétait sans cesse l'intendant. Les laisser 
plus longtemps à Calvisson, cela ne se peut point. L'état 
est trop tendu. Souffrir des gens qui s'assemblent tous 
les jours quatre ou cinq mille personnes, pour chanter, 
prêcher et prophétiser ! 

— C'est quelque chose de bien ridicule, interrompit 
Villars, que l'impatience que les prêtres témoignent à 
ce sujet. J'ai reçu je ne sais combien de lettres remplies 



(l) Lettres de Gilles Bégault, chanoine et archidiacre de la ca- 
thédrale de Nîmes; publiées par Léonce Anquez, dans le Bulletin 
du Protestantisme français. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 309 

de plaintes, comme si les prières des Camisards écor- 
chaient non-seulement les oreilles, mais la peau de 
tout le clergé. Je voudrais de tout mon cœur savoir qui 
sont ceux qui m'ont écrit, et qui n'ont eu garde de 
signer, pour leur faire donner la bastonnade. Car je 
trouve que c'est une impudence bien grande, que ceux 
qui ont causé ces désordres se plaignent et désapprou- 
vent les moyens dont on se sert pour les faire cesser (1). » 
A l'issue de la conférence avec le maréchal, Cavalier 
s'était retiré pour rédiger les demandes de son parti. 
Elles revinrent bientôt de la cour (22 mai), avec les ré- 
ponses qui avaient été faites à chaque article : 



Très-uumble requête des réformés du Languedoc 
au Roi. 

I. Qu'il plaise au roi de nous accorder la liberté de 
conscience dans toute la province, et d'y former des as- 
semblées religieuses, dans tous les lieux qui seront 
jugés convenables, hors des places fortes et des villes 
murées. 

(Accordé, à condition qu'ils ne bâtiront point d'églises). 

II. Que tous ceux qui sont détenus dans les prisons, ou 
sur les galères, pour cause de religion depuis la révoca- 
tion de l'édit de Nantes, soient mis en liberté dans l'es- 
pace de six semaines, à compter de la date de la présente 
requête. 

(Accordé,) 
(1) D'Aigaliers, Mémoires. — Court, t. II, p. 400. 



310 HISTOIRE ni;s CAMISAIIDS 

III. Qu'il soit permis à tous ceux qui ont abandonné 
le royaume pour cause de religion d'y revenir librement 
et sûrement; et qu'ils y soient rétablis dans tous leurs 
biens et privilèges. 

(Accordé, à condition qu'ils prêtent serment de fidélité 
au Roi.) 

IV. Que le parlement du Languedoc soit rétabli sur 
son ancien pied, et dans tous ses privilèges. 

(Le Roi y avisera). 

V. Que la province soit exempte de capitation pour 
dix ans. 

(Refusé.) 

YI. Que les villes de Montpellier, de Perpignan, de 
Cette et d'Aigues-Mortes nous soient accordées et remises 
comme nos villes de sûreté. 

(Refusé.) 

YII. Que les habitants des Gévennes dont les maisons 
ont été brûlées ou détruites pendant la guerre soient 
exempts d'impôts pour sept ans. 

(Accordé.) 

VIII. Qu'il plaise à Sa Majesté de permettre à Cavalier 
de choisir deux mille hommes, tant des gens de sa troupe 
que de ceux qui seront délivrés des prisons et des galères , 
pour lever et former un régiment de dragons au service 
de Sa Majesté, qui ira servir en Portugal et qui recevra 
immédiatement les ordres de Sa Majesté. 

(Accordé ; et moyennant que tous mettent bas les 
armes, le roi leur permettra de vivre tranquillement dans 
le libre exercice de leur religion.) 

En vertu du plein pouvoir que nous avons reçu du roi, 



HISTOIRE DES CAMISARDS 311 

nous avons accordé aux réformés du Languedoc les ar- 
ticles ci-dessus énoncés, 
Fait à Nîmes, le dix-septième de mai 1704 (1). 

Signé : Le maréchal de Villars, 
Lamoignon de Bayille, 
Jean Cavalier. 
Daniel Billard. 

Cavalier comprit, mais trop tard, qu'il était joué, et que 
non-seulement on ne lui accordait pas ce qu'il réclamait, 
mais encore que l'on paraissait se ménager les moyens 
de revenir sur les concessions mêmes que l'on faisait. 
« Quand j'eus vu, dit-il, que la plupart de mes demandes 
m'étaient refusées, je m'en plaignis, et surtout de ce 
qu'on ne nous accordait pas des villes de sûreté ; mais 
M. le maréchal me répondit que la parole du roi valait 
plus que vingt villes de sûreté, et qu'après les troubles 
que nous avions occasionnés, nous devions regarder 
comme un effet de sa grande clémence qu : il nous ac- 
cordât la plupart de nos demandes. Cette raison n'était 
pas suffisante : mais comme il n'était plus temps de re- 
culer et que j'avais mes raisons aussi bien que la cour 
pour faire ma paix, je pris ma résolution de bonne 
grâce (2). » 

Quoi qu'il en soit, Villars lui envoya quelques jours 
après son brevet de colonel, un autre de capitaine pour 
son jeune frère, et un troisième de douze cents francs de 
pension. La cour lui reconnaissait, eu outre, le pouvoir 



(1) La date, tout au moins, de cette pièce est erronée, l'entrevue 
de Cavalier avec Villars étant du 15. Nous la donnons telle qu'elle 
existe dans les Mémoires de Cavalier. 

(2) Cavalier, Mémoires, p. 271. 



31i2 HISTOIRE DES CAMISARDS 

de nommer ses officiers, et il devait conduire son régi- 
ment en Espagne ou sur le Rhin, selon qne la marche 
des événements l'exigerait. 

Le jeune chef cévenol, avant d'entrer en pourparlers 
avec les catholiques, en avait donné connaissance à 
Roland. Plus ferme dans ses principes, et sans vouloir 
s'engager lui-même, celui-ci le laissa agir, prêta traiter 
lui-même, si Cavalier ohtenait des garanties suffisantes 
pour la cause dont ils poursuivaient le triomphe, mais 
dans le cas contraire, bien décidé à ne jamais déposer 
les armes. 

Villars, avec sa longue habitude des hommes et son 
coup d'oeil d'aigle, voyait tout ce qu'il y avait de défiance 
cachée derrière la iroide réserve de ce chef, qui était 
l'âme même de la révolte, dont Cavalier représentait sur- 
tout le côté poétique, extérieur et brillant. Rien n'était 
terminé tant que Roland n'était pas gagné. 11 dépêcha 
donc vers lui le nouveau colonel, pour qu'il l'engageât 
à faire sa soumission aux mêmes conditions que lui- 
même avait acceptées. 

Les deux chefs se rencontrèrent le 24 mai, non loin 
d'Anduze. Cavalier, en somme, avait traité pour lui seul. 
Après qu'il eut exposé à Roland sur quelles bases il 
l'avait fait, celui-ci haussa dédaigneusement les épaules. 
Que valait cette prétendue liberté de conscience qu'il 
croyait avoir obtenue, quand on y mettait cette restric- 
tion qu'ils ne pourraient pas avoir de temples? Les pri- 
sons, les galères avaient-elles relâché, à l'exception de son 
frère, une seule des malheureuses victimes de la tyrannie 
du roi? On offrait des régiments à tous les chefs, pour 
qu'ils entraînassent à leur suite, de l'autre côté du Rhin 
ou des Pyrénées, tous les protestants armés: c'est-à-dire 
que l'on voulait les éloigner tous, pour avoir ensuite 



HISTOIRE DES CAMISARDS 313 

meilleur marché de la province sans défense. Quant à 
eux, une fois enrégimentés, sous la discipline de fer du 
service militaire, il ne leur restera plus qu'à obéir, ou 
on les fera fusiller, s'ils résistent. 

Ne pouvant donner de bonnes raisons, Cavalier s'em- 
porta jusqu'aux menaces. Roland alors lui répondit fiè- 
rement qu'il oubliait qu'il parlait à son ancien et à son 
chef, et qu'il n'appartenait pas à celui qui venait de trahir 
la cause du protestantisme de venir dicter des conditions 
à ceux qui étaient décidés à la défendre tant qu'il leur 
resterait un souffle de vie. 

Cavalier furieux porta la main à son pistolet, mais leurs 
hommes se jetèrent entre eux et les séparèrent. Toute- 
fois, le prophète Salomon consentit à suivre Cavalier à 
Nîmes, et dans une seconde entrevue qui eut lieu, comme 
la première, dans le jardin des Récollets et avec Villars, 
Bâville, Lalande et Sandricourt, Salomon avoua à ceux- 
ci que les Camisards étaient décidés à ne se soumettre 
jamais, s'ils n'obtenaient pas le libre exercice de leur 
culte. Le lendemain, il remit à Villars une lettre de 
Roland, dans laquelle il exigeait, avant de désarmer, 
que l'on rétablît l'édit de Nantes, que tous les prisonniers 
et galériens détenus pour fait de religion fussent re- 
lâchés, que tous les exilés fussent rappelés, que l'on 
cessât de lever des impôts intolérables. 

On savait par avance quelle eût été la réponse du roi 
à de pareilles prétentions. Mais qu'importait désormais 
à Bâville et à Villars l'insuccès de leurs démarches ulté- 
rieures? Ils avaient jeté la division parmi les Camisards, 
ils venaient de leur enlever le plus populaire de leurs 
chefs, le plus habile de leurs généraux. Il ne restait plus 
maintenant qu'à éloigner celui qu'ils venaient de cor- 
rompre, presque sans qu'il s'en aperçût ni qu'il eùtcons- 

18 



31 4 HISTOIRE DES CAMISARDS 

cience de ce qu'il avait fait. La ruine des rebelles ne pou- 
vait plus se faire beaucoup attendre. 

Cavalier traversa encore la ville au milieu de l'enthou- 
siasme d'une population en délire. Rien n'avait trans- 
piré des résultats de tous ces pourparlers, et les popula- 
tions, également fatiguées de ces trois années de luttes 
effroyables, savaient gré au jeune et brillant héros de 
ses efforts pour ramener le calme parmi elles. 

Hélas! ce fut la dernière grande journée de sa vie. En 
quittant sa troupe, il en avait laissé le commandement à 
Ravanel, son lieutenant. Celui-ci n'avait pu s'empêcher 
de concevoir certains soupçons, et Catinat et les autres 
officiers partageaient ses défiances. Les triomphes de 
Cavalier à Nîmes avaient été trop personnels pour ne pas 
exciter la jalousie des autres chefs. Qui sait si l'on ne 
s'était pas plu à lui élever si haut son Capitole, pour que 
les abîmes de la roche Tarpéienne se creusassent plus 
profonds autour de lui ? 

Donc, à son retour à Calvisson (28 mai), sombres et 
mécontents, les siens le pressent de s'expliquer et de 
renoncer à ce système de réserves, de réticences et de 
mystères dont il semblait décidé à entourer sa conduite. 
Peu satisfait lui-môme de ce qu'il avait à leur apprendre, 
il veut éluder leurs questions. Mais des instances ils 
passent bientôt aux menaces. 

— Le traité! s'écrièrent-ils avec fureur. Nous voulons 
connaître le traité! 

— Eh bien! dit enfin Cavalier, tout est fini, préparez- 
vous à me suivre, nous allons servir en Portugal. Les 
uniformes sont prêts, nous partons dans trois jours ! 

Il était difficile detomberdeplushaut. Il fallait quitter 
cette patrie pour l'affranchissement de laquelle ils 
avaient fait couler tant de sang, laisser derrière soi dans 



HISTOIRE DES CAMISARDS 315 

les prisons et sur les galères les pasteurs et les frères 
que Ton avait juré de délivrer, renoncera voirlestemples 
se relever de leurs ruines, et se mettre enfin aux ordres 
et à la solde de ceux qui leur avaient ravi la liberté de 
conscience! 

Ce fut alors parmi ces malheureux une explosion de 
cris de rage et de désespoir, de reproches amers et de 
paroles menaçantes. Mais Cavalier avait souvent apaisé 
ces flots courroucés ; il se plaça hardiment au milieu du 
groupe qui paraissait le plus irrité, et voulut reprendre 
son autorité perdue. 

— Qui donc est maître ici? demanda-t-il avec colère. 

— Moi ! répliqua Havane] ; moi, depuis que tu nous 
as trahis tous ! Va-t-en, retourne vers ceux qui t'en- 
voient, dis-leur qu'il n'y aura jamais ni paix, ni accom- 
modement entre nous, tant que l'on ne nous aura pas 
rendu nos temples ! 

— Itavanel a raison ! dit à son tour Catinat. Tu n'as 
plus d'ordres à donner ici. Nous t'avions fait notre 
général, te voilà tombé colonel parmi nos ennemis. 
C'est bien ! Va prendre place dans les conseils de Bàville 
et de Yillars. Pour nous, nous retournons dans nos 
montagnes. 

Cavalier s'efforça de lutter encore. Son àme se brisait 
à la pensée de se séparer de ces hommes à la tête des- 
quels il avait si souvent bravé la mort, et de s'éloigner 
d'eux sous le poids de leur mépris. Il sentait le terrain 
manquer sous ses pas, et le nombre de ceux qui parais- 
saient encore bien disposés en sa faveur diminuait à 
chaque instant. Il fit un dernier effort, et d'une voix 
qui semblait prier bien plutôt que commander il 
s'écria : « Qui m'aime me suive ! » 

Moïse, Daniel Billard et une quarantaine d'autres 



316 HISTOIRE DES CAMISABDS 

passèrent de son côté. Le reste se groupa autour de 
Catiuat et de Ilavanel. On se mit en marche vers la 
montagne. Cavalier les suivit longtemps encore, em- 
ployant tour à tour les prières, les menaces, la per- 
suasion, les conseils, pour les détournerde leur dessein. 
Ravanel et Catinats'irritèrentàla fin, lui ordonnèrent de 
se retirer, et firent retentir à ses oreilles les mots de 
traître et de lâche. 11 veut les châtier, mais vingt fusils 
s'abaissent sur sa poitrine. Moïse et Billard se préci- 
pitent entre lui et les furieux qui veulent l'immoler. 
Sans doute ils pensaient que l'avenir réservait encore 
un rôle à celui qui les avait si souvent guidés à la vic- 
toire. Cavalier alors se retira, le cœur abîmé de douleur, 
de remords et de honte à la fois. Il avait promis un ré- 
giment : il revenait vers Villars à la tète de quelques 
déserteurs ! 

D'Aigaliers, ayant appris l'inutilité des efforts de 
Cavalier, vint le trouver à Cardet, le consola de son 
mieux et le ramena vers le maréchal qui, bien loin de 
lui adresser aucun reproche, et satisfait peut-être en 
secret de se voir débarrassé d'un régiment de religion- 
naires dont il eût été bien difficile de faire accepter les 
services au roi, le reçut avec sa bienveillance accoutu- 
mée, lui permit de le suivre à Anduze, mais donna 
pour cantonnement à sa petite troupe l'île de Vala- 
brègue, au milieu du Rhône, à quatre lieues de Nîmes, 
comme s'il eût voulu la mettre par là dans l'impossi- 
bilité de rejoindre les Camisards, si le regret de ce 
qu'ils avaient fait venait à les prendre. 

Il en coûtait à d'Aigaliers de renoncer à toute espé- 
rance de conciliation. De concert avec Villars, il fit 
encore une tentative, et, avec Cavalier et quelques 
autres, il eut une dernière entrevue avec Roland, Cati- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 317 

nat et Ravanel, auxquels on proposait les conditions 
suivantes : 

On offrait à Roland les mômes avantages qu'avait ob- 
tenus Cavalier ; les prisonniers seraient élargis ; les nou- 
veaux convertis pourraient sortir du royaume avec leur 
fortune ; ceux qui voudraient y rester le pourraient 
faire en rendant leurs armes ; ceux qui en étaient 
sortis y pourraient rentrer ; on n'inquiéterait personne 
pour la religion, à la condition que chacun restât 
paisible dans sa maison ; les indemnités seraient sup- 
portées par la province tout entière, sans qu'on pût 
les faire peser en particulier sur les nouveaux con- 
vertis ; il y aurait enfin une amnistie générale et sans 
réserve. 

En somme, c'étaient là des promesses, et rien de 
plus. Il s'agissait pour les Camisards de rendre leurs 
armes à des adversaires qui gardaient toutes les leurs, 
et pour les chefs, de quitter leurs commandements 
sans aucune garantie sérieuse. A la vue de Cavalier, 
Roland et Ravanel sentirent renaître leur indignation ; 
ils ne lui épargnèrent ni les injures ni les sanglants re- 
proches. Celui-ci sut conserver son calme, et voulut 
parler aux troupes elles-mômes. Sa voix fut couverte 
par les huées, et il lui fallut quitter la place, non sans 
avoir couru les plus grands dangers pour sa vie. 

La soumission de Cavalier n'en fut pas moins un coup 
terrible porté au parti calviniste. Chaque jour quelques 
révoltés imitaient son exemple. Trente se rendirent à la 
fois à Lalande, vingt à Grandval. Le 15 juin, huit de 
l'anciennebande de Cavalier vinrent déposer leurs armes: 
huit autres demandèrent à le suivre. Quelques autres 
avaient déjà obtenu la môme faveur, sous la conduite 
du jeune frère du nouveau colonel, et allèrent grossir 

18. 



318 niSTOIIu; DES camisahhs 

le nombre de ses fidèles. On pardonnait à tous, les plus 
notables même étaient récompenses. Ceux qui voulaient 
continuer de servir recevaient : les chefs quarante sous, 
les soldats dix sous par jour. Ils logeaient dans les 
casernes, «y prêchaient, y chantaient des psaumes, y 
faisaient la prière nuit et jour (la Baume;, » au grand 
scandale des catholiques. Mais Villars laissait chanter 
tout haut les uns, et gronder les autres, pourvu que ce 
fût tout bas. Son plan, sans nul doute, était de gagner 
du temps, d'éloigner le plus grand nombre possible de 
révoltés, et de tomber ensuite sur les autres, quand le 1 * 
caresses ou la corruption auraient suffisamment affaibli 
le parti. 

Le 11 juin, il rentra à Nîmes, toujours accompagné 
de Cavalier, qu'il accablait de marques d'amitié. Aussi 
celui-ci se berçait-il encore de quelques espérances. Il 
le disait, du moins, à ceux qui l'approchaient. Le21 juin, 
il prit congé du maréchal, fut rejoindre sa petite troupe 
à Yalabrègues, et reçut l'ordre de la diriger sur Neuf- 
Brisach. Ils étaient cent cinquante environ, dont seule- 
ment cinquante-huit armés, escortés ou plutôt sur- 
veillés par cinquante dragons et autant de soldats de 
Hainault. Arrivés à Màcon, ils reçurent l'ordre de l'y 
arrêter. 

Cavalier ayant écrit à Chamillart qu'il avait d'impor- 
tantes communications à lui faire, fut mandé à Ver- 
sailles, où il causa longtemps avec le ministre. Tillars, 
qui avait deviné en lui un héros, voulait non-seulement 
l'enlever à son parti, mais encore l'attacher au roi. Lui 
et Vendôme exceptés, la France épuisée n'avait plus de 
généraux. Le nouveau colonel fut donc placé sur le 
grand escalier par où Louis devait passer; mais celui- 
ci renouvela avec lui la faute déjà commise avec le 



HISTOIRE DES CAMISARDS 319 

prince Eugène. En voyant ce petit homme blond, d'une 
physionomie douce et agréable, qui, à vingt ans, avait 
pris la liberté grande de battre ses armées, ce roi de 
parade haussa les épaules et passa sans lui adresser une 
parole. 

Toutes les illusions de Cavalier étaient tombées l'une 
après l'autre. Ses craintes étaient grandes, pour lui- 
môme et pour les malheureux qui s'étaient attachés à 
sa fortune. De retour à Màcon, ses défiances augmen- 
tèrent. Au village d'Onnan, à trois lieues de Montbéliard, 
ils parvinrent à tromper la surveillance de leur escorte, 
et ils se rendirent à Lausanne, où un meilleur accueil 
les attendait. Cavalier passa bientôt après en Hollande ; 
enfin la reine Anne l'appela à sa cour et lui donna du 
service. 

Trois années plus tard, il se livrait une étrange ba- 
taille à Almanza, de l'autre côté des Pyrénées. Là, des 
Français, des Anglais et des Portugais s'entre-déchi- 
raient pour savoir à qui appartiendrait le trône d'Es- 
pagne. L'armée française était commandée par un 
Anglais, Berwick, bâtard de Jacques II et d'Arabella 
Churchill, sœur de Marlboroug, tandis que les Anglais 
avaient à leur tête un Français M. de Ruvigny, protes- 
tant réfugié, devenu lord Galloway en Angleterre. 
Enervé et dépeuplé par les soixan le- quatre années de 
tyrannie et d'exactions de Louis XIV, le noble royaume 
n'avait plus de jeunes gens à livrer tous les ans à son 
maître, si bien que l'on en était réduit à recruter les 
mécontents, les transfuges, les bandits et les déserteurs 
de l'Europe entière (1), pour former de tous ces élé~ 



(1) Voir, sur la formation et la composition des armées fran- 
çaises, notre France sous Louis XIV, t. II, p. 16-1-166. 






320 HISTOIRE Di:S CAMISARDS 

ments impurs les bandes sauvages qui saccageaient 
indifféremment le Palalinat et le Languedoc. En môme 
temps, un régiment de Français réfugiés, commandés 
par le colonel Jean Cavalier, faisait admirer sa belle 
tenue dans les rangs des Anglo-Portugais au service du 
parti national espagnol. S'étant reconnus, les Français 
de Cavalier et ceux de Berwick fondirent les uns sur les 
autres, à la baïonnette, et tel fut leur acharnement, que 
des deux régiments engagés, cent cinquante hommesà 
peine restèrent debout de chaque côté. On distinguait 
dans la mêlée, monté sur le fier coursier conquis jadis 
à Saint-Chattes, sur le marquis de la Jonquière, l'ancien 
général des Camisards excitant la furie de ses compa- 
gnons et disputant un moment la victoire au duc de 
Berwick (1). 

On voit encore dans la vallée de Dublin un cimetière 
abandonné qui fut consacré aux réfugiés français. C'est 
là que repose, sous la terre pesante de l'exil, Jean Ca- 
lier, mort en 1740, après avoir été officier général et 
gouverneur de l'île de Jersey, en vue de la patrie d'où 
le bigotisme sauvage de Louis XIV l'avait chassé. 

Cavalier occupe une des premières places parmi ces 
brillants météores qui passent comme un éclair au 
milieu d'une nuit d'orage. Mais quand nous voyons des 
hommes comme lui et Cathelineau, paysans hier, devenir 



(l) Quelques jours après, il rendait compte en ces termes aux 
puissances alliées de sa conduite dans cette affaire (Gênes, le 
10 juillet 1707): 

« La seule consolation qui me reste, c'est que le régiment que 
j'avais l'honneur de commander n'a jamais regardé en arrière, et 
il a vendu sa vie chèrement. Je combattais jusqu'à mon dernier 
homme, lorsque la multitude des ennemis m'accabla, perdant une 
grande quantité de sang par douze blessures que j'eus dans cette 
action... » 



HISTOIRE DES CAMISARDS 321 

du jour au lendemain de grands capitaines et tenir tête 
aux plus anciens généraux vieillis sous le harnais, nous 
prenons en grande pitié, sans compter les raisons d'hu- 
manité qui nous la font prendre en grande horreur, cette 
science militaire que Condé, lui aussi, possédait complète 
à vingt ans, et sans l'avoir jamais étudiée. On ne s'im- 
provise pas aussi facilement poëte, ingénieur, artiste ou 
savant, et quand ceux-là, par le labeur de toute une vie, 
arrivent à quelque célébrité, ils sont les bienfaiteurs de 
l'humanité, dont les autres sont les fléaux. 

Il en coûtait à l'infatigable d'Aigaliers d'abandonner 
la partie. Il retourna à Versailles, espérant toujours obte- 
nir la liberté de conscience, « sur laquelle, dit-il {Mé- 
moires), Dieu seul s'est réservé l'empire ». Le duc de 
Beauvilliers, président du conseil, le roi lui-même, lui 
firent un accueil favorable ; mais Ghamillart, qu'il vit 
ensuite, lui annonça que, plutôt que de céder sur ce 
point, Louis consentirait à voir son royaume bouleversé, 
ruiné sous les efforts réunis des alliés et des Cévenols. 



322 HISTOIRE DES CAMISARDS 



CHAPITRE IX 



La trahison livre Roland, qui se fait tuer après avoir refusé de se- 
rendre. — Le maréchal de Berwick remplace Villars. — Tous 
les chefs, Catinat, Ravanel, Castanet...sont achetés à des traîtres, 
livrés à leur tour, et périssent au milieu des supplices les plus 
effroyahles. — Fin de la guerre des Camisards. 



Débarrassé de Cavalier, Villars résolut de brusquer 
les choses et d'en finir avec cette formidable insurrec- 
tion qui le condamnait à une besogne indigne, de lui, 
quand une plus noble tâche l'appelait sur nos frontières - 
Le 21, c'est-à-dire le jour môme du départ de celui qu'il 
venait de jouer si habilement, il renouvela les ordon- 
nances de Montrevel contre les parents des Camisards 
qui, sous trois jours, ne seraient pas venus déposer 
leurs armes, et le 28, les enlèvements reprirent leur 
cours. Dans peu de jours, les prisons de [Nîmes, Uzès r 
Alais, Saint-llippolyte, Sommièrcs et Montpellier 
regorgèrent de ces innocents, ramassés'aveuglément et 
au hasard. 

« Plus de cinq mille moissonneurs qui s'étaient ren- 
dus de divers lieux à Nîmes et dans la plaine éprou- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 323 

vèrent le même sort : on supposa que la plupart étaient 
des Camisards, et dans cette supposition, ils furent 
tous enlevés. Il est vrai que, comme la moisson dépé- 
rissait faute d'ouvriers, on mit en liberté tous ceux qui 
furent en état de donner des preuves de catholicité. Une 
trentaine de cadets de la Croix, qui avaient été enfer- 
més dans des prisons pour des crimes énormes, furent 
aussi élargis (1). » 

Lalande, de Planque, de Parateet Menon recommen- 
cèrent leurs sauvages expéditions, à Saint-Sébastien, 
Mialet, Soudorgues et ailleurs, pillant, brûlant, et égor- 
geant, tandis que de leur côté les Camisards enlevaient 
des chevaux et entassaient au plus profond des cavernes 
des provisions qui allaient leur permettre de prolonger 
cette lutte fratricide. Cependant, pour bien établir une 
fois de plus qu'ils prétendaient se maintenir sur le ter- 
rain de la légitime défense, sans prendre jamais l'offen- 
sive, et sans user môme toujours de représailles, s'é- 
tant saisis par surprise, le o juillet, de quatre officiers 
de la garnison d'Alais, ils les renvoyèrent en disant que 
dès que l'on cesserait de leur faire du mal, ils cesseraient 
d'en rendre à leur tour (2). 

Roland, de son côté, opéra l'arrestation de vingt cadets 
de la Croix. Il en fit fusiller deux et renvoya lés autres. 

On avait annoncé que de nouveaux embarquements 
se faisaient à Yillefranche, et que les alliés préparaient 
une descente sur les côtes du Languedoc. Bàville et 
Villars se rendirent sur les lieux et couvrirent le pays 
de soldats. La flottille ennemie, composée de deux 
frégates et de trois tartanes, sortit le 2i juillet du port 



(1) Court, t. III, p. 24. — Louvreleuil, t. III, p. 157. 

(2) Court, t. III, p. 26. 



4 HISTOIRE DES CAMISARDS 

de Villefranclie, mais elle fut dispersée deux jours après 
par une violente tempête. On savait, en outre, que la 
troupe de Roland s'était grossie des débris de celle de 
Cavalier ; que Joanny comptait quatre cents révoltés 
sous ses ordres, la Rose trois cents ; Roizeau de Roche- 
gude, cent du côté d'Uzès; Saltat de Soustelle, deux 
cents ; Louis Coste, cinquante. Celle de Catinat était 
moins considérable, mais le prestige qu'exerçait son 
chef la rendait redoutable, et l'on pouvait penser qu'elle 
ferait de nombreuses recrues. 

Tout cela donnait à réfléchir à Villars, qui autorisa 
l'infatigable baron d'Aigaliers à tenter encore une dé- 
marche conciliatrice auprès de Roland et de Ravanel. 
Pour témoigner de ses intentions pacifiques, il s'était 
fait accompagner de sa mère. On se rencontra à Durfort 
(28 juillet). Mais comme la cour ne voulait pas accorder 
la liberté de conscience et que les Camisards étaient, 
bien décidés à ne jamais transiger sur ce point capital, 
le féroce entêtement du grand roi rendait tout rappro- 
chement impossible. On se sépara donc sans parvenir 
à s'entendre. 

Les cadets de la Croix renouvelèrent leurs incursions 
dévastatrices. Les choses allèrent si loin qu'il fallutleur 
choisir de nouveaux chefs, qui se montrèrent pires que 
ceux qu'ils remplaçaient, n'étant pas gorgés de sang et 
d'or, comme les premiers. Ceux que l'on appelait les 
troupes réglées semblaient jaloux de rivaliser avec eux. 
Villars mit en mouvement toutes les forces dont il pou- 
vait disposer, et alors cadets de la Croix et royalistes à 
l'envi, pillèrent, brûlèrent, arrêtèrent en aveugles, tan- 
dis que, dans les villes, l'intendant et le maréchal 
transportaient, pendaient, rouaient; on jetait les moins 
malheureux sur les galères. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 32o 

Toutefois l'orgueil de Louis XIV était fatigué de ces 
lenteurs et de cette longue résistance. Habitué aux 
bons effets d'une terreur salutaire, il résolut d'ajouter 
la famine au désert qu'il avait fait, et après avoir dé- 
truit par les flammes tout ce qui couvrait le sol, il lui 
interdit de produire. Défense fut faite d'ensemencer les 
champs dans les hautes Cévennes, où toutes les habi- 
tations avaient été brûlées. Quelques Camisards ayant 
osé enfreindre ces ordres, où la démence le dispute à la 
férocité, on réduisit en cendres les récoltes recueillies 
et l'on fit exécuter vingt personnes coupables de ce 
forfait d'avoir osé féconder le sein de la terre. Il appar- 
tenait à la tyrannie du grand roi d'inventer et de punir 
des crimes pareils. 

La trahison et la lâcheté viennent en aide à la féro- 
cité inepte. Bàville fit promettre cent louis d'or à un 
jeune homme d'Uzès, nommé Malarte, s'il livrait 
Roland, dont il possédait toute la confiance. L'intré- 
pide chef de partisans venait se reposer de ses fatigues 
au château de Castelnau, à trois lieues d'Uzès, dans les 
bras d'une jeune orpheline d'origine napolitaine, ma- 
demoiselle de Cornelly, qui nourrissait pour lui une 
passion ardente. Elle le suivait souvent dans ses expé- 
ditions aventureuses. C'était le 14 août. Roland se trou- 
vait à Castelnau avec sept ou huit de ses officiers. Ma- 
larte en donne avis à de Parate, qui s'empresse d'en- 
voyer deux compagnies de dragons pour se saisir par 
surprise d'une dizaine d'hommes endormis. Le chef 
des Camisards était couché en effet, et tous les siens 
aussi, à l'exception d'un seul qui devait veiller en sen- 
tinelle sur le donjon du manoir de la noble fille. Celui- 
ci succomba au sommeil, et n'aperçut les troupes que 
lorsque le château était déjà envahi de toutes parts. 

19 



'A20 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Roland s'élance de son lit, à demi nu, et suivi de cinq 
de ses principaux officiers, se dirige vers les écuries. 
Mais quelques-uns, plus diligents, s'étaient emparés déjà 
des meilleurs chevaux avant que les dragons ne se fus- 
sent embusqués devant la principale porte. Les six fu- 
gitifs gagnent une porte de derrière ; les dragons les 
aperçoivent, s'élancent à leur poursuite, les atteignent. 
Roland s'adosse contre un arbre, et l'épée à la main, 
attend les plus hardis. Ils s'arrêtent, hésitent, malgré 
leur nombre. Les défenses brisées, ce sanglier fascinait 
sous son regard et tenait à distance la meute effarée. 
L'un des dragons couche Roland en joue, et au mépris 
des ordres de Villars qui voulait l'avoir vivant, il l'étend 
mort du premier coup. Frappés de stupeur à la vue de 
ce malheur immense pour leur cause, les cinq autres se 
laissent prendre « comme des agneaux ». 

Le corps de Roland fut porté en triomphe à Uzès, et de 
là à Nîmes. On fit le procès à son cadavre, il fut brisé 
sur la claie, brûlé vif, et l'on jeta ses cendres au vent. 
Les cinq officiers camisards, Maillé, Grimaud, Coute- 
reau, Guérin et Raspal, condamnés à la roue, furent 
exécutés le môme jour, et moururent en héros. « Ils 
souffrirent le supplice, dit d'Aigaliers, avec une cons- 
tance et môme avec une gaîté qui surprirent tout le 
monde, surtout ceux qui n'avaient pas vu mourir dans 
les tourments les Camisards. » 

« On les destinait à servir d'exemple, dit de son côté 
Villars. Mais la manière dont Maillé reçut la mort était 
bien plus propre à établir leur esprit de religion dans 
ces têtes déjà gâtées, qu'à le détruire. C'était un beau 
jeune homme, d'un esprit au-dessus du commun. Il 
écouta son arrêt en souriant, traversa la ville de Nîmes 
avec le même air, priant le prêtre de ne pas le tour- 



HISTOIRE DES CAMISARDS 327 

menter; et les coups qu'on lui donna ne changèrent 
point cet air, et ne lui arrachèrent pas un cri. Les os 
des bras rompus, il eut encore la force de faire signe 
au prêtre de s'éloigner; et tant qu'il put parler, il 
encouragea les autres. Gela m'a fait penser que la mort 
la plus prompte à ces gens-là est toujours la plus 
convenable; qu'il est surtout convenable de ne pas 
donner à un peuple gâté le spectacle d'un prêtre qui 
crie, et d'un patient qui le méprise (1). » 

Le spectacle était pour tout le monde, et plus complet 
que ne le dit le maréchal : cinq prélats se donnèrent la 
satisfaction d'y assister. 

La balle qui atteignit Roland Laporte, frappa mor- 
tellement l'insurrection cévenole. Cette âme d'airain 
l'avait animée de son souffle, fait vivre de sa vie. Il 
comptait trente années, et depuis qu'il s'était mis à la 
tète des Gamisards, on ne saurait relever en lui une heure 
de défaillance. Moins heureusement doué, moins brave, 
moins brillant que son jeune émule, il prit les armes 
avant lui, et elles tombèrent de sa main mourante, 
sans qu'il ait jamais songé à les déposer. 

Deux jours après cette sanglante exécution, Nîmes en 
vit encore une autre qui fut entourée d'une grande 
solennité. Nous avons vu que la flottille envoyée par les 
alliés pour croiser dans la Méditerranée avait été 
dissipée par une violente tempête. Une tartane échoua 
sur les côtes de Provence, et l'on arrêta deux naufragés 
Pierre Martin et Charles de Goulaine, pourvus de com- 
missions d'officiers au service de la reine Anne. Ils 
déclarèrent que l'abbé de la Bourbe dirigeait les mou- 
vements de la flottille, abondamment pourvue d'armes, 

(1) Viltars, Mémoires, p. 143, 



.'J:28 HISTOIRE DES CAMlSARItS 

de munitions et d'argent que l'on destinait aux insurgés. 
Martin fut pendu, et de Goulaine, en qualité de gentil- 
homme, eut la tète tranchée. 

Pendant que l'on suppliciait les martyrs de la sainte 
cause de la liberté de conscience, on amnistiait les 
assassins, pourvu qu'ils fussent catholiques et qu'ils 
eussent massacré beaucoup de calvinistes. Au besoin, 
Fléchier se faisait leur avocat, et voici en quels termes 
il sollicitait la présidente Druilet pour un criminel que 
le Parlement devait juger : 

— «11 est de sa profession maître d'école. Il n'est pas 
autrement savant, mais il s'est trouvé brave. Il a défendu 
plus d'une fois le clocher de son village contre une 
troupe de fanatiques; il a poursuivi et battu ces gens-là 
en plusieurs rencontres. lien a tant tué, qu'un meurtre 
s'étant fait dans sa paroisse, on a voulu croire que c'était 
lui qui l'avait fait (1). » 

Tous les malheurs fondaient à la fois sur les Cévenols. 
Trahi par un paysan, Catinat fut surpris par un déta- 
chement, dans une vigne où il se reposait avec onze 
des siens. Dix furent tués, le onzième, Béchard, fut fait 
prisonnier, et lui-môme, blessé légèrement, se sauva 
à grand'peine. 

Il était arrivé a ce Béchard d'accomplir une action 
d'une audace prodigieuse. Non loin d'Aigues-Mortes, en 
compagnie de deux autres Camisards, il avait mis le feu 
à un convoi de foin, après avoir dispersé l'escorte qui 
l'accompagnait. Deux compagnies de dragons à pied 
arrivent, attirées par la vue de la fumée. C'était le soir. 
Les trois Cévenols, qui étaient à cheval, se séparent et 
se mettent à crier, dans trois directions différentes: A moi 

(l) Fléchier, lettre du 2 juillet l~05. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 3:29 

Camisarris! ... tuez î... tuez!... Tel était l'effroi qu'inspi- 
rait ce cri de ralliement, que les dragons tournant le 
dos se sauvent en désordre, persuadés que ceux-là ne 
sont que l'avant-garde de quelques bandes d'insurgés. 
Nos trois cavaliers tombent sur les fuyards, les pour- 
suivent l'épée dans les reins jusqu'au Ghayla, et en 
tuent un grand nombre. 

Dans l'attente des secours promis, et bien décidé à 
soutenir la lutte jusqu'au bout, Roland avait fait, dans la 
montagne, de nombreux magasins d'armes et de muni- 
tions. Lui mort, la trahison eut beau jeu contre des mal- 
heureux sans chefs pour soutenir leur courage et leur 
fidélité. Le secret 'de la plupart de ces cavernes fut livré, 
on fusilla les blessés que l'on y rencontra, et l'on enleva 
ou détruisit tout ce qu'elles contenaient. 

Faussant, avec un sans-façon de grand seigneur, 
toutes les paroles données naguère à Cavalier, Villars 
multipliait les mesures de rigueur. Pour faire périr plus 
rapidement de faim des rebelles, il prescrivit à tous les 
habitants de la campagne de se retirer, avec meubles, 
denrées et bestiaux, dans le délai de dix jours, sous 
peine d'être fusillés, dans les lieux fortifiés qu'on leur 
désigna. « 11 fit enlever au voisinage d'Uzès, environ 
quatre-vingts personnes, et en divers endroits quantité 
de pères et de mères de ceux qui étaient parmi les 
Camisards (1). » Pressé d'en finir, il recourait en môme 
temps aux mesures d'accommodement, et à son insti- 
gation d'Aigaliers voulut bien s'y entremettre une der- 
nière fois. Mais ce fut pour échouer encore. On n'avait plus 
besoin de ce calviniste, aussi entêté dans ses croyances 
religieuses que dans ses espérances conciliatrices. 

(l) Louvreleuil, t. III, p. 192. 



330 HISTOIRE DES CAMISARDS 

Dénoncé par l'implacable Bâville, il reçut de la cour 
pour toute récompense de ses généreux efforts l'ordre 
de sortir du royaume. 

Il arriva le 27 septembre à Genève. On lui avait promis 
autrefois, à Versailles, une pension de douze cents livres. 
Mais quand, dans la France agonisante, les services les 
plus importants n'étaient plus payés, môme à l'intérieur, 
il ne pouvait espérer de la toucher. Sansressourc.es à l'é- 
tranger, il tenta de rentrer dans sa terre d'Aigaliers. Arrêté 
à Lyon et conduit au château de Loches, en Touraine, il 
fut tué d'un coup de fusil par un factionnaire, au mo- 
ment où il tentait de s'évader, après avoir fait sauter un 
des barreaux de sa fenêtre. 

Ravanel s'était mis à la tête de ce qui survivait des 
troupes de Roland et de Cavalier. Ils se laissèrent sur- 
prendre (13 septembre) dans les bois de Saint-Benezet 
par des forces dix fois supérieures aux leurs. C'était 
encore la trahison qui les avait fait découvrir. Résister 
était impossible, la retraite même paraissait difficile. 
Accablés parle nombre, la moitié restèrent sur biplace, 
et Ravanel ne dut son salut qu'au bruit de sa mort qu'il 
fit répandre, ce qui empêcha qu'il fut poursuivi et recher- 
ché avec l'ardeur que l'on y eût déployée sans cette cir- 
constance. 

Quelques jours après, une soixantaine de ces malheu- 
reux qui étaient parvenus à se réunir furent attaqués 
encore par des troupes nombreuses , et massacrés de 
nouveau. . 

Accablés par ces derniers coups, la plupart ne songè- 
rent plus qu'à déposer les armes. Villars profita de cet 
abattement général pour publier une amnistie, et bientôt 
plusieurs chefs, Catinat, Salomon, Castanet, Joanny, 
Marion, Abraham et quelques autres vinrent faire leur 



HISTOIRE DES CAMISARDS 331 

soumission. Les plus redoutables recevaient une somme 
de deux ou trois cents livres et des passe-ports pour 
sortir du royaume. On les faisait escorter jusqu'à Genève 
aux dépens du roi, et en outre on s'engageait à délivrer 
les prisonniers et à ne plus inquiéter les protestants sur 
leur religion, sauf, après le danger écarté, à manquer 
une fois de plus à ces promesses. 

Les catholiques respirèrent, mais ce fut au tour des 
réformés de vivre dans les transes, car les premiers, 
« voyant les Gamisards désarmés dans leurs maisons, 
étaient fortement tentés de les égorger (1). » 

Fléchier se fit l'écho du désenchantement général à la 
vue de ces hommes qui avaient fait trembler la province 
pendant quatre années, auxquels la terreur populaire 
avait prêté sans doute des proportions d'ogres et de Ti- 
tans, et qui, exténués, misérables, en haillons, mourant 
de faim, répondaient si peu à l'idée qu'on s'était faite 
d'eux : « Nous avons vu paraître ici tous leurs chefs, plus 
fous et plus gueux les uns que les autres, qui se disaient 
pourtant évangélistes, prédicateurs et prophètes, qui 
sont partis pour aller porter leurs extravagances et leurs 
misères dans les pays étrangers (2).» 

Cet immense incendie paraissait éteint. A l'exception 
de Ravanel, tous[les chefs étaient morts, ou volontaire- 
ment exilés. Yillars, le pacificateur de la contrée, s'en 
éloigna, comblé degloire, rassasié d'honneurs, et ne dé- 
daignant pas môme, suivant l'usage du temps, détendre 
la main aux récompenses pécunaires. Les états du Lan- 
guedoc, qu'il tint en novembre, lui firent un présent de 



(1) Louvreleuil, t. III, p. 218. 

(2) Fléchier, lettre du 8 janv. 1705. 



'Mil HISTOIRE DES CAMISARDS 

12,000 livres, et un de 8,000 à la maréchale, « avec tous 
les éloges qu'ils avaient mérités ». 

1705.— Le duc de Berwick remplaça Villars, qui prit 
congé de la province le 6 janvier. C'était le quatrième 
maréchal de France que la cour envoyait dans les Cé- 
vennes. Avec lui, les mesures de rigueur qu'affection- 
nait Bâville furent remises plus que jamais en faveur. 
Gela n'eut pour effet que de réveiller les passions reli- 
gieuses mal assoupies, et c'est dans ces circonstances 
désespérées que trois personnages, l'abbédelaBourlie,le 
marquis de Miremont et de Belcastel, prenant l'étranger 
pour point d'appui, nécessité douloureuse, mais inévi- 
table pour une minorité opprimée, conçurent le projet de 
recommencer la lutte. Par malheur, ils n'agissaient pas de 
concert, parfois même l'un défaisait l'œuvre des deux 
autres. Aussi ne nous arrêterons-nous pas longtemps à 
exposer des projets qui ne devaient pas aboutir, et qui 
poussèrent seulement vers une mort effroyable ceux 
qu'égarèrent de décevantes espérances. Nous nous 
contenterons de dire que le soulèvement devait être gé- 
néral et qu'il coïncidait avec une formidable invasion 
dont les alliés eussent confié la direction à Cavalier, 
qui était à la fois la terreur et l'espoir de la contrée. La 
plupart des anciens lieutenants ou compagnons de 
l'héroïque enfant des Cévcnnes se laissèrent persuader 
de rentrer en France afin de travailler de concert avec 
lui. Plusieurs conférences eurent lieu, dont la plus im- 
portante se tint chez le capitaine Boëton, entre Nîmes 
et Montpellier. Ravanel, Catinat, Villars, Jonquet, Clary 
et quelques autres chefs y assistaient. Ils comptaient 
surprendre à la fois ces deux villes, s'emparer du port de 
Cette, tuerBàville, enlever Berwick et l'envoyer ;\ bord de 
la Hotte anglaise. On devait entraîner les populations au 



HISTOIRE DES CAMISARDS 333 

cri de : Vivo le roi sans jésuites! Vive la liberté de cons- 
cience ! Tout fut découvert, et il n'y eut plus qu'à re- 
chercher et châtier les coupables. 

La formidable insurrection des Cévennes eût réussi, 
sans doute, si elle eût commencé seulement à l'heure 
où elle s'éteignait sous les ruines de tous les villages 
détruits, et sur les échafauds où l'on suppliciait 
tant de martyrs d'une cause juste. Lorsque Roland 
mourait, la France perdait la bataille d'Hochstet, où il 
resta sur le champ de bataille, suivant l'expression de 
Fléchier, « une armée presque entière de morts, de 
blessés et de prisonniers (1) .» C'était le temps où la 
longue tyrannie du grand roi portait ses fruits, et com- 
mençait à déchaîner sur la France cette série de mal- 
heurs qui allait la plonger dans un abîme du fond 
duquel il devait s'écrier dans son orgueil : « Est-ce que 
Dieu a oublié ce que j'ai fait pour lui?» 

En apprenant la nouvelle tentative des Camisards, 
Berwick et Bâville redoublèrent de fureur et jurèrent 
d'exterminer jusqu'au dernier ceux qui avaient osé cons- 
pirer contre leur liberté et contre leur vie. Ils deman- 
dèrent des pouvoirs plus absolus encore pour eux et 
pour leurs agents : « Plus, monseigneur, disait le maré- 
chal, je fais rétlexion sur les affaires de ce pays-ci, sur la 
légèreté des peuples et sur leur mauvaise volonté, plus 
je suis convaincu, aussi bien que M. de Bàville, de la né- 
cessité d'ôter entièrement les armes à tous les nouveaux 
convertis, et surtout à ceux qui on t été engagés dans la der - 
nière révolte. Nous ne trouvons point pour cela d'autre 
remède que de punir avec la dernière sévérité ceux qui 
se trouveront avoir des armes chez eux, etprincipalement 

(1) Fléchier, lettre du ?, septembre 1704. 

lu. 



;i'A\ HISTOIRE DES CAM1SARHS 

ceux sur qui l'on en trouvera dans les campagnes et 
grands chemins. La peine des galères imposée par les 
ordonnances du roi ne- suffit pas pour les intimider, 
c'est pourquoi j'ai l'honneur de vous proposer que le 
roi veuille bien m'envoyer la permission de les traiter 
militairement, c'est-à-dire que je puisse enjoindre aux 
commandants des différents quartiers de punir de mort 
sur-le-champ tous ceux que l'on trouvera avec des armes 
dans les champs ou grands chemins. » 

Bàville appuie la demande deBerwick. Toutefois le lé- 
giste reparaît un instant derrière le féroce proconsul, il a 
des scrupules de légalité : « Je sais que cela ne convient 
pas tout à fait aux règles ordinaires, mais le mal qui 
a régné dans cette province est d'une nature qui de- 
mande des remèdes extraordinaires pour en prévenir le 
retour (1). » 

Par leurs soins, huit ou dix personnes furent rouées 
vives en janvier 1705 et plusieurs maisons rasées, 
« pareequ'on les soupçonnait d'avoir servi à des assem- 
blées religieuses (2). » 

Une ordonnance déclara Ravanel hors la loi, déchu de 
tout droit à prétendre à aucune grâce ni amnistie, cent 
cinquante louis furent promis à quiconque le livrerait 
vivant, cent louis à qui apporterait sa tête. Des menaces 
terribles planèrent sur ceux qui le recevraient, ou qui, 
connaissant sa retraite, ne le dénonceraient pas. Peine 
inutile : cette fois on ne rencontra pas le traître que l'on 
cherchait. 

Rentré dans le Vivaraiscn février, Castanet avait tenu 



(1) Les Insurgés protestants sous Louis XIV, par G. Frosterus, pro- 
fesseur à l'université de Helsingfors, p. 69. 

(2) Court, t. III, p. 146. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 335 

une assemblée dans une caverne du côté de la Gorce. 
Vallette et Boyer s'étaient joints à lui. On apprit, grâce 
à la trahison d'un paysan, qu'ils erraient dans un bois 
aux environs de Rivières. Quarante hommes furent ex- 
pédiés à leur poursuite. Surpris dans une embuscade, 
Boyer fut abattu d'un coup de fusil, et Castanet arrêté 
avec Valette. Ils furent conduits à Montpellier, Castanet 
portant à la main la tête de son infortuné compagnon. 
Ce n'était là que le premier raffinement d'un supplice 
qui devait se terminer sur cette sombre place du Peyrou, 
au centre de laquelle se dresse encore la statue équestre 
de Louis XIV, monument de l'ineptie et delà lâcheté des 
hommes. 

« 11 souffrit sur sa croix des douleurs horribles avant 
que d'expirer, après avoir eu les quatre membres fracas- 
sés. On eût dit, à entendre ses cris perçants, qu'il était 
possédé du démon. » Repoussant les salutaires remontran- 
ces du prêtre qui l'assistait, « il cria d'un ton ferme à 
l'exécuteur : Bourreau, bourreau, achève ton œuvre! Cet 
abbé lui dit alors : que dans ce triste état où ses péchés 
l'avaient réduit, il ne devait avoir d'autre volonté que 
celle de Dieu, et que s'il avait quelque chose à demander 
à ce ministre de la haute justice, c'était de différer le 
dernier coup de son tourment, pour lui donner le temps 
d'expier par ses maux et par le sang qui coulait de ses 
plaies, tant de sang innocent qu'il avait répandu. A quoi 
il répondit : qu'il voulait mourir dans sa religion, parce 
qu'il y était né (1). » 

Quand à Vallette, aussi coupable, mais moins notable 
dans le parti, on se contenta de le pendre. 

C'était le 26 mars. La vengeance ne devait pas se faire 

(I) Loùvreleuil, l'Obstination confondue, p. 11. 



33G HISTOIRE DES CÂM1SABDS 

beaucoup attendre, car le jour de l'explosion du com- 
plot était fixé au 25 avril. Mais le 18, on arrêta à Mont- 
pellier un déserteur suisse nommé Jean-Louis, qui livra 
le secret des conjurés et assura que tous les chefs se 
trouvaient à Nîmes, où il serait facile de s'emparer d'eux 
si on voulait l'y conduire et suivre les indications qu'il 
était prêt à donner. 

On n'eut garde de négliger ces précieuses indications, 
et Jean-Louis, bien escorté, fut livré à M. de Sandricourt, 
gouverneur de Nîmes. 

Le lendemain, à dix heures du soir, cent Suisses vin- 
rent investir les rues qu'il avait désignées dans le quar- 
tier de Sainte-Eugénie, et sans nul avertissement préa- 
lable, on se mit à fouiller toutes les maisons. La porte de 
l'une d'elles, celle d'un riche fabricant de soieries, 
nommé Alison, calviniste ardent, était toute grande 
ouverte sur la rue, si bien que. convaincus que nul ne 
pouvait songer à mal faire dans une demeure dont l'en- 
trée était si largement libre, ils allaient porter plus loin 
leurs pas lorsqu'ils crurent entendre des hommes causer 
dans une chambre de plain-pied avec le vestibule où ils 
se trouvaient. Ils écoutent, et distinguent ces paroles : 
« C'est une chose sûre que dans trois semaines le roi ne 
sera plus maître du Dauphiné, du Vivarais ni du Lan- 
guedoc. On me cherche partout; mais je suis dans 
Nîmes, et je ne crains rien. » 

Les Suisses se précipitent l'épée à la main dans la 
chambre, dont la porte n'était pas môme fermée, et, sans 
leur laisser le temps de revenir de leur surprise, ils s'em- 
parent de trois hommes assis autour d'une table. Ces trois 
hommes n'étaient rien moins que Ravanel, Villars et Jon- 
quet. 

On se saisit dans la môme nuit de quarante-six autres 



HISTOIRE DES CAMISARDS 337 

personnes, parmi lesquelles se trouvaient plusieurs 
femmes, qui furent rejoindre les trois chefs camisards 
dans leurs cachots. 

Au matin, on arrêta encore le négociant Alison. 11 se 
tenait au premierétage de sa demeure. Pendant l'arres* 
tation du rez-de-chaussée, il gagna les toitset passa une 
nuit d'angoisses, tapi derrière le tuyau d'une cheminée. 
Un soldat l'aperçut lorsque le jour fut venu, et l'ajusta, 
en lui criant qu'il avait ordre de l'abattre, s'il ne consen- 
tait pas à se rendre. Il céda et eut tort, car peu de jours 
après il fut rompu vif sur la roue, tous ses biens furent 
confisqués, et sa maison, la plus belle delà ville, fut con- 
damnée à être rasée, pour avoir abrité les conjurés pen- 
dant quelques heures. 

» Ce fut un spectacle bien surprenant aux habitants de 
Nîmes, lorsqu'ils virent à leur lever toutes les rues gar- 
dées par des soldats la baïonnette au bout du fusil, etles 
portes fermées sans qu'il fût permis à personne de sortir 
de la ville, à moins qu'on n'en eût un besoin extrême, et 
qu'on ne donnât une bonne caution... Jamais les nou- 
veaux convertis n'avaient eu tant de peur. Ils appré- 
hendaient à tout moment qu'on ne fît main basse sur 
eux pour les punir du projet qu'ils avaient formé contre 
les anciens catholiques (1). » 

Cependant un des chefs, et des plus redoutables), Ca- 
tinat, parvenait à déjouer l'ardeur des investigations que 
dirigeaient Bàville et Berwick en personne. Jean-Louis 
le Genevois affirmait qu'il était à Nîmes. Spéculant sur 
les plus viles passions, sur l'avarice et la peur, le maré- 
chal fit alors publier dans toute la ville à son de trompe 
une ordonnancé par laquelle « il promettait de donner 

(1) Louvreleuil, l'Obstination confondue, p. 55. 



.'538 HISTOIRE DES CAMISARUS 

cent louis d'or à quiconque livrerait ou ferait prendre 
Catinat, avant qu'on en vînt à des extrémités pour le 
trouver. En second lieu, il déclarait qu'il ferait grâce à 
celui qui l'aurait retiré, s'il le dénonçait ; que si personne 
ne le dénonçait, il allait faire visiter toutes les maisons, 
et que s'il découvrait celle où le rebelle aurait logé, l'ha- 
bitant de cette maison serait pendu sur-le-champ à sa 
porte, sa famille emprisonnée, tout son bien conlisqué, 
sans autre forme de procès (1). » 

Catinatentendaittout, dufond de sacachette. Ilnevou- 
lutpas attirer ces peines terribles sur la tête de ses hôtes, 
bien qu'ils ne se laissassent pas tenter par la prime 
offerte à la trahison. Après s'être fait raser, couper les 
cheveux et poudrer la tête, pour tâcher de dépister les 
regards haineux qui le cherchaient, le malheureux 
sortit, et se mit à errer dans ces rues où il se sentait 
traqué comme une bête fauve, le long de ces maisons 
dont pas une seule désormais ne pouvait s'ouvrir devant 
ses pas. Il voulait tenter de sortir delà ville par la porte 
Saint-Antoine. Un corps de garde de la garnison du 
fort veillait à l'entrée. Son chapeau enfoncé sur les 
yeux, une main à la bouche, et tenant de l'autre une 
lettre qu'il paraissait lire, il passe sans saluer devant 
l'officier qui se promenait à l'entrée du corps de garde. 
Irrité de ce manque de civilité, celui-ci le fait arrêter; 
on le fouille, et l'on trouve sur lui une lettre à l'adresse 
de M. Abdias Morel, dit Catinat. 

Il demanda à parler ta Berwick, auquel il annonça 
que s'il ne consentait pas à l'échanger contre le ma- 
réchal de Tallard, captif à Londres, la reine d'Angle- 
terre ferait à son prisonnier le même traitement qu'on 

(l) Louvreleuil, p. 74. 



HISTOIRE DES CAMISARDS -339 

lui ferait à lui môme. Pour toute réponse, le maréchal 
le renvoya à Bâville (1). 

Catinat, Ravanel et Jonquet étaient nés dans le peuple. 
Quant à Villars, qui comptait vingt-cinq ans à peine, il 
avait tenu son rang dans la meilleure compagnie de la 
province. Petit-fils d'un pasteur, fils d'un médecin pro- 
testant, et cachant sa foi sous le masque de l'apostasie, 
il s'était fait l'ami de Bâville, auquel il arrachait tous 
ses secrets pour les aller ensuite livrer à ses coreligion- 
naires. C'était sous son toit même qu'il conspirait contre 
lui. L'intendant fut lui reprocher dans sa prison la délo- 
yauté de sa conduite et ses relations avec des hommes 
grossiers et perdus de crimes. « Pour acheter nos vies, 
lui répondit Villars, vous avez employé la délation, la 
torture, et la trahison sous toutes ses formes. Pourquoi 
me reprochez-vous d'avoir défendu mes croyances 
avec les mômes armes dont vous vous serviez contre 
nous? Quant à ces malheureux dans la société de 
qui j'étais , plût à Dieu que j'aie l'âme aussi belle 
qu'eux ! » 

Le jugement n'était que pour la forme : on savait 
quelle serait la sentence. Le mode de supplice pouvait 
seul faire l'objet d'une délibération. « Il y eut plusieurs 
conseillers qui étaient d'avis que Catinat fût tiré à 
quatre chevaux, mais le plus grand nombre opina pour 
le feu, qui est un supplice plus violent et plus long que le 
déchirement... Ravanel eut le môme sort, mais on lui 
aurait arraché auparavant la langue comme à un insigne 
blasphémateur, si le sentiment de quelques-uns des juges 
avait été suivi. Jonquet fut condamné â être rompu tout 



[1) Berwick, Mémoires, p. 3G9. 



340. HISTOIRE DES CAMISARDS 

vif et ensuite jeté dans le feu, et Villars à avoir seulement 
les os cassés (1) . » 

Nous n'avons pas besoin de dire qu'ils furent préala- 
blement appliqués à la question ordinaire et extraordi- 
naire. C'était le préliminaire obligé de ces sortes de 
cérémonies. 

Pendant que l'on s'acharnait à les torturer, la nuit 
était venue; on les conduisit au pied de l'échafaud, on 
leur fit voir à tous les quatre les instruments de leur 
supplice, puis Bâville ordonna de surseoir à l'exécution 
jusqu'au lendemain, afin que le soleil éclairât de ses 
rayons le dénouement de cette effroyable tragédie. Ce ne 
fut donc que le 22 avril, vers dix heurs du matin, que 
ces quatre moribonds se virent portés sur l'échafaud 
qu'entourait toute la garnison, les officiers en tête et les 
tambours ne cessant pas de battre. 

Ravanel et Catinat étaient enchaînés dos à dos au 
môme poteau, et l'on vit quelques-unes de ces misé- 
rables créatures comme il s'en rencontre en ces occur- 
rences, à la honte de l'humanité, qui apportèrent leur 
fagot au bûcher qui allait les dévorer (2). Ravanel mou- 
rut avec un stoïcisme qui ne se démentit pas au milieu 
des tourments. On l'entendit chanter des psaumes 
jusqu'au moment où le feu étouffa sa voix. Le supplice 
de Catinat fut plus horrible, et les spectateurs remar- 
quèrent qu'il souffrit « avec quelque impatience (3). » 
Doué d'une force herculéenne, il était mieux trempé 
pour mourir moins vite et souffrir plus longtemps. La 
pluie qui avait tombé pendant toute la nuit empêchait 



(1) Louvreleuil, p. 83. 

(2) Louvreleuil, p. 91. 

(3) Court, t. III, p. J95. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 341 

le bois de brûler rapidement, et le vent, en écartant de 
lui les flammes, ne permettait pas au feu de consommer 
son œuvre. On voyait ce malheureux se tordre au milieu 
de ses chaînes de fer et poussant des hurlements 
horribles. 

Jonquet fut brisé sur la roue. La sentence portait 
qu'il ne serait jeté au bûcher qu'après sa mort. Le bour- 
reau ajouta quelque chose au programme, et pour 
satisfaire sans doute ses nombreux spectateurs, l'y jeta 
vivant. Quant à Villars, il l'étrangla après lui avoir rom- 
pu les membres. 

« Telle fut, dit le curé Louvreleuil, la détestable fin 
de ces quatre brigands Ils allèrent où va le chemin 
qu'ils avaient pris, ils furent payés du maître qu'ils 
avaient servi, je veux dire qu'ils tombèrent entre les 
mains du démon, qui paya de ses noires fureurs, de ses 
tisons ardents et de ses cruautés éternelles l'obéissance 
qu'ils avaient rendue à ses suggestions criminelles. » 

On comptait alors plus de trois cent cinquante calvi- 
nistes dans les prisons de Nîmes (1). Malgré son activité, 
Bâville ne suffisait pas à y faire des places nouvelles. Le 
24, c'est-à-dire deux jours après, il fit encore rouer ou 
pendre sept personnes coupables: d'avoir abrité les 
conspirateurs, de n'avoir pas dénoncé Gatinat, d'avoir 
réparé les armes des Gamisards, ou d'autres forfaits 
analogues (2). 

Laissant, à ses subdélégués le soin de continuer ce tra- 
vail d'épuration, Bàville fut le poursuivre à Montpellier, 
et Louvreleuil, aussi jaloux de varier ses formules narra- 



(1) Duval, Histoire nouvelle et abrégée de la révolte des Cècennes, 
p. 242. 

(2) Louvreleuil, p. 95-99. 



3i2 HISTOIRE DES CAMISARDS 

tives que l'intendant ses genres de supplices, nous apprend 
que la roue, le bûcher et la potence furent encore adju- 
gés à bon nombre de Gamisards : Annibal Gaillard, tor- 
turé, puis rompu vif; Jeanne Cuitard, pour l'avoir re- 
cueilli chez elle, pendue ; Jean de Leuse, pendu ; Glande 
Malier, pendu... 

Au bon vieux temps, le roi et le bourreau, son com- 
père, héritaient de leurs victimes, l'un par la confisca- 
tion qui lui attribuait l'argent et les domaines, l'autre 
en s'emparant des habits et de toute la défroque des sup- 
pliciés. Quant aux demeures, châteaux, maisons ou 
chaumières, on les rasait, — comme les chiens mordent 
les pierres qu'on leur lance, — sans pouvoir s'élever 
jusqu'à comprendre tout ce qu'il y avait d'inepte dans 
cet anéantissement de valeurs souvent considérables. 
Us avaient donc tous les deux un intérêt identique et 
direct aux fréquentes exécutions. Il faut dire qu'ils aban- 
donnaient volontiers ces épaves de la mort, l'un à ses 
valets, pour récompenser leur zèle ou leur habileté, 
l'autre à ses courtisans, pour payer leurs complaisances 
et leurs lâchetés. 

Les soldats du grand roi venaient d'arrêter quatre Ca- 
misards. Les trouvant trop bien vêtus pour la circon- 
stance, ils volèrent le bourreau en les dépouillant de leurs 
vêtements pour les couvrir de sordides haillons. De ces 
quatre Gamisards, deux furent brûlés, un fut rompu, et 
l'autre, son fils, pendu. 

11 faudrait le souffle puissant d'Homère pour suffire à ces 
longs etsinistres dénombrements de l'échafaud. «A force 
d'exécutions, en un mois de temps, le calme fut réta- 
bli, » ditBerwick (Mémoires), qui touche ici au sublime 
de Tacite : solitudinem faciunt, pacèm appellant. Il avait 
tout tué, et réalisé ainsi le calme des solitudes. Bor- 



HISTOIRE WîS CAMISARDS 343 

nons-nous donc, en concentrant l'intérêt sur les chefs. 

On se rappelle ce Boëton qui avait pris une partie si 
considérable aux premiers projets de révolte. 11 fut 
arrêté par un de ses cousins germains, le baron de Saint- 
Chattes, et transféré à la citadelle de Montpellier. Les 
juges deBâville le condamnèrent au supplice de la roue, 
après qu'il aurait subi la question ordinaire et extraor- 
dinaire. L'intendant y assistait, épiant sur ses lèvres le 
nom de quelques nouvelles victimes à faire arrêter. 
Boëton, toujours muet, mettait en défaut la science et 
lapatiencedes tortionnaires. Bâville, furieux, allajusqu'à 
l'insulter. Boëton leva les yeux au ciel et dit : « Jusques 
à quand souffriras-tu, Seigneur, le triomphe de l'impie? 
Jusques à quand permettras-tu qu'il répande le sang de 
l'innocent? Ce sang crie vengeance devant toi ! Tarderas- 
tu encore longtemps de faire justice ? » 

Tandis qu'on le conduisait au supplice, harcelé par 
deux religieux, on lui offrit sa grâce s'il consentait à ab- 
jurer sa religion. 11 la refusa. 

Un de ses amis se trouvait sur le passage du lugubre 
cortège, et se détourna, cachant les pleurs qui mondaient 
son visage : « Mon ami, lui dit-il, pourquoi me fuyez-vous 
parce que vous me voyez couvert des livrées de Jésus- 
Christ? Pourquoi me pleurez-vous, quand il me fait la 
grâce de m'appeler à lui et de sceller de mon sang la dé- 
fense de sa cause? » 

Ne pouvant trouver une parole pour exprimer l'im- 
mensité de sa douleur, celui-ci voulutse précipiter dans 
ses bras : les soldats le repoussèrent. 

A la vue de l'échafaud, il s'écria : « Courage, mon 
âme, je vois le lieu de ton triomphe. Bientôt, dégagée 
de tes liens douloureux, tu entreras dans le ciel ! » 

Après que le bourreau lui eut rompu les jambes et les 



\¥l\ HISTOIRE DES CAMISARDS 

bras, il l'étendit sur la roue les membres repliés sous le 
corps, et la tête sans appui, pendant dans le vide. Il y 
avait cinq heures qu'il était ainsi, chantant de> psaumes 
ou adressant des paroles d'encouragement aux calvi- 
nistes qui s'approchaient de lui, lorsque l'abbé Marsillan 
vint prévenir Bâville, que «bien que cette mort effrayât 
les protestants, elle ne servait qu'à les affermir dans 
leur religion, ce qu'il était facile de reconnaître par les 
larmes qu'ils versaient et par les louanges qu'ils don- 
naient au mourant. » 

Cette considération toucha Bâville, qui donna la per- 
mission de l'achever. Un archer voulait s'y opposer. 
« Vous croyez, mon ami, que je souffre, lui dit Boëton. 
Je souffre en effet : mais apprenez que celui qui est avec 
moi et pour lequel je souffre me donne la force de sup- 
porter mes tortures avec joie. » L'exécuteur s'approcha 
alors ; le martyr souleva une dernière fois la tête, et 
dit : « Mes très-chers frères, que ma mort vous soit un 
exemple pour soutenir la pureté de l'Évangile ; et soyez 
fidèles témoins que je meurs dans la religion de Jésus- 
Christ et de ses saints apôtres. » Le bourreau souleva 
sa barre et lui donna le coup de grâce. 

La guerre des Cévennes est terminée. Les supplices 
poursuivirent leur cours, les persécutions continuèrent 
jusqu'au règne de Louis XVI, mais l'insurrection n'osa 
plus relever la tête. Nous laissons à Fléchier le soin de 
prononcer le dernier mot pour clore ce lamentable récit. 

On disait que Cavalier, la terreur des catholiques, 
croisait sur une flottille anglo-hollandaise, prêt à opé- 
rer une descente : 

« Grâces au Seigneur, écrivait l'évêque de Nîmes (1), 

(1) Fléchier, lettre du 15 août 1700. 



HISTOIRE DES CAMISABDS 345 

nous sommes ici dans une grande tranquillité, contents 
que Cavalier soit embarqué sur une flotte anglaise. Ce 
vaisseau périra sans doute, étant chargé de tant de cri- 
mes. Quelque orage imprévu s'élèvera et le brisera 
contre quelque effroyable rocher. Aussi bien ce scélé- 
rat serait-il venu périr ici sur la roue. 

« Tous nos amis se portent bien. » 

Il ne semble pas que dans son évangile, où il ordonne 
d'aimer jusqu'à ses ennemis, Jésus ait légué à ses mi- 
nistres les modèles de pareils sentiments ni d'un sem- 
blable langage. 

Quel jugement l'histoire prononcera-t-elle sur ces 
hommes qui, trop faibles pour résister à leur implacable 
persécuteur, se virent contraints de tendre les bras aux 
ennemis de leur patrie ? Hélas ! quand Louis XIV avait 
fait pour eux de la France un immense bagne d'où il 
leur était défendu de sortir, en même temps qu'il ne 
leur laissait plus les moyens^d'y vivre ; quand il soule- 
vait contre eux une jacquerie universelle en ordonnant 
à toute la population catholique de leur courir sus, 
tandis qu'il leur prescrivait, sous peine de mort, de dé- 
poser leurs armes, ne purent-ils pas croire que leurs 
véritables frères étaient les protestants d'Angleterre, 
d'Allemague, de Suisse et de Hollande, et que la patrie 
était là où on leur offrait des établissements qui leur 
étaient refusés chez eux ? 

Sans doute ils brûlèrent bien des églises et bien des 
presbytères. Mais qui donc avait commencé, depuis 
vingt longues années, à raser leurs temples et les mai- 
sons de leurs ministres?... Ils massacrèrent bien des 
prêtres. Mais qui donc avait commencé à peupler les 
galères avec leurs pasteurs, quand ils n'étaient pas 
pendus, brûlés, rompus vifs?... Ils massacrèrent drs 



34G HISTOIRE DES CAMISAIUJS 

enfants. Mais qui avait commencé à faire des bâtards 
de leurs fds et de leurs filles, à les ravir aux bras des mères, 
qui donc les avait massacrés sur leur sein, et jusques 
dans leurs flancs éventrés?... 

Ce furent d'horribles représailles, mais légitimes, ce- 
pendant, car la religion et'la conscience sont au dessus 
des décisions d'un homme, si puissant qu'il soit, si in- 
faillible qu'il lui plaise de se proclamer. Après l'attentat 
du 22 octobre 1685, il fallait céder et se faire apostat, 
ou se laisser égorger, ou se défendre les armes à la 
main. Chacun, dans cette terrible extrémité, agit sui- 
vant le tempérament que le ciel lui avait donné. 11 y 
eut des convertis, il y eut des martyrs, il y eut des 
combattants. Nous n'avons rien à dire des premiers; ils 
étaient faibles, et la faiblesse est encore une sorte d'in- 
nocence. Mais tout en prodiguant notre sympathique 
pitié aux martyrs, nous réservons le tribut de notre 
admiration pour les combattants. Honte à Louis XIV, 
qui déchira l'édit de Nantes pour se faire le bourreau 
de ses sujets inoffensifs, et gloire aux champions de la 
liberté de conscience! Souvenons-nous, avant d'avoir 
pour eux des paroles sévères, que nous recueillons le 
prix de leur sang versé sur ces obscurs champs de ba- 
taille. Ils ont fait faire un grand pas à l'esprit humain, 
et nous n'en voulons pour preuve que les paroles sui- 
vantes, prononcées un demi-siècle plus tard par le neveu 
même de Bàville. Il appartenait au vertueux Ma- 
lesherbes de relever le parti tout entier dans la personne 
de son chef le plus populaire, et de venger Cavalier des 
injures de Bâville et de l'évoque de Nîmes (1) : 
« J'avoue que ce guerrier qui, sans avoir jamais servi, 

(1) Rulhière, Eclaircissements, t. II, p. 287. 



HISTOIRE DES CAMISARDS 347 

se trouva un grand général par le seul don de la na- 
ture ; ce Camisard qui osa une fois punir le crime, en 
présence d'une troupe féroce, laquelle ne subsistait que 
par des crimes semblables ; ce paysan grossier qui, admi s 
à vingt ans dans la société des gens bien élevés, en 
prit les mœurs et s'en fit aimer et estimer; cet homme 
qui justement enorgueilli de ses succès, eut assez de 
philosophie naturelle pour jouir, pendant trente-cinq 
ans, d'une vie tranquille et privée, me paraît un des 
plus rares caractères que l'histoire nous ait transmis. » 



FIN 



F. Aureau, — Imprimerie de Lagny. 



TABLE DES MATIÈRES 



PREMIERE PARTIE 



CHAPITRE PREMIER. — L'Edit de Nantes (1598).— Le 
clergé pousse Louis XIV à le révoquer (1650-1685). — Les 
Parlements, les Intendants conspirent avec le clergé. — Les 
illégalités précèdent les violences. — La persécution com- 
mence dès 1662. — Destruction des temples protestants (1679). 1 

CHAPITRE IL — Riche, adonné à l'industrie, le protestan- 
tisme, sans chefs, était inoffensif. — Ignorance du clergé ca- 
tholique. — Supériorité des pasteurs protestants. — Louvois, 
madame de Maintenon, les Jésuites. — Commencement de 
l'émigration (1680). — Internements des pasteurs, réduits au 
silence. — Premières dragonnades (1683). — Lamoignon de 
Bàville, intendant du Languedoc, Noailles , maréchal de 
France, gouverneur de la province, rivalisent de cruauté. 20 

CHAPITRE III. — Révocation de l'édit de Nantes (1685). — 
Tyrannie effroyable de Louis XIV. — Prescriptions sangui- 
naires de Louvois. — On enlève les enfants pour les baptiser 
catholiques. — Fuite des pasteurs. — Les missionnaires bottés. 
— Extermination des derniers Vaudois. 45 

CHAPITRE IV. — Ordres implacables donnés aux garni- 
saires. — Férocités des soldats. — Emigration générale. — 
L'Europe, L'Amérique s'enrichissent de notre appauvrisse- 
ment. — Les galères se peuplent de pasteurs, de protestants 
échappés au massacre. — Vie effroyable des forçats sur les ga- 
lères royales. 73 

SECONDE PARTIE 

CHAPITRE PREMIER. — Les Assemblées du Désert. — 
Premières résistances armées dans les Cévennes. — Conju- 
ration des trois hêtres. — Meurtre de l'inspecteur des Mis- 
sions. — Les Camisards. — Les prophètes Cévenols. — La 
Belle Isabeau. — Les petits prophètes dormants. 123 

CHAPITRE II. — Martyre des prédicants Brousson, Vivens, 
Capien, Carrière... — Arrestation en masse des prophètes en- 
fants. — Condamnations arbitraires contre leurs familles. — 
Martyre des prophètes, Esprit Séguier, Salomon Couderc, 
Abraham Mazel... 152 



350 TABLE DES MATIÈRES 

Ptges. 
CHAPITRE III. — Principaux chefs des insurgés : Ro- 
land, Laporte, Jean Cavalier, Catinat, Esperandieu, Rastalot, 
Ravanel, Castanet, Joanny... — Phénomènes de l'inspiration : 
l'avertissement, le souffle, la prophétie, le don. 171 

CHAPITRE IV. — Premiers succès des Camisards. — Vie 
évangélique des rebelles, au camp de l'Eternel. — Broglie, 
maréchal de France, remplace Noailles. — Soulèvement gé- 
néral des campagnes. — Les Florentins massacrent catho- 
liques et protestants. — Fureurs inouies. 200 

CHAPITRE V. -- Montrevel, maréchal de France, rem- 
place Broglie. — Bàville le seconde dans ses sauvages entre- 
prises. — Massacre des protestants à Nîmes. — Crimes hor- 
ribles des Florentins, des Cadets de la Croix, des Camisards 
blancs, des Camisards noirs. — Le pape Clément XI fulmine 
une bulle contre les révoltés des Cévennes. 219 

CHAPITRE VI. — Bàville ordonne l'anéantissement du 
pays, fait brûler les forêts et 166 villages. — Vastes projets de 
Guiscard de la Bourlie. — L'Angleterre, la Hollande pro- 
mettent des secours aux Camisards. — Massacres dans les Cé- 
vennes, exécutions dans les villes. — Jean Cavalier est défait 
à Vergèse. — Ses extases prophétiques. 214 

CHAPITRE VIL — Catholiques et protestants s'exterminent 
sans pitié. — Les Camisards font un appel aux États protes- 
tants de l'Europe. — Succès de Roland, de Cavalier. — La 
cour rappelle Montrevel et le remplace par le maréchal de 
Villars. 269 

CHAPITRE VIII. — Villars cherche à désarmer, par de 
trompeuses promesses, ceux que l'on n'a pu vaincre. — Pré- 
liminaires du 12 mai 1704. — Cavalier réclame la liberté de 
conscience, l'élargissement des prisonniers et galériens, ou la 
liberté de quitter la France. — Conférence de Cavalier avec 
Villars» — Roland refuse de suivre Cavalier dans sa défection. 

— Catinat, Ravanel abandonnent Cavalier, qui ne trouve pas, 
à Versailles, l'exécution des promesses qui lui ont été faites. 

— Il passe au service de l'Angleterre. 290 
CHAPITRE IX. — La trahison livre Roland, qui se fait tuer 

après avoir refusé de se rendre. — Le maréchal de Berwick 
remplace Villars. — Tous les chefs, Catinat, Ravanel, Cas- 
tanet... sont achetés à des traîtres, livrés à leur tour, et péris- 
sent au milieu des supplices les plus effroyables. — Fin de la 
guerre des Camisards. • 322 



F. Aureau. — Imprimerie de Lagny. 



3 6*» 



DC Bonnemère, Eugène 

127 Histoire des Csmisards 

G336 3. éd., ccrr. et augri. 

1377 



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